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La Fille du banc

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La Fille du banc Empty La Fille du banc

Message  Iryane Sam 6 Fév 2010 - 9:06

Elle avait maquillé ses yeux plus que de raison.
Cernés d’un noir profond. Quelques mèches lui retombent sur les yeux. Une mine boudeuse.
Un profil parfait.
Elle se tient là, immobile, au milieu de rien.
La place est vide, elle n’a pourtant pas l’air d’attendre quelqu’un.
Pas de sac à main.
Une tenue simple, mais un peu légère pour la saison.
On ne voit qu’elle, et elle laisse pourtant une impression de transparence.

Je la croise tous les après-midi.
Incontestablement, elle s’ennui.
Ou bien, c’est sa façon d’expier une faute connue d’elle seule.
Toujours debout, fière et inflexible.
Sauf aujourd’hui.
Assise et avachie.
Un vague sourire qui se meurt sur les lèvres.
Un sac posé près d’elle.
Je dois confondre.
Ou m’être trompé d’heure.
Mais c’est bien elle.
Le même visage fin, mèches brunes qui dégringolent de son chignon.
Chemisier entr’ouvert, sans aucune vulgarité.
Jambes croisées, bras ballants.
Triste et absente.

Je m’approche et me décide à m’asseoir prés d’elle, sur ce banc vermoulu.
Juste un mouvement de la tête, à peine perceptible, et elle retourne à ses pensées.
Elle s’est redressée, un peu.
Elle a repris son air renfrogné.
Ça lui va mieux.
Au bout d’un quart d’heure, elle se lève, me regarde deux secondes.
Esquisse un sourire, et s’en va.
Je reste là, songeur, et désoeuvré.
Je reviendrais demain …


De nouveau, assise sur le banc.
Elle regarde discrètement sa montre. Remet sa bretelle en place. Repousse une mèche de cheveux. Je ne l’ai jamais vu effectuer autant de geste en si peu de temps.
Je m’assois prés d’elle, comme la veille.
Elle se redresse encore un peu plus. Certainement inconsciemment.
Aucun de nous n’a envie de parler. Aucune gêne. S’il n’y avait pas eu ce coup de vent…
Son foulard soulevé par la brise, que j’ai juste eu le temps de rattraper.
Je le lui ai rendu, un léger sourire aux lèvres.
Sa main fine et un peu tremblante a saisi le foulard. Elle l’a noué autour de son cou, m’a remercié.
C’est la première fois que j’entendais le son de sa voix.
Tout doux.
Tout d’un coup, je me demandais ce que je faisais là, sur ce banc, à coté d’une jeune femme à peine sortie de l’adolescence. Qu’est-ce que j’espérais ? J’ai pensé me lever et ne jamais revenir, mais elle a de nouveau ouvert la bouche.
Envoûté, je n’ai pas pu bouger d’un cil.
_ Je viens souvent ici, vous savez.
_ Oui, je le sais.
A peine leva-t-elle un sourcil. Pas une ombre de surprise. Juste une pâle sourire.
_ C’est dans ce parc que ma mère m’emmenait. Elle restait debout, à me surveiller. Comme si à 7 ans, je pouvais m’aventurer ailleurs que dans le bac à sable.
Elle devait craindre que je me fasse enlever.
Mais un jour, c’est elle qui s’est volatilisée.
Je me suis retrouvée seule dans ce parc.
J’ai attendu, sans bouger de mon bac, comme elle m’avait ordonné.
J’ai attendu jusqu’à ce que la nuit commence à tomber
C’est un policier qui rentrait de sa ronde, qui m’a aperçu.
Mon père est venu me chercher.
Elle, je ne l’ai jamais revu. C’était il y a dix ans.

D’un coup, elle s’est tue. Immobile, à nouveau le regard vide.
Je ne sais pas comment réagir. Pourquoi me raconter tout ça ? Je n’ai rien pu ajouter à son histoire.
Elle semblait m’avoir oublié.
Je me trompais.
Deux minutes plus tard, en se levant, elle me sourit timidement…
_ A demain, dit-elle d’une voix toute fluette…

Nos rendez-vous sont devenus quotidien.
Je m’assois, elle commence à parler. Je crois que ça lui fait du bien. Une sorte de thérapie. Moi je ne dis rien. Ça m’arrange, et ça n’a pas l’air de la gêner.
Juste notre sourire partagé, à la fin de notre entretien…
Elle a vécu seule avec son père, qui ne s’occupait pas d’elle. Très peu d’amis, une timidité maladive. Elle m’a dit qu’elle s’étonnait elle-même, à se confier ainsi, à un parfait inconnu. « C’est que je dois être un peu folle » a-t-elle conclu avec légèreté.
Elle construit son récit de façon chronologique. En l’entrecoupant d’anecdote...
Elle me raconte un peu plus d’elle chaque jour. Je crois même la connaître mieux que son propre père …

Elle en est à sa rencontre avec Anna, sa meilleure amie, depuis 2 ans.
Je redoute le moment où elle aura terminé.
Le jour où elle dira, « Voila. J’en suis là aujourd’hui ».
Que lui restera-t-il à raconter ? Redeviendra-t-elle silencieuse ?
Est-ce que je continuerais à venir m’asseoir tranquillement prés d’elle ?
Elle n’a que 17 ans, mais de l’entendre se confier à moi tous les jours… c’est comme si un fil invisible et ténu nous liait, sans faillir.
J’ai envie de la protéger, de l’épauler… la cajoler… mais je me contente de l’écouter. Ça nous convient bien à tous les deux.

Je sens que la fin du récit est proche. Elle me décrit ce qui a été la dernière lubie de son père. La faire entrer à l’internat, pour prendre possession de sa chambre et y installer la fille de sa deuxième femme. Elle a supporté le confinement et la promiscuité de l’internat durant une quinzaine de jours. Subir les méchancetés et les hypocrisies constantes de ses compagnes de chambrée… mais le pire, c’était de se savoir rejetée par la seule famille qu’il lui restait.
Elle a fuguée, se réfugiant chez sa meilleure amie, Anna, âgée de 3 ans de plus qu’elle. Un petit appartement, et un clic-clac assez confortable.
J’aurais pu lui dire que l’instruction était importante. Qu’il ne fallait pas que l’égoïsme de son père la prive de faire des études.
Que son petit job actuel … qu’elle valait mieux que ça…
Mais je ne l’ai pas fait. C’aurait été trahir le pacte de confiance entre nous. Mon serment tacite de garder le silence. Et je n’ai aucun droit de la juger.
J’étais tellement absorbé dans mes pensées, que je ne m’étais pas rendu compte qu’elle avait cessé de parler.
Elle me regardait franchement. Toujours son fragile sourire accroché aux lèvres.
_ Vous savez, j’aime beaucoup venir ici, reprit-elle. Surtout depuis que vous vous êtes approprié ce banc, comme moi. Dans dix jours, j’aurais dix-huit ans.
Moi, j’ai terminé mon histoire. Je crois …
Si vous voulez bien …
C’est à vous désormais …

Ça m’a surpris. Bien au-delà de ça. Ça m’a tétanisé. Je ne m’y attendais pas du tout…
Elle ne me laisse pas le temps de répondre, elle est déjà debout.
_ Pourquoi ? ai-je simplement réussi à articuler.
Elle s’arrêta tout net. Se retourna doucement.
_ Parce qu’il ne reste plus que dix jours. Pas un de plus.

Qu’avait-elle voulu dire par ces quelques mots ?
Quatre jours avant sa majorité. Et alors ?
Ça m’a laissé une drôle d’impression. Elle veut que je me raconte. Un échange.
Après tout, je connais sa vie dans les moindres détails. Elle ne veut plus que cela reste cet inconnu silencieux et rassurant.
C’est peut-être une façon de prolonger le temps passé ensemble. En m’incitant à parler, elle crée une raison nouvelle pour se retrouver tous les jours, à la même heure, ensemble.
Mais ensuite, passés les dix jours ?

Ça a été plus facile que je ne l’aurai cru. Lorsque je suis arrivé, il n’y avait personne. Je me suis installé sur notre banc. Elle est arrivée trois minutes plus tard, s’est assise et m’a tendu son foulard, comme s’il s’agissait d’un relais.
Je l’ai saisi, sans sourire.
Il était soyeux et sentait bon …
Je n’ai pas cessé de le tourner et le retourner entre mes doigts durant mon récit.
Mon enfance heureuse et mon adolescence perturbée.
Ça m’a remué de faire remonter tous ces souvenirs. On a rarement l’occasion de le faire.
Les rôles étaient inversés. Désormais, c’est moi qui suis en « thérapie », et elle qui patiemment m’écoute.
Je l’ai même surprise à rigoler lorsque je lui racontais l’anecdote de mon bac. Que j’avais failli échouer, simplement parce que j’avais noté les mauvaises dates d’épreuves …
Mes étourderies m’ont causées bien d’autres déboires …
Oserais-je lui raconter mes nuits blanches à faire la fête, lors de mes années d’université ?
Vais-je lui parler de Marie, qui déjà ne fait plus partie de ma vie ? Le mariage le plus court au monde … un mois, et elle demandaient le divorce…
Oui, j’allais tout lui raconter. Car elle n’avait fait l’impasse sur rien. Elle m’a décrit son premier flirt, ses premières déceptions.
Je ne pouvait pas faire autrement que lui narrer ma vie, en son entier, être honnête, jusqu’au bout.
Trente années… il fallait bien dix jours, pour tout déballer !

C’est le dernier jour. Elle est majeure aujourd’hui. Je n’ose pas lui souhaiter un bon anniversaire. Alors je lui ai emmené un petit cadeau. Un bracelet en or. Elle est radieuse en le voyant. Ça lui va à ravir, soulignant la finesse de son poignet…
Le récit de ma vie est presque terminé. Mon divorce consumé, un travail confortable mais sans intérêt. Une vie saine mais sans éclat. Presque terne.
Je lui dis que la seule lueur dans mon quotidien, ce sont nos rendez-vous sur ce banc.
Elle me souri et penche la tête, pour m’écouter encore.
_ J’ai été honoré et comblé d’être ton confident. C’a m’a fait un bien fou aussi de te parler de moi, sans retenue. Désormais, tout a été dit, tu connais tout de ma vie, et moi de la tienne…Viendras-tu tout de même demain ?
Je sentais mon cœur palpiter furieusement dans ma poitrine. Ce que je redoutais allait arriver. Ce petit bout de femme allait me laisser là, pantois, je n’aurais été qu’une éponge. Qui absorbe dans un premier temps. Et qu’on presse ensuite.
Il fallait qu’on se revoie. Sinon, j’aurai l’impression d’avoir été utilisé. Pillé de mon intimité.
La revoir, parce qu’elle est celle qui me manquait.
Sa fraîcheur, sa douceur, son sourire surtout …
Sera-t-elle là demain ?
Elle me regardait intensément, semblait suivre mon cheminement intérieur.
Ses beaux yeux turquoises essayait de me sonder … il faut qu’elle dise oui …
_ J’ai eu le temps de vous connaître. De te connaître. J’ai réfléchis. Beaucoup. Je crois que quelque chose est possible. Je le crois vraiment.
Alors demain, on sortira de ce parc. On s’éloignera ensemble de nos passés, et je te montrerai un autre endroit que j’aime beaucoup. »
Elle me effleura furtivement ma main.
_ Mon prénom est Laura… A demain …
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Message  Iryane Sam 6 Fév 2010 - 9:07

*elle m'effleura furtivement la main (désolée pour les fautes)
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Message  lamainmorte Sam 6 Fév 2010 - 14:40

J'ai trouvé ce texte intéressant au niveau de la progression dans la description de la fille... Mais, car sinon ça ne serait pas drôle, je le trouve décousu, ce qui lui fait perdre cette idée de progression...
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Message  midnightrambler Sam 6 Fév 2010 - 15:18

Bonjour Iryane,

Bonjour Iryane ... j'insiste en respectant scrupuleusement l'orthographe de votre prénom pour casser ce vent d'anonymat ...

Votre texte est superbe !
L'idée est orignale bien que le thème de la rencontre soit l'un des plus utilisé ... loin dans sa forme des meetic, netclub et autres facebook, cette rencontre en a dans le fond l'absence de réserve, de retenue, de pudeur et même de scrupules.
La progression est magnifiquement rendue : mécanique, appuyée ... inexorable ... Le ton est juste. Comme je le fais souvent, j'ai relu quelques phrases pour ne pas arriver trop vite à la fin ...
Je me suis désintéressé, ce qui est rare, du bon petit nombre de fautes qu'une bonne relecture aurait supprimées ...

Amicalement,
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Message  Rebecca Sam 6 Fév 2010 - 16:49

J'ai trouvé ton texte trés agréable à lire . Des phrases courtes, posées avec délicatesse. Des personnages touchants, palpitants. Un vent de fraicheur.
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Message  Celeron02 Sam 6 Fév 2010 - 17:30

J'aime beaucoup votre texte également, très beau, émouvant (tendre, onirique, poétique).
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Message  Invité Sam 6 Fév 2010 - 19:26

Oui moi aussi, c'est un sentiment de fraîcheur que je retire de ce texte, et de grande simplicité. L'histoire aurait pu s'arrêter aux confidences de Laura, j'ai été surprise de la réciprocité, je ne m'y attendais pas, je trouve que cela ajoute un plus au texte.

dans le détail, j'ai tiqué là-dessus :
Chemisier entr’ouvert, sans aucune vulgarité.

amalgame trop facile, surprenant même...

et beaucoup aimé cette phrase : Je ne l’ai jamais vu effectuer autant de gestes en si peu de temps.

Tu sais, le personnage de la fille, sa façon d'être absente au début, m'a un peu rappelé le personnage de Eliane dans L'été meurtrier. Juste comme ça, c'est tout.

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