Exo "Lettre d'insulte" : A la vie cette salope

[Rebecca]

« Qui était elle ? » Vous demanderez- vous peut-être quand vous la trouverez un jour ou l’autre ?

Non , vous aurez autre chose à faire, à penser, d’abord vous boucher le nez, aller vomir peut-être, recouvrir le corps, désinfecter le décor.

C’est ça qu’elle sera pour vous, un truc à gerber, une enflure, une crevure, un sac d’os, une vieille rosse rongée par les vers ! Par le remords ? Non, vous auriez tort. Par les regrets ? Qui sait ?

Moi peut-être. Je vous écris cette lettre, que vous ne lirez pas mais qu’importe désormais, pour vous dire deux ou trois choses que je sais d’elle, vous la transmettrez à la vie, cette salope, avec mes condoléances.

Elle s’appelle Madame Molloy . Madame Molloy, zéro pour cent de Matière Grise, cent pour cent Matière Grasse, comme elle se décrit elle-même quand elle parle encore, quand elle pense encore, quand on ne sait dans quelles obscures antichambres elle trouve la force de rire encore d’elle-même, oui , elle rit, sans doute d’un rire de vieille sorcière édentée, elle rit encore, vous savez …la politesse, mais pas pour longtemps, Madame Molloy, 70 ans, regard las, sourire tremblant, odeur de rat crevé et d’eau de Javel, la perfidie du destin incarnée, Madame Molloy, la fuite, la lacheté, la renonciation ? C’est un point de vue qui se défend , elle , elle ne se défend plus, morte depuis plus longtemps que votre médecin légiste ne pourra jamais le savoir..

D’où je connais Madame Molloy, cette vieille carne perforée du cerveau ?

Je suis à l’intérieur, je suis Belle, Belle Ramovski, une fille maligne, qui se croit plus maligne que les autres, belle et rebelle, je suis à l’intérieur, vibrante, frémissante, épatante, je suis encore là , vous savez , non, vous ne savez pas, qui pourrait le savoir, pas morte encore, pas tout à fait crevée, malgré les apparences et les appâts rances de Belle Molloy.
Vous me verriez comme je suis, vingt ans et toutes mes dents (je n’ai pas encore rencontré Monsieur Molloy) vous tomberiez fous de moi, on dit de moi que je suis carrossée et maquillée comme une voiture volée et je sais bien que je suis profilée pour l’amour, l’amour encore et toujours, l’amour chaque jour que le Bon Dieu fait, je suis toujours à rire vous savez, et j’ai des ambitions à faire valser toutes les têtes. Je suis encore là, tapie dans le noir, sourire confiant , coeur à prendre, songes joyeux, et c’est pour ça qu’aujourd’hui elle va en finir.

Je me regarde dans le miroir. Je ne me vois pas. Si j’autorisais mes yeux à regarder , ils ne verraient qu’une insulte à ma personne, une vieille femme en plein désarroi mental, enfin c’est ce qu’ils disent, en plein désarroi hormonal, cheveu rare, mais poils au menton, regard désolé de celles qui ont renoncé depuis longtemps, de celles que la vie a abandonné sur le fumier des amours défuntes, des rêves massacrés , de la jeunesse sacrifiée.

Une insulte vivante à la naïveté, à l’espérance, à la douceur et à la beauté, la pire insulte, oui, celle que la vie vous inflige ! Celle que moi je vais lui retourner,à cette salope, je me le suis promis, je l’ai promis à celle que je suis devenue, avec cette vision comme un couteau que je m’apprête à retourner dans ma plaie , dans la sienne.

Allez ouvrons les yeux une dernière fois, ce putain de miroir profite de notre fatigue, insiste pour nous renvoyer l’image blafarde de ce que nous sommes, moi Belle Ramovski , elle Belle Molloy, et alors nous contemplons notre mouroir sans teint, nous y plongeons, je cherche en vain dans notre regard une étincelle de moi, il me faut descendre loin sous les strates, sous les épreuves amoncelées, sous les cadavres ensevelis, sous les amours enterrées, je suffoque, partout autour de moi, à l’intérieur d’elle , des cendres de la suie et des cendres.

Allez c’est l’heure, Madame Molloy se prépare à dire merde , merde à son miroir , merde à la vie , voici encore une des deux ou trois choses que je sais d’elle, elle va descendre habillée de soie, bouche maquillée comme une voiture volée, profilée pour la mort, elle va s’asseoir dans son salon, tirer sa dernière cigarette et sa révérence . Elle va prendre le couteau , celui que monsieur Molloy lui a laissé en héritage il y a si longtemps, du temps qu’il était capable de l’assassiner d’un mot, d’une injure, elle va retourner le couteau comme il lui plait, contre l’injustice qui lui a été faite, et injurier la vie va lui être une fête.

Moi, je vais redevenir Belle à en crever.

[mentor]

ça arrache
t'es pas drôle, Reb ;-)

[solean]

Ce texte est très beau. Tripant et crépusculaire, brûlant à l'endroit où la beauté entre en collision avec le temps, tout aussi injuste qu'implacable.
"Belle à en crever" Voilà qui un titre qui sonne à la perfection !

[CROISIC]

La rage te va bien Rebecca.
J'aime cette phrase.

Une insulte vivante à la naïveté, à l’espérance, à la douceur et à la beauté, la pire insulte, oui, celle que la vie vous inflige ! Celle que moi je vais lui retourner,à cette salope, je me le suis promis, je l’ai promis à celle que je suis devenue, avec cette vision comme un couteau que je m’apprête à retourner dans ma plaie , dans la sienne.

Ton texte m'a fait penser aux poupées russes - rondes et colorées à outrance - contenant les apparences de leur vie.

[ubikmagic]

Hello,

Une fois de plus, tu as fait fort. Des tournures chic et choc, des associations de sonorités, des formules qui tuent, et le tout si bien vu...

Une question me tarabuste. Il faut dire que malgré ma pratique, j'ai des erreurs qui résistent à tout, qui reviennent, n'ont jamais vraiment été élucidées pour moi... Quand tu dis :

... regard désolé de celles qui ont renoncé depuis longtemps, de celles que la vie a abandonné sur le fumier des amours défuntes, des rêves massacrés , de la jeunesse sacrifiée.

... Je me demande si ta formulation est exacte, ou bien si on n'aurait pas dû écrire "abandonnées" ? Voilà le genre de choses sur lesquelles j'hésite quand j'écris, des règles d'accord qui ne sont toujours pas claires pour moi. Depuis le temps...

A part ça, le tout est très bien vu, hélas. J'aurais aimé te dire que non, la vie n'est pas ainsi, mais je mentirais.

Condoléances.

Ubik.

[Invité]

Une belle énergie, oui, mais je regrette que ce thème somme toute classique soit décliné d'une manière un peu attendue, je veux dire : par opposition au vieux machin décati, se contenter de la fille dans la pure fleur de sa jeunesse. L'opposition est trop brutale, pour moi, manque de subtilité, et le texte de surprise. Comme disait Paul Nizan : "J'ai eu vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie."

Mes remarques :
« Qui était-elle (trait d’union) ? » Vous demanderez-vous (et non demanderez- vous) peut-être quand vous la trouverez un jour ou l’autre ? : je me dis que ce deuxième point d’interrogation est de trop
« Non , vous aurez autre chose » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« Madame Molloy . Madame Molloy » : typographie, pas d’espace avant le point
« oui , elle rit » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« elle rit encore, vous savez …la politesse » : typographie, pas d’espace avant les points de suspension, une espace après
« la fuite, la lâcheté »
« un point de vue qui se défend , elle , elle ne se défend plus, morte depuis plus longtemps que votre médecin légiste ne pourra jamais le savoir.. » : typographie, pas d’espace avant les virgules, un point ou trois à la fin ?
« plus maligne que les autres, belle et rebelle » : quel cliché ! trop facile, pour moi
« je suis encore là , vous savez , non » : typographie, pas d’espace avant les virgules
« les apparences et les appâts rances » : OMG ! cinq cent millionième apparition de ce jeu de mots dans l’histoire de la littérature contemporaine…
« sourire confiant , cœur à prendre » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« Si j’autorisais mes yeux à regarder , ils ne verraient qu’une insulte » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« de celles que la vie a abandonnées sur le fumier »
« des rêves massacrés , de la jeunesse sacrifiée » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« un couteau que je m’apprête à retourner dans ma plaie , dans la sienne » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« moi Belle Ramovski , elle Belle Molloy » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« nous contemplons notre mouroir sans teint » : ça, en revanche, comme jeu de mots j’aime bien
« à l’intérieur d’elle , des cendres » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« se prépare à dire merde , merde à son miroir , merde à la vie , voici encore » : typographie, pas d’espace avant les virgules
« sa dernière cigarette et sa révérence . Elle va prendre le couteau , celui que monsieur Molloy » : typographie, pas d’espace avant le point ni la virgule

[Rebecca]

Merci socque de répondre à ubik pour "celles que la vie a abandonnées" j'étais en train de me dire que oui j'avais fait cette faute. Entre autres ! Je ne me relis pas assez et en typographie j'ai des efforts à faire !
Pour les "appâts rances", mea culpa, j'ai failli ne pas l'écrire car je l'avais déjà utilisé dans un autre texte et vous l'aviez relevé, j'ai pensé à vous et j'ai souri en l'écrivant quand même, car je trouvais que ce n'était pas trop déplacé dans le contexte. Je sais que vous n'aimez pas mon goût prononcé pour les jeux de mots pourris, je crains que ça ne reste un peu ma marque de fabrique. Mais je me soigne !
C'est mon exo perso désormais, écrire des histoires qui dépassent la simple branlette de mots foireux, débarrasser mon écriture de cette acmé juvénile (oups).
Merci VE.

[Reginelle]

Bravo Rebecca
tellement juste, tellement vrai
comme quand on passe devant une vitrine et qu'on ne se reconnait pas dans ce reflet qu'elle nous renvoie.

Bien plus que beaucoup aimé, tellement l'écho est fort.

[Ba]

Pourquoi pas. Mais je ne réduirai pas la femme à cette éternelle dichotomamie. La beauté comme seul port,horizon,objectif, épargne.
Et le reste alors ? nom de...!

[Reginelle]

C'est pas tellement "la beauté"... Ok, mise en relief ici. Mais l'image que l'on a de soi dans "sa tête". Celle que l'on garde, que l'on porte au plus intime. Nos yeux "intérieurs", lol !

grrrrrrrrrr


faut pas répondre à un commentaire

Désolée... mais c'est pas répondre vraiment. Juste envie de... fffffff

[Aire__Azul]

Je sens que je risque de répéter ce que d’autres ont déjà dit, mais je pense qu’il faut encore le souligner: ce texte est très puissant et très sensible. J’ai été très émue par ce regard puissant devant la cruauté physique de la vie.
La dualité belle-rebelle/ vieille-anéantie (ou presque) est peut-être un peu trop évidente. J’imagine qu’une fissure aurait pu se dessiner depuis longtemps, et que n’ont fait que creuser les attaques de la vie. Non, je ne récris pas ton texte, j’en serais bien incapable, mais je me demande quels étaient ces « rêves massacrés », par exemple. Le manque d’amour et d’espoir est bien plus fort et va bien plus loin, ici, il me semble, que la simple excuse hormonale.

[Rebecca]

Oui si je peux me permettre de répondre :

quand je fais parler Belle jeune, je dis d'elle : "sourire confiant , coeur à prendre, songes joyeux"
A mes yeux c'est cela qui a été trahi.

J'écris plus loin que sa vie est/sera "une insulte à la naïveté, à l'espérance, à la douceur". C'est cette beauté là aussi qui va se trouver ravagée.
Je donne un signalement de Monsieur Molloy qui montre je crois aussi par où elle a été fragilisée et abimée, il n'y a pas que les années qui ont signé son éventuelle déchéance physique , celle ci a bien été aggravée par une fracture intérieure.
Mais en fait le lecteur est libre de relever ou pas tel ou tel détail, à chacun son interprétation, c'est cette liberté qui est passionante qui fait que chaque lecture est unique.
Je profite de cet écart/encart pour remercier chacun de sa lecture.

[Invité]

Je ne suis pas au niveau pour tout capter, je ne suis pas une femme, je n'ai pas 70 ans, je bloque sur des concepts comme : la perfidie du destin
je n'ai aucune compréhension du truc. l'écriture est truculante, certes, elle dégage les bronches, un plaisir qui ne donne pas dans la mollesse. L'exo était dur, vrai, je ne m'y suis pas risqué.

[Arielle]

A la vie, à la mort ... glaçant et tellement fort que je reste sans voix. On ne fera pas mieux dans ce genre d'exercice !

Une insulte vivante à la naïveté, à l’espérance, à la douceur et à la beauté, la pire insulte, oui

[Halicante]

Quelle belle et triste lettre d'avant-contraintes ! C'est curieux, cette sensation que l'on a d'être, à l'intérieur, toujours celle ou celui que l'on était il y a 20 ans mais que personne ne voit plus et qu'on reste le ou la seul(e) à connaitre.

[Sahkti]

Y a pas à dire, ça le fait. C'est sec, cinglant à souhait, froid comme il se doit et ça fonctionne bien. L'opposition entre la vieille emm... et la jeune fille me paraît un brin prévisible mais tu réussis à passer au-dessus en donnant quelques accents originaux bienvenus à ton texte.

[Lyra will]

C'est dur et fort et contrairement à Panda, j'ai l'impression qu'on le ressent ce texte, comme une épée de Damoclès.

Parfois peut-être le goût des mots frôle avec le risque d'en faire trop au détriment de l'émotion, mais tu restes à la limite.

De très beaux morceaux ici et là, dernière phrase grinçante, et j'aime beaucoup le "à la vie cette salope"

[Mure]

Bah merde alors !
Je voulais lire un truc cool avant de dormir et j'ai choisi ton texte en pensant que j'allais sourire et p't'être même rire.
Alors, non, je ne suis pas déçue... juste gravement émue.
Je n'y vois pas seulement un contraste beauté+jeunesse/laideur+vieillesse (oui, j'ai lu les commentaires du dessus), j'y vois surtout toutes les possibilités accolées.
Finalement, ce que Belle assassine, c'est sa perte de pouvoir... pouvoir qu'elle a perdu bien avant de devenir vieille et moche, juste en devenant Madame Molloy.

Je vais le lire encore et encore car ton texte est magnifique !

Merci infiniment Rebecca, de rendre si bien ce que d'autres trouvent banal.

[Frédéric]

Bonjour à tous et à Rebecca en priorité !
Je viens de découvrir le site " Vos Ecrits " à l'instant suite à une recherche sur google en tapant:" lettre d'insulte a une femme " car je viens de me faire ramasser pour la 2ème fois par Mme Molloy une cette superbe ordure (et le mot est faible) superbe manipulatrice, cette jolie fleur dans une peau de vache, cette jolie vache déguisée en fleur !
Merci à Georges B aussi !
J'avoue je suis un peu naif, je crois encore que tout le monde est beau et gentil quel con je suis !
C'est vrai elle en rit ouvertement et l'affiche sur facebook !
Je suis en exaltation devant ce texte qui me parle énormément ! J'aimerai parler à Rebecca au plus vite car ça sent le vécu à plein nez et lui demander si il s'agit bien de la même " personne " (ordure) !
Merci Rebecca de me répondre par mail
Frédéric

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Avant tout chose, une présentation serait bienvenue.
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Merci.
La Modération

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