Sur le fil... en équilibre
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Sur le fil... en équilibre
J’attends j’attends j’attends.
Bien sagement, le dos très droit.
Comme un piquet, comme un navet, un gros benêt.
J’attends, pour ne pas changer, que Mère ait terminé.
Qu’elle finisse de papoter, de ragoter, de m’insupporter.
La voisine n’en a rien à cirer, du temps qu’il fait, de la vie des gens, du dernier potin TV.
Elle aussi, elle attend que ça passe.
Au bout d’un moment, dix, vingt minutes, une heure… Mère s’arrête de jacter. La voisine se hâte de s’éclipser, sans même prendre la peine de me saluer.
Mère m’attrape par le poignet, grommelle qu’on est en retard, et m’assomme de ses critiques acerbes sur la voisine.
Je hoche la tête, bien gentiment.
Elle a un fils parfait, s’imagine-t-elle.
Oui … poli, toujours bien mis, pantalon à pince et chaussures vernies, chemise au col bien amidonné et cheveux plaqués en arrière.
Se soucie-t-elle un seul instant de ce que je peux penser pendant l’heure où je reste seul, immobile à ses cotés ?
A supporter ses calomnies, ses mondanités, ses banalités.
Sait-elle qu’à 12 ans, j’aurais bien d’autre choses à faire qu’à perdre ainsi de précieuses minutes ?
Mère est si inconsciente …
Si elle avait le moindre soupçon sur ce qui se trame dans mon esprit…
Je la hais. En silence, mais d’une telle intensité.
Si elle s’en doutait, son chignon, si bien serré, perdrait de sa superbe.
Son visage déjà défraîchi se friperait comme une vieille pomme.
Ca la laisserait sans voix, enfin.
Eté comme hiver, durant son heure quotidienne de médisance, de dialogue à sens unique, je fais montre d’une incroyable impassibilité.
Un accident de voiture pourrait se dérouler sous mes yeux, que je ne réagirais pas. Je me fige. Il le faut pour bloquer les insanités qui me viendraient aux lèvres. Les gestes qui me démangeraient les mains.
La frapper de mes mots
L’étriper de mes mains.
L’écharper.
La dépecer
La faire taire, par tous les moyens.
Ca m’aide à tenir, de penser à ça.
Je suis interdis de tout. Education stricte et rigide.
Alors je m’autorise le pire dans mon imaginaire.
C’est au bord de moi. Ca ne demande qu’à briser la digue et déborder sur la réalité.
J’ai toujours été précoce en tout.
Premier mot très tôt, premier de la classe partout.
Exemplaire en tout.
Carcan immuable d’excellence.
Je suis tellement moins lisse que je ne le laisse paraître…
Alors je reste indifférent, patient, pédant.
Mais fier et insolent.
Un jour … le jour où la digue en sera à son point de rupture, je me mettrais en mouvement…
Ce jour est arrivé. Je le sens.
Un trop plein d’image, de sang, de larmes intériorisées et de rancœur mêlés.
Je l’imagine rampante, au sol, implorante, mais surtout, surtout, muette.
Je n’en peux plus de sa voix fluette que rien n’arrête.
Partir ou agir, le choix est simple.
Mais la décision est moins aisée que ce que je pensais.
Partir, ou agir … ?
Sans plus réfléchir, je me retourne, serre sa gorge entre mes doigts, elle suffoque, surprise.
Ses yeux exorbités me scrutent comme si j’étais un inconnu, et non son enfant chéri et si sage.
J’entend vaguement la voisine qui cri.
Elle tente même de me saisir par le bras, je la repousse d’un coup de coude.
La rage décuple mes forces.
Entre mes doigts, je sens son souffle court. Ce presque silence est béni…
Mais je ne supporte plus son regard hébété et empli de reproches.
Mes pouces dans ses orbites, bien loin, bien fort.
Ca fait schlotch, lorsque je les retire.
Elle n’est plus qu’un râle, encore un petit effort, et elle se taira tout à fait.
A jamais.
Je sers à nouveau son cou jusqu'à sentir ses muscles s’ankyloser, elle ne résiste pas, elle n’est plus qu’une chiffe molle, inutile.
Elle est déjà morte je crois.
Je fais ce que j’ai toujours rêvé de faire… lui décrocher la mâchoire.
Tirer brusquement dessus, entendre le craquement sourd, voir sa bouche béante d’où ne sortira plus aucun son…
Doucement, j’ouvre mes points, que j’avais serrés très fort.
Ca fait mal, les ongles sont rentrés dans ma chair.
Je décrispe mes paupières, ouvre les yeux.
Rien n’a changé. Mais je ne peux plus la supporter.
Mon délire d’homicide a été si intense cette fois-ci…
Le temps de reprendre mes esprits, je m’accroupi, saisi mon cartable pendant qu’elle continue d’étaler ses malheurs sur la place publique.
J’avance droit devant moi, avec la ferme intention de ne pas ralentir lorsqu’elle m’appellera.
Je ne me retourne pas. Elle ne se doute pas un seul instant, à quoi elle a réchappé…
Elle ne me rappellera pas, je suis trop loin, elle ne s’est même pas aperçue de mon départ …
Bien sagement, le dos très droit.
Comme un piquet, comme un navet, un gros benêt.
J’attends, pour ne pas changer, que Mère ait terminé.
Qu’elle finisse de papoter, de ragoter, de m’insupporter.
La voisine n’en a rien à cirer, du temps qu’il fait, de la vie des gens, du dernier potin TV.
Elle aussi, elle attend que ça passe.
Au bout d’un moment, dix, vingt minutes, une heure… Mère s’arrête de jacter. La voisine se hâte de s’éclipser, sans même prendre la peine de me saluer.
Mère m’attrape par le poignet, grommelle qu’on est en retard, et m’assomme de ses critiques acerbes sur la voisine.
Je hoche la tête, bien gentiment.
Elle a un fils parfait, s’imagine-t-elle.
Oui … poli, toujours bien mis, pantalon à pince et chaussures vernies, chemise au col bien amidonné et cheveux plaqués en arrière.
Se soucie-t-elle un seul instant de ce que je peux penser pendant l’heure où je reste seul, immobile à ses cotés ?
A supporter ses calomnies, ses mondanités, ses banalités.
Sait-elle qu’à 12 ans, j’aurais bien d’autre choses à faire qu’à perdre ainsi de précieuses minutes ?
Mère est si inconsciente …
Si elle avait le moindre soupçon sur ce qui se trame dans mon esprit…
Je la hais. En silence, mais d’une telle intensité.
Si elle s’en doutait, son chignon, si bien serré, perdrait de sa superbe.
Son visage déjà défraîchi se friperait comme une vieille pomme.
Ca la laisserait sans voix, enfin.
Eté comme hiver, durant son heure quotidienne de médisance, de dialogue à sens unique, je fais montre d’une incroyable impassibilité.
Un accident de voiture pourrait se dérouler sous mes yeux, que je ne réagirais pas. Je me fige. Il le faut pour bloquer les insanités qui me viendraient aux lèvres. Les gestes qui me démangeraient les mains.
La frapper de mes mots
L’étriper de mes mains.
L’écharper.
La dépecer
La faire taire, par tous les moyens.
Ca m’aide à tenir, de penser à ça.
Je suis interdis de tout. Education stricte et rigide.
Alors je m’autorise le pire dans mon imaginaire.
C’est au bord de moi. Ca ne demande qu’à briser la digue et déborder sur la réalité.
J’ai toujours été précoce en tout.
Premier mot très tôt, premier de la classe partout.
Exemplaire en tout.
Carcan immuable d’excellence.
Je suis tellement moins lisse que je ne le laisse paraître…
Alors je reste indifférent, patient, pédant.
Mais fier et insolent.
Un jour … le jour où la digue en sera à son point de rupture, je me mettrais en mouvement…
Ce jour est arrivé. Je le sens.
Un trop plein d’image, de sang, de larmes intériorisées et de rancœur mêlés.
Je l’imagine rampante, au sol, implorante, mais surtout, surtout, muette.
Je n’en peux plus de sa voix fluette que rien n’arrête.
Partir ou agir, le choix est simple.
Mais la décision est moins aisée que ce que je pensais.
Partir, ou agir … ?
Sans plus réfléchir, je me retourne, serre sa gorge entre mes doigts, elle suffoque, surprise.
Ses yeux exorbités me scrutent comme si j’étais un inconnu, et non son enfant chéri et si sage.
J’entend vaguement la voisine qui cri.
Elle tente même de me saisir par le bras, je la repousse d’un coup de coude.
La rage décuple mes forces.
Entre mes doigts, je sens son souffle court. Ce presque silence est béni…
Mais je ne supporte plus son regard hébété et empli de reproches.
Mes pouces dans ses orbites, bien loin, bien fort.
Ca fait schlotch, lorsque je les retire.
Elle n’est plus qu’un râle, encore un petit effort, et elle se taira tout à fait.
A jamais.
Je sers à nouveau son cou jusqu'à sentir ses muscles s’ankyloser, elle ne résiste pas, elle n’est plus qu’une chiffe molle, inutile.
Elle est déjà morte je crois.
Je fais ce que j’ai toujours rêvé de faire… lui décrocher la mâchoire.
Tirer brusquement dessus, entendre le craquement sourd, voir sa bouche béante d’où ne sortira plus aucun son…
Doucement, j’ouvre mes points, que j’avais serrés très fort.
Ca fait mal, les ongles sont rentrés dans ma chair.
Je décrispe mes paupières, ouvre les yeux.
Rien n’a changé. Mais je ne peux plus la supporter.
Mon délire d’homicide a été si intense cette fois-ci…
Le temps de reprendre mes esprits, je m’accroupi, saisi mon cartable pendant qu’elle continue d’étaler ses malheurs sur la place publique.
J’avance droit devant moi, avec la ferme intention de ne pas ralentir lorsqu’elle m’appellera.
Je ne me retourne pas. Elle ne se doute pas un seul instant, à quoi elle a réchappé…
Elle ne me rappellera pas, je suis trop loin, elle ne s’est même pas aperçue de mon départ …
Iryane- Nombre de messages : 314
Age : 43
Localisation : là où je dois être ...enfin, sans certitude.
Date d'inscription : 26/01/2010
Re: Sur le fil... en équilibre
Des émotions plutôt fortes - contradictoires nécessairement dans une telle situation - qui me semblent exprimées de façon juste. Au plaisir de vous lire à nouveau.
Celeron02- Nombre de messages : 713
Age : 51
Localisation : St-Quentin
Date d'inscription : 19/12/2009
Re: Sur le fil... en équilibre
Très beau texte. Le début, lu à haute voix, me fait penser à un rap mais un rap qui aurait quelque chose à dire. Ce qui est bien fait aussi c'est de ne pas être tombé dans l'irrationnel et avoir laissé le meurtre de la mère dans le domaine de l'imaginaire tout en terminant quand même sur un acte de révolte mais plus en rapport avec la situation.
Il y a quelques fautes d'orthographe (poings) et d'accords de verbes.
Il y a quelques fautes d'orthographe (poings) et d'accords de verbes.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 81
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Sur le fil... en équilibre
Une progression bien amenée jusqu'au moment où ça bascule dans ce paragraphe très bien vu :
Partir ou agir, le choix est simple.
Mais la décision est moins aisée que ce que je pensais.
Partir, ou agir … ?
je ne sais pas si c'est justement cette hésitation, mais j'ai senti à mesure que je progressais dans ma lecture après les lignes ci-dessus que ce meurtre n'était qu'imaginé. Je me demande à quoi cela tient, ce manque de conviction. Est-ce dû à l'intensité de la violence que met le jeune narrateur à décrire l'acte (le coup de la mâchoire par exemple) et donc peu crédible aux yeux d'un lecteur adulte... ou au contraire à une manque de force dans l'expression, je ne sais pas, je n'arrive pas à voir.
Remarque, tu nous prends de nouveau à contre-pied avec la dernière ligne qui laisse la porte ouverte à l'interprétation. Bien joué !
Ceci :
Un trop plein d’images,
J’entends vaguement la voisine qui crie.
Doucement, j’ouvre mes poings,
je m’accroupis, saisis mon cartable
elle ne s’est même pas aperçu
Partir ou agir, le choix est simple.
Mais la décision est moins aisée que ce que je pensais.
Partir, ou agir … ?
je ne sais pas si c'est justement cette hésitation, mais j'ai senti à mesure que je progressais dans ma lecture après les lignes ci-dessus que ce meurtre n'était qu'imaginé. Je me demande à quoi cela tient, ce manque de conviction. Est-ce dû à l'intensité de la violence que met le jeune narrateur à décrire l'acte (le coup de la mâchoire par exemple) et donc peu crédible aux yeux d'un lecteur adulte... ou au contraire à une manque de force dans l'expression, je ne sais pas, je n'arrive pas à voir.
Remarque, tu nous prends de nouveau à contre-pied avec la dernière ligne qui laisse la porte ouverte à l'interprétation. Bien joué !
Ceci :
Un trop plein d’images,
J’entends vaguement la voisine qui crie.
Doucement, j’ouvre mes poings,
je m’accroupis, saisis mon cartable
elle ne s’est même pas aperçu
Invité- Invité
Re: Sur le fil... en équilibre
Ce texte m'a embarquée.
Bravo.
Bravo.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Sur le fil... en équilibre
Ouah ! Quelle "belle" violence !
Le texte est prenant jusqu'au bout... Combien d'enfants ont rêvé d'être libérés des parents ? Mais de cette manière... il en a gros sur l'âme, le petit !
Au plaisir de te lire !
Le texte est prenant jusqu'au bout... Combien d'enfants ont rêvé d'être libérés des parents ? Mais de cette manière... il en a gros sur l'âme, le petit !
Au plaisir de te lire !
Invité- Invité
Re: Sur le fil... en équilibre
Belle progression, qui ne nous laisse pas le temps de souffler...
Pour complèter les corrections de Easter : il y a deux C qui mériteraient une cédille, et je serre son cou ( et non pas sers)
Pour complèter les corrections de Easter : il y a deux C qui mériteraient une cédille, et je serre son cou ( et non pas sers)
Invité- Invité
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