Lettre à l'argent ou tentative de manipulation d'un miroir

[Kash Prex]

Lettre à l’argent, ou tentative de manipulation d’un miroir

Cher argent,

Une nécessité diaboliquement intuitive - intuition diaboliquement nécessaire, diraient les amoureux de la religion cartésienne - me pousse aujourd’hui à t’adresser cette lettre. La névrose qui fait bouillonner ces mots t’est en partie due, et je ne saurais donc te priver de cette tendre et jouissive lecture.

Je ne sais pourquoi l’on aime tellement t’associer au temps, si bien qu’il m’est difficile de comprendre lequel de vous deux je perds par l’indifférence que je tente de t’infliger. Mais s’il s’agit d’un choix, je me permettrai de t’écarter au profit de l’éternité.

Le voile dont tu recouvres nos existences t’incruste dans chacune de nos perceptions visuelles, ne laissant pour alternatives à ton égard qu’un amour docilement démesuré ou, plus marginalement, une claustrophobie haineuse aux allures d’indifférence forcée. Un choix qui se révèle illusoire lorsque l’on se rend compte de la relation intime qu’entretiennent ces deux issues. Malgré tout, il faut bien choisir, il faut bien mimer la satisfaction de celui qui exhibe son esprit critique. Et je sublime mon attirance pour toi, celle que tu m’as injectée à la manière de ce dieu qui, dans de telles circonstances, porterait joliment son nom : Cupidon.

La finesse de ton processus de séduction, si discret et si frappant, est sincèrement admirable ; la manière dont tu as déposé sur cette Terre la nécessité de ton invasion, et la force avec laquelle cette nécessité semble toujours ancrée aujourd’hui… Qui imaginerait la vie sans toi ? Ô argent, puisque tu dépasses l’amour. Regarde-toi dans chaque objet, dans chaque personne, dans chaque relation humaine... Regarde les gens rêver de soumission et d’épuisement dans l’espoir que tu les berces. Regarde-les saborder leur sommeil, séquestrer leurs désirs, magnifier toute cette torture : « dans la vie, tout est effort » ! Élire des présidents pour croire décider, oublier ouvertement que celui qui préside le président, c’est toi.

Bien sûr, cet oubli fait toute ton immensité. Il décrédibilise le genre d’idiots qui s’obstineraient à jouer les détracteurs, et qui ne feraient finalement que conforter l’autre genre d’idiots dans l’adoration qu’il te porte. Te rejeter est déplacé. Mais tu sais susciter cette petite haine qui bâtit le grand amour, tu sais maintenir cette ambivalence qui fit ton succès.

Ils disent pourtant que tu ne fais pas le bonheur. Est-ce un doux euphémisme ? Ou une tentative d’oublier que l’exact opposé de cette pensée dirige leur vie ? Qu’ils se ruent sur toi. Que tu conditionnes leurs amitiés, leurs lieux de vie, leurs études, leurs cultures… Que tu les séquestres dans l’estime que tu leur accordes. Tu ne fais pas le bonheur, non, ou plutôt : tu les empêches de faire le bonheur.


Et moi, qui dis « ils » comme si j’habitais ailleurs. Qui parle de leur détresse, de leur non-vie. Moi qui végète dans l’Autre, fais le tour de la Terre en deux phrases et m’en reviens avec la vérité… Moi, cher argent, j’ai compris aujourd’hui que l’on s’égare davantage dans une cellule de prison que dans la liberté. Car une fois en liberté, on n’a plus rien à fuir. C’est pourquoi il me semble judicieux de préciser que ton éventuel projet de libération de l’Hom… que ton éventuel projet de me libérer serait assurément le bienvenu, et qu’alors je m’autorise, dès à présent, à te signaler mon accord concernant toute future demande de rançon.


Dans l’espoir qu’un miroir me réponde à ta place, je te fais part de toute l’hypocrisie exigée par les formules de politesse les plus conventionnelles.

[Invité]

Astucieux, amusant (excellente, la phrase sur Cupidon !)... Mais il me manque quelque chose, je ne sais trop quoi ; je trouve l'écriture un peu molle, trop préoccupée de sa bonne tenue peut-être. Du coup, je ressens un manque d'énergie, de force d'expression, tout cela me paraît bien trop propret.
Je ne parle pas forcément du vocabulaire, hein ! Cette impression que j'ai provient, je crois, de la structure des phrases, un peu longues pais pas trop, léchées, tiédasses quoi.

Bon, en plus, le sujet ne me passionne pas au départ, ce qui n'aide pas.

[outretemps]

je trouve tes phrases un peu longues, ce qui ne simplifie pas la lecture; Surtout quand on lit peu, on doit s'accrocher. le sujet lui même parait délicat à traiter autrement qu'en fable. le passage Cupidon est très bien vu.

[Invité]

J'ai trouvé que le texte, la démonstration me tenaient à distance. Cela manque de corps, bien trop théorique à part un ou deux points où l'on sent la présence du narrateur. Il y aurait à mon avis moyen de faire quelque chose de bien plus chaleureux.

[mentor]

je suis sûr que pour un devoir de philo tu aurais eu un 18 bien mérité !
bravo Kash

[Plotine]

Kash tu écris bien mais ça se voyait déjà à travers tes autres textes. Un peu hermétique pour moi cependant.

[Reginelle]

Je n'ai pas accroché du tout à la première lecture. J'ai donc relu, et pas davantage. Un trop "je ne sais quoi" qui me tient à distance.
Par ailleurs, c'est trop loin de mon propre rapport à l'argent.
Création humaine. Qui n'est que chose inerte. L'argent n'a d'or aujourd'hui pas même le souvenir. Pour moi, l'argent ne nous asservit pas. C'est l'homme qui s'asservit lui-même. Par ses besoins, ses caprices, ses désirs...

ceci explique peut-être cela. Désolée.

[Louis]

Pourquoi une « lettre » à l’argent, et non pas un « billet » ? Pourquoi « Cher argent » qui fait un peu plan-plan, et non pas un « Très cher Fric » ou quelque chose de ce genre ? Pourquoi ne pas jouer sur les formules et les mots, avec plus de verve, avec plus de vivacité et de piquant ?
On a l’impression, dans le ton du langage adopté, que tu t’adresses à lui avec respect, avec trop d’égards et de déférence.
Le début évoque une nécessité diabolique d’écrire, mais le caractère diabolique n’est-il pas plutôt à rattacher au fric, que diable ! Diable et richesse, pacte conclu avec les hommes, thème faustien : des voies s’ouvrent dans cette direction. Pas à être chiche d’idées contre la convoitise, l’avidité, la voracité de tous les requins des finances. Mais au diable l’avarice !
Que vient faire ici la « religion cartésienne » ? La raison serait-elle un dieu ? On s’attendrait plutôt que l’idole soit désignée dans le veau d’or à qui l’on voue un culte.
L’éternité contre le temps à qui l’on associe, dans les clichés, l’argent, c’est une idée intéressante, mais qui me semble devoir être explicitée. Le temps est ce qui passe, l’éternité ne passe pas… le perpétuel aujourd’hui… l’éternité « Là où nous sommes, dans l’instant éternel » comme dit Christian Bobin dans le Huitième jour de la semaine. L’éternité contre le temps, et cette cupidité, expliquait le génial Lucrèce, qui croit trouver dans l’argent de quoi se protéger de l’inévitable mort vers laquelle il nous emmène.
Ah, l’argent ça compte. Et que peut peut-on faire d’autre avec l’argent, sinon compter, mesurer ? La monnaie : instrument de mesure, « équivalent universel » disait Marx.
Notre perception est réfractée par des billets de banque qui toujours s’insinuent entre la réalité et nous, dis-tu. On ne peut y échapper, pas de véritable issue. Ou un amour mesuré, ou une feinte indifférence. C’est vrai que l’argent est une prison. Mais enfin, il y a des valeurs à défendre, sans cesse, et qui ne sont pas financières. Et puis cette alternative entre travailler toujours plus pour s’enrichir indéfiniment, ou bien s’enrichir pour travailler un peu moins, et cesser de « perdre sa vie à la gagner » comme on disait à une époque.
« Sublimer son attirance pour lui ». Attirance pour l’argent « fétiche » ( Marx, encore ) ou pour ce qu’il peut permettre ?
L’argent roi, oui, c’est enfoncer une porte ouverte, et surtout pas un coffre fort.
Une rançon pour être libéré ! Bien vu. Mais qui pour la payer ? Sinon, soi même en s’enrichissant suffisamment, de façon morale, pour ne plus avoir à se préoccuper de l’argent. Pour ne plus en dépendre.
Hypocrisie face au fric ? Avec l’argent pourtant, tu as essayé, toi, d’être… franc !

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