Lettre à l'ennui

[Calvin]

Les nuits ont veillés sur nous, avec leurs robes jonchées d'intentions et de lenteurs. Elles font mes phrases, elles se soulèvent, d'abord funestes, puis elles se brisent comme font les vagues. D'abord on ne comprend pas, bien sûr l'on s'étonne. On se tait sans doute. Qu'y a-t-il pour que de deux doigts le soir vienne poser ses cendres à tes lèvres, des marques, violettes, comme l'automne que l'on dévêt, et puis enfin ? j'avais tant rêvé je crois, de souliers, de couleurs, et de pas dans les bitumes, mais que veux tu ? nous avons tous ici la semelle qui claque. Et les humeurs océanes chantées par les orchestres sont venues donner un peu de vigueur à l'ensemble. La musique a coulé comme un bon vin, emplissant les gorges qui se sont fermées, chiquant le silence, d'une dent l'autre, pour le mieux digérer. E. s'est calmée un peu, elle s'est tenue dans un coin de la pièce. C'est la dit-elle, que viennent se réfugier les vieilles moeurs, les morales surannées dont elle aime à entendre le chant de confort. L. lui allait dans le boudoir au bougies, aux candélabre de bois jeune, couverts de boue de lune - R. derrière, muet, pauvre garçon les yeux grands ouverts - enfin tu imagines la scène.

J'avais alors je crois, tant marché, parlé, humé, tant blasphémé tous les saints, tant vu et tant dit, que mes yeux usés par les vents devinrent manteaux de ces vents, et les couvrirent dans un silence que je ne soupçonnais pas. Alors je suis allé, j'ai éteint, j'ai foulé les corps dont le jour n'attends plus rien, et je me suis attablé. J'ai attendu, que les croissants se montrent, et qu'ils se mangent, et qu'ainsi ils fassent pencher la balance, jusqu'à ce qu'elle comme le roseau se couche, mais ne se brise pas. Alors j'irais, je ramasserai, je collerais sur ma peau les éclats, comme des mensonges, comme des souvenirs, en attendant un jour qui ne se lève, et dont l'attente est ma brulure. Et j'attend ainsi chaque nuit, de pouvoir garnir mes aquarelles de couleurs, d'odeurs, d'impressions et de d'incendies, pour un festin sans convives, pour que seule l'attente inerte, parmi les rires, la pourriture et les éboulis, se meuve, et éclate en saveurs quand la tige de la première rose sera fendue du premier bruit.

J'irais alors, si tu le permet, chercher des onguent, des baumes, couvrir ton corps de fumées et de fantômes, et des écailles qui font l'or, pour qu'il ne soit plus que poussière et que cette poussière fasse mon repas.

Et je ne serais plus qu'une ombre, pareille à toutes les ombres, soumise aux soleils, dansant allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

Tu comprends ?
Je n'ai pas fini de parler.
Je n'ai pas fini de mentir.
Et alors...

Il y a de ces heures qui bleuissent au petit-jour, qui chutent des montres où leur mort est consacrée de cérémonies. Ce sont des églises de luxe, parées, attiffées, ... -il y a de tout, si vous saviez... Des manteaux d'hermines grandioses, et des beautées pour l'engeance en héritage, et de la grâce, et des joies, et encore des peines. Toi amour, tu es pareille, tu es pesante, tu ne penses plus grand-chose ; je te laisse à tes ouailles. N'es tu pas lasse de ton goût de mouton cuit ?

Ton très cher,

L.

[Vigdys Swamp]

J'aurais, au matin, sans doute trop de confiture en friche ; à gamberger. Je tartinerais cruellement mon destin sur tes os mais hélas, comme tous les somnambules, on doutera de mes actes.
Votre texte est un bol de cacao tombé des mains d'une mère folle, et léché au sol par un chat aux yeux mauves.
J'aimerais pouvoir le dire autrement - d'une autre manière sans pour autant que ce soit - pareil- , ça finirait par lasser mais zut : les mongolfières accouchent parfois de souris en plastique.

[Calvin]

Oui je saisis bien mais, en ce qui concerne le vide, je dis ça très honnêtement, je préfère ma poésie à la vôtre - manière de dire que vous voyez une montgolfière où ne figure qu'un ballon qui pète et dont j'ai essayé de rendre quelques prouts aussi amusants que doux à l'oreille. Partant de ce paradigme, si alors ça déplait toujours, alors je n'ai aucun mot à dire - et je rampe.

[Invité]

J'ai lu les 2 (3 ! ) versions, celle-ci et la version écourtée en Poésie. Je ne me prononcerais pas sur une quelconque supériorité de l'une par rapport à l'autre, là n'est pas l'idée. Mais te dire et te répéter combien ce tourbillon de mots, d'images, de couleurs me plaît, comme j'aime cet univers bigarré, l'impression d'être au coeur même de la poésie, d'une certaine poésie. Et puis, avec cette version, dans le dernier paragraphe, j'ai pensé, va savoir, à Chagall, à son monde coloré et upside down.
Et en plus, tu sais faire dans la dérision : Toi amour, tu es pareille, tu es pesante, tu ne penses plus grand-chose ; je te laisse à tes ouailles. N'es tu pas lasse de ton goût de mouton cuit ?

[midnightrambler]

Bonsoir,

Des mots au kilomètre sans queue de poisson ni tête d'épingle sur une musique d'ascenseur de parking ...

Amicalement,
Midnightrambler

[Calvin]

Ah ! du Muzak. é_è

[Sahkti]

Il y a quelques longueurs mais cela ne me dérange pas plus que ça car la poésie qui colore l'ensemble me plaît pour la musicalité des mots et leur ampleur. J'aime aussi m'égarer sur de multiples pistes sans qu'il y ait toujours un début précis et une fin à respecter; c'est bien que parfois, ça aille partout et nulle part à la fois.

[Contenu sponsorisé]