Préboréale

[Marvejols]

..........................Préboréale

Il fait chaud et la terre est alors sans blés murs
Les fleurs se tapissent sans ombre et les oiseaux
Picorent l’orange du vent. A l’aurore du monde les fumerolles
S’accrochent à l’air, passent les arbres et s’envolent
Les carbones s’accouplent sous l’azur
Et dans l’immensité de jours géants
Et sans encor nymphées ni paysages
La terre veut promettre des beautés éternelles.
Le paradis n’est pas encore sûr.
A pente de volcan et sous la nuée la pouzzolane retient
La promesse d’une herbe sage pour de non-encore vaches
Sans doute de brunes basses et cornues Salers.
Elles iront leur nonchalance, ignorant les chiens.
Entre les genêts garance elles prendront les traverses
Et les bipèdes causeurs qu’elles gardent retourneront à leur tâche.
Déjà un héron nous regarde.

Le pire n’est pas encore mûr. Au loin la neige se tasse en silence
Et ne songe à protéger le blanc de son cœur de ces ombres lointaines
Dont la cendre grise descend lentement au rythme de siècles à venir :
Sans salir ce cristal ni sans être là, une nuée de bipèdes
Sature et sur son infini passage dépose l’Adn de son mal.

Dans l’herbe gelée venait de glisser
Pour elle
La première larme des hommes.

[Invité]

ayant lu votre appel au commentaire fouillé "parce qu'il est d'époque" je suis au regret de vous annoncer que je trouve le texte d'une très belle facture, 5 minutes de lectures ne m'ont pas vraiment permis de vous signaler une défaillance.
La récitation a gommé ma moue sur "de...de..". C'est un très beau texte qui épargne beaucoup et résume à merveille.

[Loreena Ruin]

Des formulations déroutantes mais qui ont un certain charme, un peu "suranné" (ex : "Et sans encor nymphées ni paysages"). J'ai beaucoup aimé le rythme et les sonorités. Derrière "ignorant les chiens" le point me fait un drôle d'effet, j'y verrais plutôt une virgule. Mais c'est un détail. La fin, à partir de "le pire n'est pas encore mur" m'a vraiment plu. J'aime beaucoup ce texte. (Je trouve en revanche qu'il se passerait sans mal de la police d'écriture choisie, qui ne lui apporte rien de plus ; au contraire, cela aurait tendance à faire passer le texte au second plan d'un point de vue visuel, ce qui est dommage).

[Invité]

Le paradis avant nous ? un futur antérieur ?
Une écriture riche de détails évoquant le sud du Massif Central.
Dans le premiers vers, ne manque-t-il pas un chapeau sur les "mûrs" de blés mûrs.

[Maryse]

Le pire n'est pas encore mûr.. Superbe. J'aurais aimé l'écrire.

[Celeron02]

tendance à y lire "le pire n'est pas encore sûr"... cela étant, l'atmosphère est chaude, bien servie je trouve par la police originale choisie

il y a comme l'évocation d'un âge hors du temps, ou préhistorique
une nature âpre et cependant pas hostile entièrement
puisque l'Homme y est ému

[sally9394]

Très beau. Je reconnais bien là votre style, faire passer un message à travers des paysages que vous semblez bien connaître et apprécier... très visuel, encore une fois bravo, j'aime beaucoup!

[François T]

Par poignées, comme le semeur fait de son grain ,MARVEJOLS nous invite aujourd'hui à contempler un magnifique tableau agreste qui semble cependant sous le coup d'une menace qui fera couler les larmes des hommes.
Il utilise ici les vers libres de deux à vingt pieds, pratiquement sans utilisation de la rime à part :"les fumerolles qui s'envolent" et aussi "les vaches Salers qui prennent les traverses", préférant soigner les assonnances intérieures comme :"Les carbones s'accouplent sous l'azur" et quatre vers plus loin "le Paradis n'est pas encore sûr" et huit vers encore plus loin "Le Pire n'est pas encore mûr" .Ce qui est d'ailleurs superbe du point de vue du sens.
A la lecture où l'on peut jouer avec les e muets le texte coule facilement. Je lui trouve une certaine parenté avec les géorgiques de Francis JAMMES, grand utilisateur de vers libres.
MARVEJOLS est généreux dans sa description du paysage : les blés, les oiseaux,l'herbe,les vaches , les chiens , les genêts garance (?),un héron. Mais surtout inventif dans ses expressions descriptives:"Les fleurs se tapisseznt sans ombre", "les oiseaux picorent l'orange du vent","les jours géants","les bipèdes causeurs gardés par les vaches", "le blanc du coeur de la neige".
Mais le poète nous invite à la vigilance. Le Pire n'est pas du tout incertain. Il viendra quand il sera mûr.On ne sait pas exactement ce qui nous attend, nous voyons seulement "une cendre grise qui descend lentement" cependant "qu'une nuée de bipèdes dépose l'A.D.N. de son mal". S"agirait-il d'une contamination de caractère atomique?
Voilà en tous cas un solide et beau poème

[zenobi]

La police nuit à ma lecture.
Quelques signes de ponctuation hérissent le texte- on veut savoir pourquoi là et ceux-là.
Rousses salers, plus que brunes, m’est avis.
Aller leur nonchalance, outre l’agrammaticalité, ne me parle pas.
La répétition de bipède me semble lourde.
La nuée de bipède qui sature, là, je n’ai pas compris.
Ce n’est ni mauvais ni indigne à mon goût. Mais pas très intéressant non plus. Quelque chose comme une hésitation entre propos philosophique et poésie, ce qui ne me convainc pas.

[Invité]

Et bien oui moi aussi j'aime beaucoup. La rétine reste imprégnée, ça parle, ça parle même longtemps après.

[Marvejols]

....Je vous remercie pour ces lectures attentives et encourageantes. Il me semble que je doive quelques précisions à ceux qui ont apprécié ce texte. Ce dernier m’est venu assez naturellement, dans le cadre d’un concours sur le thème « Infinis paysages » qui est d’ailleurs cité deux fois dans les 24 vers.
....Comme souvent je suis parti de la fin (bien résumée par Celeron: « puisque l’homme y est ému ») à laquelle s’est greffée l’idée que m’a un jour donnée une amie anthracologue : la trace de l’homme se fait sentir à partir de l’époque romaine dans les glaces du Groenland sous la forme de micropoussières de charbon de bois dues aux feux des foyers humains. Dès lors ce marquage ne cessera plus. Cette image est transcrite dans l’avant-dernière strophe.
....Auparavant je suis me effectivement employé à brosser une sorte de tableau préhistorique, pré-anthropique, mêlant les époques reculées où l’atmosphère sur-riche en carbone se transforme et où se développe la vie en des processus grandioses qui semblent promettre le meilleur sinon des paradis. La chaleur y est transcrite par la vibration rouge-orangée, d’où les genêts « garance » qui devaient aussi offrir une rime interne avec « nonchalance » puisque, comme l’a bien remarqué FrançoisT., l’absence de rimes est compensée par des assonances internes.
....La répétition de « sans » traduit l’absence de l’homme, bipède proliférant qui viendra saturer la planète comme les nénuphars la mare dans l’équation du même nom (http://philosophieavivre.blogspot.com/2008/08/lquation-du-nnuphar-ou-lvolution-de.html) chère à Albert Jacquard (donc pas d’évènement atomique pour répondre à l’interrogation de FrançoisT). Le héron, espèce menacée, bipède lui aussi, représente la nature qui assiste, vaguement inquiète, à cette saturation sur laquelle elle semble poser le regard direct et digne de ceux qui mourront en silence. Les Salers que j’ai jadis gardées au pré, sont peut-être un peu plus rousses que brunes mais, Zénobi, vous conviendrez avec moi que « Sans doute de rousses basses et cornues Salers » c’est plutôt nul et que la répétition du B est d’un meilleur effet dans ce 13 pieds qu’on aura tendance naturellement à lire comme un 12 pieds (« Sans dout’ de bruneu basseuzet cornues Salers »).

[pescaire66(oletouroque)]

Je suis devenu le fameux héron curieux comme tout, j'aurais d'ailleurs arrêté ici le poème. La suite l'empâte. Peut-être est-ce par tristesse de voir le matin?
Je me suis régalé.

[Marvejols]

Je suis devenu le fameux héron curieux comme tout, j'aurais d'ailleurs arrêté ici le poème. La suite l'empâte. Peut-être est-ce par tristesse de voir le matin?
Je me suis régalé.

.....Sur votre suggestion je vois qu'il serait effectivement possible de s'arrêter au héron. Cela ferait une chute efficace (surprenante) et nette (par sa brièveté) qui laisserait le lecteur réfléchir sur le rapport entre le héron et tout ce qui aura précédé.

.....Il me semble cependant que cela en ferait un texte bucolique, un brin surréel, en tout cas naturaliste. Avec un risque d'écolotexte primaire.
.....Pourtant, ce qui m'a porté à écrire cet ensemble, c'est la fin (qui a été écrite en premier et à partir de laquelle je me suis demandé: pourquoi veux-je aboutir là? et par quoi y arriver?). Le texte est donc, finalement, construit sur une opposition (qui, étant en deux blocs distincts, l'expose par nature au démembrement).
.....Entre un possible paradis en gestation, à travers ses souffles, ses orages, ses orangés, à travers ses mélanges et ses promesses (même le temps y est en création), l'opposition se fait avec un futur, incertain, où quelque chose de l'ordre d'une menace s'introduit, en quantité infime et qui rend gris le blanc. Qui fait pleurer l'homme avant même qu'il n'existe.
.....Il est néanmoins possible qu'un jour, avec la même fin, j'écrive un texte complètement différent car j'avoue qu'après avoir couché sur la feuille

Dans l’herbe gelée venait de glisser
Pour elle
La première larme des hommes.

j'ai failli dériver vers les contrées de Cupidon.

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