Petite conversation entre amies
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silene82
Plotine
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Petite conversation entre amies
Un petit texte pour m'entraîner aux dialogues...
Au téléphone, en reniflant, elle me demande si elle peut passer. Je dis : oui. Je ne vois pas ce que je pourrais dire d'autre à une amie de vingt ans, même si je connais la suite par cœur.
Elle arrive une demi-heure plus tard, dans tous ses états, si bien qu'elle manque d'emboutir le portail.
Sur le canapé, elle s'épanche : ça va mal avec Paul en ce moment. Elle a d'ailleurs découvert que c'était un pervers manipulateur. Elle vient d'acheter un livre sur le sujet et il correspond tout à fait à la description. Il y a un questionnaire à la fin et elle a pu répondre affirmativement à presque toutes les questions.
Je l'écoute. Je me dis que c'est la mode en ce moment les pervers manipulateurs. Il me semble avoir lu quelque chose à ce sujet dans un magazine avec un test : "Avez-vous épousé un P.M." ? Et des questions du genre :
. Prêche-t-il le faux pour savoir le vrai ?
. Est-il égocentrique ?
. Est-il jaloux ?
. Supporte-t-il mal les critiques ?
Je m'étais demandé à qui ça ne correspondait pas. En tout cas ça correspond à Paul d'après son épouse en larmes. Mais je ne dis rien et elle continue ses litanies :
- Et tu sais ce qu'il m'a dit ?
- Non,
- Eh bien figure-toi que ce matin, dans la salle de bains, je chantais. J'aime chanter dans la salle de bains et tu sais comme il a brisé ma carrière et que j'ai dû abandonner mes cours de chant peu après notre mariage parce qu'il ne supportait pas que je rentre plus tard que lui deux soirs par semaine. C'est d'ailleurs typique du pervers manipulateur. Donc alors que je faisais mes vocalises j'ai dû m'interrompre parce qu'il tambourinait à la porte. Je lui ai demandé ce qu'il y avait et il me dit : « c'est à toi qu'il faut demander ça ». Je lui réponds : « Moi, ça va, pourquoi ? » et il me répond : « Ah bon, je croyais que tu criais ».
Elle a prononcé la dernière phrase d'une voix brisée. J'ai un peu envie de rire mais je me retiens. Et si c'était de l'humour après tout ? Mais il faut dire que c'est peu probable, ce n'est pas le genre du bonhomme.
Depuis le temps qu'elle s'en plaint, je me demande ce qu'elle fait encore avec lui. Alors, suivant la logique de ma pensée, je lui pose imprudemment une question :
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Comment ça ?
- Je ne sais pas mais s'il te rend si malheureuse il serait peut-être temps que tu prennes une décision. Pourquoi tu ne le quittes pas ?
Elle est éberluée. Elle n'a jamais envisagé cette éventualité, on dirait. Elle semble vexée. Je ne sais pas ce qui lui passe dans la tête mais elle se rebiffe et me dit :
- Tu as des visées sur lui ?
J'ai dû faire une gaffe et j'aggrave mon cas en lui disant que, non, je n'ai pas de vues sur son australopithèque de mari que je trouve trop rustique à mon goût, bête comme ses deux pieds et fort laid.
C'est alors qu'elle prend sa défense. Il a toutes les qualités d'après elle. J'ai sans doute oublié qu'il avait une situation fort enviable qui nécessitait un bagage intellectuel conséquent. De plus, ancien rugbyman il a encore très fière allure et son nez écrasé lui confère un charme certain. Et la voilà partie dans les louanges de l'homme qui n'était qu'un vil pervers manipulateur cinq minutes avant. J'ai comme l'impression que je viens de sauver un ménage.
Puis elle endosse son petit sac à dos qui la rend parfaitement ridicule et se dirige vers la sortie d'un pas décidé.
Je la suis, histoire d'être polie et de, la porte, je la vois passer en voiture, le menton en avant, les yeux rivés sur l'horizon sans un regard pour mon signe de la main pourtant amical. Elle passe le portail avec brio.
Me voilà tranquille pour quinze jours. Peut-être même un mois parce que, là, j'y suis allée fort.
Au téléphone, en reniflant, elle me demande si elle peut passer. Je dis : oui. Je ne vois pas ce que je pourrais dire d'autre à une amie de vingt ans, même si je connais la suite par cœur.
Elle arrive une demi-heure plus tard, dans tous ses états, si bien qu'elle manque d'emboutir le portail.
Sur le canapé, elle s'épanche : ça va mal avec Paul en ce moment. Elle a d'ailleurs découvert que c'était un pervers manipulateur. Elle vient d'acheter un livre sur le sujet et il correspond tout à fait à la description. Il y a un questionnaire à la fin et elle a pu répondre affirmativement à presque toutes les questions.
Je l'écoute. Je me dis que c'est la mode en ce moment les pervers manipulateurs. Il me semble avoir lu quelque chose à ce sujet dans un magazine avec un test : "Avez-vous épousé un P.M." ? Et des questions du genre :
. Prêche-t-il le faux pour savoir le vrai ?
. Est-il égocentrique ?
. Est-il jaloux ?
. Supporte-t-il mal les critiques ?
Je m'étais demandé à qui ça ne correspondait pas. En tout cas ça correspond à Paul d'après son épouse en larmes. Mais je ne dis rien et elle continue ses litanies :
- Et tu sais ce qu'il m'a dit ?
- Non,
- Eh bien figure-toi que ce matin, dans la salle de bains, je chantais. J'aime chanter dans la salle de bains et tu sais comme il a brisé ma carrière et que j'ai dû abandonner mes cours de chant peu après notre mariage parce qu'il ne supportait pas que je rentre plus tard que lui deux soirs par semaine. C'est d'ailleurs typique du pervers manipulateur. Donc alors que je faisais mes vocalises j'ai dû m'interrompre parce qu'il tambourinait à la porte. Je lui ai demandé ce qu'il y avait et il me dit : « c'est à toi qu'il faut demander ça ». Je lui réponds : « Moi, ça va, pourquoi ? » et il me répond : « Ah bon, je croyais que tu criais ».
Elle a prononcé la dernière phrase d'une voix brisée. J'ai un peu envie de rire mais je me retiens. Et si c'était de l'humour après tout ? Mais il faut dire que c'est peu probable, ce n'est pas le genre du bonhomme.
Depuis le temps qu'elle s'en plaint, je me demande ce qu'elle fait encore avec lui. Alors, suivant la logique de ma pensée, je lui pose imprudemment une question :
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Comment ça ?
- Je ne sais pas mais s'il te rend si malheureuse il serait peut-être temps que tu prennes une décision. Pourquoi tu ne le quittes pas ?
Elle est éberluée. Elle n'a jamais envisagé cette éventualité, on dirait. Elle semble vexée. Je ne sais pas ce qui lui passe dans la tête mais elle se rebiffe et me dit :
- Tu as des visées sur lui ?
J'ai dû faire une gaffe et j'aggrave mon cas en lui disant que, non, je n'ai pas de vues sur son australopithèque de mari que je trouve trop rustique à mon goût, bête comme ses deux pieds et fort laid.
C'est alors qu'elle prend sa défense. Il a toutes les qualités d'après elle. J'ai sans doute oublié qu'il avait une situation fort enviable qui nécessitait un bagage intellectuel conséquent. De plus, ancien rugbyman il a encore très fière allure et son nez écrasé lui confère un charme certain. Et la voilà partie dans les louanges de l'homme qui n'était qu'un vil pervers manipulateur cinq minutes avant. J'ai comme l'impression que je viens de sauver un ménage.
Puis elle endosse son petit sac à dos qui la rend parfaitement ridicule et se dirige vers la sortie d'un pas décidé.
Je la suis, histoire d'être polie et de, la porte, je la vois passer en voiture, le menton en avant, les yeux rivés sur l'horizon sans un regard pour mon signe de la main pourtant amical. Elle passe le portail avec brio.
Me voilà tranquille pour quinze jours. Peut-être même un mois parce que, là, j'y suis allée fort.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Petite conversation entre amies
L'observation est très juste ! Je trouve l'histoire fort bien amenée et les dialogues, pour moi, sonnent juste. Bon, cela dit l'ensemble ne m'a pas énormément intéressée, comme si c'était moi qui avais dû me taper les plaintes de la pleureuse (ce qui, là encore, prouve la justesse de l'ambiance).
Une remarque : on n'introduit pas des répliques de dialogue par le trait d'union "-", il faut le quart ou semi cadratin "–" ou "—".
Et :
« il me dit : « C'est à toi »
Une remarque : on n'introduit pas des répliques de dialogue par le trait d'union "-", il faut le quart ou semi cadratin "–" ou "—".
Et :
« il me dit : « C'est à toi »
Invité- Invité
Re: Petite conversation entre amies
Plotine, je suis bien obligée de constater que tu es mon rayon de soleil vélien. Enfin, pas toi, tes textes. Depuis quelque temps je souris à ta prose. Tu es fine observatrice, l'écriture est bonne, l'ironie légère ; les dialogues bien rendus, pas trop mais pas pas trop peu non plus... Un vrai plaisir. Si si si si, j'insiste !!!
Invité- Invité
Re: Petite conversation entre amies
Tout à fait d'accord avec Easter, c'est délicieux. Même une certaine naïveté dans l'énoncé a sa place, et donne de la fraîcheur, plutôt qu'un réalisme à la limite du cynisme, qui montrerait que la manipulatrice, c'est la narratrice.
Je trouve cela agréable et goûteux comme ces délicieuses cigarettes russes qui accompagnent si exquisement le thé.
Je trouve cela agréable et goûteux comme ces délicieuses cigarettes russes qui accompagnent si exquisement le thé.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Petite conversation entre amies
Je pourrais être votre amie Plotine.
1- je n'ai pas de petit sac à dos
2- je n'ai pas de mari
3- je déteste me confier à une femme
4- j'ai trouvé très réussi votre entraînement aux dialogues
1- je n'ai pas de petit sac à dos
2- je n'ai pas de mari
3- je déteste me confier à une femme
4- j'ai trouvé très réussi votre entraînement aux dialogues
Re: Petite conversation entre amies
Bien vue cette petite scène du quotidien, avec juste ce qu'il faut d'ironie pour ne pas faire caricature.
Le récit des vocalises interrompues dans la salle de bain n'illustrant pas forcément le caractère pervers-manipulateur du rugbyman, le sourire l'emporte. La victime n'a peut-être pas tout capté des caractéristiques du monstre avec lequel elle vit, en tout cas elle tient à son calvaire et en cela me rappelle maints exemples rencontrés dans la vraie vie.
Jolie fable Plotine, essai transformé !
Le récit des vocalises interrompues dans la salle de bain n'illustrant pas forcément le caractère pervers-manipulateur du rugbyman, le sourire l'emporte. La victime n'a peut-être pas tout capté des caractéristiques du monstre avec lequel elle vit, en tout cas elle tient à son calvaire et en cela me rappelle maints exemples rencontrés dans la vraie vie.
Jolie fable Plotine, essai transformé !
Re: Petite conversation entre amies
Merci mais je ne suis pas sûre que ça en mérite autant.
Je tiens à préciser que tout est entièrement inventé.
Je dis ça pour les ceusses qui croyent que c'est du vécu et que je débine mes amies.
Bien sûr l'idée me vient à propos d'un fait précis mais je brode dessus allègrement. Enfin, comme tout le monde, quoi.
Je tiens à préciser que tout est entièrement inventé.
Je dis ça pour les ceusses qui croyent que c'est du vécu et que je débine mes amies.
Bien sûr l'idée me vient à propos d'un fait précis mais je brode dessus allègrement. Enfin, comme tout le monde, quoi.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Petite conversation entre amies
Plotine a écrit:Merci mais je ne suis pas sûre que ça en mérite autant.
Je tiens à préciser que tout est entièrement inventé.
Je dis ça pour les ceusses qui croyent que c'est du vécu et que je débine mes amies.
Bien sûr l'idée me vient à propos d'un fait précis mais je brode dessus allègrement. Enfin, comme tout le monde, quoi.
Deux remarques : je serais de toi que je remplacerais australopithèque par ce qui t'agréera davantage ; les aborigènes sont très remontés en ce moment, comme les modestes étuis péniens de leurs voisins papous, dont j'ai été charmé de savoir que tu leur vouais un culte. Moi aussi, exaltons-le avant qu'il ne décline.
Quand bien même ce serait du vécu et tu débinerais tes amies, so what, puisque la littérature est un corps - oui, assez malade, ma bonne dame, je vous remercie - qui a besoin, pour exister, d'évocations. Je n'ai pas dit in, hein ? Donc que nous importe que ce soit vrai ou faux, que tu débines ou pas tes amis : le libidineux Gide, que je n'ai jamais trop aimé, d'ailleurs, écrivait qu'on ne fait pas de littérature avec de bons sentiments. Ce qui n'est pas faux.
Et tu ne feras pas avaler au vieux singe que je suis qu'une observation aussi fine que la tienne, souvent talentueuse, quoique bâclée, des étranges fonctionnements de la machine humaine, n'est pas empreinte d'un certain regard curieux d'entomologiste, que des esprits chagrins pourraient abusivement taxer d'insensibilité. Voire de cruauté.
Cela dit, connaissant, ma fille, le véritable état de votre cœur, je vous absous moyennant quelques contorsions symboliques.
Père Silène
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Petite conversation entre amies
Pas mal. C'est quoi un homme 'rustique' ? C'est un mec qui s'astique le bibelot avec des patins ? Ou a la cire d'abeille ?
Invité- Invité
Re: Petite conversation entre amies
OK pour l'entrainement : ça fonctionne bien je trouve. C'est dans ces petits récits tout simples que tu fonctionnes bien toi.
Invité- Invité
Re: Petite conversation entre amies
Comme tu dis... c'est bien pour ça que je m'en tiens là !
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Petite conversation entre amies
Je trouve que tu devrais essayer de mettre des trucs comme ça bout à bout pour tenter de faire une nouvelle. Il faudrait essayer avec une petite idée toute simple…pourquoi pas ? D'autant que des petites idées toutes simples, tu en as de marrantes toi !Plotine a écrit:Comme tu dis... c'est bien pour ça que je m'en tiens là !
Invité- Invité
Re: Petite conversation entre amies
Bien vu bien raconté...c'est vrai que le pervers manipulateur est à la mode :-))) avant, on les appelait les emmerdeurs tout simplement mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Petite conversation entre amies
C'est très sympa, les dialogues sont bons, coulent naturellement, le texte est plein d'humour pour arriver à faire passer le petit côté caricatural (et pas tant que ça quand-même) de l'amie qui me donne furieusement l'envie de commettre un meurtre en criant la stupidité de certaines femmes prêtes à tout gober de ce qu'elles lisent dans les magasines. Mais je pense ça sans doute à cause de mon grand côté pervers manipulateur. :-)
Jean- Nombre de messages : 162
Age : 35
Localisation : dans un pays qu'On ne gouverne pas.
Date d'inscription : 08/05/2010
Re: Petite conversation entre amies
Oui, très amusant ! J'ai beaucoup aimé ce texte très fluide. Les dialogues sont réussis, le tout prête à sourire.
C'était tout bête, cette petite scène du quotidien. Encore fallait-il la retranscrire à la manière Plotine.
C'était tout bête, cette petite scène du quotidien. Encore fallait-il la retranscrire à la manière Plotine.
Invité- Invité
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