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Le Voilière

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Message  Espérance Sam 13 Mar 2010 - 12:43

Hum.. Premier texte que je poste ici, du moins sous ce pseudo =).


Le Voilière


   La toile mystérieuse est suspendue au mur de la pièce d'eau par un crochet invisible, penchant très légèrement sur la droite. Grande et imposante, elle se détache sur le mur blanc et bleu, épanchant sa vision d'imaginaire au milieu du néant froid d'une salle de bain. On y voit la beauté d'une vie au goût d'ailleurs ; on y voit l'océan un soir de houle d'automne, quand le soleil caresse les flots de ses rayons braisés. Il brille de mille feux sous l'astre clairvoyant, miroite délicatement, portant en son sein les voiliers blancs et pâles qui se frayent un chemin dans l'immensité bleue. Ils bondissent sans fin au milieu du lagon, jouant à se courser, naviguant voiles tendues vers l'horizon lointain. Puis l'œil se ramène au premier plan, là où la terre avance et sombre dans la mer. Un port lumineux s'étend comme un drap gris en bas de la peinture, contraste saisissant avec la vivacité bondissante des couleurs du grand large. Seule une femme se dresse là, statue immobile qui écarte les bras comme pour embrasser le ciel au dessus d'elle, un air d'extase pure peint sur ses traits d'enfant. Elle semble respirer l'air pour la première fois, la bouche à demi-ouverte, les joues rougies par l'euphorique vent. Ses cheveux sont figés derrière elle dans un ballet sans fin, comme si l'artiste avec claqué des doigts pour arrêter le temps, gravant ainsi sur sa toile l'image magnifique.

   L'eau coule paresseusement sur les flancs de la baignoire, sorte de grand bateau blanc. Chaude et silencieuse, elle serpente doucement dans une brume opaque, glisse lentement en volutes nacrées. Frôle le corps tendre, s'accroche quelques instants aux hanches délicates. Les remous nonchalants viennent se briser sur les orteils, nuages d'écume blanche qui se laissent porter jusqu'au bout de leur monde. L'eau dégouline des cheveux, tombe sur le cou en gouttelettes froides, puis sombre indifférente dans les abysses d'albâtre. Une mousse parfumée ondule à la surface, flotte hésitante, boit la tasse et s'oublie quelque part tout au bord du siphon, maelström gigantesque sur le lagon cyan... Des doigts tapotent l'eau dans un tempo muet, mais peu à peu celle-ci s'évapore dans les airs ; le métronome hésite, les doigts touchent le fond. Il commence à faire froid. Les bras nus se hérissent de minuscules épines, la peau se tend frissonnante et tremble légèrement. Elle a déjà oublié la douce torpeur qui la berçait quelques instants auparavant, tiédeur merveilleuse.

   Un pied à terre, puis deux. Deux pieds, pas plus, pas moins, qui s'approchent du sol en un mouvement dangereux, la pointe tendue vers l'avant comme la proue d'un bateau, élégante fresque de danse peinte dans le vide bleuâtre de la salle de bain. Ils se posent sur le tapis. Sensation désagréable, le tapis est déjà humide, mouillé, trempé même jusqu'aux fibres les plus profondément enfouies dans l'éponge plastifiée. D'un vert sali, pas vraiment pomme, plutôt mer agitée. Un ongle s'enfonce à peine dans cette matière molle et visqueuse qu'un raz-de-marée semble surgir des profondeurs de l'épave, regrettant déjà d'être sortie du placard où on l'avait rangée. La capitaine peste un peu en attrapant la serviette, jure contre le dernier à être passé dans la pièce en se séchant les cheveux, manque de trébucher en trainant derrière elle le tapis de traîtrise et se rattrape tout de go au rebord du lavabo, irritée et chancelante. Un filet d'eau trace son chemin entre les carreaux, remplissant derrière elle les joints sombres d'une lueur argentée. C'est un tableau méditerranéen accroché au mur blanc, qu'elle s'amuse à contempler, assise en tailleur sur le dallage froid.

  Elle reste là de longues minutes, à demie-couchée sur le sol, observant dans le miroir à gauche son reflet un peu fou. Un regard pour le tableau, un regard pour le miroir. Ses yeux en amande peignent le même motif que celui gravé sur la coque du Voilière. Et de tous les iris, seul le sien reproduit à l'identique la couleur du vieux port, sur la toile lumineuse. Ses cheveux encore mouillés se sont collés à son front, scintillants sous la lumière crue du néon. D'un beau noir de jais, ils encadrent joliment son visage, relevant subtilement sa peau d'un blanc presque translucide. Ses joues, teintées d'un rouge tiède, se creusent en fossettes où doucement les gouttes déposent leurs perles de rosée. Ces perles de soleil qui brillent aux mats tendus au dessus de la mer, dans ce même décor.

   Sa bouche cristalline dessine alors un peu confuse son sourire favori, un croissant espiègle qui lui donne un air moqueur. Elle se relève d'un coup, tire la langue à la glace, un clin d'œil au tableau, enchaîne quelques grimaces qui la font rire beaucoup, s'assoit à cheval sur la baignoire, une jambe de chaque côté, penche la tête, ferme les yeux, réfléchit longtemps, fronce les sourcils, écarquille les yeux et bondit soudain. Elle enfile se robe rouge posée sur une chaise, sa robe de satin qui coule sur ses sens et embrasse ses formes. Pose un pied sur le tapis, pose son front contre le mur, pose une main sur son tableau. Là, elle approche son oreille de la toile et ferme les yeux.

   Au début, tout reste silencieux. Puis un faible murmure parvient à son oreille, s'accroche à son tympan. Presque inaudible d'abord comme le bruissement des vagues, il se mue doucement en chuchotements pressés. La houle se brise en rouleaux imposants sur la grève brûlante, et l'on entend les voix des marins fatigués qui tirent sur les cordages. Ils hissent haut les voiles. Elle les entend bientôt, claquant dans le vent, se gonflant sous la bise, faisant bouger les mats qui oscillent soudain en grincements bruyants. Et alors qu'au loin vibre la cheminée d'un bateau de croisière, elle sent sur son visage les premiers embruns du grand large, caressant sa peau nue de bruine délicieuse. Elle inspire longuement, et l'air frais pénètre dans ses poumons. Il a ce goût d'océan, ce goût de poisson et de sel qu'elle retrouve sur ses lèvres en y passant la langue, ce goût d'ailleurs qui s'échoue sur sa bouche. Elle perçoit chaque bruit, ressent chaque cri d'oiseau, s'imagine déjà sous les nues de saphir. Alors, doucement, elle ouvre ses yeux, ses cheveux voltigeant derrière elle en une danse endiablée, libres et farouches. Son regard parcourt la baie, grandiosité du large, la beauté du lagon. Aperçoit les bateaux d'un blanc immaculé qui fendent les flots purs, ces flèches étincelantes sur le bleu azur de la mer éclatante. Debout sur le port, elle écarte les bras, et le vent s'engouffre sous sa robe écarlate, dépose sur ses jambes un rayon de soleil qui réchauffe son cœur. Elle n'a conscience de rien d'autre que ce décor de rêve, ce paradis d'argent sur l'immense océan, ces reflets fantastiques qui brillent dans ses pupilles. Elle ne voit que cela, cette inscription dorée sur la coque d'un navire, ce Volière magnifique dont elle rêve la nuit dans ses songes éveillés. Elle reste là, vivante et frissonnante, face au disque d'or qui illumine la mer, face à son avenir fiché dans le corail et les algues marines, seule, aimante, gémissante, unie avec ces couleurs qui viennent d'horizon.

   Dans la cabine du Voilière, un tableau non signé est accroché au mur. Il représente une salle de bain moderne, avec des carreaux blancs et bleus sur lesquels s'épanche une large flaque d'eau. Le fin ruisseau s'écoule paresseusement d'une baignoire dont on ne voit qu'un côté, l'autre disparaissant sans doute dans l'oubli de l'artiste. A droite, une chaise solitaire supporte tant bien que mal quelques vêtements jetés là au hasard par une femme inconnue. Un ruban délicat est tombé au sol, traçant sur le dallage un mince filet vermeille ; c'est une attache de robe, sûrement rouge elle aussi, un de ces rouges qui comme le satin caresse la peau nue et vous fait frissonner. De cette robe, nulle trace n'est visible. Disparue sans doute dans d'autres toiles anonymes, pour toujours perdue dans les sombres profondeurs. Dans une ville immergée où elle continue de briller à l'abri des regards, pierre précieuse oubliée, rubis d'or enflammé par la beauté du soir.

Espérance

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Message  midnightrambler Sam 13 Mar 2010 - 16:18

Bonsoir Espérance,

Un très joli texte de bonne facture ... un peu inégal dans sa longueur, mais c'est ce qui nous permet d'être surpris par quelques très belles images ...
Je l'ai lu un peu vite ... je le relirai à tête reposée.

Caresses et Bise à l'Oeil,
Midnightrambler

P. S. : Je n'aime pas vos "Hum..."
La qualité de vos écrits vous permet de vous affirmer sans ces marques d'hésitation et de tergiversation ... voire de timidité ...
Il n'y a pas lieu d'être timide sur un écran !
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Message  Invité Dim 14 Mar 2010 - 10:49

Pas mal du tout l'idée, une espèce d'osmose bien pensée. jJaime.
Je reprocherais sur la forme un petit peu trop d'emphase et des clichés dans l'expression, par exemple ici : "Ses cheveux encore mouillés se sont collés à son front, scintillants sous la lumière crue du néon. D'un beau noir de jais, ils encadrent joliment son visage, relevant subtilement sa peau d'un blanc presque translucide. Ses joues, teintées d'un rouge tiède, se creusent en fossettes où doucement les gouttes déposent leurs perles de rosée. Ces perles de soleil qui brillent aux mats tendus au dessus de la mer, dans ce même décor.

Sa bouche cristalline dessine alors un peu confuse son sourire favori, un croissant espiègle qui lui donne un air moqueur. "

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Message  silene82 Lun 15 Mar 2010 - 12:22

De bien jolies images, une facture propre, presque maniérée. Le procédé n'est pas nouveau, certes, mais donne un texte plaisant, bien torché, agréable à lire : quoi de plus ?
Un peu de mal à croire à l'âge déclaré, mais, si, d'aventure...bravo !
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