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Profondeur, silence et vodka

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Message  Raoulraoul Ven 22 Juil 2011 - 13:57


Profondeur silence et vodka

Kosti suait à grosses gouttes alors que le petit radiateur électrique chauffait à peine l’atelier trop vaste de Kosti Larsson dans les faubourgs de Eurajoki, sur le littoral ouest de Satakunta. Arc bouté, Kosti taillait son bloc d’albâtre avec force et persuasion, l’idée fabuleuse de pouvoir donner au bloc informe un visage et une vie. Sur le coup de quatre heures il posa burin et massette, relevant ses lunettes de protection sur son front couvert de poussière et d’éclats pierreux. Il se dirigea vers le loft, dans un recoin qui tenait lieu de cuisine. Il se prépara un thé aux épices de Chine sur le campingaz. « Tu en voudras une tasse Noora ? » demanda t-il à la jeune femme qui écrivait le énième chapitre de son roman sur son Macintosh. Mais elle ne répondit pas. L’écran lumineux éclairait son beau visage, dans lequel Kosti ne se lassait jamais de se perdre en rêveries. Le silence de Noora équivalait à une réponse. C’était souvent ainsi entre Kosti et Noora. Le silence comme langage le plus absolu. Puis plus tard Kosti, dans des vêtements propres, dit à Noora ; « Je prends la voiture. Je reviendrai un peu tard. Ne ferme pas le portail. »
La Cadillac déglinguée toussotait sur la route glacée. Quand Kosti arriva à Rauma, dans le quartier commerçant, les enseignes fluo clignotaient conférant à la nuit hivernale un lustre de pacotille qui ne trompait personne dans cette région désolée du septentrion. Kosti poussa la porte du hangar aménagé. « Salut Kosti, tu as fait bonne route ? Le défilé commence dans cinq minutes. Installe-toi ! » lui lança un immense rouquin jovial aux yeux bouffis de fêtard noctambule. Kosti se cala dans un Pullman défoncé, en retrait, et sortit son Pentax Reflex. Sur une musique rock déjanté des années 80, les mannequins apparurent, déboulant du bout du podium. Des filles, des gars, dans des tenues extravagantes en métal, fourrure et cuir qui constituaient la matière première, se déhanchaient avec une expression hiératique autant que patibulaire. Kosti photographiait à tour de bras. Une sorte de fièvre s’emparait de lui. Plus rien ne pouvait arrêter son index sur le déclencheur, comme si un élan orgasmique le poussait à s’enivrer de chaque image qui se déroulait devant lui. Quand le défilé s’acheva Kosti n’était plus qu’une épave vivante gisant dans son fauteuil. « Ca va Kosti ? C’était super hein ? » lui décocha le rouquin au milieu d’un essaim de journalistes qu’il abreuvait de son éloquence. Kosti s’obligea à avaler un peu de Champagne et repartit dans la nuit où commençait à souffler le blizzard avec chute de neige. Noora n’avait pas refermé le portail, il rentra sans bruit. Il rangea délicatement le Pentax Reflex et se défendit de ne pas y revenir avant que le jour soit levé.
Noora dormait. Dans la pénombre blanche réverbérée de neige, il observa longuement les traits réguliers, apaisés, de Noora dont le souffle léger rythmait le calme de la chambre. Il se demandait si le sommeil contenait des pensées ou des rêves, ou si c’était là dans cette latence de l’être que s’étendait le pays du rien. Au loin une harde de rennes bramait dans la tempête, et il fallut cet appel déchirant pour que Kosti sombre dans le refuge du sommeil.
Le lendemain était jour de Mardi Gras. Noora s’était roulée nue dans la neige avant de prendre une douche bouillante, alors que Kosti se levait, abasourdi, et qu’il essayait de faire bonne figure devant la jeune femme qui le regardait en souriant. Le sourire de Noora, c’est cela qui le tonifiait, mieux que toutes les thérapies ou autres cures d’enchantement. Dans le sourire de Noora, il y avait tous les pardons possibles. Puis chacun retourna à ses hantises. Le Macintosh de Noora, le Pentax Reflex de Kosti. Dans l’obscurité il décrypta les photos du défilé de mode. Ce fut un choc. A chaque fois c’était pareil, mais le choc le sidérait à chaque fois. La même stupeur, la même incompréhension devant ce qui pour d’autres n’était qu’une évidence. Les masques de ces mannequins le terrorisaient. Il avait beau les fouiller, les zoomer, ce n’était que pixels abominables sur des visages mortifères dans la lumière éclaboussante des spots. Il aurait voulu frapper leur visage, les secouer, comme on frappe ou on défonce une porte. Il y a-t-il quelqu’un là, dedans ou derrière ? s’écriait-il. Mais impuissant et révolté il courut dans son atelier, saisit son burin et s’acharna sur le bloc de pierre dont il avait la vanité de tirer un jour une expression humaine. Durant plusieurs heures il travailla sans relâche. Noora lui apporta une assiette de soupe de poix. Elle ne souriait plus. Kosti s’en voulut une fois encore d’interpréter ce changement, et il en déduisit que l’individu n’était qu’un gloseur qui paraphrase, un fabulateur qui jase, incapable de voir véritablement ce qui est.
C’était donc Mardis Gras. Des feux de joie allaient brûler sur la mer gelée. « Kosti, tu ne veux pas sortir ? » demanda Noora.
C’est Noora qui conduisit la Cadillac. Kosti appréciait parfois de se laisser conduire par Noora, puisque c’était un désir de Noora et que tous les désirs de Noora rassuraient Kosti. Dans ces moments là Kosti avait un rôle utilitaire, il lui semblait faire œuvre d’empathie, ce qui le comblait abusivement. Il se pelotonna sur le siège, yeux mis clos comme un gros chien somnolent. Le soleil mauve jetait ses rayons poussifs sur les étendues de neige. Noora aimait fendre le paysage au volant de la vieille Cadillac. Voilà au moins une chose qui était certaine. Ca, on pouvait le constater dans la détermination des gestes et le regard plein d’appétit de la conductrice. Si proche d’elle et pourtant loin, voilà qui ravissait le passager.
Dans les chemins pentus toutes les familles sur leur luge glissaient avec une gaité qui réunissait petits et grands. C’était la coutume en ce jour de fête. On allait voir les sapins de noël s’enflammer en brasiers gigantesques sur la mer de glace. Noora stoppa la Cadillac et regarda le spectacle. Kosti ne savait plus si c’était la beauté des flammes ou le visage radieux de Noora qui l’enchantait. Il brandit son Pentax Reflex et fixa cette vision troublante dans l’appareil. Avait-t-il saisi ce qu’il cherchait ? Des enfants riaient autour de lui, dévalant les pentes dans un nuage poudreux. Ils riaient. Rien ici n’était une illusion. Trop d’espace, trop de froid, trop de plaisir. « On pourrait louer une luge, qu’est-ce que tu en penses Kosti ? » s’exclama Noora avec un brin de provocation. « Bien sûr Noora, je pourrai alors te prendre en photo ! » C’était une manière élégante d’ôter toute envie à Noora qui détestait les objectifs. Admirer une dernière fois les incendies de sapins sur la mer était sans risque, ils donnaient aux figures qui les contemplaient des reflets tragiques comme dans la pire des comédies de théâtre. Kosti entourait Noora de ses bras s’attachant ainsi à cette image d’unité qu’ils pourraient former. « Allons dans les baraques là bas, on trouvera de quoi se réchauffer et manger des brioches, dit Kosti, c’est une pure folie toute cette ambiance, aussi pensait-il en gravissant la côte enneigée où on s’y enfonçait jusqu’aux genoux.
Des poêles à bois et des guirlandes de toutes les couleurs rendaient plus accueillantes les baraques modestes de bucherons. Les gens s’agglutinaient autour des longues tables. Ils se gavaient de gâteaux à la crème, de crêpes, de blinis en ingurgitant des bols de café fumant. Les hommes préféraient boire de la Koskenkorva, la vodka nationale, et leurs conversations pétaradaient dans le local surchauffé et exigu. Au bout d’une table, Kosti remarqua une jeune fille en larmes, tandis qu’un garçon racontait les désillusions de sa nuit de noce avec une hilarité clownesque qui manquait à chaque mot de basculer dans le drame. Photo. Kosti eut conscience de l’inconvenance de son geste, mais il ne pût s’empêcher d’appuyer frénétiquement sur son déclencheur. Photo des disparités incongrues de ce monde. Puis il partagea, dans la confusion, ses biscuits à la pâte d’amande avec Noora.
Lorsqu’ils regagnèrent la Cadillac dans la nuit laiteuse, tant de paroles, de cris, de chansons égrillardes remplissaient leur cerveau, que chacun choisit de se murer dans son mutisme.
Toutes ces trognes, ces frimousses enfantines, ces visages parfois si beaux et si laids, rassemblés là, serrés, compressés, dans cette médiocre masure, n’était-ce pas une métonymie invraisemblable de l’humanité ? A cet instant dans le faisceau des phares de la voiture surgit un énorme renard dont le panache fauve de sa queue zébra en un éclair l’horizon obscure. Noora sursauta mais Kosti évita de justesse l’animal qui disparut dans les congères.
Plusieurs jours passèrent. Noora avança prodigieusement sur son roman. Kosti taillait nerveusement sa pierre qui devenait sculpture. Il s’attribuait aussi quelques moments pour interroger ses photographies, qui lui faisaient sans cesse ruminer la même énigme ; pourquoi la surface des choses nous entraine-t-elle à penser son insuffisance ? Noora, trop occupée à écrire, ne pénétrait plus dans l’atelier. Kosti pour un temps avait renoncé à questionner les silences de la jeune femme et à considérer que son comportement contenait les signes d’une relation éventuelle. Puisque tout n’était que surface…
Une monotone petite pluie froide tombait ce matin là, lorsque Kosti Larsonn jugea que son œuvre était achevée. Elle trônait à présent au milieu de l’atelier sur une sellette d’acajou. Mais Kosti ne voulut pas déjà l’abandonner. Il demeura encore un long moment à la contempler. C’était une sorte de conversation qu’il maintenait avec elle. Conversation du regard, des déplacements, des arrêts, des suspensions entre l’œuvre et son créateur durant lesquelles circulaient un autre temps, un autre espace, une intimité probablement sacrée. Ce ne fut que dans la soirée qu’il laissa entendre à Noora qu’elle pouvait rentrer dans l’atelier. L’éclairage électrique y était diffus et il convenait pour une découverte progressive de l’œuvre. « Toi au moins tu termines, tandis que moi je ne peux arriver à la conclusion… » avait dit Noora avec une admiration teintée de lassitude. Emmitouflée dans son châle, elle se présenta à la porte de l’atelier, s’approcha de la sellette et très embarrassée elle balbutia ;
- Qui c’est ?...
Kosti ne dit mot.
- Non… ce n’est pas possible…
- Mais si Noora.
- C’est moi ?...
- Sans doute… laissa planer Kosti, assuré de son effet.
- Mais… comment as-tu fait ?
- Avec quelques photos… et ce que je connais de toi !
- C’est donc moi ça ?... répéta Noora, comme pour se convaincre de la possibilité de l’entreprise.
Le visage d’albâtre recueillait la lumière douce lissant les joues, le front, crénelant la chevelure. Mais pour les yeux et le crâne, rien n’était moins certain que leur réalité.
- Alors je suis à ta merci. Tu peux donc tout envisager de moi. Mes pensées, ma profondeur… mais tu sais que ce qu’il y a plus profond dans l’homme, c’est la peau, disait un poète. Je suis statufiée, mais toujours vivante selon tes humeurs, c’est ça Kosti ? Parlons un peu, tu veux bien ? continua Noora comme si un tourbillon l’emportait sur une rive incertaine.
Ils ont parlé ainsi jusque tard dans la nuit. Ils sont parvenus à mettre des mots sur des blessures, ils ont troqué leurs chimères contre des vérités, ils ont utilisé la parole en se méfiant de son pouvoir. Ils se sont livrés sans s’invectiver et sans fard, sous l’œil impartial et de marbre de la statue d’albâtre. Et dans un tintement de verre, empourpré de vin français, avec ironie et l’abandon des corps fatigués, ils ont choisi ensemble de baptiser le chef-d’œuvre d’albâtre d’une phrase un peu sérieuse du genre « A la recherche d’une âme perdue ».
L’aube timide maintenant pointait derrière les carreaux, au loin par-dessus les toitures luisantes des chalets de bois, à Eurajuki, lorsque Noora annonça ;
- Je crois aujourd’hui que j’ai trouvé une fin à mon roman.

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Message  Intemporelle Lun 25 Juil 2011 - 8:37

Globalement j'ai apprécié cette nouvelle, ta plume est intéressante. Il y a eu quelques accrocs à la lecture cependant, de temps à autre une impression de surenchère, tu appuies souvent sur une idée en juxtaposant des propositions qui finalement veulent dire la même chose, c'est parfois réussi au niveau du rythme, mais au fil de la lecture j'ai trouvé ce procédé trop insistant. Cette phrase m'a paru peu crédible :
Noora s’était roulée nue dans la neige avant de prendre une douche bouillante.
Sinon il y a aussi les déclarations à caractère philosophique / réflexif, glissées ça et là, elles sont parfois bien intégrées, notamment tout le passage sur la thématique de l'expression humaine, avec les visages des mannequins qui ne reflètent rien, mais à d'autres moments c'est trop surfait, comme dans ce passage-ci par exemple :
Il s’attribuait aussi quelques moments pour interroger ses photographies, qui lui faisaient sans cesse ruminer la même énigme ; pourquoi la surface des choses nous entraine-t-elle à penser son insuffisance ?

Certains dialogues aussi sont un peu trop empruntés, peu naturels, cette question de Noora par exemple m'a fait sortir du récit, d'autant plus qu'elle suit une réplique plutôt intéressante :
Parlons un peu, tu veux bien ?
Cela sent le prétexte au discours (toutes les formes de discours) et justement suit immédiatement un passage au discours indirect libre. Il aurait plus d'impact sans cette amorce qui en fait du réchauffé.
Ou encore dans ce passage ci :
« On pourrait louer une luge, qu’est-ce que tu en penses Kosti ? » s’exclama Noora avec un brin de provocation. « Bien sûr Noora, je pourrai alors te prendre en photo ! »
Dans une conversation courante, c'est rare que les interlocuteurs se sentent obligés de rappeler le nom de la personne à laquelle ils s'adressent, le premier rappel de prénom, "Kosti", paraît naturel, puisqu'il s'agit d'une interpellation, mais le second, "Bien sûr Noora" me paraît surfait.

Et puis sinon (purement subjectif) je trouve que le titre ne fait pas honneur à la nouvelle, on s'attend avec un tel titre à l'histoire d'un dépressif à grand renfort de poncifs philosophiques.

Bon ça c'était les points de détail que je n'ai pas aimé, mais comme dit en introduction, globalement ça m'a plu. Ce passage par exemple :
Admirer une dernière fois les incendies de sapins sur la mer était sans risque, ils donnaient aux figures qui les contemplaient des reflets tragiques comme dans la pire des comédies de théâtre.
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Message  Yoni Wolf Lun 25 Juil 2011 - 9:24

J'ai beaucoup apprécié la matière sonore de ce texte, et la poésie qui se planque dans les coins, je n'avais pas laissé de commentaire à la première lecture car je voulais dire un truc intéressant mais je n'ai pas pu. Après l'histoire ne m'accroche pas plus que ça mais le style est là, solide, et ça sent bon.
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Message  Raoulraoul Mer 27 Juil 2011 - 8:11

Merci Intemporelle de ta réponse. Tes détails très justifiés sur lesquels je vais réfléchir. C'est encourageant d'avoir de tels lecteurs et critiques. Parfois les réactions sont tellement "absentes" surtout quand il s'agit de textes longs... A bientôt.
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Message  jfmoods Dim 19 Jan 2014 - 14:17

Je découvre ton univers avec une certaine délectation, Raoul.

Certains de tes textes bousculent le lecteur. Je pense, par exemple, à "Dialogue extrême" (http://www.vosecrits.com/t14219-dialogue-extreme) ou à "Lettre courageuse à ma meilleure amie" (http://www.vosecrits.com/t9200-lettre-courageuse-a-ma-meilleure-amie) où, comme sur une planche savonnée, la déroute du lecteur est sans cesse à l'oeuvre, où le langage est mis à mal par le brouillage du sens qui crée une sorte de poésie de l'absurde jamais redondante ni véritablement rebutante, mais à travers laquelle pointe toujours, forcément, une certaine inquiétude.

Ailleurs, comme ici, tu poses ton sac dans un décor que tu creuses. Le titre en lui-même résume bien les éléments clés de cet univers. Après, l'ordre dans lequel les présenter n'est qu'une question de préséance.

Le silence, favorisé par l'arrière-plan finlandais, par l'image d'une mise à distance géographique presque absolue ("cette région désolée du septentrion"), ouvre formidablement la perspective sur ce couple d'artistes. Solitude première donc, doublée par deux autres fermetures, celles de Kosti et de Noora ("Le silence comme langage le plus absolu."). Deux solitudes en communion dont l'humanité se mesure à l'aune de la gestation en cours, de ce monde intérieur qui prend toute la place, la place même de l'échange ("Le silence de Noora équivalait à une réponse. C’était souvent ainsi entre Kosti et Noora."), de l'intimité ordinaire. Parler, ce n'est que parler "un peu". Dans un tel contexte, le fait qu'ils se nomment l'un l'autre par leurs prénoms respectifs ne me surprend pas plus que cela. Appeler l'autre par son prénom, c'est soudain s'arrimer à lui, l'arrimer à soi, accoster ensemble de manière toute provisoire dans le présent.

La profondeur, c'est ce monde intérieur envahissant donc, intellectualisé à l'excès ("Puis chacun retourna à ses hantises.", "Mes pensées, ma profondeur… mais tu sais que ce qu’il y a plus profond dans l’homme, c’est la peau, disait un poète.", "... pourquoi la surface des choses nous entraîne-t-elle à penser son insuffisance ?", "Il se demandait si le sommeil contenait des pensées ou des rêves, ou si c’était là dans cette latence de l’être que s’étendait le pays du rien.", "... sous l’œil impartial et de marbre de la statue d’albâtre...") où se cristallise, en creux, l'attente féroce de l'oeuvre, le raidissement colérique, buté, devant l'oeuvre qui se refuse encore à prendre forme définitivement ("Mais impuissant et révolté il courut dans son atelier, saisit son burin et s’acharna sur le bloc de pierre dont il avait la vanité de tirer un jour une expression humaine.", "Elle ne souriait plus."), jusqu'à sa révélation finale ("C’était une sorte de conversation qu’il maintenait avec elle.").

La vodka, c'est la plongée spasmodique, enivrée, dans un monde humain, monde qui n'existe véritablement qu'à l'aune de cette gestation ("Kosti photographiait à tour de bras. Une sorte de fièvre s’emparait de lui. Plus rien ne pouvait arrêter son index sur le déclencheur, comme si un élan orgasmique le poussait à s’enivrer de chaque image qui se déroulait devant lui."). Les autres humains ne sont que des prétextes à faire jaillir ce qui doit jaillir coûte que coûte ("Il aurait voulu frapper leur visage, les secouer, comme on frappe ou on défonce une porte."). Deux monstres à leur manière, en vérité, vivant côte à côte. Produisant de concert, se soutenant secrètement par leur mutuelle et muette présence, dans les pas l'un de l'autre ("Je crois aujourd’hui que j’ai trouvé une fin à mon roman"). Nous avons là des individus dont toutes les forces physiques et mentales tendent à produire une oeuvre. Se reproduire, avec tout le prosaïsme que cela suppose, c'est une tout autre histoire.

Merci pour le voyage !
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