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Larmes de guerre

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Message  Raoulraoul Jeu 25 Aoû 2011 - 8:50

LARMES DE GUERRE

Ce n’était pas des bêtes que je devais avoir peur, mais des hommes.
La nuit. Touffeur de la nuit. Mille insectes venimeux. Entrelacs de lianes et de plantes empoisonnées, tranchantes, à vous cisailler net une main ou un bras. Je n’avais pas pris la peine de me vêtir suffisamment, poussé par l’urgence de ma cause.
Je m’approchai de leur campement. Aux arbres les rebelles avaient accroché leur prise de guerre. Les cadavres de nos soldats ou de nos fonctionnaires pendaient la tête en bas. Je reconnu Eduardo Mendoza, un secrétaire du district. Dans l’obscurité je heurtai son corps sanguinolent, ses yeux révulsés. Sa pourriture visqueuse m’inonda la figure. Même mort et les membres écrasés il semblait encore me supplier de le libérer de son atroce posture.
J’avançai. La puanteur mêlée à la moiteur de la nuit. J’avançai. Dans une fosse hérissée de piquets je faillis tomber. C’étaient leurs pièges parmi d’autres. Un mercenaire me prit en chasse. Je parvins à le semer car l’homme fut inquiété par une nichée de reptiles. Je devais remercier la compagnie des reptiles bien plus loyale que celle des humains.
Le camp m’apparut. Une chance que la nuit fut noire. La tente de leur chef était un peu à l’écart. Mes renseignements étaient justes. Leur chef était le colonel Vallejo. Un déserteur de l’armée patriote. Rusé, barbare, sanguinaire. Il injectait des nids de frelons dans le vagin des femmes qui se refusaient à lui. Mais c’était un fin stratège. Les forces gouvernementales jusque là n’étaient jamais parvenues à le faire fléchir. Le colonel Vallejo soudoyait la population rurale pour qu’elle rejoigne ses rangs. Il possédait aussi des commandos de mercenaires, parias, pègre de toutes sortes, grassement payés, en quête de motivations salvatrices sous la bannière de Vallejo ; « Le libérateur des paysans et des montagnards » ainsi qu’il s’était autoproclamé.
Le camp paraissait endormi. Seuls des gémissements rompaient le silence. Dans des cages de fer, j’aperçu des hommes entassés, mourant, les membres brisés. Des prisonniers que les mercenaires sur les ordres du colonel Vallajo avaient horriblement mutilés. Quand je dus me faufiler près de la cage, je devinai leur visage. Certains me tiraient une langue percée d’un trou à laquelle on avait attaché une grosse pierre. D’autres, victimes de la torture du chiffon imbibé d’essence ou d’eau de Javel qu’on enfonçait dans leur estomac, se roulaient de douleur dans des flaques de sang et de vomissures. Un jeune garçon avait les yeux crevés et les doigts sectionnés. Il me fallut éviter les gardiens, mais l’alcool ou la cocaïne les rendaient pour le moment inoffensifs. Evidemment Vallejo avait fait main basse sur toutes les plantations de coca dans la vallée. En m’approchant des cages une frayeur subite m’avait saisi. C’est elle qui me convainquit encore plus fermement de ma démarche.
Je déjouai tous les obstacles pour atteindre la tente de Vallejo. Mon corps me faisait mal, lacéré de ronces, piqué d’insectes. L’humidité corrosive de la forêt attaquait mes os. Tremblotant sur mes jambes, je n’étais plus qu’à quelques mètres de la tente du chef. Une lumière fusait de l’intérieur. Je distinguai une ombre immobile, assise. Celle du colonel Vallajo. Une idée insensée me traversa. A portée de bras, là, le tortionnaire, le terroriste recherché par toutes les polices d’Etat, là, il me suffisait de lui fendre le crâne d’un coup de machette, et la terreur cesserait. Fou que j’étais ! Vieillard exalté par cette ombre sanguinaire qui soupirait derrière la mince toile qui nous séparait.
Sans réfléchir d’avantage je fonçai sur la tente et me présentai devant le colonel. Il porta la main à son pistolet. Au bout de son canon il me tenait : « Général Fernando Perez, quel plaisir de vous voir ! » dit-il souriant, dévoilant une barrière de chicots qui noircissait sa gueule. Vallejo me rappela qu’il avait été sous mon commandement avant qu’il ne déserte l’armée pour s’engager dans la rébellion.
- Vallejo, je suis venu te demander une faveur, j’annonçai froidement.
- Demande toujours général, avant que je ne te fasse trancher la gorge.
- Mon fils, rends-moi mon fils !
- Il est mort, vieillard !
- Je sais, mais je veux son corps, avant que tes mercenaires le donnent à manger aux chiens.
Vallejo me regarda et après un long silence, il dit à voix basse :
- Nous étions amis autrefois, Fernando. On combattait les mêmes ennemis. Oui, j’ai fait fusiller ton fils, mais je n’ai pas pu…, il suspendit sa phrase.
- Parle Vallejo !
- Je n’ai pas pu lui éviter la torture. Les autres, tu comprends, voulaient le faire parler. Ils ont commencé à le tabasser, lui arracher les ongles. Il n’a jamais parlé, le fils du général Fernando Perez. Je l’ai achevé.
Vallejo avait déposé son arme sur la table. J’aurais pu tout de suite le zigouiller, mais je dis machinalement ;
- Où est son corps ? Je veux le ramener en ville.
- Tu as franchi tous nos barrages, braver les guérilleros en pleine nuit, jusqu’ici. Tu es si vieux maintenant Perez.
Puis Vallejo se tut brusquement. Il marcha dans la tente. Un poignard dépassait de sa botte. Avait-il donc si peur pour se protéger ainsi, jusque dans son propre camp ? Il reprit avec peine comme subitement essoufflé :
- Mes amis sont morts, Perez. Moi aussi je suis seul. Felipe Viana Pizarro, le fondateur de notre mouvement a été décapité par tes soldats. Felipe avait donné un sens à ma vie ; libérer et rendre justice aux oubliés de la Réforme agraire infligée par votre gouvernement. Chaque jour je pense à Felipe. Je dois le remplacer. Parfois je ne sais plus pourquoi je combats, parce que Felipe est mort.
- Alors colonel Vallejo, tu comprends pourquoi je veux enterrer dignement mon fils.
Le colonel ne répondit pas tout de suite. Il s’assura que personne ne rôdait autour de la tente, puis il déplia une carte d’Etat-major devant moi. Il chuchota ;
- Tu vois ces villes, prochainement nous en prévoyons l’encerclement. L’encerclement des villes par les campagnes, c’est notre crédo. Notre guerre est populaire général Perez. Les indios sont avec nous, les organisations paysannes aussi.
Ses doigts tremblaient sur la carte. Je mis cela sur le compte de la drogue que Vallejo consommer en masse.
- Tu sais général Perez, ce n’est pas vrai que la pensée des morts aident les vivants à croire.
- La présence d’un fils pour un père aide à vivre.
- Même mort ? demanda brutalement Vallejo.
- Même mort, si je peux aller lui parler tous les jours ! Rends-moi son corps, Perez, et nous serons quittes.
Vallejo alla chercher dans un coffre une bouteille qu’il ouvrit. C’était un vin rouge de Tacama, millésimé. Il m’invita à trinquer avec lui.
- Tu dois avoir sacrément faim, camarada, tu es aussi décharné qu’un vieux shaman Ticuna. Il nous servit un plat rempli d’ocas frits avec un cobaye entier grillé, et nous mangeâmes sans dire un mot. Les gémissements des prisonniers, au loin, dans leur cage, déchiraient la nuit. Vallejo semblait les supporter difficilement, fermant les yeux à chaque cri. Il dit enfin :
- Je vais demander qu’on nettoie le corps de ton fils et qu’on l’habille. Demain matin, tu pourras repartir.
- Demain matin seulement ! je m’exclamai, stupéfait.
- C’est trop dangereux la nuit. Un de mes hommes pourrait t’abattre. Je t’offre un lit pour dormir ici sous la tente.

- Je veux te demander autre chose, Vallejo.
- Je t’écoute.
- Mon gouvernement voudra des funérailles pour mon fils. Je demande une trêve d’une semaine, en la mémoire des morts.
- Une trêve ?!...
- Oui. Promets-moi que tes guérilleros déposeront les armes. Les nôtres feront de même. Felipe Pizarro le comprendra…
Vallejo gravement remplit à nouveau les verres. Ses chicots me parurent insupportables, puis il lâcha ;
- D’accord Perez. Une semaine, pas plus. Maintenant il faut dormir. Ton fils sera devant la tente, au lever du jour.
Vallejo quitta la tente pour donner ses ordres aux mercenaires de garde. Je m’allongeai sur le lit à ma disposition, une vieille natte de joncs qu’utilisaient les indiens des marais. Vallejo revint, souffla les lampes et grimpa dans son hamac qui lui assurait d’avantage de sécurité. Il se délesta de son poignard, le suspendit à un mat de la tente. Dans le noir, au bout de quelques instants, j’entendis Vallejo murmurer de sa voix rauque ;
- Camarada, c’est bon de pouvoir pleurer ensemble.
Les feulements de la forêt prirent le dessus, que seuls troublaient parfois les cliquetis d’armes des sentinelles sursautant de peur.
Je ne parvenais pas à sombrer dans le sommeil et l’oubli. Je songeais à mon fils, à ses dernières heures entre les tenailles de ses bourreaux, et sous les violents coups de planches qu’on lui assénait dans les parties génitales. Une pratique courante des guérilléros sur leurs victimes qu’ils pendaient à une corde. C’est alors que Vellajo dut intervenir, tirant deux coups de feu dans la cervelle de mon fils. Merci Vallejo. Son poignard brillait accroché au poteau. Vallejo dormait. Il serait si simple d’en finir maintenant, avec mon voisin de camp. L’empêcher lui aussi de souffrir de la disparition de son compagnon de lutte. Mais il me fallait ramener la dépouille de mon enfant aux autorités de l’Etat, qui veulent toujours honorer leurs héros.
J’attendis l’aube. Un mulet piétinait devant la tente. Un cadavre, costumé d’un treillis militaire, avait été jeté en travers sur le dos la bête. Dans le brouillard poisseux je regagnai mon territoire, et les abords de la ville. J’expliquai au gouverneur les accords de trêve passés avec Vallero et ses bandes de mercenaires. Il eut un profond soupir et dans le tourbillon de fumée de son cigare éminent, il répéta : « Une semaine, une semaine entière de trêve, avec ses barbares… Bravo général Perez, vous avez mérité votre retraite ! On va préparer une cérémonie officielle pour votre fils. Retournez dans votre famille. On s’occupe de tout. »
Il ne sera pas mort pour rien, mon enfant. Les obsèques dans la belle cathédrale moderne de Huanuco furent grandioses et émouvantes.
Ce fut au soir du troisième jour que j’appris seulement que les soldats gouvernementaux s’étaient infiltrés dans les lignes rebelles. Ils n’y avaient trouvé aucune résistance. Des commandos en nombre furent massacrés, avec une quantité de prisonniers qui allait remplir les geôles de l’Etat. Ce fut une brillante victoire dont se glorifia le gouverneur.
Lorsque je demandai si le colonel Vallejo comptait parmi les vaincus, on me répondit : « Non. Encore une fois il a filé ! »
Je ne pus retenir un sourire que je maquillai en regret.

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Message  Invité Jeu 25 Aoû 2011 - 10:00

J'ai beaucoup aimé ce récit viril aux accents cruels, montrant des hommes entraînés dans une spirale de violence terrible. Les personnages principaux, bien campés, se font face, chacun dans sa démarche logique. Des personnages qui ne sont pas dans le même camp, mais que relie une vieille amitié et le sens de l'honneur. Belle phrase : "C'est bon de pouvoir pleurer ensemble"

Sinon, je me permets de telever quelques fautes d'inattention : "La drogue que Vllejo consommait en masse" et "La pensée des morts aide "

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Message  Invité Jeu 25 Aoû 2011 - 10:03

relever
Vallejo
(ceci pour mes propres fautes d'inattention)

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Message  Gobu Jeu 25 Aoû 2011 - 10:43

En espagnol, camarade se dit compañero (compañera lorsqu'il s'agit d'une chica)
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Message  Invité Jeu 25 Aoû 2011 - 11:38

Sur le fond, me semble difficilement crédible, vue d'ici, la relation entre les deux hommes, avec ce que l'on sait de leur passé commun et du poids douloureux que porte le vieil homme.
J'ai aussi trouvé incongrue, presque amusante cette remarque : Mon corps me faisait mal, lacéré de ronces, piqué d’insectes., après la description des tortures dans le paragraphe précédent.
Abstraction faite de ces deux points, c'est rondement mené, sans scories, sans effets de manche. Même si ce n'est pas trop mon genre de lecture, je trouve ça plutôt bien.

J'ai relevé ceci au passage :

Dans des cages de fer, j’aperçu des hommes ("aperçus")
Je mis cela sur le compte de la drogue que Vallejo consommer en masse. ("consommait")
grimpa dans son hamac qui lui assurait d’avantage de sécurité. ("davantage")
un mat de la tente ("mât")


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Message  Raoulraoul Ven 26 Aoû 2011 - 9:38

Merci pour toutes vos remarques. Il faut quand même que je vous dise que cette nouvelle est une transposition moderne du dernier chant de l'Iliade de Homère -chant XXIV- la rencontre entre le vieux Priam et Achille ; Priam venant réclamer le corps mort de son fils assassiné par Achille.
Si vous avez l'occasion, lisez ce chant ; vous y reconnaitrez les personnages, et l'enjeu essentiel de la situation, la trêve...
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Message  Invité Ven 26 Aoû 2011 - 19:43

Je déteste ce genre de texte et pourtant j'ai trouvé celui-ci excellent, de bout en bout, à la fois dépouillé et baroque ( je ne trouve pas comment dire ça autrement) d'une écriture forte et belle. Chapeau, Raoulraoul !( entre nous, tu n'aurais pas participé à plusieurs reprise aux recueils d'Etonnants voyageurs ? Il me semble reconnaitre une patte...)

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