Balai brousse

[Ba]

On n’imagine pas la peine terrible que tout un chacun, dont la moitié, soulève à chaque fois qu’il pose le poil par terre. Ce poids inouï du monde contenu dans le sac à dos humide que nous portons tour à tour dans les virages en épingle. Certains, plus érudits que l’ensemble croisé, crèvent rapidement à force de mouliner les bretelles de la science diffuse.
Les lois de la culture sont terribles à l’arbitre des élégances. Peu d’entre nous parviennent à rouler leur pierre dans la chaussure en paraissant légers.
J’en vois des qui chantent le matin et se démanchent le soir. D’autres qui partent la fleur au rubis et s’écroulent avant la ligne d’arrivée. Comme l’exemple de Brosse permet à Ponce de se rhabiller, je me suis empressé de rester vêtu dans mon placard à ballots. Immobile entre l’éponge et la serpillère.
Je ne vis rien, je ne cherche rien d’autre que le pas des mouettes sur la sculpture des arêtes, je respire sans un souffle plus haut que l’autre. Droit. Sur la pointe du manche.
Mon talon d’argile me tient en suspension. J’en mesure le prix de poussière et ne lui demande pas davantage. J’aurais pu exiger qu’il me conduise au sommet de la poire, mais je respecte les faiblesses de ma mélancolie qui tourne autour du pot.
Ma femme, un airain sacré, m’admoneste, me moleste, peste sur toutes les gouttières que je ne suis « bon à rien » mais n’est-ce pas de sa faute ? N’aurai-telle pas dû en bonne forme, lire mon mode d’emploi ?
« Cet objet en kit ne peut-être monté à coups de vis ou de vertus, veuillez suivre les étapes organisées sur le plan de sa comète ». Vous connaissez ma femme cet airain mythologique, elle pense le monde à travers ses fibres. De bout en bout incassables. Comment voulez-vous dès lors, qu’elle soulève mes non sens à crin ?
Moi, je pense le monde dans le sac en papier que le commerce équitable des hommes m’a distribué. J’y dépose mes miettes épiques et mes moutons sucrés. Pour le reste, je laisse payer les plus aisés.
La belle affaire ; qui viendrait demander des comptes à l’homme de bois sans ficelle ?
C’est pour cette raison, qu’en dépit des apparences, je survivrai aux hommes de borne volonté, de cœur et de tripes qui portent le poids de l’univers sur leurs épaules. De même que je continuerai de me saluer quand je me rencontre et me perds aussi, parce que je ne suis pas élevé, que les manières et les codes me sont étrangers, ainsi que les criques et les croques qui agitent mes compagnons de placards.
Je demeure relativement libre.
Sans reluire.
Je connais le mot de la fin estimable
Et la beauté inefficace de mon ultime balayage.

[Invité]

Pour faire mentir l'adage peu flatteur sur les balais ?
Une lecture difficile, au moins deux nécessaires pour mieux saisir ; et encore, il reste des coins obscurs voire inaccessibles.
Bien aimé, en passant : Mon talon d’argile me tient en suspension. et N’aurait-elle pas dû en bonne forme, lire mon mode d’emploi ?
« Cet objet en kit ne peut-être monté à coups de vis ou de vertus, veuillez suivre les étapes organisées sur le plan de sa comète ».

[Invité]

Ba, j'hésite souvent à laisser un commentaire, que je décline toujours dans le registre admiratif, mais pas du tout à la hauteur du texte commenté !

[Jano]

Etonnant. Impressionnant sur la forme, assez complexe sur le fond. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris.

[Joseph]

J'avoue comme les autres que la forme est virtuose, néanmoins je n'accroche pas du tout. Alors ça vient peut être, et très certainement, de moi mais je n'ai rien compris à ce texte.

Si une bonne âme pouvait m'en faire quelques explications, je le verrais assurément sous un autre angle.

[Sahkti]

parce que je ne suis pas élevé, que les manières et les codes me sont étrangers

Et bien là, vois-tu, je n'adhère pas au propos et je trouve qu'il déforce le texte. Car le narrateur ne fait que ça, vivre à travers les codes, ceux qu'il observe chez les autres, ceux qu'ils dépeint et vampirise, ceux qu'il jalouse sous des airs de ne pas y toucher, voire même d'en rigoler. Donc à travers eux, c'est lui qu'il regarde à travers le prisme d'un autre code, celui de l'apparence, de ce qui est bien, devrait l'être. Ou non.

Dès lors, cela conforte une impression ressentie dès le début de ma lecture, une erreur de placement narratif qui fait que rapidement, ça sonne un peu faux, le propos en apparence pertinent s'effiloche dès qu'on le bouscule un peu, même très peu.
L'emballage n'y fera rien, le narrateur se trompe de parcours, de combat et - qui sait - de vie. En affirmant qu'il vit sans tout cela (ce qu'il dénonce avec force, un peu trop pour être honnête), il ne fait en réalité qu'observer sa non-existence à travers celle des autres.
Intéressant, certes, mais pas suffisamment poussé à l'extrême dans le cas présent.

Même si j'ai aimé pas mal des tournures ici adoptées :-)

[Ba]

Je profite de ce que le texte soit en "haut" de l'affiche pour répondre, au moins à Sahkti, dont je trouve la critique très pertinente. Cette " bousculade " fait avancer le balai à défaut de le faire changer de direction.
Merci.

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