La deuxième trace

[regaramical]

C'est un poème construit à partir d'un conte brésilien raconté par Henri Gougaud (dont je donne le texte à la fin pour qu'on se rende compte de ce que je lui dois).

Depuis presque cent ans le vieil homme marchait.
Tout au long de ses pas, il avait récolté,
Certaines fois des joies, mais plus souvent des peines.
Des souvenirs restaient, certains, beaux et amènes :

Visages féminins, rires aigus d'enfants,
Il les avait aimés, souvent bien tendrement.
Il les avait laissés, bien plus loin en arrière …
Face au vaste océan, il restait solitaire.

À cet ultime pas, il jeta derrière lui
Un coup d'œil résigné sur le fil de sa vie :
Jusqu'à perte de vue, mais sans monotonie,
La trace de ses pas filait à l'infini.

Chacun marquait un jour de sa longue existence.
Chacun isolément évoquait son errance.
Il les examina, avec un rien d'effroi,
Sourit à ces vestiges, témoins de ses émois.

Comme il se détournait pour terminer sa vie,
À côté de ses pas, fort étonné, il vit
Quelque chose d'étrange et pourtant bien formé,
Une trace légère, à la sienne apposée.

Mais, qui a pu ainsi, dit-il à haute voix,
être proche de moi, tout au long du voyage ?
Une voix familière et presqu'à son image
Lui répondit tout bas, comme un souffle : C'est moi.

Juste à peine surpris, il reconnut l'Ancêtre,
Le premier des pères de la lignée des êtres,
Qui lui avaient donné ses jambes et ses yeux,
Celui à qui certains, donnent le nom de Dieu.

Il se souvint alors, qu'au jour de sa naissance,
Ce père de tous les pères, du haut de sa puissance,
Promit qu'il veillerait, sans le moindre répit
Et l'accompagnerait tout au long de la vie.

Il sentit son cœur se gonfler d'allégresse.
Depuis la prime enfance et ses tendres caresses,
Il n'en avait jamais éprouvée d'aussi vraie.
Son destin tout à coup lui parut plus léger.

Pourtant, regardant mieux le long ruban d'empreintes,
Il vit de loin en loin, ça et là sur sa route,
Que sur de courts tronçons, mais sans l'ombre d'un doute,
Une trace de pas, toute seule était peinte.

Il les reconnut bien ces jours particuliers.
C'étaient les plus terribles, les plus désespérés.
Il se sentit soudain l'âme bien déchirée.
- Où étais-tu, Seigneur, pendant que je souffrais.

- Mon fils, mon bien-aimé, lui répondit la voix,
Ces traces solitaires n'appartiennent qu'à moi.
Ces jours où les humains t'avaient abandonné,
Ces jours maudits où tu pleurais, je te portais …


Le conte des empreintes de Henri Gougaud

Depuis presque cent ans le vieil homme marchait. Il avait traversé l'enfance, la jeunesse, mille joies et douleurs, mille espoirs et fatigues. Des femmes, des enfants, des pays, des soleils peuplaient encore sa mémoire. Il les avait aimés. Ils étaient maintenant derrière lui, lointains, presque effacés. Aucun ne l'avait suivi jusqu'à ce bout du monde où il était parvenu. Il était seul désormais face au vaste océan.

Au bord des vagues il fit halte et se retourna. Sur le sable qui se perdait dans des brumes infinies il vit alors l'empreinte de ses pas. Chacun était un jour de sa longue existence. Il les reconnut tous, les trébuchements, les passes difficiles, les détours et les marches heureuses, les pas pesants des jours où l'accablaient des peines. Il les compta. Pas un ne manquait. Il se souvint, sourit au chemin de sa vie.

Comme il se détournait pour entrer dans l'eau sombre qui mouillait ses sandales, il hésita soudain. Il lui avait semblé voir, à côté de ses pas, quelque chose d'étrange. À nouveau il regarda. En vérité il n'avait pas cheminé seul. D'autres traces, à côté de ses pas. Il s'étonna. Il n'avait aucun souvenir d'une présence aussi proche et fidèle. Il se demanda qui l'avait accompagné. Une voix familière et portant son visage lui répondit :
- C'est moi.

[loic]

cet écrit est une rareté