Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Cartes Pokémon 151 : où trouver le ...
Voir le deal

Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

2 participants

Aller en bas

Comme le battement d'aile d'un aigle (2) Empty Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

Message  Gobu Dim 1 Aoû 2010 - 13:13

COMME LE BATTEMENT D’AILE D’UN AIGLE (2)
Cela faisait un mois que l’aigle Wahdee s’était envolé, dans un discret chuintement de plume. Salué du rire de ses potes, quand même, au finale. Manquerait plus qu’ils n’aient pas rigolé ! Ceux qui l’avaient accompagné jusqu’à son ultime aire de décollage le juraient, il était libre : ils l’avaient vu voler. Au-dessus de leurs têtes, comme je vous vois. Enfin façon de parler. Moi qui l’avais vu planer plus souvent qu’à son tour, du temps qu’il ne nous avait pas encore faussé compagnie, je n’en doutais pas une seconde. C’était sûr, au-dessus de nos têtes il planait, plane encore et planera toujours. Ceux qu’on a aimé ne meurent pas ; ils s’en vont ailleurs, où on les rejoindra à coup sûr. Il suffit d’attendre. En continuant d’aimer pour meubler le temps.

Fallait le marquer, le coup, tout de même. Les rituels funéraires, les vibrants discours d’adieu, les processions de proches compassés, les cendres qu’on disperse dans le vent de la montagne, ça va cinq minutes, mais en hommage à un lascar de ce calibre, y avait intérêt planifier du plus sérieux. Et du qui dépote, nom d’une Strato, du qui bastonne, secoue les tripes, fait trémuler les genouxes, chavire les tronches, tachycardise les palpitants, colle des fourmis dans les baskets, fait frissonner l’échine, chaloupe le bassin, chavire les globes oculaires, caresse les tympans dans le sens du poil, hérisse la tignasse, bref du qui swingue !

Parce que question swing, il était notre maître à tous, pas à chipoter là-dessus. Les doigts de certains d’entre nous cavalaient encore plus prestement que les siens sur le manche de leur guitare. La voix de certains autres vibrait plus clair encore que la sienne. D’autres maîtrisaient mieux que lui l’harmonie ou produisaient des mélodies encore plus séduisantes que celles qu’il tirait de son cœur et de ses entrailles. D’autres enfin, sans réel talent, parvenaient à dealer leur soupe avec plus de brio et connaissaient toutes les ficelles du métier. Celles qui servent à garrotter les producteurs et ficeler les liasses de biftons. Mais personne, Dieu…pardon encore, Wakan Tanka m’est témoin, personne n’arrivait à la cheville de ses santiagues lorsqu’il s’agissait de battre la cadence et insuffler le tempo à tout un band. Un vrai métronome, Maître Wahdee, mais pas une mécanique désincarnée, non un métronome avec une âme. Et des couilles aussi, cela va sans dire. C’est bien simple : lorsqu’il assurait la rythmique, ses compères musicos, l’assistance, les animaux domestiques ou autres et les petits oiseaux dans le ciel, tout vibrait de concert avec la pulsation qu’il tirait du plus profond de lui. Le vent lui soufflait l’harmonie. Les nuages chaloupaient en phase avec son déhanchement. Le tonnerre, domestiqué, rugissait les temps forts. La foudre giclait de ses coups de médiator ravageurs. Même les voisins outrés par le barouf martelaient la cloison en cadence, et si, d’aventure, la maréchaussée s’annonçait à la porte, les coups de sonnette des pandores marquaient encore la syncope. Vous dire s’il assurait !

Orphelin du rythme, boiteux du tempo, j’étais, lorsque nous avons fait connaissance. Le flash, immédiat. Parce que c’était lui parce que c’était moi. Il m’a offert le tempo. Je lui ai retourné son cadeau : j’ai appris. On a tout joué, tout chanté, tout dansé. Comme moi, il aimait bouffer, picoler, rigoler, baiser aussi, tu penses ! bref il aimait aimer. Ensemble nous avons pillé tous les frigos, asséché tous les bars, squatté toutes les fêtes, courtisé toutes les beautés – et Wanka Tanka sait qu’il en voyait partout, de la Beauté – sans négliger de remettre à leur place tous les fâcheux qui avaient eu l’imprudence de croiser notre chemin. Sans ménagement. Même chose pour le tempo : c’est à coups de bottes dans le firek qu’il l’avait fait rentrer dans ma tête. Dans mon cœur il battait déjà, mais fallait encore que ça sorte par les doigts. Ca tombait bien, les miens me démangeaient. Ils me démangent encore. Toutes les galères, tous les triomphes. Grosses galères, modestes triomphes, mais ce sont les plus glorieux : ils se passent de réclame. Ensemble, aussi, nous avons plongé la tête et bientôt toute la carcasse dans la mare aux conneries. On n’en a pas loupé beaucoup, faut reconnaître. Wahdee était la témérité même, moi j’étais juste inconscient, mais un fada plus un lunatique égal un maximum de conneries. C’est la vie même si on finit par en mourir mais ça se finit toujours comme ça, point à la ligne.

Assez ! Que la fête commence. La Teuf à Wahdee. J’aurais pu trouver mieux, mais fallait taffer dans l’urgence. Parce qu’ils allaient rappliquer. Les saltimbanques, les musiqueux, les brailleurs, les bateleurs, les boute-en-train et tous les autres moulineurs de double croche. Et toute la clique et la claque, aussi, pour remplir la salle de vibrations, et que ça siffle que ça tape des mains que ça s’égosille que ça tricote des gambettes et que ça frétille du croupion, nom de nom ! On allait voir ce qu’on allait voir et ouïr ce qu’on allait ouïr. Jérôme, alias Monsieur Son & Lumière, avait pris les choses en main. J’avais posé sac et guitare chez lui la veille. Les arpèges de Brahms interprétés par Cécile, sa femme, remplissaient la maison d’harmonie. Nina, leur fille, chahutait avec le chat. Une marmite de bolognaise mijotait sur le feu. Je la surveillais d’une oreille tout en répétant de l’autre avec Jérôme les chansons que j’avais choisies pour l’occasion. Country, ç’allait être, pour moi. La dernière fois que nous avions joué ensemble en public, Wahdee et moi – la dernière fois que je l’avais vu en vie, et comment ! – on s’était tapé près de deux heures de chevauchée musicale à travers les canyons cramés de soleil, les bayous grouillant d’alligators, que sais-je encore, les saloons illuminés et les autoroutes se déroulant sans fin au travers des grandes plaines verdoyantes. C’allait sentir la poudre et le cuir brut. Go west toute !

Ca tombait bien : on y était, à l’Ouest, au propre comme au figuré. Vingt kilomètres à l’ouest de Paris, pour être exact. On a l’Ouest qu’on peut. Jérôme et moi avions rappliqué au Centre culturel Jean Vilar dès neuf plombes du mat’. Jérôme était régisseur technique de l’endroit, et moi, il m’avait collé derrière son PC, présenter le programme des festivités sous une forme de préférence bien torchée et sans oublier la provo, if you please. L’excellent rédacteur que fut Wahdee ne me l’aurait pas pardonné. Le rebelle encore moins ! Pas du gâteau, le programme : nous ne connaissions la liste exacte des participants que depuis le matin et il fallait que les tirages soient prêts à distribuer à dix-huit heure pétantes. Pendant ce temps-là, Jérôme et ses assistants déroulaient des kilomètres de câble, faisaient rouler de gros amplis sur la scène, assemblaient des portiques, que sais-je, pleuraient l’huile de coude à gros bouillons. Les projecteurs clignotaient par rampes entières et de la sono retentissaient les essais de micros, « test one, test one… » bref l’ambiance que Wahdee et moi préférions à toute autre. Bon Dieu, euh…Wakan Tanka…qu’est-ce qu’on aimait ça ! Même sur une toute petite scène ou dans l’arrière-salle enfumée d’un troquet de banlieue, dans les baraques des copains, partout où nous pouvions déballer notre bordel de musicos, partout où nous pouvions faire sonner nos guitares et brailler dans le micro, partout où il y avait du monde, même un peu, qui avait envie de chanter avec nous.

Ce coup-ci, il y en aurait, du monde. L’auditorium pouvait accueillir 250 personnes ; on comptait bien le bourrer à bloc, s’il fallait tasser, on tasserait. C’est pas tous les jours qu’on se retrouve entre potes zicos de trente ans pour rendre hommage au plus flamboyant d’entre nous. Le feu, un peu qu’on allait l’allumer ! A faire cramer toute la baraque, tiens ! Pendant ce temps, les autres pyromanes commençaient doucement à débarquer. Avec Jérôme, petite pause vers treize heures à la brasserie du coin, histoire de s’envoyer une bavette à l’échalote arrosée d’un bon petit rouge de pays. La boisson et le sérieux musical ne font pas toujours bon ménage ; ça ne m’avait pas empêché de siffler un ou deux kirs en avant-première. Faut pas déconner : c’était pas un ascète qu’on s’apprêtait à célébrer en musique. Ses saints patrons, c’était plutôt le genre Saint-émilion, Saint-Estèphe ou Saint Nicolas de Bourgueil. Saint Christophe, aussi, sans doute, vu le nombre de fois qu’il avait pris sans visibilité le volant de son panzer, avec dans le système suffisamment de degrés pour terrasser un mammouth et faire exploser l’éthylomètre. Je le sais : j’y étais ! Bref je suis retourné au taf passablement guilleret.

Sur la grande scène où le bordel avait été domestiqué, un grand échalas à lunettes de savant fou serrait entre ses cuisses un violoncelle d’âge respectable, sur lequel il répétait une sarabande de Bach. Je connaissais le lascar depuis le lycée, même si je ne l’avais pas revu depuis plus de vingt ans. Instrumentiste surdoué, premier Grand Prix du Conservatoire de Paris, il avait laissé tomber une prometteuse carrière de musicien classique pour se lancer dans d’interminables études de médecine. Depuis, docteur en neurologie, il soignait une clientèle triée sur le volet de solistes atteints de troubles neurologiques. Sans cesser pour autant de jouer, surtout du jazz, en compagnie de virtuoses célèbres dans le monde entier. Il avait un problème de réglage avec le micro sans fil de son instrument et n’hésita pas à appeler – un samedi après-midi – la boutique genevoise qui le lui avait vendu à un prix justifiant le service après-vente. Une figure, dans son genre.

Fallait aussi que je répète. Jérôme, excellent guitariste, devait m’accompagner pendant ma prestation, mais dans ce genre de réunions de musicos, tu sais jamais d’avance avec qui tu vas jouer. On bossait depuis cinq minutes à peine que Maxime est venu nous rejoindre. Un pro aussi, celui-là, prof de guitare, requin de studio, arrangeur, et soliste de jazz par-dessus le marché. En deux temps trois mouvements, il avait noté sur un méchant bout de papier la structure et les accords de mes trois chansons, et dix minutes plus tard, il était capable de me sortir des arrangements et des solos d’enfer. Pendant que nous jouions, d’autres étaient venus se joindre à nous, et en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, j’avais aussi le soutien d’un batteur, d’un bassiste, d’un clavier et de plusieurs choristes. Bien sûr, je les connaissais et certains étaient même de vieux complices de bœuf, mais c’était la première fois qu’on jouait tous ensemble. Comme tous les participants de cette commémoration, nous avions en commun, outre la musique, notre amitié avec Wahdee. Ca nous suffisait pour faire des étincelles. Enfin je l’espérais, parce qu’avec l’intéressé qui nous matait d’en haut, y avait intérêt à se gaffer des fausses notes ! Il était homme à débarouler dare-dare de son nuage pour venir nous rappeler les bonnes manières. A coups de casse-tête Lakota, si nécessaire. Il faisait pas dans la dentelle, quand il prenait le sentier de la réprimande.

Et voilà que ça démarre. Je passe en sixième position, presque juste avant la mi-temps. Un bon timing : la salle est déjà bien chauffée, mais pas encore fatiguée ni trop beurrée. Ca, ce sera pour après la mi-temps ; la troisième, surtout. En amuse-bouche, la petite Nina fait fondre d’attendrissement tout le public en interprétant avec beaucoup de gravité et d’attention une sonatine de Mozart. Sur un piano si vaste qu’on aurait dit qu’il allait l’engloutir. Jérôme et son frangin font passer un souffle de cordillère et de flûte de pan. Musica latina, ay ay ! Anton déroule les volutes de la sarabande de Bach, elles s’élèvent vers les cimaises avec majesté ; peut-être jusqu’au nuage sur lequel plane notre pote. « Je m’étais juré d’arriver à lui faire aimer le classique » explique-t-il « J’ai pas eu le temps. Mais au moins cette fois-ci, il sera bien obligé de m’écouter jusqu’au bout » Toujours ce besoin qu’ont les savants de faire des phrases. Mais y a du vrai là-dedans. Pascal, auteur compositeur interprète ayant eu son heure de gloire, a choisi le Redemption Song de Bob Marley, qu’il interprète seul à la guitare. Un bel exploit, d’autant plus méritoire que Wahdee et lui n’ont pas toujours été dans les meilleurs termes. Cécile prend le relais de sa fille et le piano semble moins menaçant, on sent la maîtrise, qu’elle l’a dompté depuis longtemps, cet animal-là. Il répond au doigt et à l’œil, l’air s’irise des arpèges de Brahms, un peu d’oxygène dans un monde de brutes. Cécile a toujours été romantique. Et avait beaucoup aimé Wahdee aussi.

Trois quatre, on y va. Maxime envoie le riff d’intro qu’il m’a concocté. Batteur et bassiste m’emboîtent le tempo, Jérôme me soutient à la rythmique, Gégé égrène sa ligne de piano, ça y est nous voilà sur les Plaines Eternelles où Wahdee chevauche en compagnie des mânes de Crazy Horse, Sitting Bull et Red Cloud. Avant de me lancer, j’y suis allé aussi de mon petit speech. Moi aussi j’aime bien faire des phrases. La première fois que j’avais rencontré Wahdee, nous avions – entre autres – joué de la Country. La dernière fois, au foyer de ce même théâtre, c’était encore sur de la country que nous nous étions faits nos vrais adieux, même si je ne le savais pas encore, alors les autres, vous faites comme vous sentez, mais moi je garde le Stetson et les bottes texanes, et en avant pour la cambrousse US. J’attaque par une chanson que j’ai écrite pour la circonstance. En Anglais, of course, la Country en français, ça te prend facilement des allures de refrains de comice agricole. J’y avais fourré les Plaines Eternelles, naturellement, mais aussi les routes caillouteuses où nous avions trébuché de concert, les braves et les sorciers, son âme rebelle et par-dessus tout son rire, son rire qui retentit dans ma tête, mon cœur et toute ma tripaille à mesure que le band s’enflamme derrière moi. La mayonnaise a l’air de prendre : le public chaloupe et dodeline de la tignasse en cadence. Pour la faire monter encore, j’attaque Cajun Moon, une polka tout droit surgie des bayous de la Louisiane profonde, avec ses lunes de porcelaine sur un ciel de goudron, ses alligators vautrés dans l’eau verdâtre, ses festins de riz créole aux gombos et aux filets de poisson-chat et naturellement ses bonbonnes de bourbon de contrebande. Ca va, ils prennent, ils sont bon public et puis ils savent que Wahdee raffolait de tout ça, à commencer par le bourbon, de contrebande ou pas. Ca tape dans les mains tant que ça peut, et commencent à retentir les Yeeehaaa sans lesquels un show country ressemble à un congrès de technocrates. Pour finir, j’ai choisi la chanson que nous avions sans doute le plus souvent entonnée ensemble, I saw the light, du regretté Hank Williams, astre éphémère de la Country fauché en pleine gloire par l’abus d’excès, comme beaucoup d’autres par la suite, comme chacun sait, qui confiait à sa copine la belle Maybelle Carter, que la Lumière dont il parlait, lui ne l’avait jamais vue et ne la verrait jamais, même s’il la chantait à vous en faire passer des frissons dans les abattis. Et en tous cas, ceux qui nous écoutent la voient certainement, eux, à en juger par leurs yeux scintillant comme tous les joyaux de toutes les couronnes de toutes les putains de monarchie, et ceux de Drifa sa squaw plus que tous les autres, si souvent elle nous avait écouté la pousser ensemble. Et là, mes frères, je le jure, je l’entends, Wahdee, entré par effraction dans le band, il chante avec nous, en tous cas dans ma tête il chante si fort et si juste que je n’entends plus ma propre voix, ma propre guitare et même les applaudissements qui saluent la fin de notre show.

Je quitte la scène sur un tapis volant pour retourner dans le public – ça n’est pas tous les jours qu’on a le privilège de chanter avec les esprits et danser avec les aigles – tandis que s’élèvent les harmonies bouleversantes des voix entrelacées de Nelly et Phiphi, les deux maîtres de la dérision rock, mais qui cette fois ont laissé toute dérision au vestiaire pour offrir à leur pote l’hommage d’un véritable chant grégorien moderne, Deus qui en langue Lakota se dit, bien sûr, Wakan Tanka. Le public, bouche close d’admiration et d’émotion, retient ses applaudissements. Minute de silence improvisée pour notre bro Wahdee. Mais comme le silence, c’était pas trop sa tasse de thé – le thé non plus, d’ailleurs – Phiphi, homme de spectacle chevronné, déclenche lui-même le crépitement des paumes. Tous à la buvette, nom de Dieu !

Trois quatre godets plus tard – quant on aime point on ne compte – on reprend les mêmes et on remet ça. Michel, barde celtique à l’authenticité confirmée par sa barbe de druide, ouvre le feu d’un bel hommage. Il a choisi d’honorer notre pote en reprenant l’une de ses chansons. Un aréopage de pointures le soutient, dont le bassiste du fameux groupe Gong, idole des babas cool des seventies. Baba cool peut-être, mais pas manchot, le lascar, même après plus de trente ans de galères musicales. Il lance la mécanique avec autant d’entrain que s’il avait toujours vingt ans et se produisait devant un parterre de chevelus au dessus duquel stagne un épais brouillard de fumée exotique. Aujourd’hui on ne fume plus dans les salles de spectacle, et de l’exotique encore moins, la plupart des spectateurs ont depuis belle lurette raccourci leurs tignasses et jeté leurs tuniques brodées et leurs shiloms aux poubelles de l’Histoire du rock, mais je pense que les hippies de ce temps-là n’auraient pas fait le même sort à cette simple ballade qui chante la liberté l’amour et la vie. Et rien de tel qu’un barde celtique à la face burinée d’embruns pour faire passer sur nous un souffle d’air frais. On croirait entendre piailler les mouettes et mugir la corne de brume. Ca n’est pas que Wahdee eût le pied marin ni qu’il appréciât tant que ça le folklore armoricain, mais il avait accompagné sur scène Michel et son groupe à plusieurs reprises dans les derniers temps, apportant à leur musique quelque peu rustique un grain de folie électrique.

Pour suivre, voici venir les vétérans. Gégé et Jeanphi, respectivement clavier et bassiste de Série Limitée, groupe qu’il avait mené durant la plus grande partie des années 80 sur les routes, sinon de la célébrité, tout au moins de la popularité, particulièrement durant les torrides saisons estivales de Saint-Trop, où ils se produisaient sur les plages huppées, dans les cafés branchés et parfois dans les fêtes privées que de riches célébrités locales offraient à un parterre trié sur le volet dans de somptueuses résidences discrètement dissimulées derrière un rideau de pins parasols ou de hauts murs festonnés de tessons de bouteille, quand ce n’étaient pas les deux. Sans parler de rébarbatifs vigiles prolongés de molosses avides de chair fraîche. Son plus grand titre de gloire fut d’avoir, au cours d’une de ces soirées, été rejoint sur scène par l’Idole des Jeunes soi-même en personne, lequel Johnny, ah que séduit par la qualité et le dynamisme de leur prestation, avait fait l’honneur de venir pousser deux trois goualantes en compagnie de ces petits jeunes qui ne manquaient ni de talent ni d’énergie. Il conserva jusqu’à la fin au-dessus de son lit, dûment encadré, le cliché en noir et blanc immortalisant l’historique événement sur lequel on le voyait, scintillant de sueur, postillonner de concert avec Halliday dans le micro. Rock’n roll, bro !

Rock’n roll, justement, en veux-tu en voilà ! Après les vestiges de Série Limitée, c’est Bob et son band qui bondissent sur les planches. Ca ne loupe pas, faut aussi que le chanteur y aille de son speech. Je ne sais pas s’il aimait la country, notre Wahdee, mais moi je sais qu’il crachait pas sur le rock’n roll. Et comment donc : il avait été plongé dans la marmite dès le biberon, avec sa maman Monique qui collectionnait les 45 tours depuis la fin des années 50. Autant dire qu’il était né avec une strato dans le cul ! Alors vas-y que je te balance tous les standards d’Elvis, de Chuck, de Buddy et consorts, pompes en daim bleu incluses. Be bop a lula et tutti frutti à tous les étages, ne manque même pas au petit Bob la banane gominée qui ondule en cadence avec le battement de ses godasses effilées comme des museaux de squale. En daim bleu, of course. Sûr qu’il appréciait, le rockabilly, notre bro, et qu’il connaissait l’art et la manière de tricoter le riff d’intro de Johnny be good ou la rythmique d’enfer de Summertimes blues, et on les avait assez joué ensemble pour que je ne risque pas de l’oublier.

Après que Bob et ses rocky boys aient quitté la scène, non sans avoir à leur tour reçu leur lot de vivats et de claquements de mains, on s’achemine doucement vers le finale. Retour sur scène de l’incontournable Gégé, à la guitare cette fois-ci, flanqué de ses comparses du Dufour’s Band, groupe de rencontre dont Wahdee était une fois de plus le moteur – à explosions cela va sans dire – dans lequel officie l’ami Laurent au saxo, dans la cave duquel se déroulent la plupart des répétitions. Je ne faisais pas réellement partie de cette formation, habitant déjà dans les brumes de l’Est au moment où elle fut créée, mais je n’en avais pas moins souvent joué en leur compagnie. Et d’ailleurs, après quelques vigoureuses interprétations de classiques de la pop, Gégé me hèle dans le micro, viens donc nous rejoindre, flemmard, au lieu de rester sur ton cul à bêtement taper dans tes mains pendant que tes potes transpirent sur les planches, et si t’as besoin d’une guitare électrique, t’as qu’à te servir, c’est pas les pelles qui manquent, tu penses, avec tous les gratteux qui se sont produits ce soir, alors j’y vais, et je les rejoins au moment où ils attaquent I shot the sheriff de ce bon vieux Marley et on enchaîne sur une version de Honky tonk woman à décoller le cul d’un conclave de missionnaires de l’Armée du Salut, ça devient le bordel, tout ce que l’assistance compte de musiqueux ou de brailleurs vient se mêler à nous pour y fourrer son grain de sel, et nul doute que là-haut, Wahdee au milieu de ses potes les aigles doit partir d’un rire homérique et virer de bord pour planer au dessus du joyeux souk planté pour honorer sa mémoire de guerrier du rock.

Et puis…et puis je me dis que moi je ne l’ai jamais appelé Wahdee de sa vie, et que Wakan Tanka me pardonne, mais l’idôlatrie c’est bon pour les esprits faibles ou les ramollos du caleçon et moi qui ne l’ai jamais appelé autrement, je lui hurle salut Thierry dans un dernier accord rageur qui fait crépiter l’ampli comme au bon vieux temps. Salut, Thierry, et à la prochaine !

Gobu
Gobu
Gobu

Nombre de messages : 2400
Age : 69
Date d'inscription : 18/06/2007

Revenir en haut Aller en bas

Comme le battement d'aile d'un aigle (2) Empty Re: Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

Message  Invité Dim 1 Aoû 2010 - 14:17

Une soirée bien sympa, vive, alerte... bien gentillette, toutefois, percluse de révérence, ce qui est un peu dommage vu le sujet. De la tendresse, sans doute, mais un peu trop confite dans le respect à mon goût. Trop de "ça", je trouve, je les ai remarqués surtout quand ils se changent incongrûment en "Ca".

Mes remarques :
« quand même, au final (et non « finale ») »
« Ceux qu’on a aimés ne meurent pas »
« Mais personne, Dieu…pardon encore, Wakan Tanka m’est témoin » (manque l’espace après les points de suspension)
« Ça tombait bien, les miens me démangeaient »
« Ç’allait sentir la poudre et le cuir brut »
« Ça tombait bien : on y était, à l’Ouest »
« prêts à distribuer à dix-huit heures pétantes »
« Bon Dieu, euh…Wakan Tanka…qu’est-ce qu’on aimait ça » (les espaces après les points de suspension)
« Ça nous suffisait pour faire des étincelles »
« Ça, ce sera pour après la mi-temps »
« il sera bien obligé de m’écouter jusqu’au bout » Toujours ce besoin » : manque la ponctuation en fin de phrase
« Ça va, ils prennent »
« Ça tape dans les mains tant que ça peut »
« si souvent elle nous avait écoutés la pousser ensemble »
« un parterre de chevelus au dessus duquel » : un peu plus haut, vous avez écrit « au-dessus » ; je pense qu’une homogénéité de graphie serait préférable
« Ça n’est pas que Wahdee eût le pied marin »
« Ça ne loupe pas, faut aussi que le chanteur »
« on les avait assez joués ensemble »
« Après que Bob et ses rocky boys eurent (« après que » est suivi de l’indicatif, non du subjonctif) quitté la scène »
« Et puis…et puis je me dis que moi je ne l’ai jamais appelé Wahdee » (l’espace après les points de suspension)[/b]

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Comme le battement d'aile d'un aigle (2) Empty Re: Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

Message  Invité Dim 1 Aoû 2010 - 15:35

Un bel hommage touchant, empreint de sincérité. J'ai admiré la richesse avec laquelle tu varies l'approche des différentes musiques.
Mais malgré tout ton talent, Gobu, la description in extenso de cette cérémonie commémorative risque de laisser sur la touche ceux qui n'ont pas fait partie du cénacle...

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Comme le battement d'aile d'un aigle (2) Empty Re: Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

Message  silene82 Mar 3 Aoû 2010 - 9:14

Je suis toujours sidéré de l'éléphantisme de ta mémoire : dans un souci de préparer et réussir un Alzheimer convaincant, et qui donne à mes petits enfants d'inextinguibles crises de fou-rire, quoique ayant vécu des scènes comparables, je serais bien incapable de les restituer avec cette précision quasi vidéastique. On ne se refait pas : l'abondance extrême de ton matériau, qui jaillit avec une évidence de geyser de tous tes textes, se manifeste là aussi, sur un écrit qui te révèle autrement, et dans lequel tu choisis de tomber sinon la chemise, du moins la toge et le mortier du maître en écriture, pour révèler quelque chose de l'intime, du coeur, de l'amour, de la fusion philosophale qu'un égregore tel que celui que tu décris peut susciter.
Fallait-il qu'il soit aimé, le bougre, pour qu'une pareille célébration ait lieu !
Alors bien sûr, si l'on n'est pas du cénacle, ça passe un peu à côté ; et même si l'on y a été, on peut s'en être éloigné, jusqu'à connaître ce dont tu parles,
sans plus vibrer comme à vingt ans. Texte pour gens de la maison, évidemment, comme Bireli Lagrene qui rédigerait -en supposant qu'il le puisse - le compte rendu d'un hommage à Stochelo Rosenberg disparu.
L'émotion est palpable, et tu la transmets, avec sobriété et pudeur, toi le flamboyant. Il est possible que la multiplicité des références effraye certains ; mais ils ont la ressource d'aller sur youtube voir à quoi ressemble ce que tu évoques.
Si les oraisons funèbres avaient toutes cette gueule, il y aurait plus de monde, comme à l'enterrement de Cornelius.
silene82
silene82

Nombre de messages : 3553
Age : 66
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009

Revenir en haut Aller en bas

Comme le battement d'aile d'un aigle (2) Empty Re: Comme le battement d'aile d'un aigle (2)

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum