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Quatre cents mètres

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Quatre cents mètres Empty Quatre cents mètres

Message  ptipimous Sam 6 Aoû 2011 - 18:37

L’horloge de son coeur battait sa tempe. Les rouages de la machine tournaient à plein régime. Aucun à-coup dans chaque mouvement, si parfaitement automatisé que sa course terminée déclenche immédiatement le suivant. L’énergie arrive, fluide, au milieu d’éclaboussures. Elle sent la pompe qui rythme chacun de ses afflux. Les leviers, les appuis, la propulsion, les rotations et les leviers, les appuis, la propulsion et encore, et encore à n’en plus penser, à n’en plus être autre chose que cette machine à avancer sur le ventre.
Contre sa main qui bat tambour, la sensation tantôt fraîche, tantôt dure, tantôt métallique, au grand jamais douce. Elle est le serpent qui écoute les herbes de ses narines à son corps ondulant, et pour elle, l’élément liquide devient presque solide.
A son nez obturé, rien ne vient, que quelques gouttelettes qui n’iront pas bien loin. Mais sa langue goûte comme le vin nouveau ce mélange de chimie qui, depuis le temps est entré en composition dans son corps. Il pique sur les côtés, énerve la pointe de la langue. Le vin serait acide et trop jeune.
Les images changent à la vitesse d’une télévision en zapping. Parfois d’un bleu profond puis soudain, une moitié de paysage, des taches de couleur, des superpositions de lignes : la rouge et blanche si proche, une brune plus loin et une autre bleue, mouvante. Le tout brouillé par un mauvais temps sur un pare-brise.
Rien ne gêne. Peu de sens sont utiles ici. Seuls les rythmes comptent. Son cœur, la mécanique de ses bras, le roulement de ses hanches, la poussée de ses cuisses, le claquement de ses pieds. Son cerveau est comme la mosaïque du câble. Une des chaîne affiche un chrono approximatif qu’elle tente de garder le plus exacte possible. L’écran suivant lui signale à chaque instant la douleur, la fatigue, le manque d’oxygène comme autant de petits témoins lumineux sur une silhouette fictive. L’important est que chaque point reste d’une taille raisonnable. La chaîne suivante est un cours de stretching ! Sur une musique tonitruante et sur un rythme endiablé, la coach hurle, suante et exaspérante de calme et de résistance : tire, tire, ramène, ramène, pousse, pousse, pivote et jump droite, gauche, droite. Respire, dessous, dessous, encore une fois… ne lâche pas, attention on… change ! Et garde le rythme, droite, gauche, tire, pousse…
La dernière chaîne qui reste est celle qu’elle devrait bien éteindre. Mais rien à faire, c’est son programme préféré. C’est aussi celui qui coûte le plus cher… « j’ai mal rangé ma serviette… mon bonnet est mal mis, il me gène… j’espère que l’anti-buée va tenir jusqu’à la fin… »
Restent aussi les gouttes qui lui jaillissent du cou vers les oreilles et les distorsions qui lui parviennent à chaque fois que l’huile qui l’entoure veut bien libérer ses ouïes. Les sons sourds, assourdissants de fréquences graves qui l’engloutissent puis les hautes fréquences réapparaissent, agressives, offensives ; le monde redevient intelligible. Elle perçoit des cris, grincements et sifflements dans un air techno complètement décousu.
Encore deux tours et demi, c’est là qu’il faut tenir et retenir, retenir et tenir.
«Ma respiration se barre en sucette, j’ai perdu deux dixièmes.» Un appui plus fort et deux autres encore. Surtout ne pas forcer trop, pas trop loin. Cinq mètres du tournant, quatre, trois… paré pour l’enroulement et la vrille, la poussée, la remontée, sa signature, la surprise qu’elle crée aux autres, cette force qu’elle a sous l’eau qui lui fait ressortir la tête jamais à l’endroit où on l’attend.
Et soudain, tout s’accélère : les écrans se mettent à scintiller, la prof de stretching hurle qu’il faut accélérer et tenir, le chrono cliquette, les points rouges de la douleur clignotent et grandissent, le brouhaha s’intensifie, les cris passent la barrière de l’eau, les éclaboussures se font plus nombreuses, moussent presque ; mais elle n’a plus besoin de tout cela : ce qu’elle veut est là, c’est au bout, c’est tout droit. Ses appuis se font plus durs, font crier chacun de ses muscles. Ses pieds tapent à en perdre les ongles, ses cuisses gémissent de fatigue. Son ventre est si tendu qu’on pourrait y peindre une œuvre, ses triceps, les ailettes comme elle les appellent vont se déchirer. Elle a envie de pleurer, l’air qui entre dans ses poumons est aussitôt consommé, il n’y en a plus assez. Tout son être hurle grâce sous la torture. Le pivot de sa nuque va lâcher d’un moment à l’autre, son bonnet lui coupe l’oreille. Ses paupières sont si lourdes de se secouer d’eau depuis si longtemps. Son cœur contre sa tempe, son cœur qui cogne, c’est fluide contre fluide, encore trois mètres, deux. Elle s’étend, s’étire à s’écarteler, les cinq doigts de sa main droite cherchent à se cogner, ultime douleur, dernier assaut.
Le mur.
Sa tête sort de l’eau, les gouttelettes tombent de ses cils, des rigoles d’eau dégoulinent le long du drapeau tricolore qui orne son bonnet. Elle lève son visage havre, aux yeux cerclés du plastique bleu de ses lunettes. C’est l’instant interrogatif. Sa main aux doigts fripés tire les lunettes sur son front et d’une goulée d’air qui va calmer son cœur, elle se tourne vers le chronomètre officiel.
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Message  elea Sam 6 Aoû 2011 - 20:38

Pas compris grand-chose à la première lecture, il m’en a fallu une deuxième, une fois que la fin m’avait révélé de quoi on parlait. Et là j’ai pu apprécier les descriptions, l’immersion dans les sensations, bien rendues, assez originales dans les termes et les images employées. Et l’écriture qui tient en apnée, un peu comme si on était à la place de celle qu’on lit.

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Message  Invité Dim 7 Aoû 2011 - 19:14

En durable connaissance de cause, je trouve ce texte vraiment réussi. C'est une séquence au ralenti que tu nous donnes à lire avec la décomposition, le morcellement de l'effort ; et puis tout ce qui peut se passer dans la tête du personnage pendant, les sensations de l'élément autant que de soi ; l'inévitabilité de la douleur, omniprésente mais acceptée, de chaque partie du corps, le coeur qui tape, qui menace de lâcher, les poumons qui n'en peuvent plus ; et enfin l'ultime sursaut, l'incomparable satisfaction d'y être arrivée. Tout est bien là. Vif, rapide, parfaitement observé et rendu, très bien traité, très chouette, pour un sujet inhabituel.

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Message  Invité Dim 7 Aoû 2011 - 19:15

Je viens de voir le titre...
:-)

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Message  midnightrambler Mer 10 Aoû 2011 - 21:18

Bonsoir,

Très original et très bien décrit ... même si je ne suis pas très fan de la natation ni de la compétition à ce niveau !

Amicalement,
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