Eghastis

[zeratul]

C’est une bien vaste cité. Mais on ne s’en rend pas compte avec la distance. Puis, se rapprochant, on s’étonne, on prend peur ; tout n’est que désordre : les reliefs sont aléatoires, la ville n’est ni ronde, ni polycentrique, ni carré, les rues s’entrecroisent ; les hautes sphères sont, à l’image des plus humbles logis, partout et nulle part, comme semées au hasard. L’architecture ne peut décemment y exister. L’ardoise, le gré, le ciment, l’obsidienne et l’albâtre s’affrontent sur la même façade, référence de styles chimériques. Seule une titanesque horloge, trônant au centre de la ville, semble garantir un semblant de repère chronologique et spacial. Pourtant, le voyageur attentif ne tardera pas à remarquer que les aiguilles sont immobiles, et que massives et inertes elles pendent tristement sur le cadran. Impossible d’arpenter les rues sans perdre l’équilibre, sans défaillir. La température même est instable ; elle passe cycliquement d’une chaleur ombragée que percent de timides éclaircies à un soleil blanc morne, alors que les vents du Sud s’engouffrent dans les ruelles.
S’ils la scrutent depuis les cieux, les dieux doivent percevoir sa forme indescriptible, ses agencements improbables. Avant tout, ils doivent se demander qui peuvent bien prier les habitants, à quelles entités leurs étranges effigies peuvent être dédiées, si ce n’est pas en leur honneur. Tout s’y passe si vite ! Les hommes fourmillent, grésillent, se déplacent inflexiblement ; ils vivent, diront les rêveurs. Comment ? Demanderont les rationnels, qui s’offusquent qu’un être puisse aller là où il n’a rien de précis à accomplir, et qui n’accomplisse rien qui lui serve. Car il serait utopique d’imaginer que l’on puisse, au sein d’Eghastis, trouver des échoppes, un forgeron ou un hôtel de ville. Ces gens là ne commercent pas ni ne se gouvernent. Ils cultivent leur propre subsistance dans leur habitat, et règlent chaque différend au cas par cas, la loi étant dictée par un tirage au sort. Mais ils sont en vérité bien trop pressés pour s’occuper de ce genre d’affaires.
Le plus dur à concevoir reste son ancestralité ; si nos nations sont encore jeunes et vouées à connaître la souffrance comme le progrès, Eghastis, du haut de ses trois millénaires d’existence, n’a pas changé. Encore et toujours fermée, elle se conforte dans une autarcie aussi totale qu’inconsciente. Passent les saisons, prospèrent ou guerroient les pays alentours, il est six heures et demi à Eghastis.

[Invité]

Une ambiance intéressante, une intemporalité anarchique bien restituée, je trouve. J'aurais aimé lire une histoire se déroulant dans un tel décor !

Quelques remarques :
« la ville n’est ni ronde, ni polycentrique, ni carrée »
« L’ardoise, le grès, le ciment »
« repère chronologique et spatial »
« Ces gens-là (trait d’union) ne commercent pas ni ne se gouvernent »

[Invité]

Trop flou, trop vague, trop court pour se faire une idée précise. Alléchant tout de même, en partie parce que flou et vague... et bien écrit.

NB : six heures et demie

[bertrand-môgendre]

Mais où se situe l'endroit ? Car il serait utopique d’imaginer que l’on puisse, au sein d’Eghastis,... cette phrase oriente mon choix vers l’île d’Utopie de Thomas More
Un décor bien planté.

[boc21fr]

Je pense que c'est Shakira, la planète des Protoss dissidents qui ont fuit Aïur...
Je plaisante
C'est un début...un début sympathique...mais un peu court effectivement pour que l'on puisse se prononcer...

[isa]

Dommage effectivement que le texte soit aussi court! Une ambiance alléchante et bien dépeinte qui ouvre plein de portes, dommage qu'on ne sache pas un peu mieux où elles mènent...

[Invité]

Un début très prometteur !
Cette cité anarchique semble vouée à des aventures surprenantes... mais ne sera-t-il pas difficile de tenir sur la longueur un monde aussi destructuré ?
J'attends la suite avec impatience !

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