Je sais seulement que je reste

[Phylisse]

Je ne sais si tu m'oublieras
ni si cette peur est amour,
je sais seulement que tu pars
je sais seulement que je reste

Andrès Eloy Blanco

La colline a perdu son habit de printemps,
Elle a cédé au vent sa plus belle parure,
Chaque brin d'herbe vient épouser le murmure
D'un ramage m'offrant ton ultime tourment
Je ne sais si tu m'oublieras.

Le triste chant bondit de rocher en rocher,
Par quel obscur chemin glisse-t-il jusqu'ici
Quand mon coeur affaibli ne sait plus écouter
Ni chercher un secours dans ce tout dernier cri,
Ni si cette peur est amour.

L'automne tend ses bras au givre de l'hiver.
S'enfoncent dans le froid les plus jolis rameaux
Sur lesquels serpentaient de si glorieux flambeaux
Dont je ne sais plus rien qu'une lueur amère
Je sais seulement que tu pars.

J'allonge alors le pas sans vouloir regarder
Ce qu'il reste de nous dans les bosquets fleuris
Par de trop lourds serments qu'il me faut enterrer,
Je ne porterai pas toutes tes amnésies
Je sais seulement que je reste.


(La "construction" de ce poème m'a été inspirée par "Glose", de Nicolas GUILLEN, poète Cubain)

[Invité]

Astucieuse, l'idée de ce poème : partir d'un quatrain d'un autre auteur et se servir habilement de chaque vers pour l'insérer dans sa propre création.
Essai réussi car tu gardes bien l'idée de départ, tu développes par un quatrain le sens de chaque vers. J'aime beaucoup.

[Damy]

Le classique est mon nectar et j'ai bu ce poème avec délice. Sa fleur de nostalgie m'a imprégné le palais.
"Amnésies" me laisse un goût étrange, plutôt amer, que j'ai gardé en souvenir.
Merci

[Arielle]

Une construction originale dans laquelle le quatrain initial s'intègre harmonieusement sauf dans la deuxième strophe, je trouve. Il manque un "si" quelque part (J'ignore si mon coeur ne sait plus écouter) ou qq chose de ce genre... et le tissage serait parfait.

[Phylisse]

Oui, Arielle, le "ni" m'a vraiment posé problème dans cette strophe et il me semblait être parvenue à faire le lien. Je l'entendais ainsi :
"Quand mon coeur affaibli
- ne sait plus écouter
- ni chercher un secours dans ce tout dernier cri
- ni si cette peur est amour".

Mais le dernier vers est peut-être trop loin de l'idée de départ, ce qui mène à l'incompréhension. J'ai tenté avec ta suggestion, et le "si" me gène tout en aimant beaucoup "J'ignore si mon coeur...". Je reverrai tout ça quand même.

Denis, le mot "amnésies" était le mot phare de ce texte, ça me touche qu'il ait été relevé.

Embellie, il est vrai que l'exercice était assez difficile, mais j'aime bien les défis. Lorsque j'ai lu le poème de Nicolas Guillen, je traversais une période à laquelle ses mots faisaient tellement écho en moi que j'ai vraiment eu l'envie de lier la réalité avec ce si bel arrangement.

Merci de vos avis à tous les trois.

Voici "Glose", pour ceux qui auraient envie de le découvrir :





Glose

Je ne sais si tu m'oublieras
ni si cette peur est amour,
je sais seulement que tu pars
je sais seulement que je reste

Andrès Eloy Blanco

Ainsi que l'écume subtile
En quoi la mer défaite meurt,
quand son ventre vert s'est brisé
Et saigne au-dessus de l'abîme,
Non pas servi mais serviteur,
Je sers ton orgueil seulement,
Quoique tu me donnes la mort
Ou tu me gagnes ou me perds
Sans savoir que tu te souviens,
Je ne sais si tu m'oublieras.

Fleur qui durant un seul matin
Vécut en mon jardin aimé,
Avec ton cou de porcelaine
Du soleil blessé et brûlé :
En vain, mon vain désir voulut
Masquer le soleil par un doigt.
Je cède aujourd'hui à l'angoisse
Et à la peur, mon front est morne.
Je ne sais si haine est l'angoisse
Ni si cette peur est amour.

Quel long chemin j'ai parcouru
Pour arriver jusques à toi,
Combien lointaine t'ai-je vue
Lorsque je t'eus auprès de moi.
Etoile, fin cirrus, nuage,
Oiseau dont la plume est fugace,
Lorsque je suis où tu te trouves,
Tu te défais, ombre de glace,
Je ne veux rien savoir de plus,
Je sais seulement que tu pars.

Adieu ! Par cette nuit immense,
Sur les ailes molles du vent,
Je verrai voguer ton navire,
La voile candide et tendue,
L'âme blessée et attentive,
Je te suivrai si je le peux ;
Et quelque illusion que me laisse
L'espérance de te toucher,
Devant cette voie qui fuit,
Je sais seulement que je reste.

Nicolas GUILLEN

[bassmaniac]

J'ai également beaucoup aimé et pris plaisir à la lecture.

[Invité]

" ni chercher un secours dans ce tout dernier cri
- ni si cette peur est amour"

Ce qui heurte ici me paraît clair :
Ni est une conjonction qui ne peut unir que deux choses grammaticalement semblables, or tu unis un verbe à l'infinitif à un nom... et puis le 'cri-ni-si" n'est pas très beau à l'oral...

" ni un secours dans ce tout dernier cri
- ni si cette peur est amour"

[Invité]

Envoyé trop tôt !

La composition est originale et me plaît beaucoup. J'ai aimé ton texte.

[Polixène]

J'ai préféré ton texte à celui de Guillen (même s'ils n'étaient pas rapprochés pour être comparés!)
Ta vision est plus légère, moins explicative, plus subtile en fait. Un beau poème.

J'ai essayé des relectures en remplaçant le vers "ni si cette peur est amour" par "est-ce que cette peur est amour?" :peut-être une piste?

[Félice]

Phylisse,

Je suis globalement pas hyper emportée. J'ai du mal avec le "ni si", le "tout dernier cri", le "glorieux", les "rameaux" ou "les bosquets fleuris".

J'ai cependant frissonné (à la deuxième lecture pour le coup) de voir un chant bondir de rocher en rocher, et j'ai beaucoup aimé l'avant dernier vers, que j'aurais bien laissé être le dernier. Ainsi le dernier m'est apparu de trop... mais c'est un peu dommage pour l'exercice, qui repose justement sur ces quatre vers.

Félice.

[Maryse]

J'ai beaucoup aimé.
Ce poème se lit avec délice.

[Fauve noir]

Magnifique. C'est très beau et ça glisse tout seul.

[Phylisse]

" ni chercher un secours dans ce tout dernier cri
- ni si cette peur est amour"

Ce qui heurte ici me paraît clair :
Ni est une conjonction qui ne peut unir que deux choses grammaticalement semblables, or tu unis un verbe à l'infinitif à un nom... et puis le 'cri-ni-si" n'est pas très beau à l'oral...

" ni un secours dans ce tout dernier cri
- ni si cette peur est amour"

Merci pour cette explication Dusha, je comprends mieux à présent ce qui ne convient pas. En fait, il faudrait que je mette un point d'interrogation après les deux premiers vers afin de supprimer le "quand" du troisième d'où, à mon avis, part le problème. Par exemple (en reprenant la suggestion d'Arielle) :

Le triste chant bondit de rocher en rocher,
Par quel obscur chemin glisse-t-il jusqu'ici ?
J'ignore si mon coeur ne sait plus écouter
Ou chercher un secours dans ce tout dernier cri,
Ni si cette peur est amour.

(reste la sonorité "cri ni si" relevée également par Félice, mais là il me faut reprendre la rime, et je rame un peu... Quand le courant reviendra, j'y songerais)

Phylisse,

Je suis globalement pas hyper emportée. J'ai du mal avec le "ni si", le "tout dernier cri", le "glorieux", les "rameaux" ou "les bosquets fleuris".

J'ai cependant frissonné (à la deuxième lecture pour le coup) de voir un chant bondir de rocher en rocher, et j'ai beaucoup aimé l'avant dernier vers, que j'aurais bien laissé être le dernier. Ainsi le dernier m'est apparu de trop... mais c'est un peu dommage pour l'exercice, qui repose justement sur ces quatre vers.

Félice.

Et pourtant, Félice, ce mot "glorieux" associé à flambeau était très important dans ce que je voulais exprimer : toute la gloire qu'ont certains à ne mettre qu'eux en lumière, et dont il reste finalement bien peu lorsque le vent souffle un peu trop fort.

C'était essentiellement un paysage que je souhaitais décrire, à l'image de ce que je ressentais. Mais je comprends que certains mots, sortis du contexte, puissent paraître peu originaux.

J'ai préféré ton texte à celui de Guillen (même s'ils n'étaient pas rapprochés pour être comparés!)
Ta vision est plus légère, moins explicative, plus subtile en fait. Un beau poème.

J'ai essayé des relectures en remplaçant le vers "ni si cette peur est amour" par "est-ce que cette peur est amour?" :peut-être une piste?

C'est une solution qui m'irait bien Polixène, si le vers d'origine était celui-là... :-)

C'est un plaisir d'avoir pu échanger sur ce texte avec vous, merci encore de vos suggestions, ressentis, et compliments...

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