Exo Ravissement : Le ravissement du monde

[Marvejols]

................Le ravissement du monde


Te souviens-tu Hermès du puissant de nos faîtes
Quand les fumées d’enfer allaient terre d’envers ?
Voyais-tu cet Ulysse en des séjours soyeux
S’initiant à l’amour ? Ô déesse des mers
Son long voyage amer nous buvait par ses yeux
Le lent l’hardi marin s’étourdit aux sirènes
L’homme rusé ramant ainsi faisant la bête
S’ingéniait à nous faire croire sa quête vaine
Sachant qu’il empruntait alors aux dieux leur tête.

Te souviens-tu Bacchus du vin gai de nos fêtes ?
C’était l’éternité d’hier et de nos reines
Quand le ravissement endormit nos défaites.


.............................Marvejols

[Invité]

Très parnassien cette affaire ; avec une grosse réticence pour cette locution inconnue que ma licence poétique ne va pas jusqu'à avaler : "puissant de nos faîtes".
Mais il est vrai que pour endormir une défaite, il ne faut reculer devant aucun sacrifice.

[Jean Lê]

Je trouve un peu malheureux : "son long voyage amer nous buvait par ses yeux" et "le lent l'hardi "
Le dernier tercet à Bacchus me ravit. Santé !

[zenobi]

Amphitrite et Hermès devisent. Evoquent (mon chouchou) Ulysse. Ils regrettent avec Bacchus l’euphorie de la résina d’alors…
C’est joliment mené, les "inversions" sont belles
Les consignes sont là. Vous avez bien joué.

Une question.
Je ne suis pas certain d’avoir vraiment compris l’emprunt des têtes divines. Pourriez-vous expliciter ?

« initié »… à l’amour. Je ne dis pas que Pénélope rime avec salope, mais ils ont quand même eu un enfant. Et puis le lit, surtout, le lit-olivier. Initié, aguerri, ayant participé comme tout bon vainqueur à quelques viols - je rappelle là la première escale du retour.

Un très vilain vers : « S’ingéniait à nous faire croire sa quête vaine »
« Le lent l’hardi » ne m’a pas convaincu.

[Fauve noir]

Excellent poème, et le type dactylographique est très bien trouvé lui aussi.

[Annie]

Je l'ai lu avec plaisir, malgré quelques points rugueux
ramant ainsi faisant
à nous faire croire

et je goûte hénaurmément l'évocation des dieux grecs.

Quand les fumées d’enfer allaient terre d’envers ?
je ne suis pas certaine de pouvoir l'expliciter, mais c'est une bien belle image.

[Arielle]

J'ai beaucoup aimé les trois derniers vers qui sonnent d'une divine mélancolie de même que j'ai apprécié
"Son long voyage amer nous buvait par ses yeux"
mais je trouve un peu maladroit le "puissant de nos faîtes" un raccourci pesant si je comprends bien ce que cela signifie.
" Le lent l’hardi" ne m’a pas convaincue non plus.

Bonne idée d'avoir emprunté les pas d'Ulysse pour ce voyage et le titre est très beau.

[Marvejols]

Bonjour, je remercie tant les silencieux que les parleux de leurs lectures exigeantes. Je vais apporter quelques précisions:

- le style typo est Papyrus

- Quand les fumées d’enfer allaient terre d’envers : quand les fumées des enfers allaient à l'envers de la terre ou vers la terre ou vers une terre à l'envers: bref, quand le monde n'était pas encore ce qu'il est et que les dieux, fussent-ils des enfers, comptaient.

- je ne suis pas satisfait non plus de "du puissant de nos fâites": grammaticalement il me semble relever de la liberté poétique que je puisse substantiver l'adjectif puissant. Le problème n'est pas là, il est que c'est lourd. J'avoue que j'avais écrit "du bruissement de nos faîtes / fêtes" en symétrie -qui me plaisait beaucoup- avec "ravissement" sur lequel j'avais décidé de clore le texte. Mais cela faisait 13 pieds et je ne me suis pas résolu à abandonner l'alexandrin qui me paraissait convenir au style retenu. Peut-être devrais-je néanmoins essayer de m'en libérer par une variation sur 12/14 syllabes...

- je ne comprends pas bien -et cela me tombe dessus des nues moi qui étais content de mon petit effet sonore...- certaines réticences sur "Le lent l’hardi". Peut-être qu'on peut trouver déplaisante la sonorité "Lar" (mais alors que dire de "L'Art pour l'Art"?) ou la répétition LL mais le R est un phonème tout proche donc LLR donne une unité à cet hémistiche en même temps que le R la fait évoluer. Enfin il ne s'agit pas de "Le lent l’hardi" mais bien de "Le lent l’hardi marin" avec une pause après ces 6 syllabes émises d'un trait, éventuellement une demi-pause après "Le lent" (Le lent, l'hardi marin).

- "ramant ainsi faisant" : sans doute un peu lourd les deux -ANT de suite, mais cela doit être lu
"L’homme rusé ramant
ainsi faisant la bête" avec une pause à la césure comme s'il y avait une virgule après Ramant,

- "S’ingéniait à nous faire croire sa quête vaine " : effectivement ce vers me gêne un peu en deux points: quête vaine (ça fait un peu quéquête...) et S'ingéniait qui est plein de I-GNI. Je pense que je devrais éloigner quête et vaine et reformuler S'ingéniait où je tiens cependant à garder l'idée de génie car il s'agit de la rivalité d'intelligence entre l'homme et les dieux.

- Voyais-tu cet Ulysse en des séjours soyeux
S’initiant à l’amour ?
Ulysse s'initie à l'amour à plusieurs reprises, Calypso, Circé etc. et par là il côtoie et imite déjà les dieux, pénètre leur monde

- titre : Le Ravissement, c'est bien sûr à la fois le monde qui ravit, lorsqu'il n'était que joie et paradis, le monde du ravissement, les dieux s'émerveillant au spectacle du monde contemplé depuis l'Olympe; et ce ravissement c'est aussi en même temps le Monde qui a été ravi aux Dieux. Par l'homme, Ulysse étant ici l'homme par excellence, le plus habile, rusé et longvivant.
Tout à leur contemplation, à leur hédonisme, les dieux se sont étourdis et endormis, ils n'ont pas vu venir leur défaite tandis que là, en bas, feignant de s'étourdir aux sirènes destinées à tromper et égarer les hommes, des Ulysses rusés et cachant leur jeu (faisant la bête, laissant les dieux croire qu'il se perdait à quêter un impossible retour à Ithaque) observaient, imitaient et se sont emparé, comme en la buvant tel un nectar de Bacchus, de l'intelligence des dieux...

[zenobi]

Vous ne m'avez pas vraiment répondu concernant les têtes divines.

Je ne crois pas que Ulysse vole quoi que ce soit aux dieux. Après l'Iliade, tombeau des héros, l'Odyssée initie une épopée à l'envers - une épopée du retour- durant laquelle Ulysse se dépouille progressivement de tout: nom, vêtements, compagnons, navires, beauté pour rejoindre Ithaque.
C'est plus une appropriation de l'humain qu'un emprunt aux dieux.

hardi, le "h" est aspiré. Le hardi. (TLF: Prononc. et Orth. : init. asp.)

[Marvejols]

Zenobi,
- oui Philippe le Hutin suivi de Le Hardi pardi... Donc touché, coulé (j'utilise comme vous et recommande le TLFi) en ce qui concerne Le lent le hardi : je dois me résoudre à abandonner cette formule qui me plaisait, tout en gardant l'idée de lenteur et de hardiesse, la mince affaire...
- "Sachant qu’il empruntait alors aux dieux leur tête"
Je ne suis pas là dans l'idée d'emprunter l'apparence des dieux. Non, il s'agit bien d'emprunter (voire empreinter) l'intelligence des dieux, comme on emprunte leur voie. L'idée -centrale- de ce texte est que l'homme, à leur insu, ravit la place des dieux en leur volant leur intelligence. Endormis à la contemplation du spectacle du monde du haut de l'Olympe ces derniers virent trop tard leur défaite arriver. Ulysse fait semblant d'être emporté par les forces divines, tel un fétu de paille sur l'océan en furie, faisant l'esclave, la bête, il accepte son détour au long cours, empruntant des voies détournées pour parvenir, cependant qu'il observe et calque les dieux.
.....C'est en quelque sorte une nouvelle version du Génie ravi aux Dieux par les Hommes, je me suis en fait amusé à christianiser l'Antiquité (mythe de la pomme) où plutôt à y introduire ce mythe chrétien.
.....Désormais les dieux sont mélancoliques.

[zenobi]

Vous avez lu "Malpertuis" ?

[Marvejols]

Non, ne faisant pas profession de littérature, normalement inculte et tout aussi normalement occupé je lis peu. J'avoue mon crime et qu'une heure me sourie, je me rue aux rimes. Des poètes je suis un ridicule mime. Parlez donc moi de ce "mauvais passage" au nom quasi de fleur jaune, attendez, que je devine : c'est à propos de l'Ulysse et de la pomme ?

[zenobi]

Lu dans mon adolescence, un souvenir fort. Marquant. (Un peu verbeux, peut-être ?)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Malpertuis

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