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Graine de terroriste

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Plotine
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silene82
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Message  silene82 Jeu 25 Fév 2010 - 11:39

Jonathan s'est acoquiné avec un redoutable gangster, qui se trouve être son condisciple.
A voir la mine studieuse et le maintien plutôt effacé dudit suborneur, on soupçonnerait difficilement qu'il s'ingénie à pervertir de jeunes âmes, de la manière la plus éhontée qui soit.
Jonathan, toujours en quête d'un semblant d'humanité chez ses condisciples, est passablement collant dès que quelque chose se met en place.
Le gibier de potence qu'il suit avec enthousiasme a imaginé rien moins qu'une transgression majeure ; excipant du mauvais découpage de leur emploi du temps, qui caviarde de longues tranches de matinées, lesquelles devront être compensées par des cours en fin de journée, il a décrété, à sa propre intention, que les heures de permanence dont ils sont si généreusement pourvus pourraient être mises à profit de bien plus fructueuse manière.
Les plans que cet intéressant stratège a dans la manche sont d'une extrême simplicité, et ne demandent, pour leur mise en œuvre spectaculaire, que de très courants ustensiles. Qui peuvent fort bien, tant qu'à entrer dans le crime organisé, se voler le plus gentiment du monde à la Maison de la Presse qui en tient un plein comptoir, et de tous modèles.
Chacun sait que l'économie de moyens signe le véritable artiste ; et de fait Jonathan, et Cri-Cri quand il se rameutera, admirent l'ambition qui se fait jour malgré une certaine indigence, qui ne lui est pas imputable.
Patrick, cerveau de la bande, a en effet des idées avancées sur l'art de la balistique, ainsi que des intuitions de chimiste contrarié : son père, sévère prof de maths, le pousse vers la médecine, dont il n'a cure. Surtout à 12 ans. Encore que la perspective des explorations gynécologiques in situ auxquelles il aura droit, et même obligation, dans le cours des dites études, le remplissent à l'avance d'une excitation sinon scientifique, du moins fébrilement joyeuse.
Mais cela est bien loin, et pour le temps, il compte donc, selon un protocole qu'il a élaboré, tester avec une rigueur implacable les différents aspects de l'art du canonnage, escomptant laisser une série d'observations que les générations suivantes de potaches s'arracheront avec reconnaissance et admiration.
Le canon est un fragment de tuyau, déterré d'un lieu de lui connu ; la poudre provient de pétards de différents modèles, les plus convoités étant évidemment les redoutables Mammouths, dont la rumeur collégienne assure – de source sure, attestée par les propagateurs -, qu'ils t'emportent une main comme en se jouant.
Le prestige de manier de tels bâtons de dynamite excite et dynamise autant les achats que les vols : un jeu de pétards moyens achetés, plusieurs Mammouths étouffés, c'est la règle, et aucun des comparses n'y déroge, surtout que la cacochyme veuve du vendeur de canards n'a plus la vue très nette, et évoque irrésistiblement un hamster qui se serait affublé de lorgnons. Sales.
Tremblant avec délectation de la transgression, car il sait que les voleurs n'entreront pas dans le royaume de Dieu, non plus que les fornicateurs et les sodomites, - pour les onanistes, il ne sait pas -, Jonathan pousse l'élégance jusqu'à soutenir que dans un pareil cas, ça n'est même plus drôle, et que tant qu'à voler la mémé, il faudrait s'imposer des handicaps. L'on voit par ce trait qu'il méprise la facilité, et s'attache à l'excellence en toutes choses avec une constance sans faille.
Il a bien tenté d'ailleurs de ramener vers un véritable challenge l'instigateur de l'expérience, lui représentant qu'il serait infiniment plus glorieux, et à terme, exploitable, de fabriquer de la poudre, suivant la recette excellemment dévoilée par Tom Sawyer à Huckleberry Finn, et en laquelle il a une confiance inébranlable, salpêtre, soufre, charbon de bois finement broyé. La subtilité des proportions déterminant, bien sûr, la puissance du mélange.
Ses comparses, quoique intéressés par l'idée, sont cependant plus stimulés par la possibilité de mettre à l'épreuve sans délai les nombreuses théories balistiques qu'ils ont échafaudées.
Aussi l'admirable idée est-elle remisée jusqu'à plus ample informé.
La chanson ne dit-elle pas qu'il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure ? Idem pour les apprentis artificiers, à qui il suffit de ne pas aller en étude, si nonchalamment contrôlée que ce serait péché que de s'y soumettre, et de passer le portillon, pour être dans la vraie vie.
Passées les premières expériences, exquises, notamment celle où un coup heureux éclabousse par ricochet la poussette d'un bambin, tachant le marmot d'une superbe traînée qui fait glapir sa mère, ou ce qui semble lui en tenir lieu, avec un enthousiasme gesticulatoire qui les fait immédiatement regretter de ne pas l'avoir atteint lui, le précieux marmouset, en maculant son joli bavoir brodé.
On voit que les artilleurs ont l'âme esthétique, en sus de leur perfectionnisme.
Les canonnades se succèdent, jusqu'à sembler anodines : vient un temps où ce n'est même plus drôle, puisque l'on commence à maîtriser la trajectoire, sa parabole, son acmé, et partant, sa cible. De canonnier on passe grenadier, fonction de prestige, qui se joue du danger. Une brave petite motte de terre légèrement humectée, le pétard douillettement tapi en son sein, mèche au vent, allumage, lancer, extase si, talent ou hasard, l'éléphantine explosion brise la motte en plein vol, et idéalement au dessus d'une tête. Chenue s'il se peut.
La niaiserie des compères n'ayant d'égale que la répétitivité de leurs exploits, la nature humaine, par ailleurs, les poussant à toujours se surpasser, on en vient vite, dans ces circonstances, à cibler de mieux en mieux ses attaques, d'autant que de jeunes jambes garantissent à peu près à coup sûr qu'on pourra s'esbigner si l'affaire tournait mal.
Ce qui ne manque pas d'arriver : cet honnête petit vieux, qui descend l'avenue de la Gare, dans son petit costume gris, serait-ce pas pitié, et presque crime, que de ne le point gratifier d'une explosion ad hoc ? Aussitôt pensé, aussitôt lancé : superbe coup, Jonathan, en grande forme, a réussi une explosion dispersante juste à ras de la calvitie du quidam, qui se retourne d'un bloc. Malédiction ! Monsieur Rabet, le directeur de l'école communale où ils ont usé leurs fonds de culotte...qui, de la voix de commandement qu'il lui connaissent, leur intime de ne pas bouger, les appelant, pour que ce soit tout à fait clair, par leurs prénoms.
Escorté par sa victime, le trio débarque piteusement dans l'antre de Sassini, un petit Corse teigneux et atrabilaire, qui en veut à la terre entière, et aux continentaux particulièrement, surtout quand, comme en l'occurence, les patronymes des terroristes sont italianisants.
Convocations diverses. Colles démultipliées sur de longues durées. Mots aux parents relatant – non sans humour grinçant, Sassini ayant une plume pince-sans-rire -, les modalités du guet-apens. Suggérant une punition exemplaire, en sus du déjà perçu.
Point n'est besoin : monsieur Sassini est bien bon, mais monseigneur, pour ce qui est des gratifications supplémentaires, ne craint personne.
Jonathan monte à l'échafaud.
Il est si terrifié à l'idée des conséquences diverses qu'il envisage d'aller se cacher dans les collines, après avoir soustrait un fromage et un pain. Et qui sait, partir en Amérique.
L'affaire se complique d'autant plus que la régente, qui passe sa vie à mourir, ou du moins à essayer, périodiquement égrotante et à la dernière extrémité, dont elle se remet toujours, on ne sait trop comment, est hospitalisée une fois de plus. Pas pour de la gnognotte.
Jonathan, habile déjà à évaluer l'opportunité de certaines révélations selon le lieu et l'endroit, et qui a vérifié souvent que le fait importe peu, mais plutôt l'état d'esprit de l'autorité gouvernante qui , selon la règle bien connue qu'une doléance est mieux reçue si la puissance dominante est épanouie quant à ses sens, et nous ne risquerons pas d'allusions grivoises, se garde son poulet bien serré, dans le dessein de ne le dévoiler qu'à la clinique, escomptant mettre la régente à contribution comme paratonnerre.
Naïf de surcroît : la régente se préoccupe surtout de souffrir de manière à la fois convaincante et édifiante ; depuis toujours, elle excelle dans les regards langoureux de sainte frappée injustement, regards évidemment tournés vers les cieux, avec lesquels elle semble du dernier bien. Jonathan, indécrottable petit imbécile, s'imagine donc qu'une aspirante sainte, d'une rigueur morale confinant au jansénisme, lors qu'elle est parpaillotte, va manifester indulgence et compréhension devant une telle transgression ? A-t-il oublié, ce grimaçant petit crétin, qu'elle lui a fréquemment déclaré, avec son accent inimitable, que s'il se rendait coupable de quoi que ce soit de répréhensible, ce serait elle-même qui le traînerait jusqu'à la prison ?
Le candide Jonathan profite donc de la sympathique réunion pour annoncer, d'un ton macabre et douloureux, aucunement éprouvé mais contrefait, yeux vissés au gerflex du sol, qu'il a commis une faute. Dame régente se raidit dans son lit de douleur, comme frappée par une flèche parthe. Elle implore à mi-voix l'aide du Tout-Puissant, qui ne doit pas avoir de grouillots disponibles dans l'instant, car nulle apparition luminescente ne vient illuminer la cagna.
Le carnet, où le menu du complot est détaillé d'une assez jolie plume par le caustique Sassini, qui s'interroge sur l'opportunité de l'usage de la poudre, quand les Romains n'avaient que des onagres, déplore qu'un garçon comme Jonathan n'ait pas d'ambitions plus consistantes, et en appelle enfin à un exemple saisissant. Et efficace, s'il se peut. Il effleure même, en postface, et sans avoir l'air d'y toucher, la disgrâce suprême, qu'on n'évoque qu'à mots couverts, et comme un fléau qui ne peut arriver qu'aux parricides, au moins, le conseil de discipline. La régente en laisse échapper le cri douloureux de l'amour trahi, identique, à deux mille ans de distance, au tu quoque du chauve et déçu César.
Monseigneur mâche son amertume et sa rage, et sa mine sombre laisse augurer de bien tristes choses quant à l'homéostasie de Jonathan ; l'on comprend que c'est par égard pour la gisante qu'il se contraint à ne pas faire ce qui lui semblerait approprié, une relecture de la comtesse de Ségur avec intervention raisonnée du knout, ou par défaut, du chat-à-neuf-queues, qui offrirait l'avantage d'être bien connu de la régente, impavide anglo-saxonne.
Jonathan n'a guère d'efforts à faire pour arborer la mine de circonstance.
Le jugement tombe, lapidaire, magnanime : il ne sera pas mis à mort ; le petit monstre, qui joint la sottise et la dissipation à la cruauté, puisqu'il cherche manifestement à tuer sa mère, nonobstant ses fréquentations épouvantables, parmi lesquelles, tant qu'il y est, il y a peut-être des arabes, et peut-être même des pauvres, sera mis à l'écart, comme le pestiféré qu'il est. Plus de repas en famille pendant un mois. Plus de sorties : il ferait beau voir. Et pour occuper intelligemment son temps, puisqu'il ne sait qu'en faire, et se livre à de telles épouvantables transgressions, il recopiera les Fourberies de Scapin, personnage qui l'a manifestement inspiré de son souffle sulfureux, intégralement, trente fois.
Jonathan, qui espérait des lignes, quelque chose d'intelligent à recopier, du genre « il n'est pas opportun, voire dangereux, de lancer des boules empétardées sur la tête de son ex-directeur », pour la confection desquelles, du haut de son expérience de copiste-faussaire, il aurait inventé de nouveaux expédients, est accablé : il voit bien, en un saisissant raccourci, qu'il ne pourra pas appliquer les bienfaits du taylorisme à ce pensum : il va être obliger de se fader l'intégrale mot-à-mot.
Jonathan a bien de la chance, qui va ingérer Molière jusqu'à le dégueuler.
Mais que diable allait-il faire avec ses acolytes ?
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Message  Invité Jeu 25 Fév 2010 - 18:15

What fun ! Oui c'est marrant ces aventures (même la punition me semble plutôt plaisante), mais (et je te vois te crisper d'ici, Silene :-)) à mon avis, ç'aurait pu l'être plus encore si cela avait été plus ramassé sur le fond et sur la forme (je ne varie pas...). Ceci dit, j'aime bien ton Jonathan, et même les géniteurs ont maintenant en dépit de leurs zhorribles personnalités, un côté familier attachant ; ils manqueraient s'ils ne figuraient pas d'un des prochains textes.

de source sûre

et une autre coquille plus loin que 'ai oublié de relever.

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Message  Ba Jeu 25 Fév 2010 - 19:10

La punition aurait pu être pire : recopier l'intégrale de la collection Harlequin 0°-) !
Et dire qu'il va recommencer...
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Message  Invité Jeu 25 Fév 2010 - 19:16

C'est moi qui prends des raccourcis !

"ils manqueraient s'ils ne figuraient pas dans l'un des prochains textes."

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Message  Plotine Jeu 25 Fév 2010 - 19:21

Les plans que cet intéressant stratège a dans la manche sont d'une extrême simplicité, et ne demandent, pour leur mise en œuvre spectaculaire, que de très courants ustensiles. Qui peuvent fort bien, tant qu'à entrer dans le crime organisé, se voler le plus gentiment du monde à la Maison de la Presse qui en tient un plein comptoir, et de tous modèles.
On peut commencer une phrase par "Qui peuvent fort bien" ?
Sinon, c'est toujours très plaisant les aventures de Jonathan et remarquablement documenté, je trouve. Tu le connais ?
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Message  Invité Jeu 25 Fév 2010 - 19:45

Passées les premières expériences, exquises, notamment celle où un coup heureux éclabousse par ricochet la poussette d'un bambin, tachant le marmot d'une superbe traînée qui fait glapir sa mère, ou ce qui semble lui en tenir lieu, avec un enthousiasme gesticulatoire qui les fait immédiatement regretter de ne pas l'avoir atteint lui, le précieux marmouset, en maculant son joli bavoir brodé.

j'avais oublié d'indiquer cette phrase, dont je ne vois que le début, il me semble...

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Message  Lucy Ven 26 Fév 2010 - 3:25

Je n'ai pas l'impression de connaître cette "graine de terroriste", mais je dois avoué l'avoir trouvé plutôt attachant, ce gamin. Pour avoir lu un autre texte de vous, je me souviens avoir pensé ( car ça m'arrive, par moments ) : quand est-ce que ça va décoller ? J'ai eu cette sensation, à nouveau, dans les premiers moments du texte. Cependant, j'ai apprécié cette lecture et l'humour latent. Et quelle punition !
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Message  silene82 Ven 26 Fév 2010 - 15:26

L'habile négociant


Jonathan, sans le raisonner en aucune manière, applique de tout-petit des tactiques de survie. Saisissant intuitivement que dans la paix des profondeurs, telle que la saisissante image du grand salon du Nautilus de l'édition Hetzel, qu'il a en fac-similé, la donne à imaginer, avec l'immense surface vitrée ouvrant sur le ventre de l'océan, rien ne peut l'atteindre. Il suffit donc de fermer les écoutilles, et de s'immerger dans les livres. Proximité physique des autres, certes, mais sa redoute lui est bunker.
Plus subtil : petit agouti inquiet, il est en réalité toujours conscient de ce qui se passe autour. Il paraît totalement enfoui dans le sein de sa mer-livre, bernique, il entend tout. L'indifférenciation de son âge prépubère lui permet-elle d'utiliser ses deux hémisphères sans difficulté, et de suivre plusieurs actions simultanées – la lecture en étant une – sans perte de subtance ?
Quoi qu'il en soit, et bien que des tâches ancillaires puissent fort bien lui échoir, puisqu'il est de notoriété sinon publique, du moins parpaillotte, qu'en vertu du commandement apostolique, celui qui ne travaille pas ne mange pas, il existe des espaces, des oasis temporelles où il est admis qu'il se musse dans l'atroce fauteuil de skaï, qui serait déjà raisonnablement laid en cuir. Servantes tournoient et virevoltent, il peut s'engloutir dans du texte.
Non qu'il ait le goût bien formé : il se contente assez volontiers de ragoût édulcoré, ayant tout à lire. La beauté d'un texte lui est étrangère, d'abord parce qu'il lit des versions tronquées, ensuite parce que ce sont les récits, dans lesquels il peut trouver place, qui l'intéressent au premier chef.
Rien d'étonnant par conséquent à ce qu'il se délecte de certains Jules Verne, du Kessel des Cavaliers, dont le lyrisme échevelé le transporte dans un presque-Orient de peplum, ce qu'il ne voit pas, lui fait pousser au ventre une adoration des chevaux et une appétence pour le désert, de récits de marins, évidemment hardis, puisque non contents de rallier Terre-Neuve par des temps à couler un paquebot, ils carguaient les voiles sous la foudre et les feux de Saint Elme, et ne rentraient faire bibise à Corentine et mettre en train le dernier qu'ayant dûment rempli leur doris de morues soubressantes, et de trente livres. Quand une joyeuse jubarte, connue pour ses facéties, et également dénommée baleine des Basques, ne sautait pas sur l'esquif dans un bel accès de fraternité et de désir joueur de rencontre. Capitaines courageux, de l'épique Kipling.
Il arrive que pour Noël, fête éminemment chrétienne, et qui ouvre une veine tellement riche de prédications en tous genres qu'il serait impie, et proche de l'ingratitude de ne pas l'exploiter, un colis parvienne de par-delà les mers, quand les Douanes sont bonnes filles. Il arrive aussi que le carton, pourtant soigneusement emballé par les expéditeurs, soit vilainement écorché, de manière brutale, que des objets soient brisés, ou manquent. Une lettre vient avec, qui détaille.
Cette année, un objet extraordinaire a chu non du ridicule traîneau du rondouillard barbichu, les petits parpaillots étant instruits depuis leur plus tendre enfance, et peut-être leur germination, dans l'amour de la vérité, qui éloigne aussi sûrement les Santa Klaus, fussent-ils grimés en Saint Nicolas, qu'un épouvantail les étourneaux, mais du fond d'un carton, ma foi, assez replet.
Un camion extraordinaire.
De pompiers. Brooklin Section ou approchant. Tôle rouge emboutie, massive, ample, indestructible, gadgets inouïs – les lances jettent l'eau à trois mètres, pour le moins, une pompe aspire du réservoir, alimentée par des accus -. Les phares s'allument, la sirène hulule, les roues tournent, il avance, il recule, l'échelle se déploie en trois sections, et redescend au doigt. Il n'est que filoguidé, certes.
Un vrai jouet de grands, qui ne s'en privent guère : concile est tenu, docte et entendu, monseigneur démontrant les multiples facettes de l'engin, tel un couteau suisse, devant le parterre choisi de son neveu, qui l'idolâtre, de son beau-frère, père dudit, de quelques figurants, le fils du pasteur, embringué dans la coterie, un vieil ami.
Jonathan, en retrait, admire son cadeau.
Un jour qu'il s'en amuse, sur la dalle de béton fracturée qui constituent une aire de jeu acceptable, de derrière le grillage qui sépare le parc des parcelles voisines, vendues en d'autres temps, et habitées par les occupants d'une maisonnette, une voix lui propose un échange. Un petit bonhomme à la langue bien pendue, hâlé comme un brugnon. Qui lui propose le troc du camion contre une barre de chocolat.
Jonathan connait le chocolat : monseigneur, avec une superbe digne de Louis le Bien-Aimé, avec lequel, d'ailleurs, il a quelque ressemblance, jeune, en fait parfois quérir, à la fin du repas, pour agrémenter son fruit. Et magnanime, partage. Le produit de la fève de cacao ne lui est donc pas inconnu ; il le connaît ontologiquement, et non pas de ouï-dire.
Et d'ailleurs, il s'en fiche bien, du chocolat, qu'il apprécie sans plus.
Il se passe simplement que Jonathan n'a commerce avec aucun bambin de son âge, si ce n'est à l'école. Et à l'école, il a certes des copains, mais dont les pas se doivent arrêter à l'entrée du parc. Comme si, à l'instar du tabernacle, c'était une terre sainte.
Un autre petit d'homme, juste séparé par un grillage, c'est un possible copain.
Sans héroïsme particulier, et pensant au potlach indien dont Fenimore Cooper lui a dévoilé les arcanes, Jonathan fait passer le rouge camion sous le grillage. Il est bien un peu interloqué quand l'autre part en courant vers la maisonnette, courbé par le poids.
Quand Jonathan remonte aux étages nobles, mains vides, l'enquête est rondement menée : l'indigence de ses explications, bredouillées avec peine, l'évidence de la proximité de la disparition, emmène tambour battant la régente à la maisonnette. Confrontation, probable, d'où elle sort, hiératique et victorieuse, le drapeau repris dans les bras.
Jonathan, à qui l'on parle gentiment, avec douceur, comme on le fait pour un débile, ou un minus habens, apprend qu'il a été victime d'une redoutable bande. Il ne lui avait cependant pas semblé que le jeune adepte du troc fût un Egyptien, comme Esméralda dont il lit la chronique. Pourtant la régente a dit romanichels.
Jonathan s'interroge longuement sur le verset qu'il faut réciter souvent à l'école du dimanche, qu'il y a plus de joie à donner qu'à recevoir.
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Message  Lucy Sam 27 Fév 2010 - 2:39

Beaucoup aimé ce nouveau texte.
Jonathan, à qui l'on parle gentiment, avec douceur, comme on le fait pour un débile, ou un minus habens, apprend qu'il a été victime d'une redoutable bande.
^^
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Message  Plotine Sam 27 Fév 2010 - 8:27

Au-delà du plaisir de te lire, cette histoire de Jonathan m'intéresse énormément car elle me fait penser à l'enfance de mon beau-père, parpaillot né dans la région du Tarn, où un village porte encore, je crois, le nom de la famille.
L'éducation protestante, dont il avait de beaux restes, est tout à fait fascinante.
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Message  Invité Sam 27 Fév 2010 - 8:47

Oui, je le trouve réussi ce texte, chaleureux, drôle, et dans lequel Jonathan apparaît bien plus comme un enfant de son âge. Je veux dire, un enfant qui joue (et écoute, certes). Du coup l'écriture transmet un dynamisme, voire une simplicité qui me plaisent.

Juste une petite réserve sur la provenance du camion, ce serait peut-être bien de repréciser en quelques mots l'origine de la Régente. Je dis ceci parce que j'ai accroché le temps de m'en souvenir, me demandant pourquoi Jonathan recevait "de par delà les mers" un camion de pompiers de la Brooklyn Section. Imagine le lecteur qui n'aurait pas suivi ces aventures depuis le début, cela risquerait de surprendre...

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Message  Ba Sam 27 Fév 2010 - 10:08

On le suit ce gamin, on le suit...
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Message  Arielle Sam 27 Fév 2010 - 15:18

Deux épisodes de la vie de l'inimitable Jonathan que je lis à la file en me demandant quel en est l'ordre chronologique, le second me semblant beaucoup plus enfantin que le premier.
Des réflexions savoureuses comme toujours, une friandise qui me fait penser par sa consistance à ces pâtisseries dont je me régalais, enfant, ces "mendiants" d'une richesse si compacte qu'en les engloutissant je savais déjà que je ne pourrais rien avaler d'autre dans les douze heures à venir ... mais quel délice sur le coup !

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Message  CROISIC Sam 27 Fév 2010 - 15:23

Si je te disais que je n'ai pas aimé...tu ne me croirais pas, et tu aurais bien raison.
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Message  ubikmagic Dim 28 Fév 2010 - 20:49

Salut l'artiste.

Une fois de plus, je lis ce ton sobre et jovial, qui observe avec ironie les aléas de son virtuel rejeton. Le tout servi dans une langue jouissive, et habile. Tu dis :
silene82 a écrit:
Chacun sait que l'économie de moyens signe le véritable artiste
Pourtant, tu n'épargnes pas les tiens, et fais mouche avec une artillerie de mots savants, de drôleries, de clins d'oeils et pirouettes qui me ravissent.
Tourmenteur tourmenté, tu t'acharnes sur ta créature. Et ce faisant, tu fabrique de l'or avec de la boue. C'est fort.

A suivre, avec intérêt.

Ubik.
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