Le puits

[M-arjolaine]

J'étais maire de la ville depuis plus d'une trentaine d'années et, à dire la vérité, tout le monde m'adorait. C'était un fait, non pas une vantardise: à chaque élection, je remportais l'unanimité des voix, même les candidats opposants votaient pour moi, personne ne voulait de quelqu'un d'autre à mon poste. J'avais mis en place un bon nombre d'installations utiles: nous disposions de l'absolu. Moyens de transports, lieux de détente, salles de concerts, de théâtre, terrains sportifs, piscine municipale, il ne nous manquait rien, et les gens se rendaient de lieu en lieu, ravis de toujours pouvoir s'occuper l'esprit et les mains d'une activité différente. L'on me louait dans les épiceries, et même dans les églises, avec force « au nom du père, du maire et du saint esprit, amen ». Les enfants étudiaient à l'école « L'Odyssée » du maire, les agriculteurs cultivaient des pommes douces-à maire, et l'on promettait aux enfants sages que cet été, tout le monde partirait chez le maire. Monde merveilleux, où j'étais plus fort que Jésus, qu'un aède aveugle et même que l'océan.

Au centre de la ville, nous nous flattions de posséder un puits superbe, extrêmement profond, et aux bords de pierre richement ornementés. J'avais fait en sorte qu'une grille soit posée sur le dessus, pour éviter qu'y chutent le genre de petits objets qui ont tôt fait d'échapper aux mains maladroites: combien des bagues de timides amoureux avaient bien pu choir là dedans? Bègues et hésitants, ils n'avaient pas le temps de passer l'anneau au doigt de leurs belles dulcinées qu'il avait déjà touché l'eau dans un clapotis divin de romantisme. Le mignon devait investir de nouveau: les bijoutiers faisaient fortune. J'avais pensé remédier à leur problème par ce grillage, je ne fis qu'en poser un nouveau.

Les jeunes adolescents -car il en fallait bien quelques uns pour faire une ville-, jouaient à s'effrayer en se tenant debout sur la grille. On entendait leurs rires et les cris des jolies filles qui rouspétaient, mais dont les joues étaient rosies par l'excitation. Quant aux laiderons, elles se voulaient impressionnantes en imitant les garçons, et en se tenant elles aussi, très fières, raides comme des piquets sur les barrières. « Ces enfants sont inconvenants! », s'écriaient les mégères, « il faudrait les punir, ils dérangent notre tranquillité! ». L'on vint à ma porte me sommer de trouver une solution: je n'envisageai qu'une seule issue.

Les mômes s'agglutinaient autour du puits tous les matins, décidant de qui allait monter sur le grillage, et de combien de temps il faudrait y rester. L'on désigna ce jour là un grand costaud, qui roula des épaules avant de grimper sur la bordure, et de poser un pied sûr sur la protection que j'avais mise en place. Parce que la veille, j'en avais décollé les contours, la grille céda sous le poids du gaillard, et il roula bruyamment au fond du trou. « Un braillard de moins! » me dis-je avec satisfaction, et je fus plus satisfait encore quand je vis une écervelée se jeter dans l'abîme, sans doute pour rejoindre son amoureux, car il n'est guère que l'amour pour pousser à exécuter de si stupides actions.

Je remettais tous les soirs la grille en place, de façon à ce qu'elle ne tienne qu'à peine, et que sitôt subissant un poids trop lourd pour elle, elle se dérobe sous les pieds de l'imbécile qui la soumettait à sa charge. J'eus tôt fait de me débarrasser ainsi des fauteurs de trouble, et l'on m'applaudit une fois encore pour tant d'inventivité.

Ceci-dit, la plupart des gamins ayant chuté au fond du gouffre étaient parvenus à survivre, car la résistance des adolescents est une chose impressionnante, sans compter qu'avec leurs poches et leurs sacs bourrés de chips et de bonbons, ils avaient largement assez de quoi se nourrir pendant un bon moment. La forme du puits évitait qu'on ne les entende lorsqu'on était à l'extérieur, de sorte qu'ils ne dérangeaient absolument personne: cependant rien n'amusait tant les badauds que de se mettre l'oreille face au trou, et d'y lancer un caillou. L'on comptait les secondes lentement, un, deux, trois, quatre, et à tous les coups, il y avait eu un idiot au fond du puits qui, non assagi par ce qui lui était arrivé, avait levé la tête en entendant quelque chose lui tomber dessus, et s'était pris la petite pierre en plein dans l'œil.

On l'entendait crier d'en haut, et à dire vrai, cela plaisait beaucoup.

[Invité]

On l'entendait crier d'en haut, et à dire vrai, cela plaisait beaucoup.

ça s'arrête comme ça ? ou bien il va y avoir une suite ?
Je suis bien ton histoire. Je trouve quelques maladresses dans le style : "nous disposions de l'absolu", ou bien "cultivaient des pommes douces-à maire" (jeu de mot un peu hors sujet) ou encore "J'avais pensé remédier à leur problème par ce grillage, je ne fis qu'en poser un nouveau."(je comprends pas ce qu'il a fait exactement).
Sinon, ça commence comme un conte moral et je me demande où tu nous emmène. Un bon début quoi. En revanche si c'est fini, alors c'est insuffisant. Il manque une chute.

[Invité]

Je relève la même phrase que Narbah, j'ai dû la relire trois fois avant de comprendre que ce n'est pas un nouveau grillage qu'il ne fit que "poser" mais un nouveau problème :
"J'avais pensé remédier à leur problème par ce grillage, je ne fis qu'en poser un nouveau."

Ce que je ne comprends pas, ce à quoi j'ai du mal à adhérer, c'est que, une fois que trois ou quatre gamins sont tombés dans le puits, personne ne se pose la question du pourquoi, du comment, et que ça continue. Sont-ils idiots ? A moins que ce ne soit un défi qu'ils se lancent ? Alors il faudrait le signifier dans le récit.
La fin tombe tombe comme un poids mort dans le puits aussi, plouf ! Et plus rien....

J'ai relevé cette erreur, je ne me rappelle pas s'il y en a d'autres :
Ceci-dit (sans tiret)

[Plotine]

Moi, tout me plaît (une fois de plus), des pommes douces-à maire à il n'est guère que l'amour pour pousser à exécuter de si stupides actions, et à la phrase de la fin, que je trouve sublime.
Evidemment, j'ai bien ri et je m'étonne toujours de le faire devant tant de cruauté mais c'est ainsi, nul doute que le talent de Marjolaine y est pour quelque chose.

J'avais pensé remédier à leur problème par ce grillage, je ne fis qu'en poser un nouveau.
Ça ne me gêne pas, c'est un raccourci un peu osé mais plaisant. Je l'aurais plutôt mis en début du paragraphe suivant plutôt que là où il est placé parce que, dans mon esprit, le nouveau problème que pose le grillage vient du fait que les adolescents s'en servent de terrain de jeu. Est-ce que c'est ce que tu as voulu dire Marjolaine ?
Il faudrait quand même rassembler tout ça et le proposer à un éditeur spécialisé dans les petits contes acides.

[mentor]

ça m'a un peu fait penser aux jeux de mots à la Rebecca.
dommage si c'est terminé, ça aurait pu avantageusement continuer dans l'absurde
j'ai surtout souri aux "jeunes adolescents"
;-)

[Kash Prex]

J'ai l'impression, M-arjolaine, que tu ne commentes jamais personne. Me trompé-je ? Si c'est le cas, ça donne peu envie de continuer de te lire...

[Reginelle]

j'ai surtout souri aux "jeunes adolescents"
;-)

c'est un pléonasme chuttttttttttt...

J'ai bien aimé. Honnêtement, en lisant, il m'a manqué un je ne sais quoi dans le ton. Peut-être à cause des jeux de mots, qui ont fait que, en progressant dans ma lecture, je m'attendais à une sorte de progression dans l'aburde.
Et puis, non. J'ai simplement "ajusté" la voix de monsieur le maire, dans ma tête.

"J'avais pensé remédier à leur problème par ce grillage, je ne fis qu'en poser un nouveau."

Pour cette phrase, et afin 1) d'éviter de se poser la question u problème ou du grillage
2) de supprimer une répétition avec le "posée " de "sorte qu'une grille soit posée sur le dessus, "

pourquoi pas : "je ne fis qu'en créer un nouveau"

L'ensemble m'a bien plu. Joli texte.

[Reginelle]

ce n'est qu'une suggestion, bien sûr.

[Invité]

L'Odyssée du maire ! Il fallait oser.
Dans l'ensemble... moyennement convaincu. Et dans l'écriture, que je sens un peu plus relâchée qu'à l'habitude, et dans la chute, surtout, qui n'est pas vraiment percutante pour une fois.
Mais en gros, ça m'a plu quand même, parce que dans ce Puits, on retrouve ta patte, ton empreinte, ta marque de fabrique. En voie de conséquence je suis rarement déçu ;-)

[mentor]

j'ai surtout souri aux "jeunes adolescents"
;-)

c'est un pléonasme chuttttttttttt...

merci m'zelle, tu enrichis mon vocabulaire, c'est fou
mouarf ! ;-)

[Invité]

J'ai beaucoup aimé ! Rien d'autre à dire, sauf :
« L'on désigna ce jour-là »

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