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Esprit vagabond

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Esprit vagabond Empty Esprit vagabond

Message  ptipimous Jeu 23 Juin 2011 - 16:59

Mon prof de physique/chimie était un maboul. Un archétype, la caricature du savant fou, une sorte de mixage entre Einstein et Mr Hyde.
Il nous gavait de grandes théories qui couvraient le tableau noir d’équations et de formules diverses toutes plus compliquées et totalement absconses les unes que les autres alors qu’il était juste question au départ d’une histoire de forces contraires.
Totalement barré dans de grands questionnements intérieurs, il pouvait nous bombarder de craies et même du tampon effaceur si nous faisions seulement mine de vouloir le remettre sur les rails de la question d’origine. Nous subissions alors durant une heure une loghorée impitoyable qui nous larguait tous dès la première virgule (qui en fait n’existait pas) et séparait alors la classe en deux catégories distinctes : ceux qui s’accrochaient et voulaient comprendre sans jamais y parvenir (la mienne, et de loin la plus frustrante) et l’autre qui passait à autre chose et retournait à des activités plus terre à terre : envoyer des textos, se manucurer les oncles ou simplement dormir.
En fait, ce mec était un génie qui n’avait strictement rien à transmettre à qui que ce soit.
Sa calculomanie le poursuivait sans relâche. Il théorait en respirant et oubliait de se changer, de dormir et vraisemblablement de se laver et de se nourrir. Il débarquait dans l’amphi en ayant qu’un seul objet de convoitise : le tableau qui offrait une surface sur laquelle il pouvait se lâcher, ce qu’il ne manquait jamais de faire. Nous regardions avec terreur, les signes cabalistiques à la craie blanche se poser comme les oeufs d’une mouche sur de la viande avariée et attendions leur probable éclosion comme une fatalité ainsi que l’invasion immédiate qui s’en suivrait. J’étais son meilleur élève, mon côté Champollion sans doute.
Je m’étais mis en tête qu’un jour, face à ce tableau sûrement rapporté de Rosette, je parviendrai à comprendre. Je m’acharnais, gardais en tête cet adage magique qui résout toutes les angoisses : le problème le plus compliqué n’est fait que d’une successions de choses très simples.
Il trimballait une serviette marron râpée remplie de paperasse dont une ou deux feuilles s’envolaient dès qu’il faisait un mouvement brusque. A plusieurs reprises, un de mes collègue ravi en avait ramassé une, pensant tenir des solutions aux problèmes posés ou quelque secret concernant notre fou local. Bien vite, il déchantait. Toutes ces feuilles n’étaient que des tableaux volants, couvertes de griffonnages rageurs et totalement mystérieux. Un jour, j’eus plus de chance et ramassais un carnet. On imagine la suite et je décidais bien vite de lui rendre.


Evidement, ses absences dans tous les sens du terme étaient fréquentes. mais pour la plupart d’entre nous qui étions juste parvenu à recopier le délirium en 3D du Géo Trouvetout, ces absences nous était nécessaires pour parvenir à le mettre en ordre et commencer à réfléchir dessus. Non qu’il nous aurait collé ou même interrogé. Je ne suis pas sûr qu’il était toujours conscient de notre présence.
Et pourtant si.
Je l’appris le jour où le doyen me fit appeler dans son bureau. Einsthyde avait un mois de retard sur la signature d’un document administratif. Il fallait lui porter, le faire signer et rapporter la feuille, en aucun cas la lui laisser, ce qui expliquait l’inutilité de la voie postale.
Muni de l’adresse, je découvrais avec surprise trois choses : premièrement, j’étais son étudiant préféré, ce qui expliquait la responsabilité qui m’incombait. Il m’avait donc vu, et peut-être même les autres !
Deuxièmement nous étions presque voisins. Et tertio il habitait un petit pavillon de banlieue d’apparence tout à fait ordinaire. Encore que je ne parvenais pas à m’imaginer l’habitat idéal de ce genre d’animal.
Je sonnais, re-sonnais puis commençais à me demander comment j’allais bien pouvoir m’acquitter de ma mission si je n’arrivais pas à lui mettre la main dessus.
Un pas trainant, la porte s’ouvrit, il apparut dans une veste de pyjama boutonnée jusqu’en haut sur un bas de jogging que l’on aurait pu qualifier sans excès de fatigué. Pas de chaussons, ces derniers, des charentaises défoncées était resté à cinq pas derrière lui dans l’étroit couloir... la peur de l’air pur, peut-être ? Il recula pour me laisser entrer, même pas étonné de me voir là. Je lui expliquais le pourquoi de ma présence, il partit à la recherche d’un stylo. Curieusement la maison était plutôt en ordre. Des meubles conventionnels à sa génération, bois lourds et tentures. D’où j’étais je ne pouvais pas voir la cuisine et il n’y avait pas d’odeurs suspectes. J’en déduisais donc qu’il avait une femme de ménage ou une dame de compagnie ou une femme tout court mais qui ne semblait pas être là. Et il avait une pièce de travail. D’expérience, il semait un tel capharnaüm derrière lui à la fac qu’il était impossible que ce ne soit pas la même chose chez lui. Il avait donc un coin réservé. Il signa mon papier et je me sentit obligé de disparaitre assez vite, il était inutile que j’espère ne serait-ce qu’un verre d’eau. Du coup j’oubliais totalement de lui rendre son carnet.
Le lendemain, il était mort.
On le retrouva pendu dans ce qui devait être une cabane de jardin. Pas de lettre d’adieu, ce qui a rendu la police soupçonneuse. D’autant que la petite hauteur de plafond de l’endroit rendait
l’acte assez délicat. L’autopsie révéla des traces pas claires mais pas déterminantes non plus.
Je fus convoqué au commissariat et interrogé. C’est en témoignant de ma dernière entrevue avec lui que la tristesse s’abattit sur moi. Il faut toujours que les gens disparaissent pour qu’on se rende compte à quel point on y est attaché. J’appris que j’étais la dernière personne à l’avoir vu vivant ce qui me rendait suspect. Après les formalités d’usage et le récit de notre brillante entrevue, les flics finirent par me relâcher et je rentrais chez moi.
J’étais bouleversé avec un sentiment de frustration intense. C’est sûrement cela qu’il avait perçu chez moi, cet acharnement à vouloir comprendre et ce refus d’accepter le provisoire, le pas fini. La nuit tombée, je décidais de mener ma propre enquête, je me rendis chez lui.
La maison n’était pas gardée, je passais par l’arrière et cassais un des petits carreaux de la porte afin de pouvoir la déverrouiller.
J’épluchais soigneusement en prenant garde de ne toucher à rien chaque pièce de cette petite maison de plein pied. Aucun papier, pas un seul bouquin ; est ce que la police avait tout emporté ? Mon côté minutieux, chiatique disaient mes différentes conquêtes avant de me plaquer, a laissé petit à petit chaque atome de la maison derrière moi jusqu’à une ultime porte au fond du couloir sur la gauche, elle faisait face à la double porte du salon (qui avait disparue) et à la fenêtre de ce même salon. J’avais trouvé son antre. Je passais un peu de temps à chercher de l’outillage pour me rendre vite compte de l’inutilité de la démarche : il n’y avait aucune vis apparente et surtout pas de serrure.
Je rentrais chez moi. Allongé sur mon lit je réfléchissais à tout cela. Pourquoi un bunker pareil pour un simple prof de science ? Qu’est ce qu’il pouvait bien fabriquer dans cet endroit. En faisant le tour de la maison, je n’avais vu aucun soupirail, aucune porte extérieure. C’était donc une pièce en sous-sol sans aucune ouverture.
En soupirant j’ouvris le calepin et parcourus d’un oeil déjà fatigué l’empilement de formules. J’étais couché, le carnet incliné sur mon estomac, la mauvaise vision due à ma mauvaise position distordit les lignes. Ces dernières se chevauchèrent et je lus brièvement «durant la dernière année...»
Mon coeur fit un bond dans ma poitrine, je m’éjectais du lit comme un diable sort d’une boite.
Le carnet était codé. Ce n’était pas un carnet de travail, c’était un journal !
Je m’attelais à la tâche qui allait se révéler ardue car pour rendre le masquage crédible certaines lettres étaient remplacées par des signes mathématiques, ou même des formules chimiques.
Le lendemain au milieu de l’après-midi, j’étais toujours à la peine, je n’avais pas mangé, ne m’étais pas lavé et n’en n’avais même pas conscience. A 6 heures du matin, les yeux explosés j’avais déchiffré les trois quart de son écriture serrée.
Il avait découvert un gaz qu’il avait appelé «Pacifique». Qui en respirait perdait toute agressivité. C’était la fin des guerres mais si un Hitler mal intentionné possédait ce gaz, il pouvait devenir le maitre du monde. Personne ne s’opposerait à sa volonté.
J’avais l’esprit embrumé mais je pouvais tout de même me rendre compte de l’importance de cette trouvaille. Je savais à présent pourquoi la pièce du bas de la maison était si hermétiquement close : ce n’était pas un bureau, c’était un labo. Et donc, la formule était là-bas.
Si je parvenais à mettre la main dessus, je ne savais pas exactement comment et à qui je la vendrais, mais j’imaginais tout en n’osant pas réellement tout ce que je pourrais faire avec l’argent que me rapporterait cette découverte. C’était le loto, le jack-pot. Je décidais de dormir après avoir avalé un restant de pizza.

J’y retournais au milieu de la nuit suivante. Rien n’avait bougé, cette maison décidément n’intéressait personne. Je n’osais tout de même pas utiliser l’électricité et me contentais de ma petite lampe de poche.
Face à la porte, je réfléchissais après l’avoir poussée et avoir tenté de la faire coulisser. Si c’était un système aimanté, il y avait forcément un moyen d’ inverser le champs de force et je l’aurais trouvé. Je refis le tour de chaque pièce de la maison, examinait les linteaux des portes et fenêtres, re-sortais en prenant mille précautions pour voir si un autre accès ne m’aurait pas échappé, si je trouvais un générateur ou un super aimant. Mais rien de rien. L’heure tournait, le jour allait se lever, j’essayais d’enfoncer la porte mais ne réussis qu’à m’endolorir l’épaule.
Epuisé, je m’assis dans le couloir en fermant les yeux, me glissais dans la tête de ce vieux fou. Pas de clé, pas d’embarras pour sa tête folle qui perdait tout mais un côté pratique, une disponibilité de l’ouverture. Je me rappelais ses divagations durant les cours : «pour décrypter une formule essayez par la gauche, la droite et sinon passez par en dessous !» Je me levais en grimaçant pour mon pauvre dos et tentais de faire entrer le panneau dans le sol, il y eut un petit déclic mais rien d’autre. Je ré-essayais encore et encore mais à part une série de foutus clics, rien ne se passait. Par acquis de conscience, je la poussais vers le haut et sentis comme une mollesse. Je souris et lui donnais plus d’élan, un banal système de contrepoids caché dans un panneau de bois, le b.a. ba de la porte de garage ! Je le reconnaissais bien là !
Un escalier sombre et au dessus du trou, un miroir. Je notais cette incongruité sans me poser plus de questions. Si cela se trouvait, il était là avant qu’il ne s’installe en bas. Je descendais en tâtonnant du pied, ma petite lampe n’éclairait pas grand chose et il n’y avait pas d’interrupteur dans l’escalier. Une deuxième porte, plus classique, munie d’une simple poignée.
Je refermais la porte derrière moi, repérais un interrupteur et allumais la lumière.
Je suis resté là stupéfait : chaque paroi de la pièce était recouverts de papier chiffon couverts eux mêmes de formules et de calculs. Le travail entier de ses recherches était là, sur les murs. L’encre était légèrement verdâtre. Je remarquais aussi une progression dans la densité de la couleur. J’en déduisais que la partie plus pâle était la plus ancienne.
Il y avait de grandes tables, quelques cornues, des produits chimiques divers. Quelques placards qui ne contenaient rien de surprenant et un frigo assez pourri qui regorgeait d’eau.
Finalement assez peu de fouillis et aucun papier hormis ce qui m’entourait.
L’ampleur de la tâche me laissa dans l’interrogation et un peu de découragement : est-ce que je devais essayer de comprendre ? Ou tout recopier, ce qui ne se ferait pas en une seule fois, et décrypter tout cela au calme plus tard.

Que dire ? Que j’étais fatigué ? Que je n’avais pas beaucoup dormi depuis plus de 48 heures ? Trop facile.
C’est ce qui fait la différence entre les grands découvreurs et les autres : les premiers ne relâchent jamais leur concentration. J’ai arrêté de réfléchir et c’est ce qui m’a perdu.
J’ai entendu du bruit au-dessus, des pas, des voix. Rapidement j’identifiais la police. J’allais avoir de gros problèmes pour justifier l’effraction et ma présence ici.
Je n’avais aucun moyen de sortir et j’avais laissé la porte piège ouverte. Bientôt une cavalcade de godillots d’abord pressés puis hésitants s’est rapprochée.
Police ! Sortez de là les mains en l’air.
La panique m’envahissait à grande vitesse. Il fallait au moins sauver la formule, je ne pouvais rien faire dans l’immédiat mais après quelques tracasseries, je reviendrai. Après tout je n’avais rien fait de grave..
Je veux bien sortir, ne tirez pas je ne suis pas armé.
Et j’ouvris la porte.
Le soleil entra à flots dans la pièce, il venait de la fenêtre du salon et par le bon vieux procédé des égyptiens qui s’en servaient pour peindre l’intérieur de leurs tombes, se réfléchissait sur le miroir dans l’escalier pour entrer directement dans le labo. A ma grande stupéfaction, je vis l’encre des murs pâlir et disparaître alors que le premier policier n’était même pas entré dans la pièce.
J’éclatais d’un rire hystérique. Ce vieux taré s’était bien suicidé mais il n’avait pas eu le courage de détruire ce qu’il avait mis à jour et qui risquait de mettre le monde à feu et à sang. Et il m’en avait chargé. Je n’avais pas trouvé son carnet par hasard. Il me l’avait donné. Il avait tout calculé.
Comme d’habitude.
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Message  Invité Jeu 23 Juin 2011 - 19:50

Un jour, j’eus plus de chance et ramassais un carnet. On imagine la suite et je décidais bien vite de lui rendre.

Cette phrase me pose un problème de compréhension et rend du coup inconfortable la lecture de ce qui suit. J'ai besoin d'une explication : si l'étudiant a rendu le carnet, comment peut-il être encore en sa possession dans la deuxième partie du récit et ce, jusqu'à la fin ? Ou alors, l'étudiant se propose de le lui rendre plus tard et n'en a pas le temps avant la mort du prof ?
C'est le seul point trouble pour moi, sinon c'est tout bon (hormis des fautes d'orthographe ici et là). J'aime bien comme le récit se déroule, étape par étape, la progression est implacable. Et la fin paradoxalement réjouissante.

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Message  François T Ven 24 Juin 2011 - 13:47

Très bon récit. La remarque d'Easter n'estb pas recevable car votre héros, venant recueillir une signature à la demande du proviseur, indique bien que troublé par l'étrangeté de la retraite du savant : "du coup j'oubliais de lui rendre le carnet....le lendemain il était mort.".Personnellement j'aurais aimé vous voir utiliser plus longuement vos qualités de conteur.
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Message  Invité Ven 24 Juin 2011 - 13:57

"Du coup j’oubliais totalement de lui rendre son carnet" : merci François ! Le voilà l'indice que j'avais vainement cherché plus haut ! Du coup tout est absolument limpide. Et bon.

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Message  LaBeletteMasquée Ven 24 Juin 2011 - 18:26

Très sympa l'histoire, mais je trouve que tu aurais pu développer un peu plus la relation de l'élève et de son prof. Personnellement, je n'irais pas m'amuser à fouiller la maison de mes profs de fac, même morts ! On comprend quel genre de personnage ce prof peut être, mais j'aurais aimé mieux comprendre pourquoi il exerçait une telle fascination sur cet élève.
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