Mon père et les étoiles

[redstar]

Mon père m'a laissé d'impérissables souvenirs et a éclairé de son étrange imagination la courte période de mon enfance où je l'ai connu.
Jusqu'à mes huit ans, il ne s'intéressait pas à moi outre mesure. Il me demandait de lui passer le sel à table, lorsque seul Michel Drucker parlait en grésillant dans notre vieille télévision, il m'emmenait parfois à pieds à l'école et m'y abandonnait sans aucun remarque agréable quelle qu'elle soit. Nous vivions dans un petit appartement de la banlieue Lyonnaise, et plus précisément au rez-de-chaussée; ma mère était la concierge de l'immeuble, mon père était sans emploi depuis très longtemps. La partie sud du bâtiment donnait sur une étroite allée de graviers permettant l'accès à quelques vieux garages, et quelques mètres plus loin encore se trouvait un petit jardin desséché, dont la clôture rouillée pliait sous les assauts du temps. A l'anniversaire de mes huit ans, mon père manifesta pour moi le premier signe d'intérêt dont je me souvienne.
La journée passa vite; ma mère avait invité quelques camardes de classe; des amis que j'aimais beaucoup, et je reçu beaucoup de cadeaux aussi dispensables qu'amusants pour un enfant. Quelques billes, une gameboy que je devinais provenir du grenier de l'un de mes camarades, une cassette vidéo... Ma mère, elle, m'offrit une grenouille dans une petite boîte à chaussures trouée. Une fois mes amis partis, je passai la soirée à faire sauter l'animal entre mes mains, ou à courir après dans l'herbe; je le perdais environ deux fois toutes les minutes. Un peu plus tard, lorsque le ciel était devenu parfaitement noir et que je commençais à baigner dans l'ombre de l'immeuble, renvoyée par les lampadaires jaunâtres de la rue, mon père vint s'agenouiller à mes côtés et me parla d'une voix douce qui me semblait être celle d'un inconnu. Il m'invita simplement à le suivre jusqu'à notre garage, où je n'avais pas le droit d'entrer.
Après avoir expliqué à ma mère qu'il avait quelque chose d'important à me montrer et que celle-ci eut levé les yeux aux ciels, il leva la porte de garage dans un grincement assourdissant et tira sur une ficelle à l'intérieur. Juste après, une ampoule hésita, clignota pour finalement inonder la pièce de sa lueur blanche et pâle. Le garage me surprenait: je découvrais sur les étagères branlantes des dizaines et des dizaines d'outils curieux, de vieilles boîtes rouillées ou de livres poussiéreux, mais ce n'était pas vraiment tout cela qui me fascinait, c'était ce qui occupait la majorité de l'espace: un curieux assemblement de planches, de roues, et de divers objets d'origine inconnue qui ressemblait à un véhicule. Mon père me prit par l'épaule et dit en fixant le vide:
- Voilà, le moment est venu de te montrer. J'ai attendu que tu grandisses un peu, car tu as maintenant l'âge d'un enfant rêveur pour qui rien ne peut paraître absurde, mais assez âgé tout de même pour comprendre. Voici, mon fils, le but de ma vie.
Il énonçait son discours comme si c'était quelque chose de vraiment important, et cela devait l'être pour lui. Il ouvrit une petit trappe sur le côté de son étrange véhicule et m'invita à y entrer. Le véhicule était tout de même assez gros, mais pas pour y tenir confortablement à deux, ni même vraiment tout seul. Sur les parois étaient fixés des dessins de planètes, une affiche de « La Guerre des Étoiles », un poster de « Capitain Flam » … On se serait cru dans une cabane d'enfant, perchée en haut d'un arbre. Quelque chose qui ressemblait à un tableau de bord, comme dans les avions, se trouvait face à la trappe d'entrée et clignotait. On voyait que ce n'était que de petites diodes qui s'allumaient aléatoirement autours de faux boutons, mal alignés. Je me retournai vers mon père pour lui demander ce qu'était censé être la chose dans laquelle je me trouvais, mais il répondit avant même que je pose ma question.
- Ceci est mon vaisseau spatial, dit-il d'un air parfaitement sérieux.
Forcément, croyant à une blague de sa part, je me mis à rire ce qui parût le blesser; il continua:
- Je ne rigole pas, fiston. Ceci est mon vaisseau spatial, et je m'en servirai pour quitter la Terre et accomplir mon plus grand rêve.
J'eus un pincement au cœur. Mon père était-il un plus grand enfant que moi? Je savais pourtant qu'il avait toujours été fasciné par l'espace, les planètes, mais pas comme un scientifique. Pour lui, le voyage stellaire et la conquête spatiale avaient été découverts dans des séries de science-fiction des années 80, et non en suivant les avancées techniques de la NASA.
Aussi brusquement qu'il m'avait annoncé que ce tas de bois dans le garage était un vaisseau spatial, il m'annonça qu'il me quitterait bientôt.
- Pourquoi? M'empressai-je de demander.
- Parce que c'est le but de ma vie, et que je ne veux que cela, répondit-il en soupirant.
- Et tu comptes partir tout seul?
Je savais bien que jamais son prétendu vaisseau ne décollerait ne serait-ce que d'un centimètre, mais je comptais simplement jouer le jeu avec lui.
- Oui, répondit-il finalement en regardant les étoiles dehors, je ne prendrai personne avec moi car quitter cette planète, c'est le but que je me suis fixé. Chacun doit atteindre son but par lui-même.
Un silence étrange emplit alors la pièce, et je me sentais étrangement seul. Finalement, c'est ma mère qui mit fin à cette curieuse discussion en m'appelant, prétextant qu'il ne fallait pas que je me couche tard. Il était déjà minuit. Mon père me libéra, me souhaita bonne nuit en un sourire et s'enferma dans le garage.

A partir de ce jour, j'ai vu la tension augmenter entre mes parents, ma mère criant de plus en plus que mon père n'était qu'un bon à rien incapable de travailler pour nourrir sa famille, qu'il préférait passer ses journées à construire une saloperie de fusée ou elle ne savait plus quoi. Et c'est effectivement ce qu'il faisait. Quelquefois, le soir, il rentrait avec de la nourriture et la déposait sur la table en souriant, sous le regard noir et lourd de reproches de ma mère. Des mois passèrent, des mois et des mois.
Un jour, environ sept mois après mon anniversaire, mon père m'appela du fond du jardin. J'enfilai rapidement un gros manteau et des bottes en caoutchouc pour traverser la vaste étendue de neige qu'était devenue l'allée des garages et le rejoint. Ce qu'il avait à me montrer était totalement stupéfiant et effrayant; cet événement marqua le début de la fin pour mon père. Dans son vaisseau, et plus précisément dans une nouvelle petite pièce sur le côté gauche de l'engin, se trouvait un grand télescope flambant neuf. J'écarquillai les yeux. J'étais envahit par la curiosité.
- Où as-tu trouvé ça ? Fis-je.
- Aucune importance. Ce qui est important, fils, c'est ce à quoi il va me servir, dit-il fièrement
- Et à quoi va t-il te servir?
- A regarder la planète Terre quand je serai à Proxima du Centaure ! Cria t-il au comble de la joie.
Mon père me faisait penser à un fou. Je le regardais, totalement abasourdi, et ne disait plus rien.
- Écoute, reprit-il, je vais bientôt avoir des problèmes ici.
- A cause du télescope? Le coupai-je.
- A cause du télescope et de bien d'autres choses. Alors écoute, je vais bientôt partir. A la fin de la semaine. Quand je ne serai plus là, je veux que tous les soirs, tu regardes vers le ciel et que tu me fasses coucou. Dans mon télescope, je te verrai, et je te ferai coucou aussi. D'accord?
Je ne pu rien faire d'autre qu'acquiescer. Mon père ébouriffa mes cheveux en souriant et je reparti vers l'immeuble.

Ce soir là, je n'entendis rien, pourtant, mon père était parti.

Le matin, je découvris ma mère assise seul dans la cuisine, le regard triste, pendant que ce que je pensais être des déménageurs embarquaient certaine de nos affaires, pour la plupart celles de mon père. Dehors, le garage était grand ouvert et des hommes le vidaient, mais je ne vis pas le vaisseau spatial. Ma mère me prit dans ses bras et me dit que l'on allait avoir une vie plus tranquille maintenant, et que l'on pourrait rendre visite à mon père si je le souhaitais. Je lui fis remarquer que c'était impossible, et elle me regarda l'air de ne pas me comprendre. A vrai dire, je ne me comprenais pas moi-même.
Malgré l'étrange comportement de mon père, je continuais de penser à lui. Un jour, ma mère fit à nouveau allusion à lui en me demandant si je voulais lui rendre visite. Je lui répondis que non, et que de toute manière ni moi ni elle ne le pouvait, et que lui ne le voulait pas non plus. Depuis, je me suis acheté un petit télescope, et j'ai cherché à voir Proxima du Centaure. En vain.
Et tous les soirs, avant de fermer mes volets, je respirais l'air frais du soir, levais les yeux vers l'infinie voute céleste et saluait mon père.

[Invité]

Un texte vraiment touchant, je trouve, simple et un peu mystérieux ; j'ai bien aimé.

Remarques d'ordre général :
En France, les conventions typographieques veulent qu'on insère une espace avant les ";", ":", "!", "?"
Elles veulent aussi qu'on ne se contente pas du trait d'union "-" pour insérer les répliques de dialogue, mais du quart ou semi-cadratin "–" ou "—"

Remarques plus particulières :
« il m'emmenait parfois à pieds à l'école » : « à pied », je crois ; à vérifier, éventuellement
« un petit appartement de la banlieue lyonnaise »
« La journée passa vite; ma mère avait invité quelques camarades de classe; des amis que j'aimais beaucoup, et je reçus beaucoup de cadeaux aussi dispensables » : la répétition se voit, je trouve
« que celle-ci eut levé les yeux aux ciels » : « au ciel », plutôt
« c'était ce qui occupait la majorité de l'espace: un curieux assemblement (« assemblage », plutôt, je pense) de planches »
« Il ouvrit une petit trappe sur le côté de son étrange véhicule et m'invita à y entrer. Le véhicule était tout de même assez gros » : la répétition se voit, je trouve
« qui s'allumaient aléatoirement autour (et non « autours ») de faux boutons »
« lui demander ce qu'était censée (la chose) être la chose »
« je me mis à rire ce qui parut (et non « parût » qui est la forme du subjonctif imparfait) le blesser
« J'enfilai rapidement un gros manteau et des bottes en caoutchouc pour traverser la vaste étendue de neige qu'était devenue l'allée des garages et le rejoignis »
« J'étais envahi (et non « envahit ») par la curiosité »
« c'est ce à quoi il va me servir, dit-il fièrement » : manque la ponctuation à la fin
« Et à quoi va-t-il (premier trait d’union) te servir »
« Je le regardais, totalement abasourdi, et ne disais plus rien »
« Je ne pus rien faire d'autre »
« je repartis vers l'immeuble »
« ma mère assise seule dans la cuisine »
« embarquaient certaines de nos affaires »
« levais les yeux vers l'infinie voute céleste et saluais mon père »

[redstar]

Bonsoir socque,

Merci pour votre commentaire et la correction.
En ce qui concerne les dialogues, j'utilise habituellement OpenOffice qui gère les traits de dialogue "officiels". Ceux-ci disparaissent lors de la copie, donc je ne les utilise plus.

L

[Invité]

Il y a peut-être un problème de codage des caractères OpenOffice... Si vous copiez-collez ceux qui sont à la rubrique "Localisation" de mon profil, à gauche de chacun de mes messages, ça devrait être bon.

[redstar]

Bien, merci, j'y penserai la prochaine fois.

Au plaisir,
L

[silene82]

Curieuse histoire, la plus remarquable me semblant la disparition du vaisseau spatial : ainsi donc, le bonhomme cachait son jeu, et bien loin d'être dans une amorce de psychose qui finit ordinairement en HP, il cachait son jeu et était raélien, et quel ! Parce que faire décoller une apparence de vaisseau qui déguise l'authentique véhicule travesti dessous, chapeau !
J'espère que le télescope n'est pas tombé au décollage, c'eût été dommage.
J'espère que nous aurons la suite, et les échanges intergalactiques qui, je l'espère, ont eu lieu.

[redstar]

Curieuse histoire, la plus remarquable me semblant la disparition du vaisseau spatial : ainsi donc, le bonhomme cachait son jeu, et bien loin d'être dans une amorce de psychose qui finit ordinairement en HP, il cachait son jeu et était raélien, et quel ! Parce que faire décoller une apparence de vaisseau qui déguise l'authentique véhicule travesti dessous, chapeau !
J'espère que le télescope n'est pas tombé au décollage, c'eût été dommage.
J'espère que nous aurons la suite, et les échanges intergalactiques qui, je l'espère, ont eu lieu.

Bonjour Silene,

C'est une fin envisageable et je n'ai pas réellement défini de fin. Je laisse au lecteur le loisir de penser ce qu'il veut quant au devenir du père et suis ravi de voir que vous avez votre version de la conclusion.

L

[Rebecca]

Un texte triste et drôle, de la fantaisie, agréable à lire. J'ai bien accroché, j'aurai bien aimé que ça continue encore un peu.

[Ratz19]

Bonjour Silene,

C'est une fin envisageable et je n'ai pas réellement défini de fin. Je laisse au lecteur le loisir de penser ce qu'il veut quant au devenir du père et suis ravi de voir que vous avez votre version de la conclusion.

En effet, avec la réaction de la mère, j'avais cru que le père s'était suicidé ou était mort d'une quelconque façon. Le jeune garçon croyant autre chose, dû à sa naïveté.

Peu importe, j'ai trouvé le texte bien touchant et le titre m'a bien accroché.

[redstar]

Merci à vous,
Pour moi c'était encore une autre fin.

[Modération]

< Merci d'éviter de répondre à chaque commentaire sur votre texte, ceci permettra que votre texte ne conserve pas sans arrêt le haut de page au détriment de ceux des autres.
La Modération >
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