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Une patience

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Message  MILL Jeu 11 Mar 2010 - 1:57

La première carte qu’il me fut donné de voir m’apparut sous la forme immaculée d’un as de cœur aux bords lisses et droits, dont les coins arrondis n’avaient, comme moi, jamais frôlé la moindre particule d’oxygène. Ma conscience encore inexpérimentée n’osa oublier le dessin symétrique du chiffre premier qui, d’un rouge grimaçant, imprimait une sensation de vie sur la blancheur sans taches du carton. Je ne saurais dire si j’en eus le souffle coupé, ou quelque autre platitude, mais cette première image se grava sur ma rétine avec tant d’intensité qu’aujourd’hui encore, je me surprends à rêver de sa texture sans défaut, son teint sans moucheture, m’incitant malgré moi à négliger le va-et-vient de mes doigts craquelés de rides, inaugurant ainsi une série de multiples combinaisons que je ne remarque qu’après coup, mais que les règles du jeu m’interdisent de reconstituer.
Une fois seulement, la fureur et la honte m’ont convaincu de transgresser la coutume, de glisser mon index sous les cartes que j’avais reléguées à cet envers de la pioche dont la figure tournée vers moi m’a toujours paru une sentence aussi insolente qu’irrévocable. Je n’ai jamais retenté l’expérience depuis. Toutes mes tentatives de séparer les cartes que recouvrait la toute première de la pile -la seule mobile de tout le paquet- ne me valurent qu’une cinglante douleur sous chacun de mes ongles, ainsi qu’une frustration morale que le temps n’est parvenu à atténuer qu’en partie. Une angoisse somme toute assez compréhensible s’est depuis superposée à ce sentiment d’échec permanent, comme si je pressentais que je ne suis pas le véritable maître de ces cartes et que leur contrôle ne dépend pas plus de moi que je ne dépends d’elle. Car il est vrai que je puis interrompre mes gestes, trahir le mouvement réputé continu de cette partie qui refuse de s’achever, pour me plonger en une contemplation dérisoire de la table de jeu. C’est devenu chez moi une habitude. Mon regard vogue alors de carte en carte, étudiant chaque suite, chaque possibilité nouvelle qui pourrait s’offrir à son expertise, puis, finalement, lorsque le jeu s’annonce irrévocablement bloqué, j’observe, un à un, les quatre petits paquets de cartes que je ne compléterai jamais, ceux qui se situent au-dessus des suites aux couleurs entremêlées, et dont la carte qui supporte le tout ne peut correspondre qu’à un as (contrairement aux suites bigarrées qui doivent s’effectuer dans un ordre décroissant, en commençant par le roi) et m’attriste inutilement sur l’as de trèfle demeuré solitaire.
En temps normal, c’est à ce stade de mélancolie avancée que mes nerfs s’emballent, m’obligeant à reprendre ma tâche avec ce mélange d’amour et de résignation, piochant alors une nouvelle carte qui s’en ira probablement rejoindre la corbeille, du fait de la fragilité de mes facultés d’observation. Mes émotions m’ont quelques fois submergé avec tant de hargne que plusieurs associations heureuses ont esquivé mon esprit par ailleurs relativement vif et logique. Toutefois, il m’est également arrivé de retarder le jeu avec d’autant plus de malice, de passion, d’impatience, que ces interruptions me concèdent la possibilité d’analyser ma condition avec davantage de vision.
C’est grâce à l’un de ces intervalles plus que momentanés que j’ai découvert que je n’étais rien d’autre qu’un buste rivé à une colonne dont je ne devine pas la matière. Mes bras, prisonniers de cette géométrie relativement naturelle, se distinguent par leurs dimensions réduites qui ne les autorisent qu’à balayer la table de jeu, geste sacrilège que je n’ai pu me résoudre à esquisser, et qui, par conséquent, leur interdisent de palper les substances qui composent la partie inférieure de mon être. De même, les articulations de mon cou ne m’offrent qu’une perspective limitée des objets qui m’entourent. En fait d’objets, il n’est en face de moi qu’une surface plane, dépourvue de couleur, dont l’unique propriété consiste à me renvoyer le reflet de mon dos, ce qui m’a toujours sensiblement étonné, puisqu’une inexplicable intuition me souffle sans cesse à l’oreille qu’il en devrait être autrement. Je me souviens que le jour où j’ai remarqué cette chose, j’ai pensé en premier lieu qu’il s’agissait d’un second joueur aux prises avec une situation tout aussi énigmatique que la mienne. Mon absence d’organe vocal m’imposa le silence et je ne pus que tenter de l’atteindre de mes bras trop courts, trop menus; je n’osai lui lancer l’une des cartes de la pioche, de peur de rompre l’équilibre du jeu, et il me fallut accepter ce supplice apparent, tout en réalisant avec une indicible horreur, que lui ne connaîtrait jamais la présence de l’un de ses semblables à quelques mètres à peine en arrière. Je frémis une nouvelle fois en comprenant brusquement qu’une tierce personne s’agitait également dans mon dos, peut-être... dans l’espoir de me révéler son existence, de partager cette solitude insupportable et monotone qui semblait former notre lot commun.
Au fur et à mesure de mes observations, je finis par distinguer des coïncidences répétées entre nos conceptions du jeu et de la vie en général. Lui et moi décidions de concert d’une même pause, durant un laps de temps identique, reprenant la partie avec une synchronie stupéfiante, bougeant les bras selon des gestes similaires et adoptant des poses en tout point semblables, sans jamais varier d’un iota. Nous étions bien la seule et même personne.
Je répugne néanmoins à m’attarder sur la déduction qui m’est immédiatement apparue en comprenant le statut d’image à cent quatre-vingt degrés de celui qui se trouve en face de moi. Il est parallèlement envisageable qu’une image analogue subisse le même calvaire à mes arrières, ce qui devrait signifier, en toute logique, que je ne suis moi-même que le contenu d’un miroir, mais en fin de compte, reflet ou original, chacun de nous exprime la même pensée, effectue les mêmes manipulations et respire le même air. L’entité unique que nous formons -combien sommes nous, au juste?- vit dans la solitude la plus totale.
Le jeu auquel je suis forcé de jouer porte bien son nom: la patience. Il possède en outre une appellation beaucoup moins appropriée: la réussite, synonyme de succès, de conclusion heureuse et sans lendemain. Je n’y suis pas encore.
Je ne sais qui a fixé les lois du jeu; elles sont gravées dans mon esprit. L’as de cœur que je tirai à ma première ingérence ne me surprit que par sa beauté mathématique, la perfection de ses dimensions, de son dessin, la douceur de sa peau tiède, comme si quelqu’un l’avait caressé un instant auparavant... Je sus où le placer sans me poser la moindre question, tout comme je sus, avec cette exactitude irréfléchie qui voudrait m’éloigner de l’idée même de pensée, où je devais poser les cartes suivantes.
Le jeu est éternel, mais non pas interminable. J’ai pioché puis translaté des millions de cartes, beaucoup ont échoué dans la corbeille, mais celle-ci comme la pioche, son reflet ou son moule inversé, ne varient que légèrement en épaisseur. Le nombre de cartes est infini, mais non pas indéfinissable. Les cartes nécessaires à l’achèvement du jeu palpitent quelque part à l’intérieur de l’un de ces paquets, et un jour viendra où je les caresserai des doigts et du regard. Chaque suite descendante sera complétée, puis viendra le tour des suites ascendantes, dont l’intégralité apparaît comme une condition indispensable à ma délivrance.
Le jeu réserve toutefois quelques déconcertantes surprises. Certaines de ses cartes n’ont ni chiffre ni figure à présenter à mes pupilles d’esthète. Ni pique, ni cœur, ni trèfle, ni carreau, elles relèvent parfois de la noirceur absolue, à moins qu’une main discrète les aient raturées de cinglantes successions de symboles inconnus, à la signification relativement sous-jacente mais aucunement traduisible en un langage intelligible et sensé. D’autres encore, quasiment déchiffrables, mais tout aussi obscures, du point de vue sémantique, exhibent des phrases inachevées dont l’intention m’échappe mais dans lesquelles je reconnais clairement l’influence d’un allié invisible. L’une d’elles expliquait en ces termes:
“Si la septième carte après le valet de pique s’apparente à la neige, celle qui la suit apporte une réponse.”
Ou encore:
“Il n’est de phalanges que dans le doigt de Dieu...”
Et enfin:
“Le jeu des possibles n’est qu’une improbabilité parmi d’autres. Quelle connexion, quelle combinaison...”
Mais je me rappelle une dernière inscription qui, je me souviens, troubla mon esprit d’une manière insoluble:
“En espagnol: el Solitario.”
Avec le temps, mes doigts se sont usés, tout autant que les cartes, dont les plis sans élégance me renvoient ma vieillesse fripée à la figure. Le dos de mon reflet avachi, pesant et faible, souligne la lenteur exécrable de mes pseudo mouvements, et il me faut redoubler de concentration pour mener à bien les suites décroissantes entamées, me semble-t-il, des siècles plus tôt. Je ne sais ce que c’est qu’un siècle, mais l’une des inscriptions laissait transparaître une notion temporelle à la fois importante et fragile.
Faites que je tombe sur le deux de trèfle...

MILL

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Message  Plotine Jeu 11 Mar 2010 - 16:43

J'ai d'abord cru que c'était un récit sur les affres d'un passionné de "patience" et puis il y a eu le buste et puis les cartes à messages. Bref, je suis perdue.
Sinon, ça se lit avec intérêt tellement on se demande où l'auteur veut en venir. J'aurais bien aimé comprendre mais quelque va sans doute être plus futé que moi.
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Message  ubikmagic Jeu 11 Mar 2010 - 17:15

Salut,

A part quelques répétitions qui sont plus ou moins difficiles à éviter ( "carte", "pile", "série", ou autres de ce genre ), ce texte est très beau, très dense et riche, il est profond et rempli de douleur.

Curieusement, à très peu d'intervalle, il vient répondre à ce que je disais dans les commentaires, à propos de mes images : comment écrire presque sans actes, presque sans personnage. Une narration minimaliste, qui pourtant n'économise pas les mots ni les effets. Très curieux.

Tout est précaire : par moments tu nous emportes avec grâce. A d'autres, tu t'empêtres peut-être un peu. Mais il est difficile de juger, tant l'exercice me paraît délicat.

Je ne pense pas que j'aurais pu m'y risquer.

Mon sentiment prédominant reste toutefois celui d'une belle leçon, de quelque chose de quasiment abouti, d'une maîtrise globale. D'un univers qui s'impose. Déjà pas mal.

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Message  Iryane Ven 12 Mar 2010 - 19:14

j'avoue n'avoir pas été sensible à ce texte.
C'est assez bien écrit, mais suis-je passée à coté de quelque chose ?
En tout cas, j'ai l'impression de n'avoir pas compris grand-chose du texte.
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Message  Rebecca Ven 12 Mar 2010 - 19:30

Je n'ai pas réussi à apprécier ce texte. Petite joueuse ? Manque de patience ? Absence de chance, cartes mal distribuées ?
Pourtant tu n'as pas triché sur la qualité de la langue.
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