La vie go on

[Ba]

Je déteste les peaux de départ, les fêtes de faim damnée, les regards sur les fleurs tombées que nul ne recueille.
Je déteste la maigreur des corps plantés, debout dans les rayons couchés d’un soleil estival, la perspective à ras des gorges nouées que soulève le vent des départs. Et ces écharpes qui étranglent la vue. Ces voiles qui tracent en pointillé de nouveaux voyages, là-bas, entre les doigts en éventail. Le tremblement imperceptible du vaisseau sanguin quand l’index désigne l’horizon pourpre où s’inscrit la disparition du vagabond.
Je déteste les battements d’ailes des voyageurs ; la moiteur des quais sous la semelle, le banc sur lequel s’affale notre présence engourdie et maladroite : « Qu’est-ce que je fais là ? ». L’on tourne la tête, devant soi se tient un enfant apporté par les vagues, il vous fixe curieux ou souriant, de toute sa vie. Que lui dire ? Il vous montre sa jolie robe. Il vous montre la fraîcheur de l’instant.
Mais.
Je déteste les romans qui ne seront jamais écrits car les passages sont bien trop puissants pour tenir enfermés entre deux tranches de viande froide, les destins qui croisent en haute mer bien trop rapides pour s’arrêter entre les lignes, les pauvres miettes sans festin.
Je déteste ce que je vois, reconnais, ressens comme si un auteur froid et frivole me précipitait dans une histoire sans me la faire partager.
Étranger à soi-même.
« Humain, trop humain ».
Je déteste les peaux de départ, les mélancoliques chants du signe qui disparaît, la certitude rectiligne de voir s’effacer les silhouettes familières avant que de les suivre.
Je déteste la marelle dessinée dans la cour immobile de celui qui reste sans jouer, condamné définitivement à rater le « ciel ».

[echalot-lover]

Je ne déteste pas ... :-)

[Arielle]

J'aime, j'aime j'aime avec une préférence pour l'éventail des orteils qui balaie les miettes sans festin des fleurs tombées sur lesquelles je me recueille...
Quelle source inépuisable d'images !
Comme j'aimerais feuilleter un recueil de ces petites merveilles, Ba !

[gaeli]

Je ne déteste pas, j'adore! Je ne veux pour rien au monde`` rater le ciel``. Je cours me procurer un truc quelconque pour grossir les images qui m'entourent (lol)

Bravo, une très belle lecture. J'en suis restée Baba (lol) Merci à toi.

[Invité]

Je déteste les battements d'ailes des voyagers

moi aussi
Pas de futilité, du ciel plein pot, de la vie sur le pouce, bravo Ba !

[Invité]

Ah moi non plus je ne le déteste pas ce texte très visuel et poétique, je me les imprime ces "battements d’ailes des voyageurs et la moiteur des quais sous la semelle". Merci.

[Lisa Decaen]

Je ne déteste pas, je ne suis pas baba, je suis juste admirative...

[Louis]

D’une aversion à l’autre :
« Je déteste les peaux de départ ».
Autant sans doute que les peaux de léopard ou de guépard. Toutes, elles font tache. Toutes sont sans attache.
C’est que la peau des départs couvre la maigreur des corps. Corps qui n’ont plus que la peau et les eaux où voguer ; les êtres chers n’ont plus de chair. Peaux de départ sont peaux de chagrin. Des voiles que l’on met en guise d’oripeaux.
Dans cette détestation s’exprime une aversion pour le nomadisme, pour l’errance et le vagabondage, pour le voyage. Partir, comme chacun sait, c’est mourir un peu. La vraie vie n’est pas ailleurs.
Un éloge alors du fixe, du sédentaire, de ce qui reste ?
Pas même.
Dans le stable, il y a perte aussi de la proximité, de la présence.
Notre présence est « engourdie et maladroite », elle mène à l’interrogation : « Qu’est-ce que je fais là ? ». Pas de sens à cette présence hic et nunc. Je devrais exister ailleurs. Pas de véritable présence, toujours un décalage, un écart, une distance avec le monde. On peut bien observer l’enfant qui vient, « un enfant apporté par les vagues » ; l’enfant issu d’un lointain ; l’enfant d’une arrivée, pas d’un départ ; l’enfant dans l’innocence du devenir ; il nous rappelle à « la fraîcheur de l’instant », à la présence spontanée, immédiate, naïve. Sans distance.
Mais il y a un « Mais »
Malgré l’enfance, la venue au monde, on reste un étranger, étranger au monde, et « étranger à soi-même ». On vient au monde en étranger, sans jamais l’habiter vraiment, toujours de passage. Dans le fixe et le stable, on se tient à distance, ailleurs, en un lointain. On est toujours déjà parti. Un sentiment de dégoût le révèle : « je déteste… ».
Le départ des autres rappelle-t-il ainsi son propre départ hors du présent ?
Reste que rien ne reste.
Le présent est une histoire à laquelle on ne participe pas, racontée par un « auteur froid et frivole ».
Etranger au monde, l’être humain est l’être des lointains.
Quel est le destin de ceux qui partent ? Aucun roman jamais ne pourra l’écrire.
Les vies se croisent au large, si loin, si brièvement, inénarrables.
Les « chants du signe » sont des chants du départ. Et le « signe » est déjà distance avec la présence qu’il signifie.
Dans « la cour » (celle d’une école sans doute, école où rien pourtant vraiment ne colle, n’adhère pour éviter les séparations), celui qui reste sans jouer, voyageur immobile, se condamne, dans la marelle existentielle, à ne pas sauter à cloche pied de case en case, de ville en ville, d’une terre à l’autre par-dessus les mers et les océans, se condamne à ne jamais gagner le « ciel », celui de l’existence sans distance. Partir pour y rester ?
Partir ou rester ? Alternative humaine, « trop humaine » comme disait Nietzsche.
Partir ou rester : dans les deux cas, il y a perte, de l’autre ou de soi, l’existence en pure perte. Reste l’ascension, le saut, par-dessus soi, par-dessus la condition humaine, dans le surhumain ?
Bravo Ba pour ce texte. Mais… mais il y a un mais. Je déteste l’idée d’un « trop humain »

[Iloa Mys]

Bonsoir,
Je pense qu'il est préférable d'apprécier chacun de tes " Je déteste " indépendamment les uns des autres.
Beaucoup d'images, de métaphores qui méritent qu'on s'y arrête.
Mais le texte en entier, c'est trop car il n'y a pas de lien...ou je n'ai pas su le lire, je ne sais pas.
Et puis...le titre n'a pas besoin de termes en anglais. Là non plus, il n'y a pas de lien avec ton texte.

Je repasserai te lire.

[Invité]

La vie go on, bien sûr, il fallait au moins ça pour assurer l'équilibre. Un texte tord-boyaux qui commence très fort ("Je déteste les peaux de départ") et poursuit sur son impitoyable lancée.. J'ai mis du temps à m'en approcher puis une fois lu, je l'ai lu et relu... et relu et lu encore. J'aurai l'outrecuidance de dire que je me retrouve tout à fait dans tes mots. Beaucoup beaucoup d'émotion, Ba.

[Phylisse]

A lire et à relire, oui, pour s'imprégner de ce voyage tatoué sur la peau.

Un texte qui me touche particulièrement, et que j'aurais aimé écrire.

[François T]

Il faut un sens aigu de la poésie pour se lancer dans l'usage périlleux des à peu près , des calembours ,il faut la précision du plongeur de haut vol pour se rattraper au moment d'entrer dans l'eau , toute l'adresse du poète pour charmer et émouvoir après avoir pris le peau du départ . Je suis fier d'être des vôtres.

[Contenu sponsorisé]