Poetry

[Enyo]

Poetry

1.

Accoudée, là, en haut de la tour Montparnasse, et tandis que je fume une énième Gauloise Blonde, je m'exaspère : quand aura-t-il fini cette séance photo ? Supporter le sourire de cette américaine candide encore une minute de plus est hors de mes possibilités. Je bouillonne, silencieusement. Tandis que ma poêle interne émet une fumée serpentine partant noircir le ciel, il déclenche l’objectif sur elle en éclatant de sa blancheur la terrasse. Si seulement j’étais ailleurs. Songer l’air de Tokyo me manque. « Scarlette ? »

2.

Debout, ici, en bas du quartier de Montmartre, et à l’instant où je bois une autre vodka, je me blase : dans combien de minutes arrivera-t-elle avec notre fille ? Entendre le discours de mon vautour d’agent jusqu’à 17h, c’est au-delà de mon humeur. Je m’échauffe, bruyamment. À l’instant où je bois mon eau de feu, il m’inonde d’un rendez-vous rouge glacial. Si je pouvais être loin. Rêver le temps d’un Suntory me fait défaut. « Bill ? Tu m’écoutes ? »

3.

« Chérie, il neige ! » Mes lèvres n’émettent aucun rictus. Je ne souris pas comme lui. Mon crâne m’a ôté le sourire de mon corps. La moue, ma bouche est close, indifférente. Est-ce cela que l’on appelle la crise de la vingtaine ? Je m’accapare son instrument puis prends un cliché de mes pieds : comme toutes les filles, quelle idiote.

4.

« Chéri, mets-lui son bonnet ! » Mes doigts ne forment aucun mouvement. Je ne m’agite pas comme elle. Mon cerveau m’a enlevé l’agitation de ma chair. Le marbre, mes mains sont fermées, insensibles. Est-ce cela que l’on nomme le passage à la quarantaine ? J’ingurgite ses paroles puis lève les yeux au ciel : comme tous les pères, quel con.

5.

Les portes automatiquement fermées, assise sur un strapontin au fond du wagon, la rame et leur conversation démarrent. « J’adore Paris : Saint-Michel, les Champs-Elysées, la Tour Eiffel… Je mange du fromage comme vous ! » « Nan, c’est vrai ? J’adore le fromage ! » « I like it ! » Et moi, dans ce souterrain, elle me fait horreur.

6.

Les portes mécaniquement bouchées, adossé à l’arrière de la cabine, les coulisseaux glissent verticalement. « J’aime prendre l’ascenseur : un, deux, trois étages… Je vole au-dessus du vide comme un oiseau ! » « Tu le penses vraiment ? Maman aussi, mon trésor… » Et Papa, dans cette cage, il a peur.

7.

Reposée, dans la baignoire, je m’asphyxie sous l’eau. Dans cette mare, tout est silencieux. Quelques bulles d’air s’échappent vers la surface. Au plus profond des abysses, je regarde, le plafond. Un éclaboussement plus tard, hors du liquide, je reprends ma respiration. « Scarlette ? » « Je sors dans cinq minutes ! » Un soupire lâché, je me masse le visage, je rêve de Billy en peignoir : je lui propose à nouveau une soirée, c’est l’extase.

8.

Fatigué, au salon, je m’étouffe sur un coussin. Sur ce canapé, tout est bruyant. Des gouttes de sueur tombent sur la banquette. Au plus haut du sac, j’écoute, l’aspirateur. Une toux passée, loin du tissu, je regagne mon calme. « Billy ! » « Je rentre dans deux heures… » Une pause prise, je me gratte le dos, je songe à l’orteil cassé de Scarlette : je l’accompagne encore à l’hôpital une journée, c’est drôle.

9.

Mon taxi grimpe la côte. La voiture cale sec. « Pas de problème : je continuerai à pied. »

10.

Mes ballerines descendent l’escalier. Mon orteil me lance, durement. « … »

11.

Personne à gauche, personne à droite, je traverse.

12.

Rien derrière, rien devant, je suis toute seule.

13.

Je lui souris : « On vous a jamais dit que Cendrillon attendait minuit pour aller au bal ? Un orteil cassé, ça s'répare pas la journée ! »

14.

Je ris : « Et vous, votre citrouille, elle n'a pas de jus avant minuit ? »

[Procuste]

Trop elliptique pour moi... j'ai pas vraiment pigé l'histoire.

[Invité]

J'ai essayé parce que je me disais qu'il y avait quelque chose à explorer, notamment ce schéma parallèle. Mais je me suis lassée de ne pas trouver la clé, j'ai survolé la fin.

[elea]

Une jolie évocation de Lost in translation, avec les prénoms des acteurs et le Japon en toile de fond. C’est bien retranscrit ces deux solitudes désespérées qui se rencontrent et s’illuminent l’une et l’autre, ainsi que l’apparent décalage entre les deux (style de vie, génération) qui accentue le miracle de cette rencontre improbable.
Pas évident de retranscrire tout ça, c’est plutôt réussi je trouve avec ces parallèles entre les deux, même si la forme avec les paragraphes découpés et numérotés n’aide pas à l’évidence.

[Invité]

Ah oui, la voilà la clé que je cherchais ! Lost in translation ... Merci elea. Faut dire que le film ne m'avait pas emballée et visiblement pas laissé un grand souvenir, ceci explique sûrement cela.

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