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Achille Bobo

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 Achille Bobo Empty Achille Bobo

Message  phlip Sam 18 Sep 2010 - 17:01

Premier épisode des mésaventures d'Achille Bobo.



MONSIEUR BOBO ET LES MOUCHES


Ce matin-là, dès son réveil, il l’entendit. Pas très proche, non, elle devait plutôt évoluer au niveau du plafond. Agrandissant ses yeux encore embrumés, Achille Bobo la vit sur l’étagère. Il venait de réaliser qu’il était toujours au cœur de l’enfer.

Ingrid, sa fille et lui étaient venus passer quelques jours en Espagne dans une baraque, bon sang, comme il en rêvait. On aurait dit un ranch mexicain, avec son jardin intérieur, son patio, une grande pièce centrale d’où l’on pouvait atteindre les autres espaces de la maison et qui s’allongeait en hauteur vers des mezzanines que le blanc sur blanc cachait au premier abord. Là on trouvait, éparses, des chambres, des salles de bains, des toilettes, des placards, des pièces cachées par d’autres dont on ne savait pas à quoi elles servaient. Autour de la maison, dont les dépendances auraient pu abriter un asile, une cour toute de graviers gris, parsemée de palmiers, fumait sous le soleil. On s’attendait à chaque instant à voir les rancheros débouler sur leurs fougueuses montures en agitant leur fusil. Certes, la piscine dépareillait un peu ce paysage de western mais elle était la bienvenue dans ce pays sec.

La mouche, enfin se décida à bouger et descendit vers le drap qui le recouvrait. Sans doute attirée par l’odeur des orteils qui dépassaient, elle s’y dirigea. Achille Bobo se redressa doucement, mais ses muscles n’étaient pas encore assez chauds, il tressauta. La mouche repartit vers des hauteurs confortables.

C’était la maison de son beau frère, enfin d’un de ses beaux frères, il en comptait quatre et donc autant de belles sœurs, ce qui donnait tout de suite la coloration religieuse de sa belle famille ; de son côté, néant. Hubert était le seul avec lequel il eut quelque accointance, le marginal de la famille en somme qui avait clairement rompu les sacro-saintes institutions de la smala d’Ingrid pour se marier à une belle espagnole, riche héritière d’un agrumier boursicoteur. Tous deux avaient pris la relève des plantations, sous la houlette du père, ce qui n’avait pas été difficile et leur laissait le temps pour s’adonner à des activités artistiques ou culturelles parfois saisissantes. Bref, c’étaient des marginaux intellectuels qui n’avaient à se préoccuper pas plus du lendemain que de la veille.
Achille les aimait pour ça, leur côté nature, accueillant, sans problème.

Ces vacances auraient dû être un rêve, le jus d’orange sur place, la plage à l’horizon, la piscine pour se rafraîchir en soirée après s’être goinfré de tapas, sardines grillées et autres secrets de la maîtresse de maison, excellente cuisinière, les parties de tarot dans le patio, avec force bon vin et pétard, peut-être même un peu de coke pour passer une nuit comme les espagnols en ont le secret, un bon lit dans une pièce fraîche et, qui sait, un câlin avec sa femme ! Il faut bien rêver.

La mouche redescendit sur le drap. Elle alla de droite et de gauche sous le regard d’Achille Bobo, qui, encore allongé, attendait le bon moment dans une immobilité qui tenait lieu de la performance. Quand elle atteignit ses jambes il put se relever sans à-coup. Le déplacement de l’air la fit exécuter une volte gracieuse mais elle se reposa quelques centimètres plus loin à proximité de son pied.

Il trouva tout comme il l’avait imaginé, si ce n’est la mer. Le sable tenait plutôt de la vase et une écume jaunâtre qu’entassaient les vaguelettes incessantes au bout de leur course bordait toute la plage. Achille chercha des yeux le tuyau des égouts, voire la station d’épuration qui devait forcément être à proximité, mais, ne l’ayant pas trouvé, ne put empêcher sa fille de se baigner. L’odeur même de la mer ne lui semblait pas naturelle.
Il refusa de regarder les enfants patauger dans cette merditerranée et alla faire les cent pas le long du dépotoir. Car c’en était un. Autour des poubelles débordant des déchets de la société de surconsommation s’entassaient d’autres déchets, des sacs éventrés par des chiens avides de nourriture, des canettes qui attiraient des guêpes gourmandes. L’Espagnol n’avait donc aucun sens écologique !
Il faut dire qu’Achille était un peu xénophobe. Tant que l’Espagne ressemblait à la France, tout allait bien, mais dès que quelque chose n’était pas comme il l’attendait, il ne manquait pas une remarque désobligeante.
Au retour de la plage, la signalisation routière lui montra clairement la supériorité du Franc sur l’Ibère. Mais c’était les vacances et il ne se laissa pas démonter pour si peu.

La deuxième désillusion fut à propos du jus d’orange. En plein août, ce n’était certainement pas la saison, et il n’allait pas pouvoir goûter au suc divin issu de la sueur de son beau-frère. D’autant plus que la population d’arbres vieillissante avait été récemment renouvelée comme le lui montra ce dernier en lui faisant visiter ses plantations dès le premier jour. Effectivement les orangers étaient tout jeunes pour la plupart mais ce qui impressionna Achille ce fut le tas, quasiment une petite dune, de fumier qui grimpait le long des troncs de ces arbrisseaux. L’odeur était chaude et tenace, on ne pouvait y échapper, mais c’était l’odeur de la nature. Elle ne le gêna pas plus qu’elle n’avait l’air de gêner son beau-frère.
Quand même, il tenta un calcul mental rapide sur le nombre d’orangers qu’il pouvait y avoir là, avant de demander combien de kilos de fumier étaient entreposés au pied de chaque arbre. Son beau-frère n’avait pas la réponse exacte, il ne s’occupait que de loin de ses plantations, mais des camions étaient venus pendant plus de deux semaines, tous les matins à l’aube déverser leurs excréments au pied des jeunes pousses. Et pas seulement un camion, des dizaines, il n’avait même pas pu les compter. Muni de toutes ces approximations, Achille effectua un calcul minimal sur la quantité de fumier exposée là, mais les totaux qu’il obtint dépassèrent son entendement. Il s’avoua qu’il s’était trompé et passa à autre chose.
Le temps était radieux, c’était les vacances ; l’apéro, la piscine et un bon pétard l’attendaient. Il raconta une histoire drôle et ils partirent vers l’hacienda.

La mouche était sur le pied d’Achille Bobo, il ne fallait pas attendre trop longtemps. Sur les orteils, la surface plane était trop ténue et le coup aléatoire. Il approcha sa main vers la mouche, bien au-dessus d’elle, puis descendit à distance raisonnable, lentement, très lentement. Si c’était possible, le coup devait venir dans le sens contraire de l’envol de la mouche, le déplacement d’air consécutif au geste de la main venant ralentir son départ, mais si la distance était assez courte, ce paramètre avait moins d’importance.

La soirée fut quasiment parfaite.
Les enfants jouèrent ensemble sans qu’on ait à s’en occuper, ils s’endormirent devant une cassette et l’on put passer la soirée à deviser. Certes ils n’avaient plus l’âge de refaire le monde et ils passaient maintenant plus de temps à médire des hommes politiques, des affairistes et de tous ces types qui ne pensent qu’à eux et à s’apitoyer sur le monde qui va à vau l’eau. Mais quand même, dans tout un galimatias parfois embrumé et pâteux ressortait parfois une idée généreuse, avant-gardiste ou sulfureuse qui verrait peut-être le jour avant que la nuit ne leur tombe dessus. Ces soirées étaient assez rares pour qu’il en goûtât profondément tous les plaisirs. Son beau-frère, bien défoncé, en venait même aux accolades, bourrades et autres marques d’affection physique envers Achille dont il était friand. Hubert, pas Achille qui détestait en règle générale toutes les démonstrations affectives venant d’autres adultes que de sa femme ou de sa mère. Il les toléra et même les rendit à son beau beauf, c’est dire s’il était détendu. Et tout cela sur un fond de Count Basie qui accompagna leurs rires, leurs silences et leurs sommeils.

Celui d’Achille fut un délice cette nuit-là. Personne n’est dans la tête d’un autre pour savoir ce qu’il s’y trouve, mais son sourire enfantin et le filet de bave au coin de ses lèvres indiquaient assez bien la quiétude qui l’avait envahi.

Sa main était à la distance parfaite mais la mouche avait progressé jusqu’à l’orteil, ce qui rendait l’opération plus difficile. Tant pis. La voilà qui s’arrêtait sentant peut-être la menace, il se figea, le moment approchait, à l’instant précis où, s’il était assez patient et immobile, rassurée, la mouche reprendrait sa déambulation nerveuse sur le pied d’Achille Bobo. Il fallait frapper à ce moment-là.

A son réveil, à travers le velux, il vit un ciel prometteur où ne perçaient que quelques nuages qui s’éparpillaient. Il embrassa sa femme, elle fit une moue qu’il jugea de contentement, il s’enhardit alors à lui faire quelques câlins, plutôt énergiques, dans le dos et, dès qu’il sentit pointer une once d’excitation en lui, il lui refit un bisou et se leva, souhaitant qu’elle le retint. Mais elle jouissait de son sommeil. Il la regarda quelques minutes, contemplant ses courbes légères sous le drap puis, se satisfaisant de ce plaisir visuel, s’étira. Bon sang que ça faisait du bien. Il ne savait pas l’heure ni rien, mais la journée promettait d’être belle et bonne.
En silence il franchit la porte et descendit vers le salon. En bas la voix espagnole, enjouée, de sa belle-sœur, sans doute en train de petit-déjeuner. Il entendit une espèce de bourdonnement qu’il mit sur le compte de la machine à moudre le café. Il ne remarqua rien en passant devant les baies du salon, pourtant d’une dimension spectaculaire, pour atteindre la cuisine. Le bourdonnement se précisait, la machine était en train de rendre l’âme sourit-il en pénétrant dans la cuisine face à la fenêtre heureusement fermée qui donnait accès à la terrasse.

Clac.
Il s’écoula moins d’une demi-seconde entre le moment où la mouche bougea et le moment où partit le geste d’Achille Bobo. La mouche fut écrasée sur son orteil.
Le mauvais.
Il n’y avait pas pensé. Il étouffa un hurlement en maudissant ses ongles incarnés, balança sa victime d’une pichenette hors de sa vue et s’enfouit sous le drap en se berçant nerveusement pour supporter la douleur.

Des mouches, par centaines, milliers, centaines de millions. Elles étaient là, tournoyant dans un vrombissement strident. C’était comme l’écran de télé après les programmes. On ne voyait plus qu’un informe brouhaha de gris, noir et blanc s’agitant sans cesse en tous sens. Achille restait comme paralysé.
- Qu’est-ce… ?
Il ne put finir sa phrase, il avait vu les mouches tournoyer dans la cuisine, bien sûr elles n’étaient qu’une vingtaine, mais ça prouvait qu’elles pouvaient entrer.
- J’imagine que c’est à cause du fumier, dit son beau-frère.
La vue d’Achille se brouilla complètement puis il vit les orangers dont il avait approximé le nombre, les tas de fumiers qu’il avait virtuellement pesés, les dizaines de camions qui avait déposé ces engrais bien naturels et son beau-frère qui lui avait parlé de plus de deux semaines ! Personne n’aurait pu compter le nombre de mouches qui allaient sortir de ces tas de merde.
Prenant sur lui de ne pas céder à la panique, il arriva à faire calmement demi-tour, remonta dans la chambre et dit à Ingrid : « Fais tes valises, il faut évacuer d’urgence ». Devant cette singulière façon de la réveiller, dont elle avait déjà une certaine habitude, Ingrid résolut d’aller voir ce qui se passait plutôt que d’avoir une quelconque explication avec son mari qui disparut complètement sous les draps.

La douleur finit par diminuer et Achille Bobo put sortir de sous son drap afin de vérifier qu’aucun autre diptère ne put l’agresser. Ingrid entra dans la chambre.
- - Tu ne descends pas ?
- - Pourquoi, elles sont parties ?
- - Non mais ça fait deux jours que tu te terres dans cette chambre.
- - Et alors, je ne suis pas venu passer mes vacances dans une colonie de mouches.
- - Il n’y en a pas tant que ça.
- - Tu rigoles, c’est le congrès international des mouches unies.
- - Dans la maison, je veux dire.
- - Il y en a.
- - C’est supportable.
- - Pas pour moi.
- - Hubert a acheté un produit…
- - C’est une citerne d’insecticide qu’il faut. Comme ça, on mourra asphyxié.
- - Arrête, c’est une espèce de peinture révulsive.
- - Attends donc qu’elle révulse.
- - Sale caractère.

La porte claqua. Enfermé depuis plus de trente six heures, Achille Bobo sentit bien que la situation ne pouvait plus durer, alors il se leva, s’habilla et sortit de sa chambre pour affronter le cauchemar hitchcockien.
Quelques mouches voletaient au salon, mais rien d’inquiétant, même pour lui. Dans la cuisine, sans doute attirées par les arômes, elles étaient plus nombreuses. Des soucoupes sur la table étaient remplies de ces insectes qui y restaient collés et s’évanouissaient après de vrombissantes mais dérisoires tentatives pour s’échapper d’un piège gluant. Dehors c’était terrible, rien n’avait changé depuis l’avant-veille. Un essaim noir hétérogène dont on ne voyait pas les contours troublait la vision et donnait des vertiges à Achille. Aguila, sa belle sœur, lui proposa de déjeuner, mais il se voyait mal manger ses tartines en manquant à chaque instant d’engloutir un de ces répugnants insectes. L’un d’eux justement vint se poser sur sa main. Instantanément il frappa, Aguila sursauta et manqua renverser le plateau qu’elle proposait à son beau-frère, la mouche tomba, broyée, sur le carrelage. Achille dit :
- Je petit-déjeunerai dans le salon.

Là, les stupides diptères tournoyaient, comme leur programmation semblait leur imposer, aux deux tiers d’un plafond cathédrale c’est-à-dire à une distance raisonnable du repas d’Achille. On vint l’y rejoindre et on essaya tant bien que mal de lancer quelque sujet de conversation, mais le regard d’Achille Bobo était inexorablement attiré par la nuée extérieure qui semblait ne jamais devoir s’arrêter et il n’écoutait que d’une oreille distraite les beaux propos de sa belle famille.
- Ça n’a pas l’air très efficace ta peinture, lança-t-il d’un coup.
- Il faut déjà que je la mette.
- Ah, et tu vas faire ça cette nuit ?
- Non maintenant.
- Comment ! Tu vas sortir pour étaler ta peinture dans ce…
- Ce ne sont que des mouches.
- Mais tu ne sais donc pas d’où elles sortent ? Les maladies qu’elles transportent, les bactéries les plus dégueulasses.
- Ça va.
- Tu ne sais pas ce que c’est, toi.
- Elles ne vont pas me bouffer tout de même. Tu n’as qu’à venir avec moi pour me protéger. J’ai vu que tu étais particulièrement fort pour les claquer.
Achille venait justement de « claquer » une imprudente qui s’était aventurée près des reliefs du petit déjeuner.
- Fous-toi de moi, tu rigoleras moins quand t’en auras une coincée en travers de la gorge.
- T’inquiète pas je vais fermer la bouche.
- Et ton nez aussi ? Tu vas respirer par le cul ?
Aguila éclata de son petit rire qui détendait l’atmosphère la plus lourde. Achille rit aussi et Hubert surenchérit.
- J’ai jamais essayé, mais j’y penserai. En attendant il n’y a aucune raison qu’elles veuillent me fouiller les sinus.
- Tu n’as pas un masque, tout simplement ?
- Bonne idée.
- C’est plus prudent, acquiesça Ingrid.

On trouva un pinceau, on secoua le bidon de peinture. Hubert, avec le masque, joua un instant au cosmonaute puis vint le moment où il fallut ouvrir la fenêtre pour qu’il sorte. Achille n’y avait pas songé. Le rail coulissait déjà, laissant entrer un air chaud et des centaines de mouches, Hubert était dehors repérant les endroits stratégiques pour y mettre sa peinture, et Aguila avait refermé la baie vitrée. Ni elle, ni Ingrid, ni personne n’avait eu de regard pour lui, Achille Bobo. La bouche fermée, d’une main il se tenait le nez et, de l’autre, il tentait de chasser la moindre drosophile qui eut tenté de l’approcher.
Des centaines de mouches encerclaient Monsieur Bobo et personne ne s’en apercevait. Un bon nombre se posa sur la table. Saisissant sa serviette, il en envoya un grand coup. Il en tua quelques unes et en estourbit quelques autres qu’il acheva sur le carrelage. Devant le succès de son opération, il recommença un peu plus loin. Appuyant un peu plus son geste, il ne manqua pas de renverser bols et assiettes dont le fracas fit enfin se retourner les deux femmes. Elles virent alors les dégâts et les agitements désordonnés d’Achille aux prises avec quelques mouches qui tournoyaient devant lui.
- Attention, dit Ingrid.
- ous oyez as es ont ent’ées, rétorqua-t-il en battant en retraite vers l’escalier.
- Calme-toi.
Il était déjà dans l’escalier. Devant sa chambre, il s’agita plus frénétiquement avant de s’y engouffrer et d’en refermer la porte avec un claquement qui fit trembler la maison. Vérifiant que personne ne l’avait suivi, il se pelotonna dans les draps et tenta de s’endormir.
En bas on nettoyait les dégâts d’Achille. Entre la table du salon, le carrelage et les escaliers, Aguila vit tant de mouches écrasées qu’elle se prit à les annoncer :
- Encore une.
- Et une là, lui répondait Ingrid.
Là haut, Achille Bobo tremblait dans son lit.

Ce n’était pas qu’il fut allergique aux mouches, il en avait tout simplement la phobie. Il pouvait rire Hubert quand il disait qu’une mouche n’avait pas de raison de pénétrer dans son nez. Il ne savait pas de quoi elles étaient capables même à moitié mortes.
Plus jeune, très jeune à vrai dire, une mouche avait attenté à son intégrité.
Un de ses premiers souvenirs d’enfance, 6 ans, 8 peut-être. Une voiture, sa mère qui conduisait, lui à l’arrière et une mouche bien sûr qui tournait dans l’habitacle clos de l’automobile, une mouche d’hiver, une bien grasse et bleue, dont on se demande ce qu’elle fait là en cette saison. Dehors c’était la nuit, pas facile de suivre la trajectoire de l’insecte à la lueur des phares qui passaient. Achille la perdait pour la retrouver là où il ne l’attendait pas. Elle lui passait sous le nez, venait se poser sur son oreille, il comprit qu’il ne l’aurait pas en gigotant et attendit qu’elle se pose. Sur son genou, un endroit idéal. Pour la première fois, peut-être, l’enfant tendit la main si doucement qu’on ne pouvait la voir bouger. Dans le noir il ralentissait son geste, le cœur battant de ne pas la revoir avec la lumière. Quand les phares revenaient, il battait plus vite encore de la trouver à la même place. Il attendit peut-être un kilomètre qui lui parut des heures et enfin abattit sa main d’un geste ferme vers le gros insecte aux reflets bleutés. Il la tint ainsi le temps qu’une voiture passe. Alors il souleva la main et dans la lueur du phare ne vit que son pantalon sur son genou. Mais il sentit comme un grésillement entre son index et son majeur. La mouche était restée là, étourdie certes, mais encore bien vaillante. Ç’allait être plus intéressant. L’attrapant par les pattes, l’enfant commença par lui enlever une aile, il la posa sur sa main et la contempla faire des tours sur elle même. Puis il voulut s’attaquer à la deuxième aile pour qu’elle comprenne que voler, pour elle, ce n’était même plus la peine d’y songer. Comme il n’y voyait pas grand chose, il la rapprocha de ses yeux en la tenant par les pattes. Mais celle-ci tira si fort que son abdomen se libéra de ses membres qu’elle devait savoir maintenant inutiles et elle s’engouffra d’un coup dans le nez du gamin. Pour comble, au lieu de souffler, celui-ci, de peur, aspira un grand coup faisant du coup remonter la drosophile au plus profond de sa cavité nasale.
On peut imaginer les cris qui suivirent. Sa mère s’arrêta en urgence sous les klaxons des quatre roues. Comme on n’y voyait rien et qu’elle ne comprenait pas grand chose entre deux hoquets de son fils, elle lui conseilla de se moucher, mais il était rouge, bientôt il virait au bleu et n’osait respirer dans un sens ni dans l’autre. Sa mère lui cria de respirer par la bouche ce qui le décongestionna un tant soit peu. Elle s’énervait, lui répétait de se moucher, voire d’avaler - ce qui le terrifia -, la mouche passerait avec le reste. Mais lui était trop effrayé pour faire autre chose que de respirer le minimum vital en poussant de petits cris apeurés. La mère remit le tout dans la voiture et repartit vers des éclairages plus substantiels.
Elle les trouva dans une station service ou un garagiste aux doigts graisseux repéra l’insecte à l’aide d’une lampe électrique.
- Je vois le problème. Une petite seconde.
Le garagiste partit vers son garage pendant qu’Achille questionnait fiévreusement sa mère sur les intentions de l’homme. Celle-ci ne lui répondit pas parce qu’elle n’en savait rien et que surtout elle ne comprenait aucun des borborygmes émis par son fils, étant donné qu’il avait bloqué le moindre de ses muscles faciaux pour ne pas exciter la mouche.
Et puis elle se posait des questions sur les intentions du garagiste quand elle le vit revenir avec une boîte à outils rouge.
- Qu’est-ce que vous allez faire ?
Les oreilles de l’enfant se dressèrent.
- On va lui enlever.
Le type s’agenouilla, remonta la tête du gosse pour estimer la distance et ouvrit sa boîte à outils, il en sortit une pince, un tournevis, des clefs, même une lame de scie à métaux - le souffle d’Achille devint rauque - qu’il posa par terre avant de fouiller plus profond. Les yeux des Bobo s’agrandirent quand enfin le garagiste fit entendre un grand « Aaaah » en exhibant une espèce de pince à épiler aux bouts légèrement recourbés et qui mesurait au moins trente centimètres de long. Il cracha dessus, la nettoya sur un pan de chemise qu’il extirpa de sa salopette et l’avança vers le nez d’Achille.
- Non, cria celui-ci, cette fois parfaitement intelligiblement.
- Ça va bien se passer dit sa mère en fermant les yeux et tenant les bras de son fils.
En un instant et sans même qu’il ait eu le temps de le voir, la pince se retrouva dans son nez et en ressortit avec un léger chatouillement. Le garagiste exhibait fièrement la mouche maintenant décédée.
- On voit qu’elle s’est débattue, dit le garagiste, il lui manque une aile et quelques pattes.
Bien sûr il n’avait jamais dit à sa mère que tout ça avait été de sa faute, que ce fut en torturant atrocement la mouche que celle-ci avait atterri dans son nez.
Sa mère trinqua avec le garagiste pendant qu’il regagna la voiture et s’y moucha longuement jusqu’à ce qu’il fut sûr que les éventuels larves qu’elle aurait pu disposer dans son appendice fussent bien toutes évacuées.
Trois jours durant il se nettoya régulièrement le nez et, aujourd’hui encore, chaque fois qu’une démangeaison le prenait aux narines, cette histoire lui remontait en tête même s’il savait que ce n’était que son banal rhume des foins qui le titillait.

Un peu plus tard Ingrid vint le voir. L’essaim avait considérablement diminué, le répulsif était efficace. Achille consentit à descendre et s’aperçut qu’effectivement la tempête semblait s’être calmée. Bien sûr il y en avait encore au dehors mais on pouvait sortir, non pas sans être importuné, mais quand même ! On fêta ça devant une bonne bouteille, enfin Achille se détendit et Aguila décida de les piloter dans les petites rues de sa ville natale à quelques kilomètres.
On oublia un peu les mouches, les enfants firent du manège et il apprécia ces places tranquilles où l’on pouvait flâner, boire un coup, et même fumer un cône en toute quiétude. Bien sûr il ne comprenait pas un traître mot de ce que lui disaient les gens, mais il ne pouvait être que plus serein après ces quarante huit heures d’enfer. Cela dit, il ne manquait pas, partout où il se trouvait et dès que l’occasion s’en présentait, d’occire une de ses ennemies les plus féroces. Ingrid avait beau lui dire périodiquement d’arrêter, il s’y attelait avec détermination et un peu trop de calme peut-être. Achille ne loupait pratiquement jamais son coup et, quand ça lui arrivait, il traquait méticuleusement l’invraisemblable rescapée pour ne lui laisser aucune chance. Des gens se retournaient en entendant les coups secs qui consacraient l’extinction de l’ennemie.
- Ça me détend, finit-il par dire à Ingrid qu’il commençait à énerver.

Ce fut quand même une belle fin de journée. De retour, il faisait nuit, les mouches n’avaient pas reparu, la plupart devant être couchées. Hubert proposa de manger dehors mais, son beau frère n’y tenant pas, on mangea dedans. Un tarot mémorable qui vit l’écrasement de tous les adversaires d’Achille lui fit terminer la soirée de bonne humeur. Il eut même droit à un massage de sa femme qu’il goûta avec délice en s’endormant bruyamment.

Le lendemain, il fut le premier debout. Il descendit les escaliers en fermant les yeux et en prêtant l’oreille. Comme il n’entendait pas le bourdonnement incessant, il se décida à les ouvrir et un sourire se dessina sur son visage endormi en constatant que trois malheureuses mouchtiotes tournoyaient sur la terrasse. Il investit la cuisine et prépara le petit déjeuner improvisant sur les désirs de ses colocataires en cette belle matinée d’août sans mouche - on pouvait quasiment le dire. Voyant que l’odeur du café frais ne les faisait pas venir, il s’installa en solo sur la terrasse pour profiter de l’hacienda. En deux temps trois mouvements, il se débarrassa des quelques mouches qui erraient encore à proximité de la table et déjeuna tranquillement et copieusement.
Puis là, repu, à l’aise, il s’allongea sur un transat et, fermant les yeux, se laissa emporter par son imagination. Parfois, une mouche venait le titiller, il ouvrait un œil et si elle était trop loin la repoussait comme le font les vaches avec leur queue, mais de la main. Si par contre elle était à bonne distance, il n’avait pas de pitié.
Il n’avait même pas regardé l’heure. Peut-être, certainement, les mouches ont une heure elles aussi.
Pendant qu’il s’endormait, il ne les vit pas plus qu’il ne les entendit arriver. Il rêvait sans doute déjà d’une cascade verdoyante au creux d’une rivière dont le bruit se confondait avec celui des drosophiles. D’ailleurs, elles ne furent pas si nombreuses tout d’abord et c’est par les chatouillis sur les jambes, les pieds, les bras, les mains, la figure qu’elles réveillèrent Achille Bobo.

Il se contenta d’abord d’en écraser une, deux, trois, mais elles arrivaient en masse, Monsieur Bobo les voyait maintenant, au loin le ciel se grisait de leur nuée. Il les écrasait des deux mains, se frappant dessus, assénant des coups de plus en plus violents sur la table. Il repéra le tee-shirt du fils aîné d’Hubert et s’en servit comme d’un fléau qu’il faisait voltiger dans l’air abattant simultanément des dizaines de brachycères. Bientôt il joua Fred Astaire sur le carrelage écrasant tout ce qu’il pouvait. Mais elles arrivaient toujours plus nombreuses, elles rentraient maintenant dans son caleçon, il en avait sur la poitrine, emberlificotées dans sa toison, et il avait beau se taper, se frotter, se fouetter avec la serviette, il avait beau en tomber des dizaines, il lui semblait qu’il y en avait de plus en plus, toujours plus nombreuses dans ses cheveux, sur ses jambes, entre ses fesses, il ne pouvait plus ouvrir la bouche de peur d’en engloutir une dizaine. Mais comme il en est toujours ainsi, ce qui devait arriver arriva et, avant qu’il ait eu le temps de protéger son nez, une de ses saletés y passa si près - y entra peut-être - toujours est-il qu’Achille s’asséna un grand coup de battoir sur le pif qui partit en une cascade rouge vif. Il en resta à moitié K.O. mais, s’appuyant contre le mur, continua son combat acharné contre le reste de la race volante. Il se prit encore une ou deux baffes dans le nez avant qu’Aguila et Hubert ne viennent le récupérer, allongé sur le carrelage, prononçant des phrases sans suite, les mains s’agitant dans le vide.
Les gamins réveillés par le vacarme demandaient à savoir ce qui se passait. L’un deux qui était sorti sur la terrasse lança :
- C’est rien, c’est Tonton qui fait les marionnettes.
Un quart d’heure plus tard une ambulance arriva pour emmener Achille Bobo à l’hôpital le plus proche.

Il s’en tira avec quelques points de suture de la cloison nasale. La fracture avait été évitée de justesse.

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Message  mentor Sam 18 Sep 2010 - 17:21

j'adore ! et pourtant qu'est-ce que j'aime pas les mouches non plus ! j'aurais bien vu mon ami Amédée vivre cette sale aventure (Amédée, c'est mon petit héros [zéro ?] à moi)...
chouette premier épisode, j'attends la suite avec impatience !

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Message  Invité Sam 18 Sep 2010 - 17:28

Une bonne histoire, vraiment, une narration efficace, convaincante : un bon texte, pour moi.

Quelques remarques :
"la maison de son beau-frère (trait d'union, sauf si vous voulez dire que le frère du narrateur a un physique avantageux)"
"enfin d’un de ses beaux-frères (idem ; peut-être que c'est tous des bombes dans la famille)"
"autant de belles-sœurs (trait d'union)"
"force bon vin et pétards (je vois bien plusieurs pétards, sinon ça fait pauvre comme soirée de folie)"
"une nuit comme les Espagnols en ont le secret"
"s’apitoyer sur le monde qui va à vau-l’eau (trait d'union)"
"se leva, souhaitant qu’elle le retînt (ou "retienne")"
"afin de vérifier qu’aucun autre diptère ne pouvait l’agresser"
"les beaux propos de sa belle-famille (trait d'union)"
"Il en tua quelques-unes (trait d'union)"
"Ce n’était pas qu’il fût allergique aux mouches"
"une station-service (trait d'union) où un garagiste aux doigts graisseux"
"Sa mère trinqua avec le garagiste pendant qu’il regagnait la voiture et s’y mouchait longuement jusqu’à ce qu’il fût sûr que les éventuelles larves qu’elle aurait pu disposer dans son appendice avaient bien toutes été évacuées." : je trouve la phrase lourde, mal construite
"après ces quarante-huit (trait d'union) heures d’enfer"
"son beau-frère (trait d'union) n’y tenant pas"

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Message  Vcresp Sam 18 Sep 2010 - 17:38

J'ai bien aimé, j'attends la suite.

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Message  phlip Dim 19 Sep 2010 - 10:37

euh socque, je crois que t'as oublié belle-famille ! merci
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Message  Invité Dim 19 Sep 2010 - 10:47

Ben tant mieux si en relisant vous avez repéré quelque chose qui m'a échappé ! Rien ne l'indique dans mon commentaire, mais par défaut j'emploie le vouvoiement... merci de faire de même à mon égard.

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Message  phlip Dim 19 Sep 2010 - 10:56

En plus t'a loupé "agitements" qui n'existe pas !!!

Et enfin je suis pas vraiment d'accord avec ta correction du "fussent bien toutes évacuées" en "avaient été bien toutes évacuées", ce qui rend la phrase encore plus lourde, non ?, mais bon je ne suis pas très fort en grammaire.

Bon j'ai un peu découpé comme ça : "Sa mère trinqua avec le garagiste pendant qu’il regagnait la voiture. Il se moucha longuement jusqu’à être sûr que les éventuelles larves qu’elle aurait pu disposer dans son appendice fussent bien toutes évacuées."

Merci encore, je m'attelle a finir le second chapitre.
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Message  Invité Dim 19 Sep 2010 - 11:01

Ce qui me gêne, c'est "jusqu’à être sûr que les éventuelles larves (...) fussent bien toutes évacuées" : à mon avis, un indicatif serait préférable ici. Si on prend un autre exemple : "J'ai relu jusqu'à être sûre qu'il n'y avait plus de fautes" me paraît plus naturel que : "J'ai relu jusqu'à être sûre qu'il n'y eût plus de fautes" ; mais, c'est vrai, les deux sont possibles.

phlip, pardon de me répéter : je vous demande de me vouvoyer. Merci d'avance !

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Message  Invité Dim 19 Sep 2010 - 11:34

Un texte plutôt bien mené - en dépit des salades familiales dans lesquelles j'ai failli me perdre au début - mais longuet pour moi. Franchement, j'ai senti mon intérêt s'amenuiser au fur et à mesure de la lecture, jusqu'à l'anecdote de la mouche dans le nez, venue à point réveiller un récit zonzonneur.


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Message  elea Lun 20 Sep 2010 - 20:46

Les passages à mouches ont retenu mon attention, le début était un peu long pour moi, c’est tout personnel mais je crois que l’histoire aurait plus de force en étant plus dense, resserrée sur les mouches.
Ceci dit j’ai lu sans déplaisir une fois le décor installé.

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Message  phlip Lun 27 Sep 2010 - 10:01

Merci pour toutes ces critiques positives et pardon pour le tutoiement, promis je ne le ferais plus.

Pour me faire pardonner, voici la deuxième partie des aventures de Monsieur Bobo. J'ai un peu remonté le temps.


ACHILLE BOBO À L’ARMÉE

Ce matin-là, dès son réveil… En fait, il n’y eut pas de réveil, Achille Bobo n’avait pas dormi de la nuit. La promiscuité du dortoir était loin de lui convenir surtout après la soirée graveleuse qu’il s’était coltiné avec ses colocataires. C’était à qui aurait les plus gros biscotos, les plus beaux tatouages puis les plus grandes cicatrices et bien sûr la plus belle bite. Hormis les cicatrices, Achille n’avait rien à faire valoir de son anatomie et de toutes façons, cela le mettait des plus mal à l’aise. Seul un autre type dans le dortoir resta à l’écart comme lui, mais son aspect trop efféminé n’invitait pas Achille à sympathiser.
Une fois leurs stupides concours finis, ils se couchèrent mais continuèrent à s’envoyer des vannes libidineuses dont certaines firent sourire Achille, protégé par le noir de la nuit. Puis il s’était retourné d’un côté, de l’autre, s’était mis sur le dos sans trouver le sommeil dans quelque position que ce fut. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là et tremblait à l’idée d’avoir à y passer une année entière.

Il n’avait rien à craindre, son dossier était en béton.

Mais quand même, il ne comprenait pas. Où étaient les licenciés, maîtres, thésards, X-men et centraliens ? Il ne semblait y avoir ici que garagistes, peintres, chômeurs, loubards ou autres manuels. Et même après les tests, pour avoir accès à l’élite des sous-offs, il n’avait croisé personne digne d’intérêt comme s’il fut le seul intellectuel dans cette caserne bloisienne. À croire que toute l’élite de la société tricolore eut échappé à cet enfer.
Que faisait-il là ? Qui aurait pu l’imaginer un fusil à la main ? Il n’aurait pas manqué de se foutre une grenade dégoupillée au beau milieu des valseuses, ce qui, il faut le dire l’aurait allégé de pas mal de soucis à venir. Même la corvée de patates n’était pas sans risque pour lui.
Mais pour l’heure, il s’agissait de se montrer physiquement plus qu’inapte à rentrer dans cette grande famille quels qu’en fussent les avantages, et ils étaient nombreux.
Il avait bien rêvé de rentrer dans les ordres à une époque mais son absence totale de foi l’en avait finalement dissuadé. Enfin les sectes, quelles qu’elles soient lui avaient toujours fait horreur, et l’armée, à coup sûr en était une sacrée.
Et il se retrouvait en son sein, pour trente six heures dont les plus longues furent certainement celles qu’il passa là, blotti sous ses draps, guettant le moindre mouvement suspect, jaugeant les ronflements de l’un et les exhalaisons d’un autre.
La vie en communauté le dégoûtait ou plutôt l’horrifiait. Il savait pourtant que le groupement naturel humain était la bande et pas le couple, d’innombrables sociétés primitives pouvaient en témoigner mais il considérait que dans l’évolution obligatoire de ce mammifère particulier, le maintien de sa position dominante avait dû passer par cette redistribution afin d’étendre sa race et sa capacité de survivre. Il avait fallu distinguer les familles afin que la reproduction, longue et le plus souvent mononatale, s’avère plus fiable, moins dégénérescente et soit apte à assurer la pérennité intellectuelle de l’espèce. La mutation avait complètement opéré et le modèle social familial restreint à une portion de plus en plus congrue faisait aujourd’hui force de loi. Mais il considérait aussi que cette évolution nataliste et démographique avait permis de conserver certains membres fragiles voire débiles qui dans toute autre espèce auraient été « naturellement » éliminés. Et combien de fois ces humains en marge de la société avaient été des lumières éclairant leurs contemporains ! Achille Bobo se sentait en marge lui aussi, certes pas une lumière, mais, comme quand on a encore vingt ans, il ne se voyait pas dans le moule d’une société uniformisée. Les expériences solitaires l’attiraient. Comme les autres il se sentait différent. Il se voyait sur la route, comme Cassidy, chacun son trip, aurait dit Kesey, mais ils se faisaient rares les trips, déjà.
C’est dire s’il se perdit dans ses pensées. Qu’avait-il d’autre à faire ? En s’endormant il aurait eu trop peur de rêver aux douceurs d’une vie illusoire pour se retrouver au réveil dans ce clapier cerné d’odeurs de mâles à demi nus. L’espèce d’adjudant qui s’était occupé d’eux avait annoncé le lever à 6h30, ce qui n’était pas encore assez tôt pour lui. En repensant à l’adjudant de mes fesses lui vint la chanson de Brel qu’il se mit à fredonner intra cervos.
Elle le fit d’abord sourire ironiquement, puis il eut peur comme si la chose eut pu lui arriver, qu’il restât à jamais marqué par l’empreinte d’une vie communautaire castratrice.
Alors il récita la litanie contre la peur, une fois puis une autre. Et il se la répéta dans sa tête, longtemps, tant de fois qu’il ne les comptait plus. La fatigue tomba sur ses épaules et il ânonnait les paroles dans une demie-conscience quand l’heure du lever sonna.

C’est dans cet état second qu’il aborda ses dernières heures dans les locaux d’une caserne. Il avait tout prévu et malgré le brouillard qui régnait dans son crâne, il se remémora son plan de bataille.
La première étape n’était pas la plus aisée. Le petit déjeuner. Achille devait engloutir trois cafés. La partie n’était pas gagnée d’avance étant donné qu’il n’en buvait jamais. Une fois, en colonie, il avait dû subir un café au lait qu’on lui avait servi par erreur. Par timidité et pour ne pas se ridiculiser devant ses camarades il l’avait bu en entier. Il était resté trois jours au lit ne sortant que pour se vider par l’un ou l’autre côté de ses tripes. Mais là, l’enjeu était de taille, il devait faire monter sa tension à son maximum.
Dès qu’il sentit l’odeur du premier café dans sa tasse la nausée lui monta. Il y mit quatre sucres. Le mélange s’avéra gluant mais Achille le but cul sec. L’envie de vomir fut immédiate, il se retint pourtant tout en décidant d’en rester là mais, devant la célérité avec laquelle il avait bu le premier, un camarade de chambrée lui en resservit un. Il remercia et dut s’atteler à le boire. Il essaya cette fois sans sucre, c’était encore pire. Il mit une bonne dose de glucose et le « dégusta » lentement. On ne peut pas dire que ce fut facile, mais ça finit par passer. Il refusa catégoriquement un troisième considérant que ce qu’il avait ingurgité lui suffirait amplement vu son état. Cela faisait une semaine en effet qu’Achille ne prenait plus ses médicaments en prévision de ses trois jours.

À la suite d’une de ses hospitalisations, on lui avait découvert une tension anormalement élevée, il en était résulté toute une batterie d’examens demandés par un premier médecin, puis par un autre devant les résultats négatifs du premier. Bien sûr, ni cette fois, ni les autres fois - à chaque changement de médecin -, les analyses n’avaient donné de résultats probants et toute sa vie durant Achille Bobo dut prendre son, puis ses hypotenseurs. Son dossier médical était bien sûr basé sur cette tension dont tous les examens du monde n’avaient su trouver la cause.
La deuxième incompatibilité avec la vie militaire que son toubib avait mis en avant était le terrain fortement allergique présenté par Achille Bobo. Pollen, mais aussi poussière, poil de chat, laine et même le soleil déclenchaient chez le jeune homme des réactions qu’il ne maîtrisait pas. Ses yeux se mettaient à couler et il ne pouvait plus les ouvrir, les démangeaisons internes de ses fosses nasales descendaient progressivement jusqu’à sa gorge et il ne respirait plus qu’à grand peine, sans parler des crises d’éternuement qui pouvaient parfois durer des heures et dont il sortait physiquement et nerveusement à plat.

Fuyant la cantine dont l’odeur même l’incommodait, et essayant de faire descendre ses cafés qui pour l’instant lui restaient sur l’estomac il se dirigea donc vers un bout de pelouse un peu à l’écart qu’il avait remarqué la veille dans un coin du fort.
Dehors, des compagnies, divisions ou brigades, qu’en savait-il; avaient déjà commencé leur mise en forme matinale et, dans la fraîcheur de début mars, une ombre thermique planait sur ces groupes. On voyait même la fumée monter des crânes suants, Achille lui-même exhalait un petit nuage de sa bouche. Arrivé près du carré vert, il s’assit sur la pelouse avec un air nonchalant, pourtant il était inquiet. Etait-ce la litanie, trop puissante ou le café de l’armée, trop fade, il ne sentait pas la tension monter.
Alors, discrètement, il ramassa des touffes d’herbe avec lesquelles il se frotta les mains tout d’abord, puis les bras, il en glissa même dans son polo. Mais le printemps naturel autant que calendaire n’était pas encore arrivé et les agissements d’Achille n’eurent pas l’effet escompté. S’il se fut frotté de la sorte ne serait-ce que quelques semaines plus tard, il se serait trouvé quasi instantanément couvert de plaques rouges urticantes, et présentant un déficit respiratoire des plus inquiétants. Achille fut déçu, intérieurement, il avait même espéré une crise eczémateuse même s’il n’en avait plus subi depuis le passage de son baccalauréat quelques cinq ans plus tôt. Mais la fatigue accumulée de cette nuit sans sommeil et de celles, précédentes, qu’il avait passées à se défoncer avec ses potes, avait mis son corps dans une espèce de semi-léthargie biologique. Il arracha quelques brins et les écrasant entre ses doigts se frotta le nez avec, il alla même jusqu’à en glisser dans ses narines qui ne frétillèrent qu’à peine. Il en grappilla encore quelques brins qu’il mit dans sa poche pour plus tard et tenta de rejoindre le gros de la troupe.

Mais le rappel avait été sonné et Achille avait perdu son groupe. Il eut quelques difficultés à se repérer dans les couloirs de la caserne et se fit gravement chambrer par l’adjudant responsable. C’était l’heure de la visite médicale à la fois tant attendue et redoutée. Bien qu’il dut passer alphabétiquement dans les premiers, il fut relégué en fin de liste ce qui n’était pas pour lui déplaire, l’attente attiserait certainement sa nervosité qui ferait donc monter sa tension.
Alors Achille Bobo attendit au bout du rang. Ses paupières étaient lourdes, elles tombaient comme son corps penchait inexorablement en avant. Il se laissait tomber dans le sommeil et se reprenait au dernier moment. Il frottait ses yeux, baillait un coup, se recalait sur son banc des plus inconfortables et tout recommençait. Il finit par prendre appui sur ses mains et sombra dans un demi coma.
Monsieur Bobo vit une femme qui traînait un cow-boy dont le large Stetson faisait de l’ombre sur son passage, un colonel en treillis lui souffla sa fumée de cigare dans le nez, un rat sans doute échappé d’un cachot fila entre ses jambes, une civière passa en courant d’où s’exhalait des râles peu rassurants et laissant des traînées de sang sur son passage, dehors il entendit le pilonnage incessant des mortiers, puis ses geôliers le tirèrent par le bras pour qu’il regagnât sa cellule.
Il se réveilla en sursaut, ce n’était que l’adjudant qui voyant qu’il s’était endormi le secouait en lui rappelant qu’on n’était pas dans un dortoir. Il profita de la situation pour faire un laïus sur la vie militaire, Achille étant pris comme le modèle du comportement qui ne valait que des ennuis à ceux qui l’adoptaient. Achille l’écoutait à moitié, le seul intérêt de cette voix qui lui braillait sous le nez étant justement qu’elle braillait et ne lui permit plus de s’endormir. Il sourit même à certaines des diatribes du militaire tant elles étaient stupides. Mal lui en prit, le petit chef ne manqua pas de lui faire remarquer qu’il l’avait remarqué.
- Ça le fait rire. Je vois monsieur est un antimilitaire, monsieur croit peut-être qu’il va passer à l’as ? Mais moi je vais me faire un plaisir de soutenir son dossier et de le prendre dans mon unité. Il va pas être déçu. D’ailleurs j’informe notre aimable assemblée que notre contingent est en sous effectif et que tout le monde sera pris. Pas de tire au flanc. Tout le monde y passera.
Pour le coup, ces mots réveillèrent complètement Achille qui se mit à douter. Non, ce connard ne disait ça que pour les impressionner, sans aucun doute. Son docteur l’avait assuré que son dossier devrait passer.
Il se remodela une contenance lisse et mentalement reprit la litanie. « Je ne connaîtrais pas la peur… ».

Quand il arriva devant le médecin militaire, il avait retrouvé un peu de sérénité.
Celui-ci l’ausculta superficiellement, Achille ne savait pas s’il fallait prendre les devants ou s’il devait sagement attendre que le docteur consulte son dossier. Puis vint le moment de prendre sa tension. 13-8. Achille n’en croyait pas ses oreilles, il demanda au docteur de répéter.
- 13-8, c’est parfait dit celui-ci. Votre traitement semble parfaitement efficace.
- Mais pourtant…
- Oui ?
- Non, c’est bien la première fois qu’elle est si basse.
- L’armée vous fait du bien.

Puis le médecin lui posa quelques questions sur ses antécédents familiaux, sur les interventions chirurgicales qu’il avait subies. Tout était dans le dossier, mais Achille était prolixe sur ce sujet, il raconta les végétations, l’appendicite, la fracture multiple de la main gauche, celle du pied droit, la pose des broches, le retrait des broches, l’arrachement du triceps, l’ablation du ménisque, ses calculs aux reins, puis vint l’eczéma, la tension, le souffle au cœur, les allergies, l’asthme, l’urticaire… Le docteur jeta l’éponge, concluant :
-Enfin rien de bien terrible et en tous les cas rien qui ne justifie une dispense d’effectuer votre service.
Achille tomba de haut, c’était un cauchemar, il était encore sur le banc et l’adjudant allait lui envoyer une bourrade pour le réveiller. Le monde s’écroulait.
- Mais ma tension ?
- Comme je vous l’ai dit elle semble parfaitement régulée par votre traitement.
- Mais vous n’avez pas lu les lettres des médecins ?
- Bien sûr, mais du moment que le phénomène est régulé. Pour moi c’est O.K.
Alors tous ces cafés dégueulasses n’avaient servi à rien. Achille restait muet, ses jambes tremblaient sous lui et là, il eut vraiment peur. Le médecin lui montra le chemin en lui indiquant la troisième porte à gauche pour continuer la visite.

Le couloir était désert, Il s’appuya sur le chambranle de la porte. Il tremblait sans s’en rendre compte et sentait le tam-tam de son cœur. Un sous officier passa qui le rappela à l’ordre.
- Qu’est-ce que vous faites là ? Z’êtes passé chez le psychiatre ?
- Hein ? Le psychiatre ?
- Troisième porte à gauche.
Le psychiatre ! Achille n’avait pas voulu tout d’abord monter de dossier pour une réforme psy qui aurait risqué de nuire à une carrière qui n’avait pas encore pris de direction propre. Mais devant l’urgence de la situation, il n’avait plus le choix. Ce fut donc remonté à bloc qu’il frappa au bureau du médecin psychiatre des armées.

Celui-ci lut rapidement son dossier et dit.
- Il n’y a là aucune contre-indication à votre incorporation au service des armées.
- Mais je ne supporte pas la vie en communauté. Tenez, cette nuit, je n’ai pas pu dormir.
- Vous vous y ferez. Après une bonne journée de marche, on dort mieux.
- Je suis homosexuel !
L’armée n’aimait notoirement pas les homosexuels déclarés, ils étaient souvent source de troubles qui pouvaient dégénérer. Mais vue l’entame d’Achille, le médecin avait compris que celui-ci essayait d’échapper à ses obligations militaires. Le dossier médical plus que fourni l’attestait. Et comme tout con militaire, il n’aimait pas les lâches.
- Et alors, ça ne vous empêchera pas d’astiquer votre fusil, au contraire, en attendant mieux.
- Je suis drogué.
- C’est une bonne discipline qu’il vous faut pour vous remettre dans le droit chemin.
Achille paniquait, il joua la provocation.
- Tu veux un peu d’herbe pour faire un joint ? Tiens.
Il jeta à la figure du psy les quelques brins d’herbe qu’il avait ramassé dehors.
- Vous croyez que ça va arranger votre cas ?
- C’est ça, vous voulez que je me foute en l’air ?
- Ce petit chantage ne marche pas avec moi. Écoutez, votre jeu est clair, vous voulez être réformé et vous avez monté un dossier en ce sens. Mais ne nous prenez pas pour des idiots, vous ne souffrez d’aucun tare qui puisse réglementairement justifier une décision de rejet.
- C’est ça, la seule tare qu’il y ait dans cette pièce c’est vous.
- Je vous prie de vous calmer.
Mais Achille était parti. Son cœur battait à tout rompre et il sentit la chaleur qui l’envahissait. Il en avait tellement l’habitude de cette montée de chaleur qui colorait ses joues d’un rose plus soutenu qui virait au rouge pour peu que sa tension atteigne des valeurs extrêmes.
- Ça y est.
- De quoi parlez-vous ?
- Prenez ma tension, allez-y.
- Mon collègue l’a déjà fait avant moi. 13-8, c’est parfait.
- Non mais là, maintenant, vous serez surpris.
- Écoutez, vous commencez à me lasser. J’ai des cas plus sérieux que le vôtre sur les bras. Aussi je vous demanderai de me laisser.
Et il encra son tampon pour marquer de son sceau la feuille d’incorporation.
D’un grand coup de bras Achille envoya valser le tampon des mains du médecin jusque sur le mur.
- Maintenant ça suffit.
Il se leva pour aller vers la porte. Achille s’interposa.
- Mais je ne vous demande pas grand-chose. Juste de prendre ma tension et après vous pourrez coller votre putain de tampon où vous voulez et spécialement dans votre cul.
- Laissez-moi passer.
- Touchez mon cœur, auscultez moi, vous allez voir j’ai au moins 18.
Et vue la coloration prononcée de ses joues il ne devait pas être loin du compte.
- Bon, je vais appeler le docteur.
Il prit son téléphone. Achille tremblait de plus en plus. Il ne contrôlait plus les mouvements spasmodiques de son corps
- Deux hommes en salle psy, nous avons un problème.
- Connard.
C’en était trop pour Achille. Les larmes jaillirent de ses yeux.
- Je ne veux pas. Je ne veux pas…
Il répétait sans fin cette phrase en tapant du pied de plus en plus violemment, puis il se mit à taper sur la table, sur les murs. Le militaire, qui somme toute n’était qu’un psychiatre, hésitait à intervenir autrement que par de timides « Calmez-vous ». Il attendait les renforts en se tenant le plus éloigné possible de Monsieur Bobo dont les paroles devenaient de plus en plus indistinctes et dont les mains commençaient à parsemer le mur de traces rougeâtres.

Quand les renforts arrivèrent, Achille était allongé sur le sol dans une espèce de crise de tétanie. La fatigue, le café, l’abstinence médicamenteuse avaient finalement eu raison de lui. D’ailleurs sur ses bras, son torse, ses jambes apparaissaient des plaques rouges. Il éternua en se cognant la tête contre le carrelage Il peinait à respirer. Le médecin, appelé en toute hâte prit sa tension à un bras, puis à l’autre, il changea même de tensiomètre devant l’absurdité des nombres qu’il y constatait, mais il dut bien se rendre à l’évidence. Pendant que son collègue appelait les urgences, il lui injecta un puissant calmant.

Achille Bobo, sortant par la grande porte, s’en fut vers l’hôpital dans le vacarme des sirènes de l’ambulance et de l’estafette qui lui ouvrait le passage.


Bonne semaine à tous
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Message  Invité Lun 27 Sep 2010 - 11:07

Sympa ! La fin m'a franchement fait sourire... Vous aimez bien les histoires avec crescendo, on dirait.

« Comme les autres il se sentait différent. » : j’adore !

Mes remarques (surtout de forme) :
« sans trouver le sommeil dans quelque position que ce fût »
« il n’avait croisé personne digne d’intérêt (une virgule ici serait peut-être intéressante) comme s’il était (ou, peut-être, « avait été ») le seul intellectuel »
« À croire que toute l’élite de la société tricolore avait échappé »
« pour trente-six heures (trait d’union) dont les plus longues »
« puis il eut peur comme si la chose eût (ou aurait) pu lui arriver, qu’il restât à jamais marqué par l’empreinte » : la phrase me paraît lourde, surtout avec ce subjonctif imparfait
« les paroles dans une demi-conscience (ou « semi-conscience », peut-être, mais pas « demie-coscience ») »
- à chaque changement de médecin - : le trait d’union « - » ne suffit pas à encadrer une incise, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
« Bien sûr, ni cette fois, ni les autres fois - à chaque changement de médecin -, les analyses n’avaient donné de résultats probants et toute sa vie durant Achille Bobo dut prendre son, puis ses hypotenseurs. Son dossier médical était bien sûr basé sur cette tension » : c’est un peu loin, d’accord, mais je trouve que la répétition de « bien sûr » se voit
« il ne respirait plus qu’à grand-peine (trait d’union) »
« Fuyant la cantine dont l’odeur même l’incommodait, et essayant de faire descendre ses cafés qui pour l’instant lui restaient sur l’estomac (je pense qu’une virgule setrait intéressante ici pour fermer l’incise) il se dirigea donc vers un bout de pelouse »
« divisions ou brigades, qu’en savait-il; (peut-être vouliez-vous mettre une virgule ici) avaient déjà commencé »
« S’il s’était frotté de la sorte ne serait-ce que quelques semaines plus tard »
« le passage de son baccalauréat quelque (et non « quelques », on écrit « quelque », invariable, dans le sens d’« environ ») cinq ans plus tôt »
« Bien qu’il dût passer alphabétiquement »
« bâillait un coup, se recalait sur son banc »
« une civière passa en courant d’où s’exhalaient des râles peu rassurants »
« étant justement qu’elle braillait et ne lui permettait plus de s’endormir »
- Ça le fait rire.
- 13-8, c’est parfait dit celui-ci. Votre traitement semble parfaitement efficace.
- Mais pourtant…
- Oui ?
- Non, c’est bien la première fois qu’elle est si basse.
- L’armée vous fait du bien.
-Enfin (la typographie française demande une espace après le tiret) rien de bien terrible
- Mais ma tension ?
- Comme je vous l’ai dit elle semble parfaitement régulée par votre traitement.
- Mais vous n’avez pas lu les lettres des médecins ?
- Bien sûr
- Qu’est-ce que vous faites là ? Z’êtes passé chez le psychiatre ?
- Hein ? Le psychiatre ?
- Troisième porte à gauche.
- Il n’y a là aucune contre-indication à votre incorporation au service des armées.
- Mais je ne supporte pas la vie en communauté. Tenez, cette nuit, je n’ai pas pu dormir.
- Vous vous y ferez. Après une bonne journée de marche, on dort mieux.
- Je suis homosexuel
- Et alors, ça ne vous empêchera pas d’astiquer votre fusil, au contraire, en attendant mieux.
- Je suis drogué.
- C’est une bonne discipline
- Tu veux un peu d’herbe
- Vous croyez que ça va arranger votre cas ?
- C’est ça, vous voulez que je me foute en l’air ?
- Ce petit chantage
- C’est ça, la seule tare qu’il y ait dans cette pièce c’est vous.
- Je vous prie de vous calmer
- Ça y est.
- De quoi parlez-vous ?
- Prenez ma tension, allez-y.
- Mon collègue l’a déjà fait avant moi. 13-8, c’est parfait.
- Non mais là, maintenant, vous serez surpris.
- Écoutez
- Maintenant ça suffit
- Mais je ne vous demande pas grand-chose
- Laissez-moi passer.
- Touchez mon cœur, auscultez-moi (trait d’union)
- Bon, je vais appeler le docteur.
- Deux hommes en salle psy, nous avons un problème.
- Connard.
- Je ne veux pas : le trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une réplique, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
« notre contingent est en sous-effectif (trait d’union) »
« Je ne connaîtrai (et non « connaîtrais », si c’est bien la litanie contre la peur dans Dune) pas la peur… »
« en tous les cas rien qui ne justifie une dispense d’effectuer votre service » : là, vous dites le contraire de ce que vous voulez dire, avec ce « ne » explétif ; si j’écris : « Je ne vois rien là qui ne justifie mes sentiments », cela signifie que tout dans ce que je vois les confirme
« Un sous-officier (trait d’union) passa »
« une réforme psy qui aurait risqué de nuire à une carrière qui n’avait pas encore pris de direction propre » : je trouve lourdes ces deux relatives imbriquées introduites par « qui »
« vous ne souffrez d’aucune tare »
« cette montée de chaleur qui colorait ses joues d’un rose plus soutenu qui virait au rouge pour peu que sa tension atteigne des valeurs extrêmes » : un bout de phrase lourd, je trouve, surtout avec ces deux relatives imbriquées introduites par « qui »
« Il ne contrôlait plus les mouvements spasmodiques de son corps » : manque le signe de ponctuation de fin de phrase

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Message  phlip Mar 12 Oct 2010 - 15:29

MONSIEUR BOBO TAILLE LA ROUTE

Ce matin là, dès son réveil, Achille sentit sa gorge sèche, il tâtonna pour trouver la bouteille et avala goulûment un bon demi-litre avec ses médicaments. Le résultat fut immédiat. Sa vessie, déjà sollicitée par une nuit d’abstinence, exigea sa promenade matinale afin de pouvoir se soulager. Mais Achille Bobo, courbaturé par le manque de confort de la banquette arrière n’était pas encore résolu à la sortir. Pourtant, aidée par le concert matinal des bruits de portière et des démarrages de moteurs du parking, elle eut bientôt raison des velléités de sommeil d’Achille.

À peine 6 h 00 à la pendule. Il attendit que le parking fut désert pour descendre de la voiture. Il se dirigea, de guingois, gêné par sa vessie prête à éclater, vers la sortie du parking en actionnant sa télécommande. La grande porte bascula laissant entrer la lumière qui présageait d’une belle journée. Mais Achille n’était pas d’humeur. Ses jambes, ses reins, son dos, son cou étaient douloureux, voilà trois jours qu’il dormait dans sa voiture, qu’il vivait dans un parking et son confort commençait à lui manquer. Si au moins cela pouvait servir à quelque chose…
Il se dirigea vers le bar le plus proche et fonça vers les toilettes. Le patron l’attrapa au passage :
- Monsieur ?
- Un jus d’orange, eut le temps de dire Achille avant de refermer la porte et de se débraguetter en urgence.

Un sourire épanoui se dessina naturellement sur son visage et des frissons le parcoururent dans le dos. Les plaisirs simples de la vie.
Après quelques ablutions, il ressortit pour boire son jus. Il regarda les gens qui sirotaient leur jus à eux au comptoir en consultant leur montre. Lui n’était pas pressé. Il devait patiemment attendre jusqu’à 8 h 15 que sa fille fut partie à l’école pour pouvoir rentrer chez lui avant que sa femme ne se rendit à son travail. Pour la énième fois, il se demanda quelle serait sa réaction en le voyant rentrer. Les scénarios défilaient dans sa tête, et il préparait ses répliques selon ce qu’il imaginait qu’elle dirait.
Une fois fini son verre, il regagna son domicile souterrain, nettement plus détendu qu’à l’aller. Il essaya encore de dormir, mais aucune position ne le satisfaisait. Il s’assoupissait mais était immédiatement réveillé par une voiture qui passait ou par un bruit de pas qui se rapprochait et l’obligeait à se glisser sous ses couvertures pour ne pas être remarqué.

Vers 7 h 30 il émergea du parking pour la seconde fois avec son sac à dos et, changeant de bar, commanda un blanc sec, un grand verre. À cette heure il y avait plus de monde et l’odeur de cigarette avait déjà envahi tout l’espace. Achille dut prendre mille précautions pour qu’on ne le vit pas alors qu’il s’aspergeait de vin. Il finit son verre en prenant bien soin de laisser couler un filet le long de ses lèvres qui finit sa course sur son col. Il but le second et, à jeun qu’il était, son esprit se fit plus acide alors qu’il repartait vers des scénarios de plus en plus précis.
Il allait bien falloir qu’elle comprenne que cette situation n’était pas viable, qu’elle allait le rendre fou. Il n’allait pas s’énerver, rester bien calme, l’écouter. Il savait déjà ce qu’elle allait lui dire. Il pointait les failles qu’il y entendait, lui n’avait rien à se reprocher. Vidant son troisième verre, il estima qu’il était fin prêt. Se dépenaillant avec modération, il se dirigea vers le domicile conjugal en s’oxygénant le mieux qu’il put afin de sortir des vapeurs de l’alcool qui, il le sentait, étaient déjà montées dans son cerveau.

Devant la porte, il sentit son cœur battre un peu plus vite et hésita un moment avant d’introduire sa clef dans la fente.
Sa femme, Ingrid, se préparait pour partir. Elle lui jeta un regard sans expression et ce fut Achille qui dut se fendre d’un « bonjour » trop appuyé. Elle lui renvoya d’une voix ferme mais sans animosité.
Comme il s’assit à de la table du salon, il eut à encaisser les allées et venues d’Ingrid de la salle de bains à la cuisine et de la cuisine à la chambre. Chaque passage silencieux faisait se tendre un peu plus Achille qui, n’y tenant plus, ouvrit le frigo et s’empara d’une canette de bière qu’il ouvrit nerveusement, faisant gicler la bibine par terre. Ingrid se contenta de contourner le lieu des dégâts. Ce qu’il y avait de terrible avec le silence c’est qu’Achille Bobo n’avait jamais su ce qu’il devait y mettre : respect, peur, indifférence ou haine. Il se contentait de le subir et son poids pesant sur ses épaules lui faisait déjà une gêne dans le cou.
L’heure tournait, Ingrid, maintenant enfilait ses chaussures. Alors il céda.
- Ça va Flore ?
- Oui.
Silence. Elle fit ses lacets.
- Tu lui as dit quoi ?
- Que tu étais parti quelques jours chez un copain.
- C’est tout ?
Silence. But sa dernière gorgée de café. Le ton d’Achille monta d’un cran.
- Oui.
Silence. Mit sa veste.
- Tu n’as rien à dire ?
Alors Ingrid le regarda en face, il crut voir, il vit de la détresse au fond de ses yeux sombres. Mais elle se reprit bien vite.
- Il faut que j’aille travailler. Toi aussi d’ailleurs, le lycée a appelé hier, il faut que tu les rappelles.
C’en était trop. Tout alla très vite. Achille prit sa canette et se retint de justesse de l’envoyer dans les carreaux du salon. Debout il aboyait à sa femme que c’était fini, qu’il n’irait plus enseigner des théorèmes inutiles à des boutonneux insipides, qu’il n’aurait plus à partager la couche d’une poupée dégonflée, ni à se préoccuper d’hier, aujourd’hui ou demain. Il sortit son portefeuille et le jeta aux pieds de sa femme, ses clefs pareil. Puis la bousculant quelque peu sur son passage, Monsieur Bobo fit sa sortie.
- Je n’ai plus besoin de rien puisque je n’existe plus.
Sur ces mots énigmatiques il claqua la porte d’entrée et détala vers l’escalier.
À l’intérieur, Ingrid serrait les dents.

Dans ces moments-là, plus rien n’avait de prise sur Monsieur Bobo, ni les piétons affairés sentant confusément qu’il valait mieux s’écarter sur son passage, ni même les voitures qui pilaient à son approche. Il marchait la tête baissée, d’un pas rageur, semblant ne rien voir de ce qui l’entourait. Les salariés étant trop nombreux sur les trottoirs à cette heure, il préféra marcher sur la chaussée, des conducteurs énervés le klaxonnèrent, certains même l’invectivèrent, Achille Bobo ne les écoutait pas , provoquer leur colère lui suffisait. Mais bientôt cette provocation le lassa et il tourna dans un passage peu après le quartier des Lepeu. Le bruit des moteurs s’estompa et il ralentit l’allure. Il se rendit compte qu’il était seul dans cette rue, hormis quelques rats volants se dandinant à la recherche des miettes de notre civilisation. Au bout la Folie. Etait-ce inconsciemment que ses pas l’avaient conduit là où il avait toujours refusé d’aller ? Monsieur Bobo avait aujourd’hui besoin de cette famille d’abandon puisque lui n’en avait plus. Et plus il approchait, moins son pas se faisait ample, il guetta des cris d’enfants, des gens penchés aux fenêtres, des traces de sang sur le trottoir ; rien n’y était.
Il y fut enfin, ce n’était que le début de la rue, mais où étaient Benjamin, sa famille ? Il y avait tricherie sur la marchandise. Il retrouva un peu d’agitation en passant la Roquette, mais quelques pas plus loin le calme revint. Un quartier populaire certes, mais où était la vraie vie là-dedans ? Et dire que c’était là qu’Isaac s’était retrouvé. Tout cela n’avait pas de sens. Au 78, il y avait bien gaz et eau à tous les étages, mais il n’essaya même pas de pousser la porte de l’immeuble. Sa rage redoubla de plus belle et il maudit les marchands de rêve.
La vraie vie n’était pas ailleurs.
Son pas s’allongea et il remonta à droite au sortir de la Folie, mais préférant ne pas affronter les hauteurs de Belleville, il s’engagea dans la République, même si cela n’avait pas de sens.

Il remonta la grande artère, mais déjà l’alcool se dissipait et Achille n’y mettait plus la même rage. Sa vessie gonflait de nouveau et sa gorge était sèche.
Que faisait-elle en ce moment ? Etait-elle partie au boulot où l’attendait-elle ? Non, elle était partie comme tous les jours, pourquoi se serait-elle souciée de lui, et pourquoi donc se souciait-il d’elle ? N’avait-il pas tout abandonné ?
Il sentit soudain le vide, la vacuité de son existence, il n’était plus maintenant qu’un anonyme de plus sur le trottoir, sans nom, sans adresse, sans avenir.

Il arriva sur la place, partout des gens allaient et venaient inoccupés pour la plupart. Achille ne comprenait pas que tant de gens fussent dehors à cette heure. Ne travaillaient-ils donc pas ? Cette cohorte qu’il croisait tous les jours, n’était-elle faite que de chômeurs, S.D.F., délabrés, évaporés de l’esprit, comme lui ?
Il obliqua vers l’ouest, ses trajectoires divaguaient au gré des noms qui l’attiraient. Il passa des petites écuries au paradis évitant les rues trop larges. Les questions commençaient à se bousculer dans sa tête. Il fallait dormir, manger, boire aussi mais sans doute ne plus fumer et ne plus penser, surtout ne plus penser. Il était libre enfin, un point c’est tout. Il s’arrêta net et, se retournant, leva la tête vers le soleil pour y puiser quelques forces ; sa main dans la poche qui sentit les quelques billets de cent francs qu’il y laissait toujours traîner, le réconforta un peu plus. À droite les martyres, il s’y engagea d’un pas apaisé.
Plus haut, il voyait Montmartre, qu’il contourna en évitant soigneusement de s’engager vers ses hauteurs et se retrouva comme naturellement rue Championnet près du 95. Il ne s’y trouvait ni bar ni Bernard, ni machine à café. Pour eux tout avait déjà explosé depuis longtemps, il le savait. Mais dans sa tête Monsieur Bobo était là, écoutant la musique de ses potes virtuels. Il y avait encore des couscous rue du Ruisseau, des bars aussi et comme sa vessie ne tenait plus, Achille entra dans le premier qui s’offrit à lui. Après ses ablutions il s’accouda au bar accompagné d’un blanc sec.
La tension était maintenant redescendue et il regarda les gens alentours avec un œil nouveau, compatissant avec les faibles et tellement supérieur à tous ces nouveaux ou anciens parvenus, intellectuels, de droite ou de gauche, notions qui n’avaient aucun sens pour lui. Il les regarda même avec un petit sourire appuyé afin qu’ils sentent sa nouvelle supériorité d’homme libre dégagé des contingences d’un monde d’égarés. Les quelques blancs aidant ; Achille Bobo se sentit heureux, comme il ne l’avait pas été depuis trop longtemps, il remonta vers Ordener et s’installa sur un banc moitié à l’ombre dans la position d’un type qui n’en a plus rien à foutre. Il voulut faire quelques statistiques, mais les couleurs de peau sont souvent approximatives alors il tenta une catégorisation propre à trois entrées : l’âge : jeune, vieux ou middle age (les moins de quinze ans n’entraient pas dans sa grille) ; le degré de connerie : stupide, con ou intello ; et le look : mode, vieux ou j’m’en branle. Alors muni d’un stylo, il compta un à un tous ceux qui passaient. Le look se voyait de loin, l’âge se dessinait de même assez vite mais parfois, le degré de connerie devait être l’objet d’une étude plus minutieuse et Achille déshabilla du regard quelques passants qui n’en demandaient pas tant.
La plupart passaient, indifférents. Quelques uns rendaient son regard à Achille, comprenant vite que ce type à la chemise ouverte et à la barbe de trois jours n’était pas dans son état normal, mais quelques uns furent violents.
Tant qu’il ne s’agissait que d’oralité, Achille Bobo était au dessus de tout ça et même il se plaisait à répondre aux invectives par un sourire ou une révérence, pourtant quand un type en vint à l’attraper par le colback, ce fut une autre histoire, il dut faire profil bas, mais le type avait lui aussi un coup dans l’aile et ne voulut pas lâcher le morceau. Achille s’excusa, déjà le type le secouait. Les passants, bien sûr, obliquaient pour éviter la scène tout en la suivant minutieusement du regard. Achille s’excusa plus fort, le type finit par le balancer sur le banc en injuriant les Bobo sur plusieurs générations et s’en fut en maugréant et se retournant pour vérifier que cette lope ne le suivait pas des yeux, ce qu’Achille évita soigneusement de faire jusqu’à ce qu’il fut sûr que le costaud fut loin de lui.

Il ne sentit même pas la douleur qui tenaillait son cou. Etait-ce la peur ou le choc mais sa vessie, fort sollicitée ces derniers temps, n’avait pu surmonter cette épreuve. Il sentit un jet chaud et eut encore la force de se contrôler, mais le pire était fait. Il sentit quelques gouttes le long de ses cuisses et baissant la tête, il constata la tâche qui remontait du bas de sa braguette.
Une bouffée de chaleur lui monta et il s’assit sur le banc plié en deux comme par la douleur qu’il voulait qu’on ne croit que physique.
Reprenant un semblant de calme, il chercha une solution qu’il trouva en son sac qu’il mit devant lui. Il se leva prestement, orienta son pas dans l’exacte direction opposée à son agresseur puis obliqua dans une rue puis une autre et encore une et, quand il estima qu’il fut assez loin de quiconque ayant pu être témoin de l’altercation, il chercha un bar d’un confort relatif afin qu’il put se sécher.Mais il s’était perdu dans un dédale de petites rues qu’il ne connaissait pas et par le bout de Lepic, il se retrouva sur Clichy. Il n’aimait guère ce quartier mais il y trouva ce qu’il cherchait. En commandant un soda noir dans une bouteille en verre avec une étiquette rouge, il descendit aux toilettes et constata que la tâche avait presque entièrement séchée.
L’auréole qu’elle avait faite était si légère qu’à moins de le débraguetter dans une position des plus suggestives on ne pouvait la voir. Accessoirement Achille s’aperçut que sa jambe était éraflée, mais l’auréole le tracassait particulièrement. Il ôta donc son pantalon et entreprit à l’aide d’un de ces bons vieux mouchoirs en tissu de frotter l’auréole avec l’eau du lavabo. Puis il sécha son pantalon à la souffleuse. Déjà plusieurs coups s’étaient fait entendre à la porte et on entendait des voix derrières, mais la soufflerie était à peine tiède et la tâche d’eau persistait encore. Quand une voix s’éleva pour lui demander fermement de sortir, Achille dut remettre son pantalon en hâte et sortir, son sac toujours à hauteur de son bas-ventre. Et comme il gardait profil bas et ne disait aucun mot les cinq personnes qui attendaient là eurent vite fait de comprendre ce qu’il traficotait dans les toilettes. Achille monta les escaliers quatre à quatre, jeta un billet à côté de son soda et sortit du bar.
Malgré ses efforts de nettoyage, il se sentait sale, en plus il devait y avoir une odeur. Ça cogitait dans sa tête et il fuit ce quartier, en s’enfonçant dans Blanche sans se rendre compte qu’il passait déjà près de ce petit jardin qui l’avait fait pleurer quelquefois, autrefois. Il reprit un peu de sérénité en constatant que son pantalon était sec, mais sa gorge aussi et son estomac vide. Mais c’était déjà les beaux quartiers et il décida de pousser jusque par delà la Seine, il y avait là quelques sandwiches grecs dont il avait le souvenir.
Depuis combien de temps ne s’était-il plus aventuré au Quartier Latin ? La boutique était toujours là, le pita n’était plus le même, ce qui changeait fortement le goût du sandwich, mais somme toute la note était assez bonne et mordant goulûment dans son sandwich, Achille arpenta les rues des cinéphiles. Il se rappela quand il s’enfournait séance sur séance, il avait vu là des films tombés dans l’oubli alors qu’ils dégoulinaient de génie, des nanards sublimes que même le père Moine ne connaissait pas.
De nouveau il se trouva un banc et son esprit voltigea quinze années en arrière.
Pourtant, un espèce de malaise lui vint, comme s’il ne reconnaissait pas tout à fait ce quartier dont il avait si souvent arpenté les rues. Ces rues, les trottoirs, les immeubles étaient toujours là, immuables, et ce n’était pas les dérisoires changements des signalisations urbaines qui causaient son trouble. Ce ne pouvait donc être que les gens. Qu’est-ce qui avait donc changé chez eux ? Certainement moins de costards, plus de jungle dans le look, mais aucune mode durable ne s’étant inscrite durant les quelques années passées, hormis les inévitables néo-modes inhérentes aux civilisations baroques, ce n’était pas ça non plus qui le gênait.
Comme il commençait à dévisager les gens avec plus d’insistance, une récente mésaventure se rappela à sa mémoire et son regard descendit pour tomber sur les chaussures qui défilaient devant lui à cette heure déjà avancée de la journée. Il ne lui fallut pas plus de trente secondes pour comprendre.
Il était là ce changement qui flottait dans l’air. Les quidams avaient beau se saper de toutes les manières possibles pour sortir du lot, ils n’échappaient pas au nivellement par le bas : l’uniformisation par les chaussures, le règne des baskets, tennis, joggers et autres pompes de sport, à cinquante ou à deux mille balles c’étaient toutes les mêmes.
Le nez penché, Achille égrenait ses statistiques alarmantes. Encore raisonnable chez les femmes, le pourcentage des chaussures de sport dépassait les soixante pour cent chez les hommes. Et combien de fautes de goût, Achille ne les comptait plus. Lui même ne ressemblait à rien mais il n’avait pas le choix, alors qu’eux passaient parfois plus d’une heure à se parer pour affronter le miroir des autres, terrible pressoir de la société, pour finir par enfiler des baskets.
Regarde mes pompes et tu verras qui je suis.
Il en rit.
Des gens le regardèrent, il préféra filer.
Il repiqua vers la Seine qu’il longea vers l’ouest tout à ses méditations philosophiques sur l’humain et sa chaussure. Il prévoyait que d’ici dix ans, plus de quatre vingt pour cent de la population porterait des baskets, mais ces statistiques n’avaient rien d’universelles, le type de Bombay n’y entrait certainement pas, sans parler de l’Africain.
L’Afrique, bon sang, c’est ça qu’il devrait faire, partir là-bas, il avait tant de fois rêvé d’y vivre dans la chaleur moite d’un bidonville en tôle. Il partait déjà, faisant la liste des préparatifs quand il s’aperçut qu’il avait machinalement quitté les bords de Seine et qu’il était maintenant entré dans l’Université. Un frisson le parcourut et il prit Constantine en filant à bon pas.
Ses pas l’avaient conduit jusque dans la rue d’Ingrid, de sa famille.
Il traversa les Invalides, l’Ecole Militaire et se retrouva sous le métro aérien. Là il souffla un peu, la soif le prit, il acheta un peu de bibine bien fraîche, s’installa sur un banc et sirota en repensant à sa journée.
L’alcool aidant, il la vit un peu comme une journée initiatique, et finalement l’odeur d’urine qu’il croyait discerner quand il baissait sa tête vers son entre-jambes serait dorénavant son lot quotidien comme elle l’était de tous ceux qui ont choisi de baisser les bras pour relever la tête.
Du coup il se sentit mieux et même un peu clochard déjà. Demain il essayerait le test de l’aumône. Celui-ci ne serait certainement pas facile, mais Achille était remonté. La nuit était tombée et le thermomètre aussi, Achille se frotta les épaules.

Un clochard avec un caddie passait qui s’arrêta pour lui demander une tige. Achille n’en avait pas, mais le clochard s’assit sur le banc entamant la conversation :
- T’es à la rue ?
- Oui.
Le clochard sortit d’une poche de son long manteau crasseux une cigarette qu’il lissa pour la redresser, il lissa sa barbe ensuite pour avoir accès à sa bouche et enfourna la clope entre ses lèvres.
- On partage ?
- Non merci.
- Tu fumes pas ?
- Si mais j’ai pas envie là.
Sans doute Achille avait été trop franc, le clochard était un vieux qui avait l’habitude.
- On voit que t’es nouveau, toi.
- Ah bon ?
- Tu fais ton dégoûté là, mais après tu verras.
Un bon point, au moins le vieux le considérait comme ayant passé la barre.
- Au moins tu sais où bouffer ?
- J’ai un peu de…
Un mauvais point, le vieux le prit tout de suite.
- Alors là vraiment tout neuf !
- …
- Tu sais où pieuter au moins ?
- J’dors dans la rue.
- Dans la rue ça caille, y t’faut des cartons ou…
- J’ai pas besoin.
- Tu sais où c’est le SAMU ?
- J’m’en fous.
- Oh là attends voir.
Et sous les yeux ébahis d’Achille, le clochard, fouillant dans une poche intérieure sortit un portable et composa un numéro.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- J’appelle le SAMU social.
- Non merci.
- Allo… Bonjour c’est Gaby… Je suis avec un …….
Achille n’en entendit pas plus, il prit son sac et fonça droit devant lui.
- Attends ! Où que tu vas ?
Achille marchait. C’était encore loin d’être gagné. Il fallait se casser d’ici, se barrer de Paris et fissa. Il voulait être tranquille. Se repérant vite fait, il fila vers Montparnasse. La Bretagne, terre de tous les aventuriers et corsaires, de là qui sait, il pourrait même prendre un bateau, passer Etel et partir au large. En attendant il fallait trouver un train.

Dans la gare Achille scruta minutieusement le panneau des départs, mais était-ce qu’aucune destination de la soirée ne lui plut ou qu’il hésita encore à lever l’ancre, il décida finalement une main dans sa poche qu’un clochard ne voyageait pas en train, à la rigueur dessous, mais qu’il ne s’en sentait pas le courage pour ce soir. Il partirait à pied comme un marcheur qu’il avait toujours été.
Cette sage décision prise et au vu de l’économie faite envers la S.N.C.F., Achille Bobo décida d’aller boire une petite pinte au Ti-Joss. L’heure ne s’y prêtant pas encore, il remonta par le Maine pour écluser une bière brune avec un pélican sur l’étiquette en regardant les coups de queue secs des joueurs de billard.
Il se demanda s’il allait jouer, mais comme il attendit que toutes les tables se remplissent, il finit sa seconde bière et passa à la Gaîté pour arriver au Ti-Joss.
La cave n’était pas encore remplie, mais il choisit de rester au bar. Le serveur était un type plutôt jeune avec une queue de cheval, un beau gosse avec du caractère. Son débardeur laissait apparaître ses bras tatoués et on voyait le jeu de ses muscles dans certain de ses mouvements. Achille engagea la conversation. Le serveur répondit volontiers, sourit même aux plaisanteries d’Achille, mais celui-ci sentit que sa conversation ne l’intéressait que vaguement. Au moins Achille avait-il lié connaissance ce qui pourrait lui rendre service si la soirée se prolongerait. Et elle se prolongea.
À trois heures du matin, dernier souvenir qu’il garda de cette soirée, il était assis dans un coin sa bière dans une main écoutant sans entendre ses convives. Avant cela il avait bu avec tout le monde, raconté des histoires qui avait fait se tordre de rire l’assistance, embrassé une belle blonde (ou failli embrasser ?), il s’était de nouveau pissé dessus, mais cette fois, quelle importance ! Il avait même chanté, ce qui ne lui arrivait jamais en public à moins d’une annihilation totale de ses glandes inhibitrices. Bref, il avait vécu.

Et là, d’un seul coup, il décida de partir.
Rien ne pouvait plus l’arrêter. Monsieur Bobo s’était levé et écartant les autres d’une main sûre il s’était frayé un passage vers l’escalier. Dehors l’air lui avait fait le plus grand bien, il avait marché des heures, des jours, ne s’arrêtant que pour dormir et chiper quelques fruits aux étalages des villes qu’il traversait. Il avait fait du stop, un camion l’avait emmené à Brest. De là il avait guetté quelques jours au port les navires en partance, dormant sous les hangars des docks, se nourrissant de poissons péchés au petit matin avec une canne à pêche improvisée pour la situation. Enfin, un navire partait pour Abidjan, Monsieur Bobo avait fait ses comptes et avait été voir celui qui lui avait paru le plus haut de la hiérarchie du bateau. C’était le capitaine et il avait bien voulu bien le prendre à son bord en échange de travaux quotidiens. Tout cela dans la plus grande illégalité bien sûr et moyennant la ponction de l’ensemble des finances de Monsieur Bobo sinon un billet de cent qu’il avait réussi à cacher dans sa doublure. À Abidjan, le capitaine ne voulait plus jamais entendre parler de lui et vogue la galère. Monsieur Bobo était donc arrivé quasiment vierge sur le continent africain. En descendant du bateau aux premières heures de l’aube il avait senti un lourd rayon de soleil qui lui venait sur la gauche et chauffait son visage. Il le chauffait tellement qu’il essayait de l’éviter, mais pas moyen, il était toujours là sur sa joue et son œil gauche et bientôt il ne vit plus rien que du noir, cligna de l’œil et se réveilla dans un lit inconnu, à côté de lui se trouvait une brune dont Achille n’avait, non plus, nul souvenir, pas plus que de la chambre dans laquelle il se trouvait.
En observant plus scrupuleusement la femme qui était à côté de lui il espéra n’avoir pas abusé d’elle.
Elle le rassura en se réveillant quelques instants plus tard alors qu’il tentait de s’extirper discrètement du lit. Il avait bien essayé mais s’était endormi. Il l’écouta à demi-rassuré seulement, tout en fouillant nerveusement la poche de son pantalon pour voir si son argent s’y trouvait toujours. Diminué certes par la nouba de la veille mais le reste était là.
- Tu peux te faire un café si tu veux.
- Non c’est bon, faut que j’y aille là. En tous cas merci.
- Oh y’a pas de quoi.
- Enfin je veux dire désolé pour hier soir.
- De toutes façons j’avais pas envie.
- Alors c’est parfait… Euh dis moi on est où là ?
- Comment ça où ?
- On n’est pas à Paris là.
- Je vois, t’as vraiment pas suivi… On est à Versailles.
- Versailles ! Tu m’as ramené à Versailles !
- Oui y’a un problème ?
- Oui…, enfin non en fait c’est parfait même.
- Et ben voilà.

Tout était finalement pour le mieux. Achille prit congé de son hôte inconnue sans oser même s’en rapprocher et dehors s’orienta vers l’ouest. Il eut tôt fait de trouver des signalisations et ses connaissances en géographie, quoique rudimentaires, lui suffirent pour s’orienter vers la Bretagne.
L’air était frais et revigorant, Achille en avait bien besoin, car maintenant qu’il naviguait seul il sentait les tamtams dans son crâne, les glouglous dans son ventre et, sous le soleil matinal une sueur aigre qui perlait des pores de sa peau et qui sentait l’alcool, il en avait la sourde sensation alors qu’il marchait à pas rapides, soucieux de se sortir au plus vite de la cité des rois. Il marcha longtemps comme il savait le faire pour évacuer tous ses déchets, il ne s’arrêtait que pour quelques vidanges nécessaires à l’élimination des scories de la veille.
La cuite avait dû être sévère car il dut marcher jusqu’à la nuit tombée, sans rien avaler. Et plus il marchait, plus il se sentait en forme, plein d’une énergie nouvelle : la liberté.
Il était en pleine campagne quand il eut conscience que les gargouillements de son ventre étaient maintenant ceux de la faim. Plus loin on distinguait les lumières d’une bourgade. Après une pause Achille reprit son chemin espérant y trouver quelque estaminet afin qu’il put s’y rassasier. En reprenant sa marche il sentit la fatigue et la douleur dans ses jambes. C’était une fatigue saine, pas celle de ses nuits sans sommeil, une fatigue d’athlète qui finit son marathon et, qui, fier de son parcours, puise dans ses dernières forces pour rejoindre le stade où il pourra enfin trouver le repos.
Mais le stade d’Achille Bobo était encore loin, les lumières faussaient les distances, et Achille arriva enfin, épuisé, dans ce qui n’était qu’une ferme et ses dépendances où quelque bouseux karchérisait les devants de son étable.
Comme le type le regardait avec l’insistance qu’on a pour ceux qui ne cadrent pas avec le paysage, Achille lui demanda s’il y avait un endroit dans le coin où il put casser la croûte. Ce ne fût pas pour rassurer l’homme qui se demanda à quel genre d’hurluberlu il avait affaire. De toutes façons le moindre patelin fréquentable était à plus de huit kilomètres. Le type risqua :
- Vous avez eu un accident ?
Ce qui sans doute en disait long sur l’aspect d’Achille, mais celui-ci, qui n’avait pas préparé de plan d’attaque, lança seulement :
- Non. Je suis en vadrouille.
Son expérience de la veille ne lui avait pas servi.
Le type voyait bien qu’Achille n’était pas un clodo comme il en passait parfois. De son savoir profond issu des programmes télévisions, il pensa au maniaque et coupant court à la conversation lança :
- Bonne soirée.
Phrase qui évidemment n’avait aucun sens dans la situation d’Achille. Le type s’en fut ranger son matériel, mais Achille qui n’avait guère d’autres solutions renchérit :
- Vous n’auriez pas quelque chose à manger… je peux vous payer, j’ai de l’argent. Au moins une bouteille d’eau.
Le type se retourna, répondit par un grognement qu’Achille ne comprit pas et regagna sa maison.
Que devait faire Achille ? Le type avait-il dit oui ou non ? Il décida d’attendre un moment.

Dans la maison, le type chargeait un fusil.

De toutes façons s’il ne ressortait pas, ce ne serait qu’une épreuve de plus, le jeûne dans sa jeune carrière de clochard.

Dedans, la femme du type s’inquiétait de la situation.

Achille vit, derrière une fenêtre éclairée, des rideaux entrouverts. On l’observait. Etait-ce bon ou mauvais signe ? Il commençait à s’éloigner quand il vit la porte par où le type était entré chez lui se rouvrir. Simultanément le rideau s’entrebâillât de nouveau. Le type sortait plus rogne que jamais avec dans ses mains un sandwich, deux œufs durs et une bouteille d’eau. Un sourire s’illumina sur le visage d’Achille, il sortit un billet de sa poche mais le type ne voulût rien savoir, ça lui faisait déjà assez mal comme ça d’avoir dû céder à sa femme.
Achille se confondit en excuses pendant que le type partait à reculons vers sa maison. Finalement Achille s’éloigna en faisant un signe au rideau entrebaîllé, certain qu’on l’observait encore. Il dévora son sandwich en philosophant sur la bonté humaine qui, c’est sûr, est inversement proportionnelle à la taille de l’agglomération habitée.

Plus loin il repéra un petit bois dont l’orée lui sembla accueillante. Il y dirigea ses pas à travers quelques barbelés. Le sol était un peu caillouteux, avec une branche il balaya le plus gros puis se fit une petite place confortable pour mettre son duvet.
Il s’installa là, regardant les étoiles comme à la belle époque pensa-t-il, quand il n’était pas encore redevable à cette société pourrie qui l’avait infiltré de l’intérieur. Mais il en était libéré, aujourd’hui, bien qu’on fut peut-être déjà demain. Demain n’avait plus d’horaires, plus d’élèves fastidieux au destin tout tracé, demain, il n’y avait rien qu’un nouveau jour sans lendemain.
Achille se réveilla avec une douleur qui lui prenait le bas du dos et remontait jusqu’à ses cervicales. Il ne sentait plus rien au niveau de ses pieds sinon le fourmillement inhérent à une mauvaise position prolongée. Il partait des orteils remontait le long de ses mollets et même de ses cuisses. Ce n’est que quand Achille sentit le fourmillement au niveau de son sexe, pourtant fièrement dressé en cette belle matinée automnale, qu’il comprit que l’engourdissement n’était pas la cause des chatouillis qu’il sentait maintenant partout sur son corps. Achille tenta de s’extirper sans plus tarder de son duvet mais la paresthésie de ses membres inférieurs était réelle et, ne pouvant y prendre appui, il s’étala de tout son long, la tête en plein dans la fourmilière dont les habitants couraient le long de son corps, essayant de grappiller là un morceau de peau morte, ici un poil fatigué.
Achille était à l’agonie, ses mains s’agitaient frénétiquement pour ôter ces milliards d’insectes qui lui montaient sur le corps, pénétraient, il en était sûr, ses orifices les plus intimes. Quand il put enfin se lever il se mit à courir du mieux qu’il put, ses jambes ne répondant encore que modérément à une sollicitation trop brusque, tout en se secouant énergiquement en tous sens. Si, par aventure, quelqu’un l’eut vu à cette heure matinale battre la campagne en caleçon en agitant frénétiquement les bras, sûr qu’il l’aurait embauché sur le champ comme épouvantail, à moins qu’il n’eut pris la décision plus sage de prévenir la gendarmerie. Mais personne ne remarqua l’étrange manège d’Achille Bobo.
Enfin débarrassé de tous ces parasites, il put reprendre sa route tout droit. L’expérience n’avait pas été sans dégât pour son cou, il le sentait à chaque pas et les grimaces qu’il faisait pour l’apaiser étaient pour le moment stériles (un truc chinois qu’il essayait depuis quelques temps et dont il commençait d’ailleurs à douter de l’efficacité). Mais il en vint à se dire que ce n’était que des détails et que bien qu’il ait couché à la belle étoile, au milieu des champs, cerné par le pollen, il n’avait eu aucun symptôme d’une quelconque crise allergique ce dont il était pourtant coutumier. Ainsi rasséréné, son cou lui fit moins mal, il se prit même à sourire de ses aventures matinales. Il s’imaginait quelqu’un qui, d’aventure, l’aurait vu ce matin, et se serait bien moqué de lui. Achille Bobo riait de lui-même.
Comme ça il avala les kilomètres, marchant sans un regard pour les voitures qui passaient, retardant le plus longtemps possible le moment de tendre son pouce pour attirer la voiture. Il avait mal aux jambes, ses pieds démesurément larges réclamaient de l’air à grand cri dans ses baskets fatiguées, ses ongles incarnés en profitant pour se faufiler discrètement là où ça faisait mal. Mais Achille marchait, cette douleur était une vraie, une bonne douleur physique.
De celles qui vous faisaient sentir vivant.
Parfois il s’arrêtait et exhibait fièrement ses orteils le long de la départementale, il se massait les cuisses et les mollets, le cou aussi, puis il repartait, le plus difficile était de se lever. Après,… ça roulait tout seul.
Il s’arrêta aussi dans un patelin qui proposait une boutique alimentaire quelconque où il se ravitailla en eau et en vivres pour plus de vingt quatre heures.
Il se trouva ainsi alourdi principalement par les bouteilles d’eau, mais repartit quand même d’un bon pas, comptant les kilomètres, chacun était un de plus gagné sur la mer.
Il s’imagina qu’il la sentirait avant de la voir, il se flattait d’avoir un odorat assez développé, mais il en était encore loin. Et plus les kilomètres passaient plus la douleur augmentait, du cou elle descendait aux épaules, des pieds elle était montée aux mollets et des cuisses elle passait aux reins, mais qu’importe ce n’était rien à côté de ce qu’avait pu endurer Indiana Jones.
Monsieur Bobo se sentait un aventurier, oh, bien modeste certes, mais quand même il avait tout envoyé promener, avait choisi l’avenir incertain de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Il se sentait plus digne, errant sur une route sans fin qu’enseignant aux méthodes éculés dans une institution absurde qui confondait enseignement et éducation.

On était loin de Paris maintenant et Achille Bobo ne sentait plus l’odeur de la ville. C’étaient des odeurs mêlées de bois humide, de maïs gorgé de soleil, de rue, et de milliers d’autres parfums qu’il ne connaissait pas.
Parfois il prenait une fleur et une autre sur le bord de la route et comparait leurs odeurs tout en marchant. Il rêva à une bibliothèque des senteurs, où chaque plante serait répertoriée avec ses différentes fragrances selon son origine géographique voire même micro géographique. L’environnement même de la plante influe certainement sur son parfum. Il se promit de trouver un livre sur ce sujet car la chose l’intéressait au plus haut point en ce moment précis de son existence.
Pendant qu’il dialoguait avec lui-même, Achille s’aperçut que son pas avait singulièrement baissé en cadence. En fait il n’en pouvait vraiment plus. Mais il décida de porter son corps plus loin dans ses limites et se donna un minimum de cinq kilomètres avant de prendre un vrai repos.
Il se rafraîchit avec une bouteille qu’il vidât, un kilo cinq en moins sans compter le poids de la bouteille -, réajusta son sac et, comme un gladiateur avant l’ultime combat - dont on sait toujours l’issue -, il redressa son corps, secoua ses jambes puis repartit d’un pas modéré tout d’abord et qu’il accéléra méthodiquement jusqu’à la limite de ses possibilités.
Cette fois-ci il ne comptait plus les kilomètres mais les centaines de mètres. Sa fatigue était réelle quand il parvint aux cinq kilomètres fatidiques. Pour la gloire il en rajouta deux. Ses jambes tremblaient quand il s’arrêta quelques centaines de mètres plus loin dans un endroit un peu à l’écart de la route qui lui parut convenable pour se reposer. Même son souffle était court. Après s’être rassasié - quelle heure pouvait-il être ? -, Achille tenta de s’allonger mais les bêtes des herbes et des airs étaient légion, elles tournicotaient aux pieds libérés d’Achille ou autour de sa tête.
Il s’enfouit alors dans son duvet mais le soleil tapait, il eut trop chaud et dut vite en sortir.
Il décida de reprendre alors la route avec le pouce plus qu’avec les pieds. Il remit ses pieds noirs dans ses chaussures noires, mais eux ne semblaient pas d’accord, les gros orteils particulièrement qui avaient repris de l’ampleur après leur compression prolongée firent cruellement savoir leur désaccord à leur maître et Achille ne put progresser qu’à petits pas pour cacher son mal.
Bien sûr les voitures passèrent.
Le soleil descendait au loin. Ce fut finalement un tube qui s’arrêta, une camionnette plus que chevronnée dont on se demandait comment elle tenait encore la route. À l’intérieur s’y trouvaient deux hommes et une brebis. Si encore c’eut été une chèvre ! Les types engagèrent la conversation et Achille Bobo ne savait pas quoi dire. Oui il était de Paris, en vacances, il avait pris une année sabbatique, …
Il était assis sur la banquette avant entre les deux hommes et déjà celui de droite avait débouché une bière et la lui tendait. Achille ne se fit pas prier, il trinqua avec eux et se sentit plus à l’aise. Le type de droite lui envoya une bourrade sur l’épaule en dévoilant un sourire édenté avec une régularité qu’on eut cru voulue. Achille devina qu’ils étaient bergers, puis agriculteurs et la glace fut rompue. Le type de droite tenait Achille par l’épaule et le conducteur riait comme une banane. Ils revenaient de chez le véto, pour leur brebis, une fameuse, qu’était soi disant malade. Le véto paraissait bien loin à Achille vu le nombre de kilomètres qui s’égrenaient au compteur, ce qui n’était pas pour lui déplaire au demeurant.
C’était que celui-là, il était plus cool, on peut toujours s’arranger et elle avait rien la Marlène, c’était le nom de la brebis. Quelques autres bières furent débouchées. Le type de droite était collé contre Achille et sa main gauche venait souvent lui frotter sa cuisse d’une manière toute rustique. La fatigue, les bières, il ne comprit pas tout de suite, mais quand la main de l’autre remonta entre ses cuisses pour atteindre son sexe, il prit conscience de ce que voulait l’autre. Il voulait le faire bander.
Achille eut peur entre ces deux rudes paysans aux mines qu’il jugeait maintenant patibulaires. Puis il s’aperçut que la main de l’autre insistait et que sa queue se redressait. Il prit la main qui l’excitait et la repoussa.
- Vous allez me laisser là.
- En pleine campagne ?
Oui je vais me trouver un coin pour dormir.
On arrivait bientôt au patelin avec un bar. Il leur payerait un coup et ils lui montreraient un coin où dormir.
Mais il préférait continuer à marcher.
Il pouvait au moins leur payer un coup !
Achille se dit que dans un bar il y aurait quelques âmes moins perverses, et qu’il pourrait s’y sentir en sécurité. Et s’il y avait des chambres il pourrait être tranquille.

Il y en avait des âmes, des perverses et des moins subtiles, on eut dit que ce rade infâme, surgi de nulle part, regroupait tout ce qui pouvait se trouver dans la région.
Des types en costumes, assoupis au fond de leur pastis, des remontés à la bière avec des looks d’Hell’s Angels, des paysans terreux devant leur soupe fumante, des doigts noirs de cambouis jetant des dés sur une piste, un juke-box avec une mini-jupe accoudée à sa devanture, et de la musique, enfin du bruit : le juke-box, bien sûr, mais aussi le chting des assiettes, les pas du serveur et sa voix qui envoie derrière le zinc des commandes sténo, les autres voix feutrées, criardes, les reniflements, les claquements de rire, les grésillements de la cuisine ; et puis la fumée : ici, la zone non-fumeurs c’est dehors, la fumée obligatoire qui monte des tables et s’avance inexorablement vers le zinc derrière lequel un énorme type tranquille fait son bizness sans état d’âme, protégé par le nuage qui l’encercle.
Au moins là, pas de problème pour Achille. Il put se détendre et sans plus penser à une quelconque chambre, il discuta avec la patron, un ancien berger lui aussi, mais des Landes « qu’avait posé son sac dans ce coin pour être tranquille » comme il disait.
Il fit le tour des tables et but trop de bières. Son esprit commença à être trouble, il avait oublié les deux péquenots et leurs ratiches. Eux aussi forçaient sur la bibine, mais plus habitués, ou de constitution plus gaillarde, ils gardaient leur équilibre.
Achille Bobo ne l’avait déjà plus. Il se souvint juste qu’il eut envie de pisser, quoi de plus normal, après ce qu’il avait absorbé, la liste d’attente pour les chiottes était longue, on était quasi dans la nature, il sortit dans la zone non fumeur pour se soulager, marcha ou plutôt zigzagua vers le vide où brillaient seulement quelques étoiles, sortit de la route pour un chemin qui bordait un petit bois, se débraguetta et, avec un peu de lumière, on aurait pu voir sur sa face le sourire particulier qu’ont les humains dans cet accouchement singulier de leur urine quand elle est un fardeau.
Est-ce que Monsieur Bobo sentit vraiment les mains sur ses fesses et qui baissaient plus bas son pantalon ? Il tomba à genoux.

Le lendemain matin en s’éveillant il était sûr qu’il n’était pas au même endroit que la veille. Il n’avait pas pu marcher si loin en sortant du bar. Et pourquoi était-il en caleçon ? Il avait comme une envie de déféquer mais sans qu’il y ait matière à…
Il avait soif. En s’essuyant la bouche il constata qu’il était plein de boue, il se débarbouilla d’une espèce de couche rougeâtre qui lui couvrait la figure et rejoignit péniblement la route la plus proche. Il avait du mal à marcher.
Autant dire qu’aucune voiture ne prit cet énergumène en caleçon qui relevait moins d’un improbable peau-rouge égaré dans le monde occidental que d’un survivant d’Halloween 68. Par contre nombreux furent ceux qui se précipitèrent sur leur téléphone pour avertir, la gendarmerie, le commissariat, Police Secours, le SAMU, la préfecture, voire leur psychiatre, de ce qu’ils avaient cru voir.

C’est ainsi qu’Achille Bobo fut retrouvé par une escouade comme on n’en avait encore jamais vue dans la commune de Bréhal. Si Achille en avait eu le temps, il aurait pu sentir à quelques kilomètres l’odeur de la mer qu’il avait failli atteindre.
Il fut emmené en urgence à l’hôpital.


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Message  Invité Mar 12 Oct 2010 - 16:44

La dérision du texte est plaisante, je trouve, et il y a des épisodes bien décrits, prenants (notamment l'épisode onirique, et l'enculade par les péquenots, un petit parfum de Délivrance, et au fait vous n'auriez pas écrit "péquenaud", à un moment ? Si oui, c'est une erreur), mais alors il faut les mériter ! Pour moi, l'ensemble est bien trop long, surtout au début avec la bonne femme d'Achille, les pérégrinations dans Paris, la première journée. Après, c'est mieux rythmé à mon avis.

Mes remarques :
« Il attendit que le parking fût désert »
« Il attendit que le parking fut désert pour descendre de la voiture. Il se dirigea, de guingois, gêné par sa vessie prête à éclater, vers la sortie du parking » : la répétition se voit, je trouve
- Monsieur ?
- Un jus d’orange
- Ça va Flore ?
- Oui.
- Tu lui as dit quoi ?
- Que tu étais parti quelques jours chez un copain.
- C’est tout ?
- Oui.
- Tu n’as rien à dire ?
- Il faut que j’aille travailler
- Je n’ai plus besoin de rien
- T’es à la rue ?
- Oui.
- On partage ?
- Non merci.
- Tu fumes pas ?
- Si mais j’ai pas envie
- On voit que t’es nouveau, toi.
- Ah bon ?
- Tu fais ton dégoûté
- Au moins tu sais où bouffer ?
- J’ai un peu de…
- Alors là vraiment tout neuf !
- …
- Tu sais où pieuter au moins ?
- J’dors dans la rue.
- Dans la rue ça caille, y t’faut des cartons ou…
- J’ai pas besoin.
- Tu sais où c’est le SAMU ?
- J’m’en fous.
- Oh là attends voir.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- J’appelle le SAMU social.
- Non merci.
- Allo… Bonjour c’est Gaby… Je suis avec un ……. (typographie, pas d’espace avant les points de suspension)
- Attends !
- Tu peux te faire un café si tu veux.
- Non c’est bon, faut que j’y aille là. En tous cas merci.
- Oh y a (et non « y’a ») pas de quoi.
- Enfin je veux dire désolé pour hier soir.
- De toutes façons j’avais pas envie.
- Alors c’est parfait… Euh dis-moi (trait d’union) on est où là ?
- Comment ça où ?
- On n’est pas à Paris là.
- Je vois, t’as vraiment pas suivi… On est à Versailles.
- Versailles ! Tu m’as ramené à Versailles !
- Oui y a (et non « y’a ») un problème ?
- Oui…, enfin non en fait c’est parfait même.
- Eh ben voilà.
- Vous avez eu un accident ?
- Non. Je suis en vadrouille.
- Bonne soirée.
- Vous n’auriez pas quelque chose
- Vous allez me laisser là.
- En pleine campagne ?
(typographie : pour introduire une réplique de dialogue, le tait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)
« Il devait patiemment attendre jusqu’à 8 h 15 que sa fille fût partie à l’école »
« avant que sa femme ne se rendît à son travail »
« mille précautions pour qu’on ne le vît pas »
« laisser couler un filet le long de ses lèvres qui finit sa course sur son col » : un peu bizarre, comme ça, je trouve, j’ai l’impression que ce sont les lèvres (malgré la grammaire) qui finissent la course ; à mon avis, une simple virgule avant « qui » rendrait la phrase plus claire
« qui dut se fendre d’un « bonjour » trop appuyé. Elle (le ?) lui renvoya d’une voix ferme mais sans animosité »
« Comme il s’assit à de la table du salon, il eut à encaisser les allées et venues d’Ingrid »
« Elle fit ses lacets » : on défait ses lacets, mais il me semble qu’en général on les noue
« Achille Bobo ne les écoutait pas , provoquer » : typographie, pas d’espace avant la virgule
« Etait-elle partie au boulot ou l’attendait-elle »
« À droite les martyres » : les matryrs, non, s’il s’agit de la rue des Martyrs ?
« se retrouva comme naturellement rue Championnet près du 95. Il ne s’y trouvait ni bar ni Bernard » : la répétition se voit, je trouve
« mais quelques-uns (traits d’union) furent violents. »
« jusqu’à ce qu’il fût sûr que le costaud fut (je pense qu’ici un imparfait serait bien préférable au passé simple) loin de lui »
« il constata la tache (et non « tâche » ; une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) qui remontait du bas de sa braguette »
« la douleur qu’il voulait qu’on ne croie que physique »
« quand il estima qu’il fut assez loin de quiconque ayant pu être témoin de l’altercation » : lourd, ce bout de phrase, je trouve
« afin qu’il put (je ne suis pas sûre que cette construction soit bien correcte ; à vérifier, éventuellement ; en tout cas, si vous avez en tête un subjonctif imparfait, c’est « pût » et non « put ») se sécher.Mais il s’était perdu » : typographie, une espace après le point
« y trouver quelque estaminet afin qu’il put (je ne suis pas sûre que cette construction soit bien correcte ; à vérifier, éventuellement ; en tout cas, si vous avez en tête un subjonctif imparfait, c’est « pût » et non « put ») s’y rassasier »
« la tache (et non « tâche » ; une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) avait presque entièrement séché (et non « séchée » ; le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément direct quand celui-ci est placé avant le verbe ; ici, pas de complément d’objet direct, pas d’accord) »
« l’auréole le tracassait particulièrement. Il ôta donc son pantalon et entreprit à l’aide d’un de ces bons vieux mouchoirs en tissu de frotter l’auréole avec l’eau du lavabo » : la répétition se voit, je trouve
« la tache (et non « tâche » ; une tache est une souillure, une tâche un boulot à faire) d’eau persistait encore »
« son pantalon était sec, mais sa gorge aussi et son estomac vide. Mais c’était déjà les beaux quartiers » : je trouve maladroits les deux « mais » aussi proches
« jusque par-delà (trait d’union) la Seine »
« Lui-même (trait d’union) ne ressemblait à rien »
« plus de quatre-vingts (trait d’union) pour cent »
« ces statistiques n’avaient rien d’universel (et non « universelles », c’est avec « rien » qu’on accorde ») »
« quand il baissait sa tête vers son entre-jambes » : pas de trait d’union me semble-t-il ; à vérifier, éventuellement
« Le serveur était un type plutôt jeune avec une queue de cheval » : je crois qu’il faut des traits d’union, sinon vous dites que le serveur est bien monté
« le jeu de ses muscles dans certains de ses mouvements »
« ce qui pourrait lui rendre service si la soirée se prolongeait (et non « prolongerait » ; la concordance des temps impose un imparfait ici et non un conditionnel) »
« des histoires qui avaient fait se tordre de rire »
« de poissons pêchés au petit matin »
« s’il y avait un endroit dans le coin où il put (à mon avis, un conditionnel serait bien préférable ici au subjonctif, qui s’écrirait « pût ») casser la croûte »
« Ce ne fut (et non « fût » qui est la forme du subjonctif imparfait) pas pour rassurer l’homme »
« le type ne voulut (et non « voulût » qui est la forme du subjonctif imparfait) rien savoir »
« bien qu’on fût peut-être déjà demain »
« Si, par aventure, quelqu’un l’eût vu à cette heure matinale »
« à moins qu’il n’eût pris la décision plus sage »
« un truc chinois qu’il essayait depuis quelque (et non « quelques », le temps n’étant pas une quantité dénombrable) temps et dont il commençait d’ailleurs à douter de l’efficacité » : la construction de la relative introduite par « dont » est correcte, je crois, mais je la trouve vraiment lourde
« pour plus de vingt-quatre (trait d’union) heures. »
« qu’enseignant aux méthodes éculées »
« voire même micro géographique » : je pense qu’un trait d’union serait préférable ici
« Il se rafraîchit avec une bouteille qu’il vida (et non « vidât » qui est la forme du subjonctif imparfait) »
un kilo cinq en moins sans compter le poids de la bouteille -, : je crois que vous avez oublié le tiret d’ouverture de l’incise ; par ailleurs, le trait d’union « - » ne suffit pas à encadrer une incise, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
comme un gladiateur avant l’ultime combat - dont on sait toujours l’issue –
Après s’être rassasié - quelle heure pouvait-il être ? -, : le trait d’union « - » ne suffit pas à encadrer une incise, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
« À l’intérieur se trouvaient deux hommes et une brebis »
« Si encore c’eût été une chèvre »
« il avait pris une année sabbatique, … » : je ne crois pas qu’en typographieon puisse faire suivre une virgule de poiints de suspension
« avec une régularité qu’on eût cru voulue »
« qu’était soi-disant (trait d’union) malade »
« on eût dit que ce rade infâme »
« il discuta avec le patron »
« une escouade comme on n’en avait encore jamais vue » : je crois bien (mais j’ai la flemme de vérifier) que, dans ce cas, on n’accorde pas, qu’on écrit « comme on n’en avait encore jamais vu », parce que le complément du verbe, ce qu’on a vu, c’est « en », neutre… à vérifier, éventuellement

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Message  elea Mer 13 Oct 2010 - 19:44

J'avais loupé le passage à l'armée, j'ai beaucoup aimé, la lecture m'a mise dans la peau d'Achille et j'ai vécu l'épisode avec lui, suspendue au récit. La montée dans l'intensité des sentiments est bien faite et prenante et je ne déteste pas les personnages malmenés pour qui rien ne se déroule comme ils le voudraient ou l'avaient pensé.

Quant à l'épisode road-movie je suis partagée : j'ai eu du mal à entrer dedans, parfois j'ai eu l'impression d'une énumération de faits, de lieux, de petites aventures sans trop de liant entre elles, comme si le déroulé de la narration était saccadé, inégal. Certains passages m'ont parus très longs et n'apportant pas grand-chose à l'histoire. En même temps, cela participe peut-être de l'ambiance, l'écriture et le style étant au diapason de l'état de Monsieur Bobo.
Et puis il y a eu des moments plus forts qui m'ont maintenue dans la lecture et m'ont fait aller au bout, des passages plus poignants, où j'ai été touchée par ce non-héros du quotidien.

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Message  Sahkti Dim 17 Oct 2010 - 11:30

Hé bé, quel travail ! Bravo pour cela.

L'histoire est plaisante mais je trouve malgré tout que de ci de là, elle traîne en longueur. Le coup des mouches par exemple, ça me paraît déséquilibré. Tout ça pour ça ? Tant qu'à en faire une telle tartine, autant jouer davantage la carte de l'absurde ou de la folie, en faire quelque chose de plus déjanté. Ou alors au contraire carrément jouer la carte sombre, le drame qui se déroule sous nos yeux. Ici, c'est un entre-deux pas tout le temps convaincant, trop d'hésitation à mon goût et puis une envie de tout détailler, tout expliquer, qui nuit par moments au texte.
Pareil pour les suites. Il y a de l'idée mais tu en dis trop, j'ai peu de place en tant que lectrice par laquelle me faufiler pour assiser au plus près à ces scènes. Dommage car on sent le travail, le soin apporté à l'écriture.
Difficile de te conseiller que faire: aller à l'essentiel ou au contraire jouer sur la longuer pour créer une ambiance plus prenante. Il suffirait sans doute de peu mais ça me paraît nécessaire pour que l'ensemble ne s'essouflle pas trop rapidement.
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