Trollstingen

[Loreena Ruin]

La route sinueuse
— le regard se perd

et soudain
le jaillissement :

Nous voici
à la source des mythes

Dans ce pays
où le vent souffle

inlassablement

Dans ce pays
où rien ne pousse
ni ne demeure

sinon
la neige —


Le temps s’effrite.

[Camille Acristem]

Cela fait très "et soudain"... C'est-à-dire par exemple une en-tête d'une scène à venir, le planté de décor (et non de bâton, monsieur Druss), avec un genre d'effet qui pose beaucoup en une figure sue intellectuelle, réputée d'esthétique, reconnue classieuse, ou raffinée. En fait, non. Il n'y a rien. C'est sympa'. Un genre de haïku sans l'aspect méditatif, ou méditativant. Enfin je suppose que ça n'est pas dérangeant, mais c'est vide. Il n'y a même pas l'ambiance que je m'attendais à trouver suivant le titre. C'est une manie que les titres vraiment chouettes qui annoncent un truc bien au-dessus de ce qu'on lit... Au demeurant, le rythme et la musicalité sont bien gérés, la ponctuation un peu étrange dans la mesure d'une sorte d'impasse sans logique avec sa prétendue fin et sa prétendue conclusion. Je ne sais pas, c'est décevant. Sympa', sans plus. Manque cruellement de fond. Mais pourquoi la poésie en aurait-elle, après tout... Le vers libre est anarchique lorsqu'il dépasse, non lorsqu'il est source. Je pense.

[nini031]

Il y a d'habitude dans tes poèmes que j’apprécie beaucoup de souffle, de force qu'on ne retrouve pas ici, c'est dommage.

[Invité]

Un séduisant instantané, qui semble-t-il, prône le primat du ressentir sur le regard, réduit au silence dès le deuxième vers. Seule impression visuelle en effet, "la route sinueuse", qui cède rapidement à un registre tactil ("où le vent souffle", "le temps s'effrite", "la neige") et purement affectif ("jaillissement").
Même la note contemplative "dans ce pays où rien ne pousse" paraît taire le regard, eu égard à la tenue nihiliste du syntagme ("rien" !).
Le poème se questionne peut-être ainsi sur la vacuité de l'existence, avec une apparente inquiétude puisque sont suggérés les affres de l'impermanence ("rien... ne demeure").
Qui connaît Loreena et sa poésie sait que le temps est le grand drame de l'homme (un "mur" qui s'effrite, cf. premier poème du futur recueil). Il est consubstantiel à la conscience et prend ici la forme de la réminiscence proustienne (le jaillissement de l'inanité de la vie surgit de la même façon que les souvenirs d'enfance dans le célèbre épisode de la madeleine). D'où la volonté affichée du retour aux "sources" et aux "mythes" fondateurs, le retour à un locus amoenus en lieu et place à la misère des paysages inanimés. Là encore, qui connaît la poésie de Loreena sait saisir l'intertexte : ce paysage de désolation, justement, mis en scène sur le mode d'une rhétorique du dépouillement, fait écho à tous les autres poèmes où l'homme est désacralisé, privé de sa science et voué à la nature, en complète immersion/communion.
Il est inévitable que dans cette quête spirituelle (une "route sinueuse", un chemin semé d'embûches), l'apathique et la morosité règnent. Il faut surtout se souvenir que le mystère se cache derrière la banalité apparente. À mes yeux, ce texte renferme une grande force méditative. Tout un poème en somme.

[zenobi]

Il y a bien peu ici (ce côté « auberge espagnole » dont nous nous sommes déjà entretenus). Alors, moins il y a, plus on regarde de près.
Pas de rythme défini.
Nul jeu sonore.
Que peut-il rester, au-delà de la typographie qui n’est jamais, en soi, suffisante pour poétiser de la prose ?
Des images ?
Je les cherche.
Et soudain/ le jaillissement/ me semble bien redondant.
Jaillissement est repris dans la source des mythes (et pourquoi l’italique ? n’est-ce pas un peu épais ?), certes, mais encore ?
De plus, si rien ne pousse ni ne demeure… est-ce bien le pays des mythes où, axis mundi, tout pousse et demeure ?
Bref, je n’insiste pas, j’ai trouvé ce texte d’une extrême pauvreté. Je ne doute pas qu’il soit, pour vous, porteur de sens, d’émotion, mais je ne vois pas, sincèrement, comment le lecteur pourrait la partager avec vous : vous donnez si peu. Si j’osa is, je vous inviterais à en dire plus, à vous risquer davantage, à tenter le partage, quitte à se casser la gueule, ce qui nous arrive, généralement, à tous.
Bise, zenobi.

[Arielle]

Afin d'entrer un peu dans ce texte, je suis allée voir ce que Google nous dit de la Trollstigen...
Il est très difficile de faire partager une émotion ressentie devant un paysage sans nouer celui-ci à ce que ressent le narrateur, à ses réflexions personnelles, les interrogations qu'il lui inspirent.
Je crois que tu restes trop en retrait, Loreena, te contentant de nous mettre sous les yeux, de manière très (trop) succinte un panorama qui t'a émue mais ne nous touche pas : trop peu de matière à quoi s'accrocher. Pour faire partager ton émotion il serait nécessaire, à mon avis, que tu t'impliques un peu plus dans cette histoire.

[Arielle]

inspire (!)

[Camille Acristem]

C'est ça : s'impliquer. S'investir. Mais le terme exact vous est échu, Arielle : l'implication. L'auteur ici semble deux fois plus spectateur, presque cynique ou nihiliste, dédaignant de ce qui est décrit, par rapport au lecteur. Indépendamment de l'absence de fond. L'implication, ou dit "la sincérité". La typographie ne fait pas poésie, même si elle en participe beaucoup.

[Jano]

Je suis impressionné par la qualité des commentaires. Si ton poème peut paraitre fade, il a au moins le mérite de provoquer des analyses brillantes.
Pour ma part je le trouve plutôt bien réussi au niveau de l'articulation, "jaillissement" répond à "inlassablement" comme "la source des mythes" renvoie à "le temps s'effrite". Ca donne un poème équilibré, presque symétrique, agréable à parcourir.
Sur le fond c'est par contre un peu léger, tu ne nous enmènes pas très loin dans la réflexion.

[Invité]

Très bien structuré, très bien exprimé, ce rien, traduit par justement, presque rien au niveau de ce qui est écrit. Mais c'est trop succinct. Je pense que lorsque tu dis "jaillissement", tu pourrais ajouter quelques vers, afin qu'on sache au moins ce qui jaillit (rires)

[Lyra will]

Pour moi ça manque de puissance, pas assez de densité pour exprimer ce grand rien :0)
Même si l'idée me plait bien, et qu'il est intéressant de rester dans la sobriété je crois

je n'aime pas trop l'utilisation des termes "soudain" et "jaillissement" qui sonne un peu comme : "attention, surprise, rebondissement!", ça m'agresse et je le vois comme un gros gyrophare au milieu des mots-silence, ça dénote :0)

[Loreena Ruin]

Merci à tous pour vos commentaires. Je suis dans la grande majorité d'accord avec vous tous, votre sentiments de manque d'implication ici, de distance, de vide. Peut-être y a t-il des choses dans la nature qui demeurent indicibles dans leur grandeur, dans le souffle qu'elles inspirent, ce "sublime" qui dépasse l'homme et le langage. Mon incapacité à dire les choses ici (j'ose espérer donner l'impression de m'impliquer davantage dans d'autres texte !) à traduire mes impressions, est peut-être dû à cette sensation d'avoir le souffle couper. Le vide, quand on va à Trollstingen, on le vit, et c'était peut-être une erreur quelque part, de vouloir mettre des mots là dessus.

Sinon, je poste la plupart du temps des textes sur VE dans le but de savoir ce qu'ils valent, (j'ai du mal à prendre de la distance), pas forcément parce que je les considère comme "bons" mais pour voir les réactions qu'ils suscitent, parce que je suis moi-même dubitative... Avec ce poème, j'ai saisi la limite entre ce qui fait sens, ce qui touche, et ce qui fait (trop) "creux". Comme dit zenobi, le lecteur doit toujours apporter un peu de lui-même pour remplir les vides dans mes poèmes : ici il y a trop de vide pour que ce mécanisme fonctionne, pour que l'émotion passe.

Bref merci à tous pour ces commentaires, qui me montrent aussi que cette forme de poésie à défaut de toujours toucher juste, provoque au moins un vrai questionnement et des sentiments ni totalement négatifs, ni totalement positifs. Je sais ce que je dois exploiter, mais aussi ce que je dois éviter, du coup :-) !

[zenobi]

Jolie réponse.

[Loreena Ruin]

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dû => due
couper => coupé

(voilà ce que c'est de pas se relire ><)

:-)

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