King Lear

[Sergei]

Dans le coin du bureau, comme un monument stoïque que le temps n'osait attaquer, la face massive d'un Roi anglais plongeait son regard de jais dans l'air silencieux de ma chambre ; sa chevelure minérale s'étalait jusqu'à recouvrir le faciès du livre séculaire. Son nez anguleux, ses lèvres entrouvertes, la fugacité de sa barbe volante, le relief de ses pommettes ombragées semblaient s'extirper du papier argousin, de l'attraction géologique du volume shakespearien. Ce regard décidé mais mélancolique, semblable à celui du vieil oiseau qui regrette la fraîcheur des cieux, imprégnait la souveraine figure de la prestance fuyante d'un monarque exilé. Tendre Bretagne qu'il ne distinguait pas au-delà des brumes françaises, des remous parisiens, des rideaux de ma chambre enfin ! Le désintérêt obstiné qu'il accordait au lecteur que j'étais m'incitait à un certain respect ; à ce respect humiliant qu'on accorde au tuteur placide qui, d'un vif revers de la main, sans même prêter un regard, anéantit une dernière once d'amour-propre. En ignorant ainsi le monde qui l'entourait, le fier Lear lançait l'excitant défi d'explorer les pages de sa vie, tristes didascalies d'un seigneur entravé. Enfin mon regard fatigué se conjuguait au sien ; nous ne désirions tout deux plus qu'un peu d'ignorance. Je l'épargnais, rangeais son faciès macabre au plus profond de mon étagère, dernière sépulture d'un Roi torturé par le génie du dramaturge. Puisse-je pour lui oublier son tombeau.

[Invité]

J'ai bien aimé la façon dont est décrit le sort que le narrateur décide de réserver à ce pauvre Lear, ça me va :-) Je suppose que la finalité de l'exercice reste anecdotique mais j'ai trouvé l'idée sympa. Sur le plan de l'écriture, c'est certes bien écrit, dans le sens de très correct ; mais lourd, dense, avec trop d'adjectifs ou plutôt l'association systématique : nom + adjectif. J'ai l'impression soit que tu t'es regardé écrire comme certains s'écoutent parler, soit que tu as choisi de t'amuser, peut-être bien les deux. La petite trace d'humour me fait l'impression de suffoquer sous cet amas de mots et ne suffit pas à alléger l'ensemble.
Certaines expressions m'ont paru fort incongrues ou tout simplement précieuses, par exemple :
sa chevelure minérale
la fugacité de sa barbe volante
l'attraction géologique du volume shakespearien

[Invité]

J'ai eu le sentiment que tu faisais une sorte de parodie, Sergeï, parodie n'étant pas le bon terme, mais ces petites comédies auxquelles on se livre pour se moquer avec une cetaine emphase de quelque chose... J'ai interprété : Il a été déçu par Lear ( ou forcé d'en ingurgiter, ou de fournir un travail barbant dessus) et il se " venge" !
Certains passages m'ont fait sourire, mais dans l'ensemble, j'ai trouvé le texte surchargé et surtout de nombreuses formules me laissent perplexe :

le faciès du livre séculaire

Un faciès pour un livre ???

le relief de ses pommettes ombragées ?semblaient s'extirper du papier argousin, ???

argousin pour moi a le sens de garde chiourme

J'ai en revanche bien aimé la fin ironique :

Enfin mon regard fatigué se conjuguait au sien ; nous ne désirions tout deux plus qu'un peu d'ignorance. Je l'épargnais, rangeais son faciès macabre au plus profond de mon étagère, dernière sépulture d'un Roi torturé par le génie du dramaturge. Puisse-je pour lui oublier son tombeau.

[Peter Pan]

Salut Leone :-)

J'ai d'abord lu ton texte et après les commentaires, mais je dis tout pareil que Easter et coline (merci les filles d'avoir écrit exactement ce que je voulais dire, comment vous avez fait pour entrer dans mon cerveau ? :-)

nous ne désirions tout deux

À vérifier auprès des grammairiens (ou gras mère hyènes), mais n'écrit-on pas tous deux ?

Puisse-je

http://www.tv5.org/TV5Site/lf/merci_professeur.php?id=4263&id_cat=

[Claire d'Orée]

Bel autoportrait de vous en Roi lear.
Amicalement
Claire d'Orée

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