L'armoire

[Marvejols]

L’armoire

Il y avait chez nous, un peu torte un peu fausse
Logée là, au sous-sol qu’on appelait la cave,
Une armoire verte.
Elle se tenait discrète, plate et muette
Derrière une porte.
Nous y arrivions plus d’une fois les mains moites
Lorsque ma mère nous disait
D’aller y chercher du miel, du sucre, du lait.

Toujours fermée l’armoire au vrai nous intriguait.
Elle nous regardait, on la craignait
Elle nous semblait sévère et veiller sur quelque secret.
De bribes de conversations en notre âge crédule
Nous avions retenu qu’elle remontait
Comme on fait à la pendule, aux années quarante.
C’était donc bien une affaire de temps
Et nous en avions conclu que l’armoire
Venait d’armes, de soldats noirs et de Montoire,
Une histoire avec Hitler.
Oui ce placard vert sentait la guerre,
Et nous mêlait d’attrait comme d’épouvante.
Mon frère et moi nous nous étions promis
De n’y descendre jamais qu’à deux
Pour de l’épée et du feu combattre l’ennemi
Qui surgirait un jour sitôt entrebâillée la porte.

Pour l’ouvrir je faisais passer mon frère d’abord
Comme si, pour deux biscuits ou pour du chocolat
Pris à cette odeur de miel teintée de moisi
Et qui sentait si bien l’antan,
Je risquais ma peau pour deux bocaux d’haricots,
Comme si la guerre y résidait encore
Empoussiérée et close, endormie par les ans
Mais si prompte au réveil dans les peurs d’un enfant.
Marvejols

[Procuste]

Bon rythme et jolie histoire ! J'ai bien aimé. J'apprécie aussi le régime des rimes, incertaines, tantôt y en a tantôt y en a pas, qui me paraît très bien convenir au sujet.
Un bémol : je trouve que les majuscules systématiques en début de vers détonnent un peu dans l'ensemble.

[Annie]

Bien joli texte, évocateur des peurs de l'enfance ( et on aime avoir peur), mais je m'avoue un peu déroutée: l'armoire est dite "toujours fermée" puis vous risquez votre frère "pour l'ouvrir".

Une remarque: "deux bocaux d’haricots", n'est pas beau mon coco, et puis le haricot

Bonus
Et l'on mariait dans l'église,
Sous le myrte et le haricot,
Un œillet nommé Cydalise
Avec un chou nommé Jacquot.
Hugo, Chansons rues et bois, 1865

[Borée]

J'apprécie la personnification d'un tel objet.

[Celeron02]

version contemporaine du Buffet de Rimbaud, je crois

[CROISIC]

Beaucoup aimé. J'ai retrouvé non sans un frisson mes propres peurs d'une même époque. J'ai fait l'acquisition dans une brocante d'une telle armoire verte. Je n'y ai rien déposé à l'intérieur.

[Nathanaël Zenou]

ce poème me rappelle "le Buffet" de Rimbaud,


"C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires."


tout est dit!

[bolero]

Quelqu'un ose dire que votre buffet ressemble à celui de Rimbaud. C'est le jour et la nuit. Rimbaud était poète lui, il composait de vrais alexandrins mais tout le monde ne s'appelle pas Rimbaud !!!



< Si vous pouviez éviter de commenter les commentaires svp. C'est aussi une de nos petites "règles", ici.
Merci.
La Modération >
.

[Manon Lunalice]

Pas besoin de faire des alexandrins et de s'appeler Rimbaud pour être poète.

Peut-être un brin trop long ? J'ai aussi été dérangée par ce "qu'on appelait la cave", pas sure que ça soit nécessaire. S'agit-il d'une précision, d'une référence propre au souvenir ? Si c'est le cas cela ne se comprend pas aisément à la première lecture.

Mais votre poème embaume d'un parfum de souvenir, d'enfance. Très joli, en plus c'est très bien écrit et j'adore la dernière strophe.

[Pascal-Claude Perrault]

Bien raconté. C'est même un texte que tu aurais pu poster en prose.
C'est vrai, ces ambiances étranges, ressenties de façon amplifiée lorsqu'on est gosse. Descendre à la cave, j'ai connu ça, et même monter au grenier, autre atmosphère.
Mais c'est quoi cette couardise au point d'envoyer le frangin en première ligne ?
Cette armoire sentait-elle donc si bon la bonne guerre ?

En tout cas, t'as vu hein ? T'es pas Rimbaud, alors va te coucher ! Beau haricot (et non bel haricot)...

[CALIJO]

Cet écrit me rappelle une citation mais je ne sais plus de qui :

Il est des armoires fermées à clé que l'on soupçonne remplies de trésors

mais elles sont vides... comme ce texte.

Cordialement
calijo

[Loreena Ruin]

J'ai beaucoup aimé ton poème, pour les images et la petite histoire qu'il suggère, avec un bon rythme qui ne lasse pas et des mots qui coulent ; deux vers m'ont cependant un peu gênée dans ma lecture, je les trouve moins aisés à lire que le reste :
"Elle nous semblait sévère et veiller sur quelque secret."
"Je risquais ma peau pour deux bocaux d’haricots"

[Frédéric Prunier]

j'ai bien aimé ce texte
qui nous rappelle la démesure des choses, des sombres...quand on a à peine 10ans et qu'on est tout petit...
(moi j'aimais pas aller à la cave...)

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