L'entracte

[redstar]

« J'ai pas trouvé de bière, alors j'ai pris de la limonade.
— Mon œil, ouais. T'as fais ça pour payer moins cher.
— Non.
Ronald pose les deux gobelets pétillants sur l'accoudoir bleu et balaye la salle du regard, les mains sur les hanches. Quelques personnes sont enfoncées dans leur sièges et perdues dans leur silence, attendant la fin de l'entracte, et qu'enfin le film reprenne. Une chanson tourne en fond en grésillant dans les hauts-parleurs.
— C'est sympa, ça, fait-il finalement. Qu'est-ce que c'est ?
— « Paralyzed », répond Alexandre en regardant la fumée de sa cigarette monter dans l'air, c'est de Elvis Presley.
Alexandre, les jambes étendues sur le siège qui lui fait face, ponctue ses phrases de ronds de fumée qu'il contemple d'un air rêveur.
— J'ai pensé à un truc, continue t-il en tirant sur sa cigarette et en se relevant légèrement.
— Je t'écoute.
— D'abord, pourquoi il y a une entracte au cinéma?
Ronald hausse les épaules.
— Pour changer les bandes dans les projos, les nettoyer, pour que les projectionnistes aillent s'en griller une, qu'est-ce que j'en sais, moi.
En pensant à cette dernière hypothèse, Alexandre sourit et saisit sa limonade de sa main inoccupée, puis y trempe ses lèvres.
— A quoi t'as pensé ? S'empresse Ronald en se laissant finalement tomber dans son siège, soulevant le gobelet de limonade et étendant son contenu sur le sol collant.
— Gros boulet, grince Alexandre avec un léger regard à la limonade encore pétillante s'écoulant par terre.
— Répond.
— Bah, je m'étais dit qu'ils auraient pu prévoir un truc pour parer à ça, genre un autre projo pour enchaîner direct, même si ça coûte cher, tu vois, mais si les mecs vont s'en griller une cinq minutes, alors c'est cool.
— On s'en fout carrément. C'est si chiant que ça l'entracte ?
— C'est pas une histoire que ce soit chiant, mec. C'est d'un point de vue technologique ou je sais pas quoi. On perd du temps qui pourrait servir, tu comprends ?
— Ce que j'comprends, c'est que t'es chiant pour rien. Tu t'ennuies pas tant que ça, y'a même de la musique, heu, John Denver j'crois.
Alexandre tire une longue bouffée de sa cigarette et la souffle vers le haut avant de finalement répondre:
— Déjà, c'est Johnny Cash, et pis je t'ai dis qu'on s'en fout de s'ennuyer ou pas. C'est pas ça le problème.
— C'est quoi alors? T'as mieux à faire en ce moment?
— En ce moment, non, mais je te parle du temps cumulé, mec, on perd cinq minutes en sortant du cinéma.
— Et là on perd cinq minutes à dire des conneries.
— C'est toi qui comprends rien.
— T'as qu'à pas la ramener avec tes vieilles théories.
— C'est une histoire de logique, merde, mais si tu comprends pas, j'insiste pas.
— Tu sais quoi, …
Ronald est coupé dans sa réplique comme les lumières s'éteignent, et la toile se colore à nouveau, la musique se tait, le film reprend.
Alexandre écrase son mégot fumant sur le siège dont le tissu se teinte de couleurs braisées pendant quelques secondes, avant de s'éteindre. Il tend sa limonade à Ronald qui accepte volontiers de la finir et s'enfonce encore plus profondément dans son siège pour regarder la suite – et fin - du film.
Les secondes passent, puis les minutes, et Alexandre se ronge les ongles en regardant le plafond et en écoutant le dialogue plat des acteurs, jouant avec autant de passion qu'un cafetier passe la serpillière dans son café en fin de journée, et s'ennuie, jusqu'à ce que Ronald lui parle, le faisant sursauter:
— Si j'ai bien compris, dit-il, ta théorie dit aussi qu'en regardant ce navet, on perd quelques heures de notre vie.
— C'est ça, répond Alexandre, n'y ayant même pas pensé.
Les deux amis se lèvent, remontent la salle et poussent les larges portes précédées de l'enseigne lumineuse « sortie ».

[Invité]

Un dialogue assez naturel, je trouve, mais, et alors ? La "tranche de vie" ne me passionne pas...

Mes remarques :
« T'as fait ça pour payer moins cher »
« Réponds »
« y a (et non « y’a ») même de la musique »
« avant de finalement répondre: »
« le faisant sursauter: » : les conventions typographiques françaises veulent une espace avant les deux points
la suite – et fin - du film : pour refermer l’incise, il faut prévoir le même caractère qu’à l’ouvetrure, –

[redstar]

J'ai simplement eu envie de raconter cela, l'impression tout à fait banale qu'on éprouve coincé dans un cinéma depuis deux heures devant "2012". Une simple conclusion, une idée qui n'a pas de but.
Merci toutefois, comme toujours, de votre lecture, socque.

L

[elea]

Moi j’aime bien les tranches de vie, celle-ci m’a bien plu et a dû m’embarquer si j’en juge par l’agacement que j’ai éprouvé à lire la limonade déversée par terre et le mégot écrasé sur le fauteuil ! :-)

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