Compter jusqu'à neuf

[Yali]

Compter jusqu'à neuf

     Cinq heures et demie, c’est tôt. Tôt pour se le lever, d’autant que ce matin nous étions samedi. Mais faut croire, imaginer qu’il est des fins de semaine en dilettante pour certains, et en boulot pour d’autres. Notez au passage que si l'enveloppe n’avait pas été aussi conséquente, si elle n’avait pas représenté quelque chose comme de l'indécence pécuniaire, même pas je me serais arraché du lit. Mais je m’éloigne du sujet, sujet qui, et moitié donc, reste pelotonnée sous la couette tandis que moi, je me prépare un café, avec une grosse envie de me lire la presse tout en prenant le train tout à l’heure. Et je me l’imagine ce régal matinal, j’en ai plein les genoux des pages froissées de lecture sur rails, je le rattrape mon retard infos, tranquillement assis pendant que le paysage défile et se relooke style banlieue lointaine. Je finis ma tasse, j’enfile ma veste et tout le nécessaire pour affronter un froid martien, ça tombe bien nous sommes le cinq et voilà que je me mets à compter les mois tout en avançant et que je me les recompte sur les doigts : me serais-je trompé ? un de trop ? un de moins ? putain, pas si simple les mathématiques au petit matin. Bonnet enfoncé sur les oreilles tel un bonnet d’âne, je reprends. Sais-je compter jusqu’à neuf. Enfin, il me semblait que je savais compter jusqu’à neuf ? Et en marchant encore, et à propos de marchand, en voilà un qui ouvre une sorte de kiosque où s’étalent mes envies de presse. Voyons…
     — Qu’est-ce qui vous ferait plaisir mon petit Monsieur ?
     Le type est goguenard, barbu foisonnant sel sans poivre, des dessous de sa casquette débordent des mèches rares, filasses, et dans les mêmes tons que les poils du dessous, pile le genre de type à ne pas avoir quitté le mois de mai, ce joli mois de mai ou les bouquets de fleurs s’ornaient de pavés et de slogans en pétales sur barricades.
     Je suis loin d’être petit, je lui fais remarquer. Il me répond que sans doute, mais qu’il est sur une estrade, et que donc, les egos ne sont pas de mise, surtout à cette heure-ci.
     J'acquiesce et j’annonce :
     — De la presse, gauche-droite-centre-satyrique-sérieuse-et-autre-chose, un peu de tout et un truc qui m’aiderait à compter jusqu’à neuf.
     Il rassemble, assemble, empaquète, semble réfléchir. Dit :
     — J’ai bien « Science et vie » et il doit me rester un traité sur la théorie quantique quelque part plus loin là bas.
     J’y jette un coup d’œil, c’est pas exactement ce que je veux.
     — Vous cherchez un neuf absolu ou un neuf relatif ?
     — Quelque chose à neuf mois fermes, mais sur une base relative soustractive additionnelle genre quinze jours plus ou moins trois semaines, voyez ?
     — Je vois. C’est là !
     — Là ?
     — Devant votre nez.
     — « Parents » ?
     — Exactement ! Ça fera 8.60€ et pas vraiment neuf mois, mais une vie.

[Lizzie]

Joyeux Noël ! (sur une base relative soustractive additionnelle genre quinze jours plus ou moins trois semaines, évidemment)

[Charles]

ça marche bien, on y est, c'est frais, printanier avant l'heure. Une petite pointe de gaieté (et ça, c'est pas facile à 5h30 du mat !) ...

Juste l'envie d'en savoir plus, l'avant, l'après ...

[Invité]

Il a tout compris le marchand de journaux, plus vrai que nature. Alors, oui. J'aime beaucoup. J'aime aussi comme la pensée chemine. Subtilement.

[elea]

J’ai bien aimé : le sujet moitié, le froid martien, le bonnet d’âne... ces petites choses qui rendent un texte savoureux et relèvent une tranche de quotidien.
Mais j‘ai moins accroché au début, avant le marchand, même si ça à l’avantage de planter la situation et le décor. Et je ne sais pas exactement pourquoi.
En revanche j'adore la fin, à la fois pour la description de l'homme et pour le dialogue entre les deux, finement fait.

[Invité]

Il y avait bien les neuf muses aussi... ou les neuf péché capiteux... mais tu as condensé le tout : seulement La grâce ...

[Kilis]

Ah !, j’aime.
Au superlatif.
Comment tu parviens à cette évidence,
à brasser toutes les émotions avec autant de bonheur.

Un texte lumineux, mon ami et qui dit si bien ce qu'il dit.

[midnightrambler]

Bonsoir,

Je n'ai pas beaucoup aimé ce texte ... c'est un euphémisme comme on dit, car pour être honnète je dois avouer que je ne l'ai pas du tout aimé ... bien sûr, je pourrais ne pas le dire et passer mon chemin !
La familiarité et la grossièreté ordinaire peuvent avoir leur place dans des dialogues dont elles sont dans certains cas l'essence même, mais le ton de la narration se doit, à mon avis, d'être neutre ...

Amicalement,
midnightrambler

[bertrand-môgendre]

Ce texte me semble "s'apparenter" à l'aboutissement d'une technique d'écriture.
Un exercice difficile dans la construction des dialogues peut-être, où le trait de crayon à papier reste visible sous l'encre définitive.
Mais bon, c'était juste histoire de titiller l'auteur qui ne reçoit que des éloges, de peur qu'il ne s'endorme.

[Yali]

Me semble à moi que l'auteur annonce qu'il va être papa, et qu'il le dit à sa façon.

[Invité]

j'avais déjà compris sans ouvrir le fil ;-)de plus en plus fort.
Bientôt , je vais savoir de quoi un bouquin parle de par sa couleur.
Je parie que c'est un garçon. je suis le meilleur échographe-parieur du monde.

[CROISIC]

Bien que le ridicule ne tue pas, j'avoue ne pas avoir osé féliciter Yali... était-ce lui ou le narrateur qui attendait un enfant ? J'hésitais.
Il n'est pas trop tard ?

[Sahkti]

Mince... tu sais quoi ?! J'ai un grand sourire !! Vrai de vrai. Ha dis donc !
Pas fou le marsu qui m'avait dit à Bernay "elle est d'enfer" :-)))

[mentor]

Dans neuf mois y aura un bébé tout neuf ?
Chouette nouvelle.
Et chouette nouvelle.
;-)

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