Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
-45%
Le deal à ne pas rater :
WHIRLPOOL OWFC3C26X – Lave-vaisselle pose libre 14 couverts – ...
339 € 622 €
Voir le deal

Résumé

+2
Igor23
loic
6 participants

Aller en bas

Résumé Empty Résumé

Message  loic Lun 3 Jan 2011 - 20:39

Une semaine en lorraine
Paris,Gare l’Est, sa marquise ferraille, un feulement d’essieux, de longues campagnes mornes.
Gare de Metz, relents brique, Tudesque, oppressante déjà, les hommes y sont graves. Correspondance vers le gris, Hayange, Gandrange, plaines luisantes, parc d’attractions mortes, bifurcations, chemins de rails partant nulle part. Au loin des hauts fourneaux suppliants vers le ciel, Gare de Thionville buffet fermé, en face le centre culturel Jacques Brel, des constructions massives.
Plus tard a mon hôtel, une cigarette à la fenêtre, une toundra de buissons rouges, secs, ressuyés de vent. La ville est large, les rues sont vides… La bombe économique sans doute, celle là, mangeuse de tendresse, jardins ouvriers devenus friches. Je revois ces hommes en casques de fondeurs sur les barricades. Les camions noirs en gyrophares, ces journaleux pressés, commentateurs graves au journal de vingt heures.
On vivait loin. La Lorraine, c’était Jeanne d’arc, Donrémy, les mineurs de la Sarre. Ces types à l’accent rugueux, les yeux couleur de ciel, qui venaient chez nous l’été. Quand ils voyaient la mer, on aurait dit des gosses, le vent curait leurs têtes, c’était bien. Leurs filles étaient pâles, cheveux clairs comme l’estran. Les nôtres étaient dorées, cheveux noirs comme goémon.
Ici, les hommes vont paisibles, gestes lent sur la mer, piquetant les platiers à cueillir les huitres, un clocher pour amer. Leurs cœurs sont en voyages à la crête des vagues. La houle d’Atlantique brisée sur le ponant vient s’endormir ici.
On leur avait promis, ils ont vendu leur âme, en avaient le choix ? Leur vie aux mercantis, tout ça pour de l’argent. Leurs fonderies s’éteignirent, les rames de wagons se turent dans leur nuit. Silence des torchères, molettes qui s’arrêtent, chevalements qu’on abat.
Ainsi vont mes voyages. En pays de misères, le cœur des hommes est noir. Ce monde devient rudesse, les machines vous mangent. Des gosses appesantis se consolent dans le sucre. Le bonheur à l’encan grugé par les écrans. C’était déjà la guerre, nous ne le savions pas.
Là bas dans les jardins alignés en parade, les hommes se hélaient. Ceux du poste de nuit venaient tourner le sol aux aurores d’Avril, dans des après midi à la douceur de craie. Au fond des potagers, barrés de palissades, il y avait l’usine. Grondement des fourneaux, les chaînes aux palans, les roues sur les éclisses, c’était leur symphonie. La flamme des cheminées, les gerbes d’étincelles, ces lueurs d’incendie, c’était pour eux comme un tableau du soleil qui se lève sur la mer. Ils étaient des ouvriers, nous étions paysans, notre jardin c’était elle avec la houle pour sillons.
Leurs maisons étaient claires, par leur femme, tenues. L’ordre était dans les choses, le fils devenait père en rejoignant l’usine. Dynasties ouvrières, jouant à l’harmonie, arborant un bleu neuf aux jours de la sainte Barbe, s’achetant une voiture chez le concessionnaire et rentrant l’œil faraud à cité Riviera.
Et nous vivions alors en maisons équarries, taillées dans ce granit qui rend les pièces froides, attirant au dehors qui invite au voyage.
Nos pères partaient en guerre ou sur les grands navires, et quand ils revenaient aux cafés de village, nous rinçant d’aventures et de filles dans les ports, ils traçaient le sillage de nos proches partances. Dynasties de matelots, confinés aux chaudières, forts en mer, âpre à terre. Achetant des arpents pour agrandir la ferme, tenue par leurs femmes maigres aux cœurs assassinés.
On vivait là. Bretagne sans cornemuses ni gavotte, les vieux rêvaient d’un pavillon pas loin du terrain de foot et du parking des autocars. Ici, pas d’usines, les conserveries c’était pour les gonzesses. Ailleurs est mieux qu’ici, alors on est partis…


Et depuis je voyage, il n’est pas de laideur, en aucun paysage. Je n’y vois que couleurs aux fugues chromatiques. Des grisailles de peines, des pastels pleins d’ampleur. Des tours d’extraction, cathédrales de fer. Un chemin forestier, l’aurore sur les mélèzes. Et l’asphalte des routes, un grand chemin de rêves.
Travailleur des routes, une cabine de fer, bercé par le diesel. Les fleuves dans le matin, roulant sur les levées. L’odeur d’un orage sur le goudron fondu. L’escalade des cols, solitaire dans les nuits. Les files de lampadaires annonçant les usines. La radio distillant ses bluettes, les rêves éveillés, manomètres éclairés, l’horloge qui s’avance, le régime régulé par le chant des cylindres. Poésie des parkings.
Le monde des petits, univers de Dimanches qu’il faudra bien remplir. Parcours dans le bocage, asphaltes vicinaux, allures de troupeaux. Les familles marchotent et les hommes devisent sur le malheur des autres, les épouses cancanent, le ciel s’emplit de bruines.
La tendresse d’un gosse rêvant de camions rouges, un quartier de faubourg perché sur la rivière, une enfance relative. Une maison, petite, proportions de guingois. Des soirées de Noël revenant de l’église, cette voix dans la nuit qui dit Jérusalem. Et toujours ces jardins aux portails défunts.
Ces ruées solitaires, à l’heure des douze ans, arpentant le triage pendant que les express soufflent dans la tranchée. Dérailleurs cliquetants, demi-course flambant, le pont de fer qui tranche sur les voies, le chemin la ville.
Et l’embellie soudain, en lointains Livradois. Le chant d’une scierie, la croupe des montagnes. La voilure des nuages, les fontaines du Sud, celles qui font chanter l’eau. Le Graal des regrets est éternel ici.
La route en autocar, comme en panoramique, un pays traversé et mes yeux qui regardent. Aurores de Touraine. Au fond d’une vallée, le bâti d’une mine, les câbles des berlines, leurs poteaux métalliques. Et plus loin sur la Sioule une centrale d’énergie qui poudre la vallée. Le monde existe alors, les images des livres seraient réalité ? Une conscience qui s’éveille, quel homme en devenir ?
Il existe cependant au fond de nos musées, le crissement des genêts, claquants sous le soleil. Ces neiges dans les fossés, perdues dans ces Avril. Ces express de Nîmes, aux murs du jardin. Une vieille qui trottine, un cerisier, la toile cirée. J’y retourne parfois, sur les banquettes moleskine, voyages en crème michelines, un vieil enfant fuit en rêvant. Abîme des années.
Oublier la pluie, la brièveté du jour aux confins de Novembre. L’odeur d’une classe, pardessus plein de pluie, le fourneau de l’ennui. Les vitrines à Noël. ”Le défilé de la ducasse, cadences douteuses de l’harmonie municipale, aux majorettes sans morale. Ne vivre qu’en été.
Et ce petit village aux coutumes austères, calé dans ce grand cingle en accent circonflexe. Y revenir parfois, accents de cigarette. Une étrange disette au bord de la rivière. Cité des Tamaris, les combes du Gardon.
Un pèlerin perclus aux confins des Cévennes, courant sur les plateaux envahis par les sagnes. Un parfum de déroute, les gerbes d’un pailler. Ignorant de l’amour, chevalier fatigué. Une enfance envolée.

Avant ces Livradois, il y eût une guerre, où de vieux feldwebels rêvaient sur l’Atlantique. Les gerbes d’étincelles au vent des lancasters, les chiens noirs sur la steppe. Baudriers des gendarmes, les trains bouffeurs d’étoiles.
Ce perfide macaque sur les balcons de Rome. Ces fils de vingt ans immortels et narquois, en uniformes neufs, ils se tiennent le ventre, vers les villages torves.
Un père qui s’en revient parfumé d’Indochine, le cœur sans repentance et les regrets disjoints. Les filles en ao daï, de vieilles villas françaises, des rites improbables.
Le voilà peint en rouge me voyant komsomol, survolant les remblais qui mènent en Sibérie. Pays de travailleurs, usines de tracteurs. Bulgares Asies mineures, tristes Bessarabies, funestes babouchkas.
Les filles de l’Espagnol, qui jouaient au quartier, une maman ténue au regard crucifié. La fuite et le silence, route de Guernica, estacades Andalouses. L’odeur de tes joues, mon cœur comme une enclume, mais qu’est tu devenue pourtant ?
Restée la bas sans doute, dans ce vieux pays d’aubes où filent les travers bancs sous des montagnes fortes, parsemées de moutons aux prunelles orangées. Une ville cheminote, porte de Margeride, y sommeille une gare, buffet sous les platanes, le grincement des freins. Son marché de couleurs, les tréteaux qu’on installe, un café, La Montagne, posée sur le comptoir et l’accent improbable, pressenti de Cévennes.
Tu m’auras oublié, portant l’enfant d’un autre, un destin provincial, le chemin de l’usine, les vacances vers Sète. Tristes Sud parfois, aux accents de ferrailles où même les rivières se perdent en été.
Je n’ai jamais vécu qu’à l’aune de mes rêves, errant sur des chemins escarpés d’évidences. J’allais le nez au vent en vaines amertumes, enjambant des ruisseaux aux murmures souverains, une route éternelle, un destin d’autoroutes. Je traversais le monde. Peuplades ouvrières, sciant le travertin aux limes de Toscane, grutant les anthracites sur les canaux du Nord, sortant à mobylette des grandes filatures, une onde industrielle qui s’efface déjà.











loic
loic

Nombre de messages : 1304
Age : 65
Localisation : auray
Date d'inscription : 11/11/2008

http://loic-le-meur.over-blog.com/

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Invité Mar 4 Jan 2011 - 8:12

Ce texte me dit que dans tous les coins de France la sueur ouvrière a bien la même odeur. J'ai plongé avec nostalgie dans ces évocations, je sors de cette lecture émue par le fond, admirative pour la forme. Merci Loïc.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Invité Mar 4 Jan 2011 - 11:32

Un texte qui rassemble tout ce que je me souviens avoir lu de toi au fil du temps. Et le plus long que tu aies commis à ce jour il me semble, du moins publiquement.
Un texte très personnel, dont le rythme s'accélère au fur et à mesure que les souvenirs viennent se bousculer.
De très belles choses, des formules à retenir : Des gosses appesantis se consolent dans le sucre.
Ceux du poste de nuit venaient tourner le sol aux aurores d’Avril,


J'avoue avoir préféré la première partie, celle qui m'a tant fait penser à Aurélie Filippetti, à son combat (j'ai déjà dû t'en faire part à l'occasion d'un autre texte). Et puis parce que j'ai toujours eu un faible pour les paysages industriels, de l'industrie lourde. il n’est pas de laideur, en aucun paysage.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Igor23 Mar 4 Jan 2011 - 14:02

Ce texte est tout bonnement magnifique.

Voilà, c'est exactement comme ça que j'aimerais écrire !
Igor23
Igor23

Nombre de messages : 35
Age : 61
Date d'inscription : 19/11/2010

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Invité Mar 4 Jan 2011 - 17:59

qu’est tu devenue pourtant -> une petite faute d'orthographe histoire de mettre un bémol à l'éloge que je vais écrire maintenant : c'est magistral !

Je ne sais pas comment tu arrives à pondre des images qui nous semblent si familières sans pour autant être éculées, franchement. J'admire aussi la construction du texte, ponctué de "on vivait là", "on vivait loin", qui est à la fois une fuite en avant et un circuit clos sans perspective de fuite, à l'image de tous ces lieux, si semblables et pourtant si différents. Chapeau le chemineau(cheminot?)...

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Maryse Mer 5 Jan 2011 - 12:50

Superbe texte.
Maryse
Maryse

Nombre de messages : 811
Age : 80
Localisation : Montélimar
Date d'inscription : 22/09/2010

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Invité Mer 5 Jan 2011 - 14:11

On va à la pêche aux alexandrins, on en ramène à tout coup, comme celui-ci, superbe :
Leurs cœurs sont en voyages à la crête des vagues.

Jamais encore tu ne m'avais fait toucher d'aussi près ta mélancolie rêveuse et jamais je n'avais été autant séduite.
Toutefois, comme Easter, j'ai préféré la première moitié du texte.
Mais le rythme, la beauté des images, cette façon élégante de ne pas s'apesantir alors que tu ne parles que de misère et la tendresse qui se dégage de ce texte me touchent profondément.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  loic Mer 5 Jan 2011 - 21:08

moi qui pensait que ça faisait foutoir dans un vieux grenier...


merci à tous...
loic
loic

Nombre de messages : 1304
Age : 65
Localisation : auray
Date d'inscription : 11/11/2008

http://loic-le-meur.over-blog.com/

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Résumé

Message  Annie Jeu 6 Jan 2011 - 9:03

Oui, "foutoir dans un vieux grenier..." mais justement le vieux grenier riche de la vie de chacun de nous, le vieux grenier dans une vieille maison habitée par une vieille grand mère, qui donne tout qui pardonne tout, qui restitue les larmes et les joies et les désirs les plus enfouis.
Je n'imagine pas comment on pourrait rendre tout cela, et voilà Loïc l'écrit.
Toute la misère du monde est contenue dans la mémoire d'un seul homme pourvu qu'il sache l'ouvrir. Et garder de l'amour pour ce monde!

Admirable, merci.

Annie

Nombre de messages : 1452
Age : 73
Date d'inscription : 07/07/2010

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Loreena Ruin Jeu 6 Jan 2011 - 12:31

Quel voyage, Loïc, à travers le temps et les pays(ages) !

Tu parles de ma région, la Lorraine, et de celle qui m'a toujours tant attirée, la Bretagne, avec ses légendes, ses forêts, ses côtes où se dressent les pierres des ancêtres. J'ai parfois l'impression qu'ici, d'avoir été si longtemps à cheval sur deux pays, nous manquons de racines : d'où ce désir d'en chercher ailleurs, peut-être.

Mes grands parents rêvaient d'Orient, mes parents d'Amériques ; je me contente de porter mes songes à l'Ouest, en Brocéliande, pour m'évader, sous le regard pénétrant de Merlin et de Viviane, dont le poster orne le mur de ma chambre, à côté des trolls de Norvège ramenés cet été...

Tant que l'imaginaire demeure, la grisaille ne peut s'infiltrer dans les cœurs.

Merci Loïc, ton grenier a beaucoup de charme.
Loreena Ruin
Loreena Ruin

Nombre de messages : 1071
Age : 34
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Marvejols Jeu 6 Jan 2011 - 18:18

Loïc vos textes sont toujours poésie et ils ont ce secret de nous donner à voir et nous faire visiter des choses dont nous prenons à vous lire conscience qu'on les a vues ou vécues pour la plupart nous aussi, nous-mêmes. De ces images ouvrières vous faites, quasi vous fabriquez, vous fondez, une mémoire commune. Et puis votre passé est comme celui d'un archéologue: il n'est jamais triste. Votre nostalgie n'est pas mortelle.

Marvejols

Marvejols

Nombre de messages : 1887
Age : 57
Localisation : agglomération de Montpellier
Date d'inscription : 08/11/2010

http://marvejols-poesie.e-monsite.com/

Revenir en haut Aller en bas

Résumé Empty Re: Résumé

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum