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Gerbe sur Toile, l'art qui vient des entrailles

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Gerbe sur Toile, l'art qui vient des entrailles Empty Gerbe sur Toile, l'art qui vient des entrailles

Message  Yugoski Lun 28 Fév 2011 - 17:46

Gerbe sur Toile

« Sa demeure était un vrai taudis. Des cannettes de fanta gisaient sur le sol, une monstrueuse couche de poussière éclaircissait ses meubles noirs. Il ne sortait plus de chez lui, n'ouvrait plus ses volets et tournait en rond dans son salon, les mains derrière le crâne, crachant insultes et mollards amers Les croquettes du chat s'éparpillaient autour d'un bol crasseux posé dans un coin de la cuisine équipée. Dans le micro-onde, des jets de sauce tomate. Ou était-il, ce foutu chat ? Certainement mort, il ne le voyait plus depuis une semaine. Et ces traces rouges dans le micro-onde, était-ce vraiment de la sauce tomate ? »

Fait chier. A croire que j'ai pas les couilles d'écrire ce texte à la première personne. C'est pourtant de moi que je parle, de moi et de personne d'autre. Même le chat n'existe pas. J'arrache ce bout de papier, le jette vers la corbeille, rate ma cible. J'ai rien d'un basketteur. Ni même d'un entrepreneur. J'aurais pu être manager parce que j'aime bien diriger et dominer les gens mais j'ai pas les épaules parce que je ne suis qu'un foutu branleur. Enfin, ça veux dire que je me reconnais personnellement en tant qu'artiste, mais ce n'est pas le cas de la majorité. Justement, la majorité s'en tape (au mieux) ou m'insulte (au pire). Elle ne me comprend pas, mes toiles et mes essais ne veulent rien dire parce que je n'ai jamais été capable de pondre autre chose que des vulgaires gribouillis. J'ai quelques toiles exposées sur le mur de mon salon, derrière ma télévision. Des toiles moyennes, derniers vestiges de ma vie fantasmée de créateur blindé aux as.

J'ai un cutter dans la main. J'voulais m'en servir pour mes veines mais finalement je décapite le tableau et la lame s'enfonce dans le cadre, impitoyable. Sitôt les formes esquissées et ratées se disloquent, se déforment et forment mon premier chef d'œuvre. Je suis en sueur, j'ai le teint rosé et mes lèvres sont ensanglantés car je les mords sans m'en rendre compte depuis plusieurs heures. J'aurais dû faire ça plus tôt. Je me rappelle de ce type que j'avais rencontré dans un troquet pourri qui portait une doudoune jaune sans manche et des lunettes carrées. Il confectionnait des bâtiments avec des aliments pourris. Par exemple, il avait exécuté un château en peau d'orange, et sa côte sur le marché de l'art prenait à l'époque d'importantes proportions. Pourquoi je ne suis pas ce type ? Comment a-t-il réussit à convaincre et pas moi ? Je piétine le reste des toiles et enfonce leurs dépouilles dans ma corbeille transparente et pleine à craquer. Il faut que je la vide. Ouais, par la fenêtre. Des bouts de papiers, des tubes de colle, des stylos et des pinceaux tourbillonnent dans le sens du vent, sans jamais vraiment atteindre le sol. La lumière du jour attaque ma cornée. Quelle heure est-il ? Mon horloge digitale clignote et affiche « 0:00 », je veux tout oublier. Dépasser ses limites, c'est le seul moyen d'être reconnu en tant qu'artiste. Je me suis trop souvent contenté d'être classique, d'imiter studieusement ceux qu'on appelle les maîtres à penser.

****

Alors je descends les escaliers de mon immeuble, en parfaite harmonie avec la rampe : Six étages sans ascenseur. Dehors les rues sont sales, le marché du dimanche vient de lever les voiles et pourtant nous ne sommes que Jeudi. Et soudain, je n'arrive plus avancer. Les semelles de mes baskets sont solidement rattachés au sol par une flaque verdâtre qui me fait penser à un dégueulis de toxico et ça me donne une idée. L'épicerie du coin est encombrée par de nombreuses étagères et je maîtrise trop mal mes membres pour ne pas renverser une pile de boîtes de céréale. Je voudrais me baisser pour tout ramasser, mais c'est impossible car mon dos me fait souffrir, tout comme l'ensemble de mon corps.

Je fixe l'épicier droit dans les yeux et lui dis avec un ton déterminé :

« Je voudrais soixante de vos bières à 0,47 centimes l'unité s'il vous plaît. »

Interloqué, ce vieil homme en blouse beige sort des tablettes de sous son plan de travail. Je ne dois pas lui inspirer confiance, je ne suis pas présentable. Puis je rentre chez moi en courant le plus vite possible, jusqu'à en perdre haleine : La réalité me poursuit et il est difficile de lui échapper. De retour chez moi, mon cœur reprend un rythme normal et la flaque de gerbe ne cesse pas de me hanter. Mon cerveau brûle, se consume. Je trouve une toile encore vierge dans le placard sous l'escalier et la dépose à même le sol, sur le parquet sale. Pas besoin de châssis. C'est démodé. Pour légitimer cette pensée, je balance le châssis par la fenêtre. Je mets donc la chaîne qui diffuse des infos en continu et avale ces infectes bières le plus rapidement possible. Après la dix-septième, ma tête commence à tourner et la voix monotone du présentateur me file la nausée.

« Violée, lapidée et brûlée vive : Un destin tragique pour cette petite fille de deux ans et demi agressée physiquement par son père, son oncle et son jeune frère de douze ans... »

Ce type est impersonnel et irréel. Il est tiré à quatre épingles, son bronzage est impeccable et sa coiffure ressemble à celle de Ken, le plan cul de Barbie. Des images d'un paysage urbain apparaissent à l'écran, la caméra balaye la surface des immeubles et bâtiments, dans un camaïeu de gris qui me met un peu mal à l'aise. La caméra ne semble pas s'arrêter, ni se stabiliser. Pire, elle semble tournoyer sur elle-même et je dois tenir ma tête avec ma main car elle est beaucoup trop lourde. Mon estomac se manifeste, je me concentre pour me pencher au-dessus de la toile. Un jet marron et assez dense suit le premier rot. Le fruit de mes entrailles se répand sur le médium avec le même bruit qu'une grêle sur un velux. La deuxième rafale est incontrôlable, je ne la sent même pas venir. J'en fous un peu à côté. Avant même d'avoir décuvé, je trouve un nom à la première pierre de mon nouvel édifice : « Violée, lapidée et brûlée vive »

Une forte odeur émane de mon appartement et contamine le voisinage également. Certains d'entre eux sont venus se plaindre directement, d'autres ont collé des mots sur ma porte. Du coup, j'asperge mon palier avec une bouteille de pshiit senteur lavande tous les matins. A présent, je possède six toiles . Mise à part « Violée, lapidée et brûlée vive », j'aime beaucoup « Mediator » mais ma préférée reste «Grève des salariés chez SNCF ». Mais ça devient irrespirable et le simple fait de regarder mes toiles me donne l'envie d'en faire une autre sur le champ. J'ai usé le concept jusqu'à la corde, j'ai une explication légitime à cette expression artistique, il est donc grand temps d'aller démarcher les galeristes. Je prends quelques photos sous le bras, prépare un bon baratin bien burné, chausse mes baskets, enfile mon pull à capuche et un jean troué.

« Non.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est de la merde. Regardez-vous, vous êtes une merde.»

C'est ce que le premier type me dit. Mais le second - qui a l'air complétement perché aux acides où à un autre truc dans le même genre- applaudit ma démarche qu'il juge « révolutionnaire » et me propose un vernissage « complétement overdosé » dès la semaine prochaine. Il me prend dans ses bras, m'embrasse sur tout le visage et me propose de baiser avec lui. Je refuse mais il ne le prend pas mal et me demande de pondre encore une dizaine de toile. Étonné et ravi, je le remercie de vive voix et il me dit qu'il a des contacts à New-York et que l'on va devenir riche ensemble. Je retourne chez moi en courant et découvre avec tristesse que la chaîne des informations ne m'inspire plus alors j'essaie la chaîne des clips, avec succès. « Rihanna » est l'intitulé de la première pièce de cette nouvelle série. Suivront « Lady Gaga », « Black Eyes Peas » et d'autres du même acabit.

Denis (le galeriste défoncé) me prévient que les clients de ce type d'expression ne sont pas des gens faciles et qu'ils pètent souvent plus haut que leur cul. Étant de nature assez timide, je me dis qu'il faut prendre le taureau par les cornes et me fondre dans un personnage particulier. En gros, je dois avoir l'air d'un type assez atteint pour faire ce genre de connerie, ça amusera les gens. Hormis le fait que j'ai beaucoup maigri à force de vomir tout ce que je bouffe, je peux me targuer d'avoir une sacré drôle de tronche. Pour enfoncer le clou, j'enfile un tee-shirt blanc trop grand sur lequel je vide deux pots de pâte à tartiner, un short à carreau, des chaussettes de foot et des tongs : Le style libre à son meilleur.

Avant l'aspect visuel, c'est l'aspect olfactif de mon art qui semble choquer les gens. Pour la forme, Denis dispose des bassines à des points stratégiques de sa galerie et distribue des masques à l'entrée. Visiblement, la magie opère et personne ne reste indifférent. Les visiteurs rient, se scandalisent où vomissent. Une petite brune au teint mat s'approche de moi et son attitude austère ne me dit rien qui vaille. Immédiatement, j'attrape une coupe de champagne et la vide cul sec : Ça change des bières à 0,47 centimes.

« C'est ignoble, vraiment. Je n'ai jamais rien vu d'aussi immonde.
- Oui, c'est vrai que je suis un sacré dégueulasse, dis-je en m'imaginant la baiser sauvagement.
- Mais je me demande vraiment ce qui a pu vous pousser à réaliser des choses aussi atroce.
- La spontanéité. C'est quelque chose qui a disparu de la surface du monde depuis trop longtemps. D'ailleurs, la spontanéité n'a jamais réellement existé, ni dans l'air ni dans l'art. La façon même dont j'utilise le concept de la spontanéité à des fins personnelles fait d'elle quelque chose de superficielle.
- C'est n'importe quoi.
- Et ça vient des tripes. Ça sort directement de mes entrailles. »

Par la suite Denis m'apprend que cette jeune fille s'appelle Lucile L. Morel, qu'elle travaille pour une galerie underground new-yorkaise assez réputée et qu'en plus elle adore mes productions. C'est ainsi que je prends mon billet pour la grosse pomme avec une cargaison de bières à 0,47 centimes dans mes bagages. Sa galerie est environ dix fois plus énorme que celle de Denis. Ses seins sont petits mais ferme et très sensible : Il me suffit d'en effleurer les pointes pour la rendre dingue. Après avoir baisé deux heures durant sur son bureau, Lucile L. m'avoue qu'il ne sera pas facile de me faire une place dans la vaste et hostile jungle des artistes contemporains. Elle me propose de trouver une idée pour tirer mon épingle du jeu et celle-ci me vient presque instantanément après avoir ingurgité un petit verre d'absinthe qu'elle cache dans le premier tiroir de son bureau.

Je me balade alors dans les rues de New-York à la recherche de junkies et autres marginaux décérébrés dans le même esprit. Je les aborde avec une phrase dans ce genre :

« Hey motherfucker, you need some fuckin' cash money ? »

Généralement ils froncent les sourcils puis sourient lorsque la liasse de dollars s'agitent sous leurs yeux vitreux. Ensuite j'annonce la couleur et leur explique le topo. En fin d'après-midi, une meute de cinquante mecs torchés me collent au train. Les enseignes publicitaires clignotent et m'hypnotisent, j'ai l'impression de voyager au sein d'une dimension parallèle dans laquelle tout est plus grand, plus flamboyant et plus violent. A cinquante, on est beaucoup plus grand.

Central Park, il est environ dix-huit heures et le soleil commence à se planquer sous les buildings. C'est à ce moment que cinq camions chacun munit d'une citerne pleine de bière à 0,47 centimes fait son entrée dans ma vie. On ouvre les vannes, je propose des gobelets à mes employés. Étant donné que certains étaient déjà amochés avant le commencement des opérations, les hostilités ne tardent pas à démarrer et un cr*ckhead black à qui il ne reste plus qu'une ou deux dents se met cracher ses boyaux sur le bitume. Réaction en chaîne, et bientôt le sol devient entièrement poisseux, collant et malodorant. Finalement, je vomis également tandis que Lucile L. Morel immortalise l'instant par une photo aérienne prise avec un Canon bien stylé depuis un hélicoptère.

Un flic black qui ressemble à Samuel. L Jackson accompagné par son buddy qui à un air de Mel Gibson débarquent en trombe, les sirènes inondent Central Park et je me retrouve rapidement plaqué au sol, les poignets sévèrement attachés par des cordes métalliques.

****

Ma demeure est un vrai taudis. Des cannettes de fanta gisent sur le sol, une monstrueuse couche de poussière éclaircis mes meubles noirs. Je ne sors plus de chez moi, n'ouvre plus ses volets et tourne en rond dans mon salon, les mains derrière le crâne, crachant insultes et mollards amers Les croquettes du chat s'éparpillent autour d'un bol crasseux posé dans un coin de la cuisine équipée. Dans le micro-onde, des jets de sauce tomate. Ou est-il, ce foutu chat ? Certainement mort, je ne le vois plus depuis une semaine. Et ces traces rouges dans le micro-onde, est-ce vraiment de la sauce tomate ?

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Message  hi wen Lun 28 Fév 2011 - 19:46

beau phrasé, chorus agréable, développement fluide.
ça se laisse lire.

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Message  Invité Mar 1 Mar 2011 - 9:54

Lecture aussi distancée que possible, vu le sujet. Mais force m'est de reconnaître que ma sensibilité de midinette n'est pas trop malmenée, ce texte est réussi dans le genre avec un déroulement imparable. C'est moche, c'est trash, ça pue, ça dérange, c'est inattendu, bien vu, bien rendu :-)
Et puis la fin, le dernier paragraphe m'a fait rire. Oui.

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Message  elea Mar 1 Mar 2011 - 21:17

J’aime bien ton écriture, toujours agréable à lire quelles que soient les horreurs que tu racontes. Ici le rendu est parfaitement visuel, auditif et olfactif. Et ce que j’ai aimé sous la première couche c’est que le narrateur s’inspire jusqu’à la nausée des programmes télé et cet espèce de regard ironique sur le monde des "arts" qui n'en sont plus.
Le bouquet final est savoureux. Si je puis dire !

elea

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Message  Invité Mer 2 Mar 2011 - 9:02

Bon, attend que je m'essuie... oui, c'est bien torché ! J'en reprendrai plus au petit déjeuner, mais j'ai déjà prévu ma provision de pinces à linge pour de futures lectures.
And so else ?

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Message  Lizzie Mer 2 Mar 2011 - 13:08

ça se lit tout seul... C'est direct, clair, droit au but: ça me plait. Par contre, peut être un peu flemmard, genre premier jet (ouais, elle est nulle, je ravale).
Plus sérieusement, ton écriture est limpide, ton imagination acérée, donc je pense que tu peux faire quelque chose de plus ambitieux. J'ai bien aimé lire ce texte, merci.

Lizzie

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