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Mon 11 Septembre à moi

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Message  Raoulraoul Sam 3 Sep 2011 - 22:18

CONFUSION SUR LA PLANETE

A Scarborough, de la falaise, on voit le lac, à cinq heures, la brume rose, les lumières qui meurent sur la côte…
Mary Henderson, dans la grande salle de restaurant, avait mangé un pancake au sirop d’érable. Elle avait attendu qu’il vienne, lui. Mais il était en retard ce matin, particulièrement ce matin. Les palmiers étincelaient de verdeur, dans les angles blancs de la salle. Mary Henderson détestait l’exubérance hirsute des palmiers. Elle aimait la timidité gauche de Jim Mac Kay. Il descend à présent et rendre dans la salle de restaurant. Avaient-ils dormir ensemble cette nuit à Scarborough ?
Aujourd’hui par centaines, tous, ils reviennent dans la zone de tristesse, disent les psychiatres. Une zone atone qui accapare la ville, se répand dans les esprits. L’odeur acre de l’acier brûlé, le nuage de poussière, l’explosion par deux fois qui a fait trembler la terre, on ne peut l’oublier cela. C’était abstrait, trop brutal et insensé. On n’apporte pas de fleurs, c’est inutile. Devant le mémorial la liste interminables des noms, sur les plaques de marbre.
Jim Mac Kay ne regarde pas la brume rose sur le lac. Mary Henderson lui dit : « Tu ne regarde pas le lac.
- Je ne peux plus le voir, Mary.
- Tu te souviendras de notre dernière nuit ?
- De la nuit, je me souviendrai…
- On s’est aimé, dit encore Mary Henderson.
- C’est possible… répond son amant. »
Sur les routes poussiéreuses, c’est encore Jim Mac Kay qui conduit. Mary Henderson est assise sur le siège de cuir de la Toyota Land Cruiser. Dans le coffre de rangement, il y a du matériel de précision ; lunette optique, laser, balance, et des outils. Sur la route des albatros hurleurs planent dans le soleil montant. Le plateau est fort sablonneux avant d’arriver sur le tertre. Peupliers et herbes touffues couronnent le sommet du tertre. « C’est étonnant tout ce qu’il faut gravir avant d’arriver en haut… » avait dit un jour Mary Henderson. Elle aime aussi sur pencher sur le sol, le gratter de sa spatule, examiner la sépulture des morts, enfouis sur le site de Colline Bead, sur le tertre feuillu de Colline Bead.
Longtemps après la catastrophe, les habitants auraient porté des masques. Le danger était invisible mais omniprésent. Dans la fumée des ruines, le fond de l’air encore donnait des frayeurs. Quelqu’un aurait crié qu’il ne voyait rien à plus de trois mètres et qu’il avait peur.
Mary Henderson eut des larmes de joie lorsqu’elle découvrit des fragments de contre bagues dans la terre rouge. Elle avait appelé Jim mais il n’avait pas répondu tout de suite. Mary Henderson lui aurait dit : « Une fois encore regarde ce raffinement enseveli sous la terre. » C’étaient des bagues en perles de verre que portaient les femmes iroquois, il y a plusieurs siècles. Jim observe souvent le ciel, parce qu’il se dit que les sépultures s’arrangent bien avec la position du soleil. Il aurait aimé évidement entourer Mary Henderson de ses bras, ce jour là, respirer l’acidité de sa peau, profiter de la pause de sa voix, rentrer dans son souffle qui ne raconte plus d’histoire, quand il se mêle silencieusement au sien. Sur l’horizon il y a des oiseaux qui s’arrêtent parfois de voler, et qui se posent. Des oiseaux en avance sur le temps, celui des catastrophes à venir. Le site est interdit au public, à Colline Bead.
Jim Mac Kay maintenant ne se souvient plus de l’étage qui a été percuté en premier. Chacun se souvient-il précisément de se qu’il faisait à cet instant là, quand le choc allait ébranler le monde entier ? Untel prenant une douche, l’autre embrassant sa maîtresse, un autre disputant son enfant ou bien consultant la cote de ses actions en bourse.
« - Toi, qu’est-ce que tu faisais ? demanda Jim à Mary Henderson.
- Tu me caressais, dit-elle. »
Dans l’immensité blanche des nuages, Susan aurait volé. Si près des nuages elle aurait pensé : si près et si loin de lui. Elle aurait essayé de l’appeler, sans qu’il puisse répondre. La communication est difficile en vol. Elle aurait laissé des sms pour qu’il les écoute plus tard. « Il entendra ma voix qui vient du ciel, de ce boing qui me conduit vers toi. »
« Si je mourais maintenant, de quoi tu te souviendrais le plus ? demande cette fois Mary Henderson à Jim Mac Kay.
- De maintenant bien sûr, il répond. »
Quand le téléphone vibre dans la poche de Jim Mac Kay, il ne vibre pas sur son cœur. Au fond de sa poche de pantalon, le téléphone vibre sur la cuisse. Pendant que Mary Henderson lui parle, un autre monde vibre en lui, un monde dont il déchiffrerait plus tard les messages. Ceux de Susan dans le ciel.
Mary fouille le sol à Colline Bead, balayant chaque poussière, brossant chaque caillou, chaque pierre, elles font parler les anciens à Colline Bead. Jim Mac Kay effectue des relevés de terrain, des croquis, photographie une empreinte dans la Maison Longue des indiens iroquois qui abritait autrefois le village entier ; aujourd’hui c’est l’habitat vertical qui prévaut sur l’horizontal.
La tour mesurait quatre cent dix mètres de hauteur, comprenant cent dix étages. « Nous voilà pris au piège au cinquante neuvième étage dans une épaisse fumée durant une heure trente. J’ai défoncé une fenêtre avec un extincteur pour voir la rue, racontait un survivant colombien. Arrivé au huitième étage, l’escalier sous nos pieds avait disparu, j’étais suspendu dans le vide. Derrière moi, un des pompiers s’est écroulé, crise cardiaque. »
Dans la Family Room installé par le gouvernement, les murs étaient recouverts de photos, de vêtements retrouvés, cravates, chaussures, des jouets d’enfant, des drapeaux, des poèmes, des bougies étaient allumées, les gens se recueillaient, pleuraient, tombant dans une indicible hébétude.
C’est lorsque le soleil disparaît, que l’ensemble de l’équipe quitte le tertre. D’intéressantes sépultures ont été repérées. Jim et Mary rejoignent leur hôtel à Scarborough, sur les falaises. Ils discutent passionnément de leur recherche à bord de la Toyota qui roule vers la Vallée de la Rivière Rouge. Mary Henderson a embrassé Jim Mac Kay lorsqu’ils se sont arrêtés à la station essence. La saveur d’une journée est passée sur leurs lèvres. Le téléphone de Jim ne vibre pas dans sa poche, simplement une fatigue lourde ankylose son corps. Le soir, ils ont regardé les bougainvilliers qui embaument et les lumières clignotantes sur les rives du lac. Mary Henderson a dit tout d’un coup sans respirer : « Dans deux jours nous partirons on se rappellera de la première nuit à Scarborough quand tu es venu dans ma chambre on entendait sauter les poissons dans le lac et tu m’as serré très fort sans doute parce que les poissons te gênaient… tu te souviens ?
- Peut-être… je me souviens… mais ça aurait pu se passer autrement, a répondu Jim Mac Kay
Les gens affolés auraient lancé les ordinateurs par les fenêtres pour respirer. Une femme aurait sauté. On l’aurait retrouvé en bas, sectionnée en deux par une plaque de verre. On aurait marché sur tout ces corps brisés. Quelqu’un raconterait que pour libérer un homme des décombres, il l’aurait tiré par ses bottes, que la paire de bottes lui serait resté dans les mains avec les jambes d’un pompier à l’intérieur. Ca aurait pu être autrement, se dit Jim, mais autrement ça ne fut pas. Quelqu’un d’autre aussi aurait dit à une personne blessée sur une civière : « Ne vous inquiétez pas, après tout ça on ira boire une bière. » Son visage était en lambeaux. Il travaillait dans la Société qui s’occupait des distributeurs de friandises, la peau lui pendait aux aisselles, le long des bras jusqu’aux doigts, c’est en se protégeant le visage qu’il aurait ainsi été brûlé. Il ressemblerait à un morceau de tissu, mais autrement ce ne fut pas.
« Je voudrais que cette nuit soit la plus longue » dit calmement Mary Henderson, sur la terrasse de l’hôtel à Scaborough. Le fond de l’air ne donne toujours pas de frayeur. C’est le début de septembre. Des oiseaux migrateurs griffent le ciel, se dirigeant vers Manhattan, là où les buildings dépassent les falaises de Scarborough. « Viendrez-vous me voir cette nuit, monsieur Jim Mac Kay, demande la femme, je ne vous oblige pas. Jim Mac Kay soupire avec un long sifflement. La fraîcheur du lac ne vous réussit pas, rentrons, dit alors la femme.
Longtemps après, les enfants qui naissaient avaient une taille anormalement petite. Les émanations d’amiante et de fibres de verre s’étaient échappées des ruines encore pendant plusieurs mois. De nombreux cancers et maladies pulmonaires à venir étaient à craindre.
Cette nuit là, dans un hôtel à Scarborough, Jim s’introduit dans la chambre de Mary Henderson. La Maison Longue des iroquois à Colline Bead ne ressemble pas aux hôtels qui bordent le lac Ontario. La Maison Longue est faite de troncs d’arbres entrelacés recouvert d’écorce. Des liens de chanvre consolident sa charpente. Les femmes iroquois administrent leur village et contrôlent les affaires militaires des hommes. Elles se parent de bijoux en perles de verre, tandis que les hommes fument des pipes en céramique et quand ils gagnent une guerre ils mangent les organes de leurs ennemis vaincus et fabriquent des colliers d’oreilles dont ils font une monnaie d’échange. Aucun avion ne pourra s’écraser sur la Maison Longue d’un indien iroquois à Colline Bead.
Susan Mac Kay sur le siège cinquante cinq du vol AMR11 de l’American Airlines aurait envoyé un ultime sms à son mari « j’arrive dans trois heures. je t’aime ». Elle survolait la formidable montagne boisée des Appalaches. Elle aurait demandé au steward de lui servir un verre de vin italien. Susan Mac Kay était détendue, elle lisait les nouvelles dans le New York Times.
La nuit à Scarborough est tiède et odorante. Mary Henderson s’est glissé nue sous les draps de ses lits jumeaux. Elle n’a pas voulu compter les heures. Elle s’est laissé happer par le sommeil et elle fait un rêve avec des animaux volants, dans une période glaciaire de la préhistoire. De cette période lointaine et abyssale elle éprouve de la frayeur, mais dans le flanc d’un animal elle trouve refuge. Elle reconnaît le squelette de Jim Mac Kay, venu s’allonger près de la femme épouvantée. Dans le noir il fait jour soudain, car l’ombre d’un homme suffit à lui donner un sens. Il n’est que deux heures du matin. Tout ce qui a précédé n’était qu’un rêve et une réflexion amère pour Jim Mac Kay.
Demain l’équipe d’archéologues devra se séparer sur le site de Colline Bead. « Je n’aurai été qu’une aventure pour toi, le temps d’un chantier ? demande Mary Henderson à l’ombre qui a rejoint son lit. Je n’aurai fait l’amour qu’avec une ombre, elle se dit pendant que le sexe de l’ombre se gonfle de désir. Elle a comme une pierre sèche dans la poitrine. Jim Mac Kay est tout occupé à son plaisir. Il murmure plusieurs fois à Mary Henderson : « On se reverra on se reverra, puis il ajoute bizarrement, je n’ai jamais envie de t’oublier Mary ». Mary a crié. Les oiseaux grandioses sur le lac ont entendu le cri de Mary Henderson. Enfin le jour va commencer à poindre. Une brume rose sirupeuse et épaisse comme un sirop. Dans la poche du vêtement de l’homme vibre son téléphone. C’est l’assouvissement qui empêche l’homme de se lever et de répondre. A huit heures quarante six les amants dorment dans les lits jumeaux d’un hôtel à Scarborough. Un impacte violent secoue l’une des tours jumelles à Manhattan. Dans quelques secondes le monde aura perdu son innocence.
Ils se disent au revoir sur le site de Colline Bead. Avec un peu de Champagne. Les chercheurs sont satisfaits. Les sépultures indiennes vont pouvoir livrer leurs secrets. Un authentique village iroquois va revivre. Jim Mac Kay ignore encore tout du drame, une tristesse flotte dans les yeux de Mary Henderson. On fait une dernière photo devant les vestiges de la Maison Longue. Une photo où se devineront les signes d’un amour illicite.
L’identification des corps a duré pendant plusieurs mois. Sur les plaques de marbre du mémorial on peut lire le nom des deux mille huit cents victimes. Parmi elles figure le nom de Susan Mac Kay, trente cinq ans, épouse de Jim Mac Kay. Chacun maintenant se souvient de ce qu’il faisait exactement ce jour là, il y a juste dix ans, à huit heures quarante six du matin. Tout le monde. Sauf Jim Mac Kay qui dormait. Dans le Ground Zero on construit une nouvelle tour, encore plus haute que les précédentes. Jim dans la foule assiste à la cérémonie de commémoration. Le silence est pesant. Un sanglot parfois éclate dans l’assistance. Dans la poche de sa veste, le téléphone de Jim Mac Kay vibre. Il décroche et entend la voix de Mary Henderson qui lui dit : « Je suis avec toi Jim. Surtout aujourd’hui. Je t’aime ».
Puis un orateur commence la lecture interminable des portraits des victimes. Jim Mac Kay imagine une Maison Longue, très longue, où les avions jamais ne peuvent s’écraser, une Maison Longue où il pourrait s’allonger pour mourir dans l’odeur fraîche des troncs d’arbre et de l’écorce verte.

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Message  Invité Dim 4 Sep 2011 - 12:58

J'ai beaucoup aimé ce texte dense, malgré quelques scories
*avaient-ils dormir ensemble ? ( c'est allaient-ils dormir ou avaient ils dormi ?)

*Et l'avion est un Boeing pas Boing !

*Il y a quelques problèmes de temps aussi, je crois - je n'en suis pas sûre parce que les allers retours entre présent et passé m'ont un peu perdue !

Mais j'ai vraiment aimé le foisonnement, l'entrelacement entre les tombes des indiens Iroquois ( on dit une femme Iroquoise) et les sépultures fantômes des victimes de l'attentat, entre cette histoire particulière et les bribes d'histoires, les instantanés concernant diverses personnes lors du drame.
Je trouve que tu réussis à faire quelque chose de profond, d'émouvant sans rien céder au pathos et c'est fortiche !

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Message  Marine Dim 4 Sep 2011 - 14:04

Ton texte est... happant. Tu as un style très très particulier, mystérieux, tu fais de quelque chose de simple un truc formidable.
Je relirai plus tard, je n'ai pas la tête assez reposée, et je commenterai davantage le fond.

"Le plateau est fort sablonneux avant d’arriver sur le tertre. Peupliers et herbes touffues couronnent le sommet du tertre."
Son sommet, plutôt ? Histoire d'éviter la répétition.
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Message  Raoulraoul Mar 6 Sep 2011 - 10:00

Merci à Colline Dé et Marine pour vos commentaires précieux.
Mes excuses pour mes fautes d'étourderie.
Concernant la conjugaison jai essayé de mélanger les temps volontairement ; confusion de la mémoire, du souvenir, étant donné le traumatisme dû à l'importance de l'événement. D'une façon générale, la relation entre Mary et Jim est au présent, les évocations de la catastrophe du 11 septembre sont au passé (imparfait, conditionnel) et seulement la commération finale est au présent (aujourd'hui) où on retrouve Jim seul et veuf...
Merci encore pour votre patience à me lire jusqu'au bout.
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Message  Invité Mar 6 Sep 2011 - 14:57

C'est pas de la patience, Raoulraoul, c'est du plaisir !

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Message  Jean Lê Mer 7 Sep 2011 - 9:56

note : impact
Raoulraoul, le mélange des temps nous projette dans l'esprit de Jim. Le souvenir de ses moments avec Mary tressés avec l'évènement du 11 septembre donne l'émotion qui se dégage du texte. Le 11 septembre prend à nouveau corps dans cette histoire d'amour toujours présente à l'esprit de Jim. La tragédie reprend sa dimension humaine percutante, un angle de vue pertinent pour une date déjà classée et considérée avec détachement : historique (circulez, y'a plus rien à voir !). Merci Raoul.
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