Mater dolorosa

[Jano]

Son regard descend sur les casques de fer
rempart de piques hérissées,
Les capes rouges flottent au vent,

Cris et tumulte

Poussière

Aux pieds des gardiens de métal
le sable reçoit les pleurs
boit la peine,
Des visages s'enfouissent,

Souffrance

Il la voit soutenue,
d'une pâleur infinie
les yeux sur son corps meurtri,
sa douleur mêlée,

« Mère pardonne-moi,
Je ne voulais pas t'infliger cela ! »

Chevelure défaite,
elle s'enlève des plis du châle
tend des mains écorchées
vers l'enfant condamné,

Un sourire lui répond, amour
reçu comme un baume,
Amour
recouvrant l'injure d'une foule,

Le sang coule sur le bois du châtiment,
suc de l'espoir recueilli
avec immense ferveur,

Silence

Un rai de lumière jaillit des nuées
quand le dernier coup enfonce la chair.

[Invité]

Je ne me sens pas concernée par ce sujet, si ce n'est pour me remémorer qu'à l'époque ce la crucifixion que tu nous décris, ce genre de mise à mort de haute cruauté était le lot de tout bandit digne de ce nom. Hélas!
La souffrance est citée, mais je ne la sens pas beaucoup. Je trouve trop peu réaliste l'attitude du crucifié (bien que martyr) qui sourit à sa mère pendant son supplice, alors qu'en fait il devait bien hurler de douleur ou être carrément évanoui.
Je ne vois pas pourquoi la mère tend des mains "écorchées".
Malgré toutes ces remarques négatives, je salue l'idée du sujet que je n'avais jamais lu traité en poésie.

[Marvejols]

...Pas si mal sur un sujet difficile et 1000 fois traité. Il y a des images ou réminiscences bibliques de ce genre (plus courtes) par exemple à foison dans les poèmes de Léonard Cohen (ed. bilingue 10/18). Ecorchées ne me pose pas problème: au sens premier, réaliste, ces gens travaillaient de leurs mains; au sens symbolique les mains sont écorchées comme l'est le coeur d'une mère et comme l'est le fils en croix (position du porc qu'on éventre).
On ne peut pas reprocher un manque de réalisme: même si le vrai geste, sur la vraie croix, dut être un affreux rictus, l'athée que je suis dit tranquillement que le sourire du christ ne peut être ici que fictif, parabole, imaginé par les fervents, image symbolique plaquée sur l'image réelle. C'est un même retournement de sens qui fait adorer aux chrétiens l'image d'un condamné de droit commun mis en croix (supplice des esclaves, des non-hommes chez les antiques): ils n'adorent pas un esclave, ils ne révèrent pas l'image d'un supplice, pas plus qu'ils cultivent une passion pour un spectacle morbide. Ils adorent dans cette image son contraire: ils y voient un geste suprême d'amour, la rédemption de tous par un. Dans le même temps cette image renverse les valeurs: au lieu d'adorer un homme au-dessus des hommes (n'oublions pas que les grands guerriers étaient héroïsés dans l'Antiquité et que les Empereurs faisaient l'objet d'un culte) le christianisme va promouvoir l'adoration d'anti-héros... Voilà pourquoi la mère effondrée peut accepter un sourire du crucifié, voilà pourquoi ce sourire est une image possible.

... Justement, ce qu'on peut reprocher à ce texte (mis à part une petite pollution par des images issues de péplum ou d'heroic fantasy genre "les casques de fer, les gardiens de métal, les capes rouges...") c'est probablement de rester trop collé à la doxa, à la doctrine, à l'imagerie habituelle du christ en croix. Il aurait sans doute fallu s'en détacher, inventer un regard, un angle d'attaque nouveau (facile à dire...).
Par contre ce qui m'a accroché (outre le titre latin, d'ailleurs clé de lecture indispensable pour comprendre ou accepter la première strophe) c'est une vue inusuelle, un petit côté encore une fois cinéma, plongée et contre-plongée: j'ai eu l'impression de voir la croix par le dessus, mon regard dominant le cimier des gardes, et j'ai eu l'impression de voir l'oblique descendante du regard du christ vers Madeleine (ou sa mère) et l'oblique ascendante de cette femme vers le cloué. Un double point de vue de narrateur (ou spectateur) omniscient qui peut exister dans le cinéma mais pas dans la peinture pré-contemporaine.

...Ce texte, qui plus est d'un jeune, m'a donné l'envie d'écrire un Christ (après, une fois posée l'envie on verra ce qu'il en adviendra!). Ce pourrait d'ailleurs être une vraie idée de concours, mais alors avec un délai d'un an car la précipitation ne convient pas à la qualité.

[Loreena Ruin]

J'ai beaucoup aimé ce texte, poignant, dur, bien rythmé avec de l'insistance sur ce qui fait sens. Pour la première fois, je trouve de l'intérêt à une crucifixion. Curieux.

[Soliflore]

Ce n'est pas sans me rappeler la Passion de Charles Péguy. Chaque stance est un tableau.de la dernière station. L'écriture est sobre, essentielle. Un sujet universel. Combien d'enfants sur terre remettent leur vie entre les mains de leur mère ?

A lire en écoutant « la Passion selon Saint Jean.

[Pussicat]

"Mater Dolorosa"... je tique d'entrée sur le titre-pavé... et la suite est du même tonneau... une mécanique froide comme l'acier avec ses inter-titres et une douleur, une "Mater Dolorosa" que j'ai du mal à ressentir... parce qu'elle est absente ! c'est un regard extérieur, où est la douleur de la mère, le remords du fils ?
« Mère pardonne-moi, Je ne voulais pas t'infliger cela ! », c'est un peu léger...

"Un rai de lumière jaillit des nuées
quand le dernier coup enfonce la chair." : là c'est décollage total, j'y suis, j'y croix... un peu too much.

[Pussicat]

je reviens, j'ai loupé un truc : "Son regard descend sur les casques de fer..."

j'ai relu et en fait c'est construit comme un film.

caméra subjective sur "les casques de fer"
caméra sur le sable "Aux pieds des gardiens de métal" (les gardiens pleurent ?)
retour caméra subjective de l'homme qui regarde

le passage que j'aime le moins et que je ne saisis pas :

"Chevelure défaite,
elle s'enlève des plis du châle
tend des mains écorchées
vers l'enfant condamné,"

"Chevelure défaite, elle s'enlève des plis du châle" : geste sans importance suivi de :
"mains écorchées" ???... "enfant condamné" : condamné ??? de qui parle t-on ?

gros plan sur le cloutage, la mise en croix
plan enchainé sur la blessure dernière et sur les cieux qui s'ouvre "lumière" : maison...

mais je ne reviens pas sur mon ressenti... pas vraiment touchée par ce texte.

[Soliflore]

Pussycat, vous ne trouvez pas que vous poussez un peu trop dans le déchiquetage? Après cela, en effet, il est parfaitement impossible de ressentir quoi que ce soit. Soyez moins analyste et plus réceptif.

[Invité]

J'avoue partager d'assez près le ressenti de Pussicat !
Ce texte, pour moi, est une image pieuse, rien d'autre. (ils étaient tellement pieux qu'on en fit une clôture )
Et comme je suis athée...

[Jano]

Une poésie qui date de janvier 2011, je suis surpris de son exhumation. Je ne la renie pas mais je vois maintenant pas mal de choses à modifier. C'est étrange comme avec le recul des détails sautent aux yeux.
Je ne suis pas croyant Soliflore, je voulais simplement m'essayer à ce thème.

[troupi2]

ce que je trouve admirable dans la façon dont le sujet est traité c'est que juste en le lisant on pourrait prendre une toile et en faire un tableau absolument tragique. je ne suis pas croyant mais peintre d'où peut-être ce ressenti.
En tous cas ce poème est bien écrit même s'il est perfectible bien sûr.

[Contenu sponsorisé]