Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -28%
Brandt LVE127J – Lave-vaisselle encastrable 12 ...
Voir le deal
279.99 €

Loïc

5 participants

Aller en bas

Loïc Empty Loïc

Message  Lucy Mer 24 Fév 2010 - 3:42

Le "Kaléi" n'étant pas vraiment un exo, du fait que je ne participe pas au projet des Muses, je ne sais pas si cela compte comme un exercice ou non. Modération, vous me le signalerez au besoin. D'avance, si je fais une bourde, j'assume et m'en excuse. Il est des moments où on a envie de placer certains textes plutôt que d'autres, alors, c'est le moment pour celui-là. Easter, tu me pardonneras de proposer du réchauffé, mais il est plus que d'actualité et quand on n'a pas la possibilité de dire les choses, on peut au moins, sous forme de fiction, faire comme si.


Loïc


Elle ne sait pas imiter le cri des oiseaux, alors passons.

C’est le printemps. Le violon joue. Plus fort que les autres. De ses quatre petites cordes, c’est lui qui domine. Par moments, pourtant, les piaillements noient la musique. C’est intolérable. Ni perruche, ni canari dans la pièce à vivre, juste ce lecteur de disques compacts dont l’écran bleu affiche « DVD VIDEO » d’un air abstrait –pour peu qu’un écran puisse avoir l’air de quelque chose. Déjà que le clac, clac de l’appareil a tendance à gêner l’écoute, mais le chant des oiseaux…

Puis le ruisseau, c’est too much.

Pourtant, l’idiote dans tout ça, c’est elle. Prendre ce disque, le ramener à la maison, le fourrer dans la machine : elle est seule responsable de ça.

Trois minutes et trente-sept secondes sans compter les centièmes. Trois minutes et trente-sept secondes, voilà tout ce qu’elle est capable d’endurer. Déception. En appuyant sur la touche « stop », le concert baroque lui revient en mémoire. Celui vu à la télé. Le jeu, différent, agile, amusant, étonnant. L’image s’efface, disparaît, fin du mouvement. Il y avait mieux que ce concert barrocco, que ce mauvais disque de relaxation. Il y avait Loïc.

Elle se regarde trente secondes dans le miroir de la salle de bain. Trente secondes, pas plus. Elle se dévisage comme elle se lave les mains, ferme le robinet, plaque ses paumes sur la serviette éponge, puis elle éteint la lumière et disparaît.

C’est l’été. Dans le confort du petit fauteuil rouge, les pieds posés sur la moquette grise à la quatrième rangée de sièges près de l’issue de secours, elle attend. L’orchestre se prépare sur la petite scène, face à elle. Les artistes sont assis sur les vieilles chaises en bois de l’école de musique. Elle se dit qu’elle n’a pas pratiqué son violon, aujourd’hui. Elle se dit tant pis, pour ce qu’elle joue bien de toute façon.

Deux euros cinquante, voilà tout ce que cela lui a coûté : deux euros et cinquante centimes. Première partie : Les Quatre saisons de Vivaldi. Seconde partie, des standards de musiques de films avec le fameux premier violon. Premier violon, pour l’occasion. Il est second, normalement. Le second de son quatuor.

Son professeur, à elle, monte sur l’estrade du petit théâtre communal afin de présenter au public maigrichon son ancien élève, « aujourd’hui au Conservatoire de Paris », précise-t-il, pas peu fier. Après cela, il cède la place à un grand jeune homme qui flotte dans un costume mal coupé lui faisant les épaules tombantes. Une cravate bariolée −une horreur !− enserre le col d’une chemise très blanche qui se porterait mieux libérée de quelques boutons. Il est un peu dégingandé, ce garçon, sous ses longs cheveux noirs, mais son sourire et son visage sont plaisants. Il ne semble pas à son aise dans son rôle de « star », néanmoins il force la sympathie. En quelques mots chaleureux, il se présente et elle est conquise.

Elle se balance dans son fauteuil détente. Il grince et ce grincement lui rappelle le piaillement des oiseaux du concerto. Alors, elle actionne la petite poignée à sa droite et se laisse aller en arrière. Le brouhaha de la télévision de ses voisins lui parvient, assourdi par le mur de Placoplatre et la porte d’entrée. Elle ferme les yeux et se souvient.

C’est l’automne. Le violon vient se poser sur l’épaule de Loïc. Elle l’appelle par son prénom, c’est plus intime. L’instrument est sur l’épaule gauche, donc, tandis que la main droite s’élève avec l’archet. Les oiseaux en perdent leur sifflet. Tout y passe : le printemps, l’été, l’automne, l’hiver, sur un rythme d’enfer. Elle oublie le costume, la cravate, la coupe de cheveux ; elle oublie tout ce qui n’est pas l’instrument ; elle oublie tout ce qui n’est pas le violoniste ; enfin, elle oublie tout ce qui n’est pas la musique.

Petite pause, elle respire. Elle peut s’entendre inspirer et expirer comme l’archet retombe et que le violon vient se balancer au bout du bras de Loïc. Le jeune homme reprend la parole et elle se demande si c’est bien le même qui jouait l’instant d’avant.

Reprise. Les oiseaux ont disparu depuis longtemps. Envolés, les oiseaux ! Ils en ont perdu, des plumes. La moquette en est pleine. Les murs beiges de son salon sont ceux, gris, du théâtre de sa petite ville. Le fauteuil confort inclinable est le siège rouge de la quatrième rangée. Là, elle aperçoit la lumière de la « sortie de secours » qui lui fait de l’œil, sur sa droite. Le châle brun brodé de petites perles de rocailles frôle son cou, tandis que l’odeur du cuir de sa veste flotte dans ses narines.

C’est le moment de l’entracte, des rafraîchissements, de la rencontre avec Loïc.

C’est l’hiver.

Elle connaît la fille qui fait le service, employée communale comme elle, collègue et vaguement amie. Elles parlent, rient quand sa copine déclare : « Il faut que je te le présente, il est gentil, tu vas voir. Puis, drôle avec ça. Il est… » là.

Elle appréhende, un peu. Il est à deux pas d’elle qui boit du jus d’orange. Il s’approche. Son amie se penche pour attraper des serviettes en papier et, dans son mouvement, libère le champ de vision de la jeune femme.

Et dire qu’elle avait oublié.

Un regard dans le miroir et son euphorie s’évanouit. Elle bredouille quelques mots d’excuse avant de disparaître dans une retraite improvisée. Les toilettes, c’est parfait pour se cacher. Elle observe l’antique chasse d’eau munie d’une chaîne d’un air absent pendant plusieurs minutes avant de l’actionner, puis regagne la salle de spectacle pour la deuxième partie du concert.

Les oiseaux chantent plus fort. Ils sont revenus. Le salon n’est plus qu’un salon et « Les Quatre saisons » se sont muées en années. L’hiver semble vouloir durer plus longtemps que prévu. Peu importe, c’est lui qu’elle préfère.
Lucy
Lucy

Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008

Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Orfèvrerie.

Message  ubikmagic Mer 24 Fév 2010 - 7:12

Très bel ouvrage sur les outrages du temps, les illusions perdues, les occasions ratées, les amours qui s'envolent, les regards qui se dérobent.

C'est ciselé avec art.

Ubik.
ubikmagic
ubikmagic

Nombre de messages : 998
Age : 62
Localisation : ... dans le sud, peuchère !
Date d'inscription : 13/12/2009

http://vulcania-submarine.deviantart.com/gallery/

Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Re: Loïc

Message  Iryane Mer 24 Fév 2010 - 10:32

une espèce de tristesse latente dans ce texte, nostalgie et regret mélé.
le tout est vraiment agréable à lire.
Iryane
Iryane

Nombre de messages : 314
Age : 43
Localisation : là où je dois être ...enfin, sans certitude.
Date d'inscription : 26/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Re: Loïc

Message  Kash Prex Mer 24 Fév 2010 - 15:51

Une belle description du ressenti, étape par étape, lorsque le violoniste arrive sur scène, parle, puis surtout lorsqu'il joue. On voyage avec la femme, on ressent avec elle.
Kash Prex
Kash Prex

Nombre de messages : 1776
Age : 35
Localisation : Parfois
Date d'inscription : 17/09/2007

http://www.zikpot.fr/artiste-Kash%2BPrex

Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Re: Loïc

Message  Invité Mer 24 Fév 2010 - 21:15

Superbe texte plein de désenchantement, où rien n'est dit mais tout suggéré avec un art consommé de l'ellipse, une subtilité que je retrouve toujours chez toi, Lucy.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Re: Loïc

Message  demi-lune Jeu 25 Fév 2010 - 9:53

J'ai aimé la tonalité douce-amère, les sentiments et les émotions suggérés sans en dire trop, avec finesse. j'ai aussi aimé le jeu de miroirs qui se font écho au début et à la fin, images superposées comme celles de la télévision et de la salle de spectacle, présence en filigrane de l'eau, comme un symbole de l'écoulement du temps. Beau travail.
Une remarque :
Son professeur, à elle, monte sur l’estrade du petit théâtre communal afin de présenter au public maigrichon son ancien élève, « aujourd’hui au Conservatoire de Paris », précise-t-il, pas peu fier.

A la première lecture, j'ai cru que c'était l'élève qui précisait « aujourd’hui au Conservatoire de Paris » dans la mesure où présenter peut signifier "annoncer" mais aussi : introduire au public une personne déjà présente sur scène.
demi-lune
demi-lune

Nombre de messages : 795
Age : 63
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009

Revenir en haut Aller en bas

Loïc Empty Re: Loïc

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum