Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le deal à ne pas rater :
Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot 6 Boosters Mascarade ...
Voir le deal

Du sang sur la route

5 participants

Aller en bas

Du sang sur la route Empty Du sang sur la route

Message  Jano Sam 4 Juin 2011 - 16:42

Je me souviens, j'avais dix-sept ans, l'âge de tous les dangers. A cette époque je ne pensais qu'à une chose, faire la fête avec les copains. Toute la semaine je me morfondais sur les bancs du lycée dans l'attente désespérée du week-end. La sonnerie du vendredi qui marquait la fin des cours était une véritable libération. Sitôt rentré chez moi, je balançais mon sac dans un coin de ma chambre et me précipitais sur le téléphone. Éparpillés dans différents établissements de la région, je ne pouvais retrouver mes amis que dans ces occasions.

Cette fois-là c'est moi qui sonnai le ralliement des troupes. Mes parents, partis pour le week-end en Dordogne, m'avaient laissé seul à la maison. Ravi de l'aubaine, je m'étais intronisé grand organisateur de la soirée. Mes acolytes s'empressèrent de répondre à mon invitation, enchantés de cet imprévu qui promettait des festivités animées.

Rapidement les premiers se présentèrent à la maison, l'un chargé de packs de bières, l'autre de saucisses et de brochettes. En ce début d'été, nous avions décidé d'un commun accord de faire des grillades.
Pendant que je m'occupais du barbecue, le reste de la bande débarqua progressivement à grand renfort de klaxons. Bientôt la cour fut encombrée de cyclomoteurs : mobylettes, 103 Peugeot et 50cc pour les plus chanceux. Pas encore de scooters au milieu des années 1980 !

Les rires et les blagues commencèrent à fuser de tous les côtés, chacun racontant sa semaine ou charriant le copain. Férus de hard-rock, nous avions sorti les enceintes de la chaine hi-fi qui déversaient du Iron Maiden à plein volume dans le jardin. Il va de soit que notre accoutrement de prédilection restait les santiags, le blouson en cuir et les cheveux longs.
L'apéritif ne fut pas long à se pointer, alimenté par les réserves de mon pauvre père pillées sans vergogne. Du fond des blousons, les boulettes de shit firent leurs apparitions et l'envoutante ronde des pétards commença son manège.

Nous étions neuf, huit garçons pour une fille. Aucun majeur. Nos discussions se centraient sur des préoccupations d'adolescents : les potes, le sexe et la musique. Mais ces rencontres festives servaient aussi d'exutoire permettant d'oublier la pression scolaire et les tensions familiales. C'était l'époque où nous étions en pleine rébellion, contre la société, les parents, le système éducatif ; où l'avenir nous paraissait bien flou. Angoissés par cette crainte du lendemain, nous nous échappions avec d'autant plus de facilité dans les vapeurs de l'alcool et la fumée du haschich.

La soirée avançant, l'excitation augmenta et les fous rires se multiplièrent. Nous attendions avec impatience le cœur de la nuit pour rejoindre notre discothèque préférée à une quinzaine de kilomètres de mon domicile. En général c'est ici que nous terminions nos beuveries dans des états souvent lamentables. Notre discernement fortement altéré, les fins de soirée en discothèque étaient toujours critiques, exposées à tous les évènements, les bagarres, les mauvais plans comme les rencontres imprévues avec des filles.

D'habitude nous partions vers une heure du matin dans un vacarme de pots d'échappement, en procession hystérique sur les routes de campagne. C'était à celui qui faisait le plus le dingue sur son deux-roues histoire d'épater les autres. Mais voilà, cette soirée qui ressemblait pourtant à toutes les autres dérapa et changea notre vie à jamais.
J'entends encore les mots fatidiques de Jonathan au moment où nous nous apprêtions à enfourcher nos montures, alors qu'une pluie fine s'était mise à tomber : « Putain y'en a ras le bol des meules, vivement qu'on ait des caisses ! » Que n'avait-il pas dit ! Dans mon esprit embrumé, je me souvins alors de la deuxième voiture de mes parents paisiblement à l'abri dans le garage. Une Citroën GS, large et spacieuse, avec auto-radio et suspension hydraulique. Le rêve ! Je savais de plus qu'une petite brunette m'attendait en boîte et que je n'étais pas loin de conclure. Quoi de plus viril, d'impressionnant, que d'arriver au volant avec tout mon équipage. Sûr de mon effet, je renchéris alors : « On a qu'à prendre celle de mes parents, je sais où sont les clés. »
« T'es baisé ! Personne n'a le permis »
s'insurgea Guillaume.
« On s'en fout, Jean-Luc sait conduire.Tu m'as bien dit que tu faisais de la conduite accompagnée ? »
Je me tournai vers lui, le plus âgé d'entre nous. Il baissa les yeux, soudain gêné de cette encombrante prérogative.
« Oui, je sais conduire, un peu, mais t'imagines si on tombe sur les flics !? On va se faire tuer ! »
« C'est clair »
approuva Franck.
Jonathan vola à ma rescousse : « Arrête de faire le pétochard Jean-Luc, c'est le délire si on a une caisse pour aller en boîte. On va même pouvoir faire monter les filles dedans ! »
Tout le monde s'esclaffa. Cette séduisante idée avait déridé l'atmosphère, balayant du coup les dernières réticences. Au comble de la joie, nous nous répartîmes pour le trajet, laissant un des nôtres complètement saoul cuver son vin sur le canapé. Jean-Luc, Jonathan, Guillaume et moi aurions le privilège de prendre la voiture. Les autres iraient en cyclos, certains soulagés sans l'avouer de ne pas braver l'interdit.

Juste avant le départ, Guillaume remplit une bouteille en plastique d'un mélange d'eau et de Pastis qu'il brandit fièrement. « Pour la route ! » s'exclama-t-il hilare. Moi je m'emparai d'une cassette de Slayer, un groupe de trash-metal qui renvoyait AC/DC au rang d'amuseurs de bal musette.
Et nous partîmes en braillant comme des coyotes, reprenant à tue-tête les refrains démoniaques de Slayer en secouant frénétiquement nos crinières.

Nous étions fous. Fous d'une jeunesse qui galopait dans nos veines.

Les quelques brins de lucidité qui restaient nous firent prendre des routes secondaires pour éviter d'éventuels contrôles de gendarmerie. Ce ne fut pas une bonne idée. Étroites et sinueuses, ces routes demandaient de la vigilance que Jean-Luc avait noyée depuis belle lurette dans les canettes de bières et dissipée dans les nombreux joints.
Il ne roulait pas vite pourtant, mais dans un virage la GS mordut sur le bas-côté et partit en tonneaux dans un champ. D'aucuns diraient que c'était prévisible, nous à aucun moment n'avions envisagé l'accident. La fête devait rester lumineuse, hors d'atteinte des péripéties malencontreuses de la vie. Nous n'étions plus du tout en phase avec la réalité, celle qui ramène sur terre, qui fait mal.
Bien entendu nous n'avions pas mis nos ceintures, une protection réservée aux vieux ou aux gosses, pas à de jeunes rockers invincibles.

Je me rappelle comme si c'était hier de la violence des chocs qui me propulsaient de bas en haut de l'habitacle. Par réflexe je m'étais mis en boule, j'attendais que ça s'arrête, vite.
Quand la voiture s'immobilisa enfin, il y eut un silence sépulcral. Ma première constatation fut que j'étais en vie, rien de cassé à part une vive douleur à la hanche. Guillaume, qui s'était mis à l'arrière avec moi, restait prostré, apparemment indemne. Devant je vis Jean-Luc s'acharner à ouvrir la portière cabossée en tapant dessus avec les pieds. A sa droite, pas de Jonathan. Il n'y avait plus de pare-brise.
Je m'extirpai tant bien que mal de cet amas de tôles en me glissant par la vitre. Une fois dehors, je pu mesurer l'étendue des dégâts. L'avant de la GS était profondément enfoncé, son toit aplati. Une épave. Atterré, je me rendis compte que j'avais fait une énorme connerie. J'entendis alors la voix angoissée de Jean-Luc : « Jonathan ! Jonathan !! »
Je me précipitai. Sur la route gisait le corps de mon copain, faiblement éclairé par la lueur de la lune. J'entendais sortir des râles de sa gorge, affreusement rauques. Jean-Luc était penché sur lui, je ne voyais pas ce qu'il faisait. En m'approchant je compris qu'il tentait d'attraper la langue de Jonathan dont la révulsion obstruait les voies respiratoires. Il y parvint et les râles cessèrent. Je reçus la vision du visage ensanglanté de Jonathan comme une claque. Mon regard croisa celui de Jean-Luc et je pus y lire la même détresse, la même incompréhension devant ce drame qui nous frappait brutalement. Derrière nous Guillaume pleurait tel un enfant.

Je ne me souviens plus très bien de la suite, tout est confus dans ma mémoire, se mélange, comme si à partir de ce moment j'avais décroché de ce cauchemar pour ne plus affronter l'horreur. Des phares, puis des voitures qui s'arrêtent. Hébété, j'entends vaguement des gens me demander si je vais bien. De plus en plus de monde s'agite autour de nous. Je n'ai plus aucune conscience du temps. Tournoyant dans l'obscurité, des gyrophares m'arrachent soudain à ma torpeur. J'aperçois le brancard transportant Jonathan disparaitre dans le fourgon des pompiers. Les portières se ferment. Je sombre.

Je me réveillai le lendemain sur un lit d'hôpital, une perfusion au bras, endolori de la tête aux pieds. Mes grands-parents se tenaient à mon chevet. Prévenus, mes parents rentraient précipitamment de Dordogne. Je vis les yeux humides de ma grand-mère, le visage fermé de mon grand-père. La soirée défila dans mon esprit puis s'arrêta sur le corps désarticulé de Jonathan. Je n'osai demander, j'avais peur. Devinant mon trouble, ma grand-mère m'annonça d'une voix tremblante : « Jonathan est dans le coma. »

Jamais il ne s'est réveillé. Il avait seize ans et demi.
Jano
Jano

Nombre de messages : 1000
Age : 54
Date d'inscription : 06/01/2009

Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  elea Sam 4 Juin 2011 - 17:53

J’ai apprécié le traitement tout en retenue, le fait de ne pas sombrer dans le pathos, pourtant difficile à éviter avec ce genre d’histoire.
C’est bien écrit, la lecture est agréable, le thème poignant et pourtant il y a quelque chose qui me tient à distance dans ce récit.
Peut-être les personnages « déjà-vu » ou la fin annoncée. Le drame est tristement « banal » (à lire, pas à vivre bien sûr), j’attendais peut-être que la surprise vienne de la narration ou des personnages.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  Miinda Sam 4 Juin 2011 - 21:15

Oui, la fin est prévisible, mais peut-être que c'est ce qui donne un certain charme au texte, finalement, cette fin qu'on attend et qui fait monter l'angoisse au fur et à mesure du texte.
Comme elea, je trouve que c'est bien écrit, que le thème est bien traité, et le texte m'a touchée.
Miinda
Miinda

Nombre de messages : 103
Age : 30
Date d'inscription : 07/07/2009

Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  pescaire66(oletouroque) Dim 5 Juin 2011 - 7:53

Je suis partagé sur ce texte. Le thème est un peu répétitif et me fait penser à une nouvelle publicité de la sécurité routière. Mais je n'arrive pas à me défaire de l'empathie pour la situation, pour le fait "divers".
Je ne me suis pas régalé à la lecture mais ai lu jusqu'au bout pour voir si la chute contenait une soudaine pirouette. Non. Donc partagé, très partagé.
pescaire66(oletouroque)
pescaire66(oletouroque)

Nombre de messages : 28
Age : 38
Date d'inscription : 29/12/2010

Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  Invité Dim 5 Juin 2011 - 18:25

Un fait divers qui en est seulement pour qui ne l'a pas vécu d'aussi près. Je reprocherais au texte la distance de la narration ; le récit - peut-être par choix, j'en conviens - manque de chaleur, de vie presque, raconté qu'il est par l'adulte qui regarde en arrière et juge le comportement de l'adolescent qu'il était. Du coup, cela donne donne un rendu assez terne dans lequel le lecteur n'est pas invité à s'impliquer.

Remarque : il y a une faute de syntaxe ici :
"Éparpillés dans différents établissements de la région, je ne pouvais retrouver mes amis que dans ces occasions."

où le sujet de "éparpillés" ne peut pas être "je" mais bien "nous" ou "ils".

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  Ba Lun 6 Juin 2011 - 7:51

Lu et partagé bien de ces moments sans la même fin.
Ba
Ba

Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Du sang sur la route Empty Re: Du sang sur la route

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum