La crème de maman
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Lizzie
mentor
CROISIC
M-arjolaine
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La crème de maman
Maman avait une crème extraordinaire, qu'elle se passait tous les matins sur le visage pour ne jamais mourir. Elle me laissait la renifler lorsque je me blotissais contre elle à mon réveil, et j'étais rassurée de savoir que j'aurais toujours ma jolie maman à mes côtés.
« Quand je serai grande, je pourrai te prendre un peu de cette crème ? » lui demandais-je régulièrement.
Elle hochait la tête en diagonale, et je ne savais pas vraiment si ça voulait dire oui, ou non. Je n'insistais pas trop. Elle me portait jusque dans le salon-télé, et allumait le poste. Je m'allongeais sur le tapis, le papa de Simba mourait. Je ne pleurais pas : les papas ne mettent jamais de crème, ils sont forcés de mourir un jour.
« Tu ne trouves pas triste la mort de Mufasa ? me demandait mon père.
- Les papas meurent toujours. Pourquoi je devrais être triste ?
- Alors tu ne seras pas triste quand je mourrai ?
- Bien sûr que non ! Tu n'as qu'à demander de la crème à Maman ! »
Il rigolait. « Tu me vois mettre de la crème ? ». Je haussais les épaules, je lui disais que s'il mourait, ce serait de sa faute parce qu'il était trop fier. Il partait les épaules toutes secouées de rire. « Si je mettais de la crème, j'en aurais plein la moustache ! » me disait-il, « comme quand je mange du gratin ! ». Cette histoire de pilosité me laissa perplexe : les poils tuaient.
Maman finit par commettre l'irréparable, car toute mère fait des erreurs. Le rituel du dessin-animé du matin lui fit mettre la cassette de Bambi dans le magnétoscope.
« Qu'est-il arrivé à la maman de Bambi ? demandai-je à l'auteure de mes jours lors de la scène fatidique.
- Elle s'est fait tirer dessus par un chasseur.
- Mais les mamans ne peuvent pas mourir ! C'est parce que c'était une biche ? Elle aussi, elle avait trop de poils, comme les papas ? »
Je réalisai l'absurdité de mes paroles. Je réalisai en même temps l'absurdité de tout ce que j'avais cru jusqu'alors.
« Maman, la crème pour ne pas mourir n'existe pas ? »
Cette fois ci, la tête de Maman alla clairement de droite à gauche. Elle me prit par la main, m'emmena dans la salle de bain, et me montra sa crème anti-rides, dont l'odeur me plaisait tant. « Ca ne marche pas très bien », m'avoua-t-elle, « on ne peut pas empêcher le temps de laisser des marques ».
Ma maman allait mourir, et le ciel me tombait sur la tête. J'entendais mes parents se disputer dans la cuisine :
« Tu n'aurais jamais dû commencer à lui raconter cette histoire de crème pour ne jamais mourir !
- Elle me demandait tout le temps quand est-ce que ça allait m'arriver, je voulais juste la rassurer !
- Tu imagines la déception maintenant ? »
Je les laissai hurler dans la cuisine. Et je dormis.
Douze ans plus tard, nous voilà mes frères et moi, attablés devant un rôti sur la terrasse, au retour des beaux jours, parlant de mon enfance et de mes peurs irrationnelles.
« Le pire chez Marjo, c'était sûrement sa peur de la mort des parents ! affirme Mathieu.
- Elle pleurait tout le temps à cause de ça ! confirme Grégoire.
- C'est normal, appuie ma mère, je l'ai eue à trente-sept ans, j'étais déjà vieille, pour une maman !
- Tu te rappelles de ton histoire de la crème pour ne pas mourir ? »
On me regarda sans comprendre.
« Je ne t'ai jamais raconté ça ! dit Maman, tu es sûre de ne pas l'avoir inventé ? »
Mon père non plus n'avait gardé aucun souvenir de cette fable. Mes frères se moquèrent bien de moi : quelle imagination j'avais, déjà !
Je n'ai toujours pas eu le dernier mot de cette histoire : a-t-il une importance ? A présent que j'ai dix-sept ans, et que j'approche de mes dix-huit, penser cela m'attriste toujours : de toute manière, ma maman mourra un jour.
« Quand je serai grande, je pourrai te prendre un peu de cette crème ? » lui demandais-je régulièrement.
Elle hochait la tête en diagonale, et je ne savais pas vraiment si ça voulait dire oui, ou non. Je n'insistais pas trop. Elle me portait jusque dans le salon-télé, et allumait le poste. Je m'allongeais sur le tapis, le papa de Simba mourait. Je ne pleurais pas : les papas ne mettent jamais de crème, ils sont forcés de mourir un jour.
« Tu ne trouves pas triste la mort de Mufasa ? me demandait mon père.
- Les papas meurent toujours. Pourquoi je devrais être triste ?
- Alors tu ne seras pas triste quand je mourrai ?
- Bien sûr que non ! Tu n'as qu'à demander de la crème à Maman ! »
Il rigolait. « Tu me vois mettre de la crème ? ». Je haussais les épaules, je lui disais que s'il mourait, ce serait de sa faute parce qu'il était trop fier. Il partait les épaules toutes secouées de rire. « Si je mettais de la crème, j'en aurais plein la moustache ! » me disait-il, « comme quand je mange du gratin ! ». Cette histoire de pilosité me laissa perplexe : les poils tuaient.
Maman finit par commettre l'irréparable, car toute mère fait des erreurs. Le rituel du dessin-animé du matin lui fit mettre la cassette de Bambi dans le magnétoscope.
« Qu'est-il arrivé à la maman de Bambi ? demandai-je à l'auteure de mes jours lors de la scène fatidique.
- Elle s'est fait tirer dessus par un chasseur.
- Mais les mamans ne peuvent pas mourir ! C'est parce que c'était une biche ? Elle aussi, elle avait trop de poils, comme les papas ? »
Je réalisai l'absurdité de mes paroles. Je réalisai en même temps l'absurdité de tout ce que j'avais cru jusqu'alors.
« Maman, la crème pour ne pas mourir n'existe pas ? »
Cette fois ci, la tête de Maman alla clairement de droite à gauche. Elle me prit par la main, m'emmena dans la salle de bain, et me montra sa crème anti-rides, dont l'odeur me plaisait tant. « Ca ne marche pas très bien », m'avoua-t-elle, « on ne peut pas empêcher le temps de laisser des marques ».
Ma maman allait mourir, et le ciel me tombait sur la tête. J'entendais mes parents se disputer dans la cuisine :
« Tu n'aurais jamais dû commencer à lui raconter cette histoire de crème pour ne jamais mourir !
- Elle me demandait tout le temps quand est-ce que ça allait m'arriver, je voulais juste la rassurer !
- Tu imagines la déception maintenant ? »
Je les laissai hurler dans la cuisine. Et je dormis.
Douze ans plus tard, nous voilà mes frères et moi, attablés devant un rôti sur la terrasse, au retour des beaux jours, parlant de mon enfance et de mes peurs irrationnelles.
« Le pire chez Marjo, c'était sûrement sa peur de la mort des parents ! affirme Mathieu.
- Elle pleurait tout le temps à cause de ça ! confirme Grégoire.
- C'est normal, appuie ma mère, je l'ai eue à trente-sept ans, j'étais déjà vieille, pour une maman !
- Tu te rappelles de ton histoire de la crème pour ne pas mourir ? »
On me regarda sans comprendre.
« Je ne t'ai jamais raconté ça ! dit Maman, tu es sûre de ne pas l'avoir inventé ? »
Mon père non plus n'avait gardé aucun souvenir de cette fable. Mes frères se moquèrent bien de moi : quelle imagination j'avais, déjà !
Je n'ai toujours pas eu le dernier mot de cette histoire : a-t-il une importance ? A présent que j'ai dix-sept ans, et que j'approche de mes dix-huit, penser cela m'attriste toujours : de toute manière, ma maman mourra un jour.
Re: La crème de maman
Je ne rêve pas M-arjolaine... tu parles de toi ? Tu décris bien ce moment où l'enfant cesse avec douleur de croire aux histoires des parents... qui les racontent pour combattrent leurs propres peurs.
Jolie idée cette crème d'immortalité. Tu en a gardé seule le souvenir, certainement parce que ton désir de garder ta maman vivante est encore intact.
Jolie idée cette crème d'immortalité. Tu en a gardé seule le souvenir, certainement parce que ton désir de garder ta maman vivante est encore intact.
Re: La crème de maman
Un bien joli conte.
Peut-être du vécu, mais ce n'est pas ça l'important.
Adorable.
Peut-être du vécu, mais ce n'est pas ça l'important.
Adorable.
Re: La crème de maman
Je retiens la tendresse du récit, je suis sensible à l'amour qu'exprime cette petite fille aujourd'hui dotée de maturité et du recul qui va avec. C'est un hommage touchant je trouve. Et indépendamment de cela, une belle histoire, bien rendue.
Invité- Invité
Re: La crème de maman
C'est la première fois que je te lis dans un registre sans humour noir, sans grincements de dents ni arrachage de doigts... ça sonne vrai, tendre, très humain, attachant: j'aime beaucoup.
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 57
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: La crème de maman
Très joli texte, touchant et attendrissant. Je retiens deux belles idées avec la crème aux pouvoirs magiques et les poils qui tuent. Ce sont ces petites touches pour moi qui donnent la justesse au texte et le rendent naïf sans être mièvre.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: La crème de maman
C'est un joli texte qui ne tombe pas du tout dans le pathos, ce qui peut facilement arriver avec ce genre de sujet.
C'est vrai qu'au moment de la chute on de dit soudain : elle parle d'elle ! Si soudainement que c'est presque comme une fissure qui se produit, peut-être à cause du changement de ton et de la rapidité avec laquelle du l'amènes. Donc peut-être à revoir mais sinon c'était agréable.
C'est vrai qu'au moment de la chute on de dit soudain : elle parle d'elle ! Si soudainement que c'est presque comme une fissure qui se produit, peut-être à cause du changement de ton et de la rapidité avec laquelle du l'amènes. Donc peut-être à revoir mais sinon c'était agréable.
Lifewithwords- Nombre de messages : 785
Age : 32
Localisation : Hauts de Seine
Date d'inscription : 27/08/2007
Re: La crème de maman
J'apprécie énormément ton talent à raconter des histoires, et celle-ci est touchante.
Tu écris vraiment bien et c'est agréable. Encoooooore !!!
Invité- Invité
Re: La crème de maman
encore un souvenir d'enfance qui sonne très juste! j'en ai lu plusieurs sur ce forum, et je suis à chaque fois touchée par leur sincérité et le style.
jeanne75- Nombre de messages : 40
Age : 46
Date d'inscription : 24/03/2011
Re: La crème de maman
Un bon début, la fin me laisse un peu sur le plat.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
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