La martyre

[mychelc]

J'ai fait cette nuit un cauchemar douloureux
Les rêves ont parfois cette puissance étrange
De réveiller des morts que notre angoisse venge
De l'injuste destin qui s'acharna sur eux.

De l'ombre des siècles, une femme surgit,
Qui voulait que j'écoute un peu de son histoire
Et goûte la coupe et sa lie qu'on lui fit boire.
Là, dans le secret de la nuit, elle me dit :

"J'aurai connu l'enfer, ici bas, grâce à vous
J'avance, presque nue, offerte en sacrifice
Sur cette place noire, où m'attend le supplice
Je vais mourir en brûlant tel un feu d'amadou.

Le peuple vocifère et déverse sa haine
Mais je ne vois plus rien que ce poteau dressé
Et la cagoule noire du bourreau pressé
Mes pieds se dérobent, et voici qu'on me traîne.

Mes juges me précèdent, apôtres doucereux
Feignant de croire juste de tuer la gueuse
Et ils baissent les yeux, lisant, la mine pieuse
L'abscons et noir latin de leurs missels affreux.

Est-ce là qu'est écrite la règle d'airain
Qui promet au bûcher celles qu'on dit sorcières ?
On m'avait dit pourtant qu'ils offraient des prières
Des cantiques de paix, des mots d'amour sereins.

Moi, je ne sais pas lire, et j'ai les cheveux roux
Vous m'avez condamnée pour ces deux graves crimes
Qui vous donnent le droit de mener aux abîmes
Ceux qui hurlent d'effroi derrière vos verrous.

Par pitié ! Levez un instant vos regards fourbes
Regardez en face mon visage éploré
Faites moi grâce, ne vous ai-je pas implorés
J'aime l'Eglise et Dieu devant qui je me courbe.

Maudits soient les servants de cette inquisition
Que n'ai-je ces pouvoirs qu'à tort on me confère
Je mènerais au diable ces thuriféraires
Ces bourreaux tonsurés qui donnent la question.

Ils m'ont écorchée, tenaillée et rougie
Martyrisant ce corps qu'un homme eût pu aimer
J'ai pleuré, j'ai crié et puis j'ai avoué,
Des sabbats infernaux, d'infernales magies.

Le bûcher s'approche, hideux tas de fagots
J'aurais voulu aimer, enfanter et vivre
Au lieu de subir votre haine qui me livre
A cette ultime orgie qui flatte vos ego."

Je revivais l'insupportable tragédie
Et crus même sentir le terrible baiser
Des flammes dansant à la mort sur le brasier
Je l'entendis mourir, dans un cri d'agonie.

Je me suis réveillé en sueur et glacé
La nuit était douce, et sut apaiser ma fièvre
Un mot seul me venait, comme un souffle à mes lèvres :
"Le pardon, Madame, pour ce crime effacé".

Mais peut-on pardonner, ce mot est-il assez
Pour qu'on raye des cœurs la tâche inoubliable
Et la vision de ces prêtres impitoyables
Montrant la croix à ceux qu'ils faisaient trépasser ?

Mychelc

[Procuste]

J'avoue ne pas être arrivée au bout du poème, bien que le sujet m'intéressât, parce que trop de vers, selon moi, en sont mal équilibrés. Je détaille ci-dessous les problèmes de forme qui m'ont gênée et qui me donnent une impression de manque de maîtrise. J'ajoute que même les vers avec césure bien où il faut, qui "coulaient" bien, ne m'ont guère emballée, je n'en ai pas vu qui ressortissent, par les sonorités ou les images évoquées.

J'ai fait cette nuit un cauchemar douloureux : rythme 5/7 pour ce dodécasyllabe, le plus pénible à scander
De l'ombre des siècles, une femme surgit : la césure se trouve bien après la sixième syllabe, mais celle-ci est faible (muette oralement) ; du coup, en le scandant, on est obligé de prendre appui sur cette syllabe faible et de prononcer De l'ombre des sièclEUH une femme surgit, ce qui sonne vraiment bizarre selon moi
Et goûte la coupe et sa lie qu'on lui fit boire : dommage, les deux chevilles "et" dans un même vers
Je vais mourir en brûlant tel un feu d'amadou : 13 syllabes
Et la cagoule noire du bourreau pressé : rythme 7/5, que je ne déteste pas, mais qui, avec les autres problèmes que je vous signale, ajoute à l'impression de maladresse que je ressens
Mes pieds se dérobent, et voici qu'on me traîne : césure après une sixième syllabe muette oralement, cf. plus haut ; plus une autre cheville
Mes juges me précèdent, apôtres doucereux : rythme 7/5
Feignant de croire juste de tuer la gueuse : rythme 7/5
Est-ce là qu'est écrite la règle d'airain : rythme 7/5
Regardez en face mon visage éploré : césure après une syllabe muette oralement
Faites-moi (trait d'union) grâce, ne vous ai-je pas implorés : 13 syllabes
Je mènerais au diable ces thuriféraires : rythme 7/5
Le bûcher s'approche, hideux tas de fagots : césure après une sixième syllabe muette oralement
J'aurais voulu aimer, enfanter et vivre : 11 syllabes
Au lieu de subir votre haine qui me livre : rythme 5/7
La nuit était douce, et sut apaiser ma fièvre : rythme 5/7
"Le pardon, Madame, pour ce crime effacé : césure après une sixième syllabe muette oralement
Pour qu'on raye des cœurs la tache ("Un chapeau sur la tête, je tâche d'effacer les taches")" inoubliable

[eva1609]

Je n'ai pas boudé mon plaisir, et l'émotion m'a gagnée à la lecture de ce poème dont le sujet m'a plu.

[Invité]

Désolé, je ne suis pas trop entré dans ce poème. Je n'ai pas réussi à suivre le rythme, et puis je n'ai pas senti beaucoup d'empathie pour cette femme accusée de sorcellerie. Son discours est assez convenu, et j'ai trouvñe le poème un peu long. Une autre fois, peut-être ?

[Celeron02]

j'ai beaucoup apprécié ce poème

d'abord, pour la forme, qui m'apparaît plutôt travaillée, avec un air assez intemporel,
ni moderne, ni classique (sans entrer dans aucun détail technique, je parle juste de ressenti)

en suite, pour le fond, riche et lourd de sens selon moi
en effet, les femmes ont beaucoup souffert des hommes, et continuent à subir leur violence
c'est un problème éternel, et c'est un problème d'actualité

il y a donc une portée métaphorique immense, de ce texte

d'autre part, cette portée s'accroît encore si on considère que les femmes,
parfois, à cause sans doute de la structure phallocrate de la société,
s'approprient ce rôle de sorcière, ou de martyre

à savoir, que certains mécanismes psychiques tendent à faire s'approprier,
par la femme elle-même, des attitudes de culpabilité, d'auto-dépréciation, énormes
tout un jeu pervers, de la personne à l'égard d'elle-même, ou à l'égard de quelques rares hommes qui lui voudraient sincèrement du bien, fait de la femme battue, de la femme violée (par exemple) une martyre qui "s'assume" comme martyre
ou plutôt, s'agit-il d'une fuite en avant où la personne, à force de croire à l'image qu'on lui renvoie,
utilise cette façade comme une arme un peu perverse, pour se reconstruire dans la culpabilité de quelques hommes bien choisis,
qui vont souffrir à leur place, par procuration, des hommes "de bonne volonté" sur lesquels leur souffrance va se transférer
(comme dans le transfert psychanalytique, sauf qu'ici ce n'est pas du désir, mais de la souffrance)

[mychelc]

Avant que mon texte ne descende trop bas dans la liste, je profite pour remercier Procuste, eva1609, Vincent M et Celeron02 qui m'ont donné leur avis.

Je souscris entièrement aux remarques de forme de Procuste (je regrette les 11 ou 13 pieds qui m'ont échappé !) mais ce texte, inspiré par un vrai cauchemar se voulait un cri (d'horreur, de désespoir) et une mise en lumière de ces destins individuels dramatiques, oubliés dans les recoins sombres de l'Histoire. Aussi, je n'ai pas prêté une grande attention à la forme (c'est dommage, j'en conviens ...) et je ne voulais pas non plus que le poème soit trop lisse, trop chantant. Vu la scène qu'il décrivait, je pense qu'il fallait au contraire que toute l'abomination, toute l'horreur de la situation se traduisent aussi dans des vers heurtés et des ruptures de rythme.

Quant à la forme convenue du discours, j'ai simplement voulu imaginer (car cela mon rêve ne me l'a pas dit), toutes les pensées qui pouvaient assaillir quelqu'un qui sait qu'il va mourir dans quelques instants d'une mort atroce et absurde ... mais peut-être l'entreprise est-elle insensée, comment se mettre à la place d'un condamné ?

Mais je suis heureux si certains comme eva et Celeron ont perçu cette intention et apprécié le texte ...

Mychelc

[batardesques]

Je n'ai pas réussi à finir la lecture de ce poème car je le trouve trop confus et mal structuré

[Emeraude]

Ce texte m'a plu pour le fond, c'est-à-dire qu'il renvoie à l'Inquisition, cette période abominable de l'histoire de France.
Quant à l'écrit, à part ce qui a été dit, je trouve que les mots sont forts et les images très justes. J'ai l'impression de " voir " cette femme sur son bûcher, et c'est très émouvant.

Merci, Mychelc, pour ce beau texte !

Emeraude

[Marvejols]

Bonjour,

MichelC ne remerciez pas trop vite
On voudrait en effet comme un rite
Pouvoir vous dire sans être pisse-froid
Combien votre poème
Nous est roi
Nous rappelle Leonard Cohen
Et sa Jehanne et nous mène
En fort et bel émoi.

Je me régale qu'on renoue
Avec la dimension épique
Et point ne fais la moue
Ni la mouche qui se pique

Peu importe si onze ou douze ou sept
Pourvu qu'on ne reste rouge ni sans affect
Au diable les coeurs secs.

On aura compris que j'aimai
et si MichelC permet,
De changer quelque vers
Je griffonne et suggère:

"Le peuple vocifère et déverse sa haine
Mais je ne vois plus rien que ce poteau dressé
Et la cagoule noire du bourreau pressé
Mes pieds se dérobent, et voici qu'on me traîne.

Mais plus rien (n'est) que ce poteau dressé à voir
Et la cagoule pressée de mon bourreau noir

Enfin, si ce n'est trop dire
Ni provoquer votre ire
Le poème ne serait-il pas mieux fini
Au mot final d'agonie ?

C'est à vous de voir
Et soyez fier.
Quant à moi, je retourne à hier
Et au noir...

Merci, Marvejols

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