Le dernier loup
5 participants
Page 1 sur 1
Le dernier loup
Va, Odile ! Va me TUER LE PÈRE de ces carnassiers.
(ou « Le dernier loup. »)
Ma chère, je l’ai vu !
Ce loup, je l'ai rencontré dans mon autre vie. Son regard m’a fascinée comme tu m’en avais avertie. Mais pourquoi ne m’avais-tu pas précisé qu’il goûtait les jeunes femmes habillées de rouge ? Je l'étais heureusement, ainsi je ne l'ai pas froissé. Comme je me rendais chez ma mère-grand, il m'affirma qu'il y arriverait avant moi.
— Mais vous ne savez même pas où elle habite !
— Le loup sait tout et il a emporté son GPS.
Je pris le chemin des épinglettes qui se révéla fort encombré : une famille de marmottes dormait au milieu de la voie ; je fus contrainte de faire un détour. Dans une clairière, un troupeau de brebis broutait ; je dus sauter par-dessus chacune. Ensuite il me fallut patienter derrière une classe d'adolescentes du collège Chaperon Rouge qui n'avançait guère, chaque élève s'écartant à tour de rôle du sentier. Je croisai aussi un garde-chasse armé qui accompagnait quelques muscardins, loirs et lérots partant en courses au sortir de cet hiver si rigoureux.
J'arrivai enfin et frappai à la porte de la maisonnette. J’entendis un grognement en retour : « Tire la bobinette et la chevillette cherra. »
« Oh ! là là ! Mémé vieillit de plus en plus dans son Alzheimer ! » pensai-je. Je tirai la chevillette et la bobinette de fonte chut sur mes orteils.
« Aïe ! » J'entrai en boitillant et découvris la pièce tachée de sang du sol au plafond. Le cadavre déchiqueté de mon aïeule gisait près du lit. Dans un coin, le loup était assis, prostré. Je m’approchai prudemment : il sanglotait. Je demandai alors dans un murmure :
— Pourquoi pleurez-vous, Monsieur le Loup ?
— Je suis en deuil.
— Moi aussi… Vous venez de dévorer ma grand-mère, m'offusquai-je.
— Non je ne l’ai pas mangée, je ne consomme plus de viande.
— En tout cas, vous l’avez égorgée !
— Oui.
— Pourquoi tuer une vieille dame ?
— Je l’aurais occise depuis longtemps déjà, mais je n’en avais pas le droit.
— Vous l’avez maintenant ? Et pourquoi donc ?
— Un prédateur avisé se porte garant des espèces dont il se nourrit. Il se doit de les chaperonner et ne s’attaque pas à une proie valide apte à engendrer.
— L'homme est un gibier pour votre race ?
— Très rarement, vous êtes bien trop malsains.
— Mais alors Mamie… Que vous avait-elle fait ?
— Tout, mademoiselle, tout ce qu’on peut infliger de pire à un loup.
Je pris une grande inspiration et, lui caressant la tête, je dis d’une voix admirative :
— Que vous avez de grandes oreilles !
— Et vous, débouchez les vôtres, vous ne m’écoutez guère. Elle a assassiné ma louve.
— Je ne vous crois pas, elle ne faisait de mal à personne.
— À cet âge, non, bien sûr, mais quand elle était bergère…
— Si vous vous repaissiez de ses moutons, elle a eu raison !
— Un de temps en temps. C’était notre dû, nous protégions son troupeau des chiens errants.
— Que vous avez de grands yeux ! m’émerveillai-je en écarquillant les miens.
— Je les fermerai bientôt, je suis très vieux et malade.
— Crevez donc, sale bête !
Il me jeta un regard acerbe et continua :
— Elle a massacré aussi tous mes enfants.
— Qui croquaient ses agneaux…
— Non, mes fils parce qu’ils engrossaient ses chiennes…
— Ou dégustaient ses agnelles ?
— Nenni, mes filles parce qu’elles égorgillaient leurs chiots.
— Justifié !
D’un geste ferme, je saisis sa patte et la jaugeai avec acuité :
— Que vous avez de grandes griffes !
— C’est pour mieux creuser les tombes de ma famille.
— Gardez-en pour la vôtre… Que vous n’avez plus de dents, vieux loup ! ironisai-je.
— La dernière est restée dans le cou de votre grand-mère. Mais que vous avez de grandes mains ! s’inquiéta-t-il.
— C’est pour mieux t’étrangler, vieille carne !
Ce ne fut pas bien long, il était à bout. Peut-être était-ce le dernier loup ?
Ton amie, Odile.
Précisions : Cette nouvelle a donc été envoyée à l'AT Alexandre vos écrits 2011. Hellian m'ayant gentiment suggéré de la publier sur le site, la voici.
Depuis l'envoi au concours elle a été modifiée, car je corrige très souvent les textes que j'écris, rien n'est parfait et je pense que l'écriture est une perpétuelle amélioration y compris de textes censés être satisfaisants. Notamment elle est livrée ici sous son troisième titre. J'ai eu l’autorisation des éditions L’Iroli, où elle a été primée en mai 2011 sous le titre «Odile et le loup.»
Historique de cette nouvelle : je l’ai écrite en 2009 dans le cadre d’un débat sur la préservation de la nature et la défense des espèces protégées, le loup notamment. Pourquoi d’autres espèces citées dans ce texte ? Car à cette époque des lérots squattaient ma maison… et que je me suis aperçue que ce petit prédateur utile et très efficace n’était pas protégé en France mais qu’il l’était au niveau européen. Je lui ai joint plus tard deux autres petits animaux tout aussi utiles et dans la même situation… Quant à la marmotte, c’était le pseudo de la personne à qui je répondais. D’où la forme d’un courrier de réponse. Suite aux remarques de bêta-lecteurs, j’ai sensiblement amélioré le côté abrupt de la vengeance du chaperon (souvent trop inattendue aux yeux de certains qui ne sentaient pas l’inversion du rôle de chacun… elle se rend compte petit à petit que le loup est à la fois trop faible et trop désespéré et qu’il est devenu une proie facile). J’espère n’avoir pas trahi, en modifiant mon texte d’origine, l’esprit absurde, tutoyant l’humour, de ce conte mis à ma sauce (mon inspiration ne vient pas que de la version de Perrault).
(ou « Le dernier loup. »)
Ma chère, je l’ai vu !
Ce loup, je l'ai rencontré dans mon autre vie. Son regard m’a fascinée comme tu m’en avais avertie. Mais pourquoi ne m’avais-tu pas précisé qu’il goûtait les jeunes femmes habillées de rouge ? Je l'étais heureusement, ainsi je ne l'ai pas froissé. Comme je me rendais chez ma mère-grand, il m'affirma qu'il y arriverait avant moi.
— Mais vous ne savez même pas où elle habite !
— Le loup sait tout et il a emporté son GPS.
Je pris le chemin des épinglettes qui se révéla fort encombré : une famille de marmottes dormait au milieu de la voie ; je fus contrainte de faire un détour. Dans une clairière, un troupeau de brebis broutait ; je dus sauter par-dessus chacune. Ensuite il me fallut patienter derrière une classe d'adolescentes du collège Chaperon Rouge qui n'avançait guère, chaque élève s'écartant à tour de rôle du sentier. Je croisai aussi un garde-chasse armé qui accompagnait quelques muscardins, loirs et lérots partant en courses au sortir de cet hiver si rigoureux.
J'arrivai enfin et frappai à la porte de la maisonnette. J’entendis un grognement en retour : « Tire la bobinette et la chevillette cherra. »
« Oh ! là là ! Mémé vieillit de plus en plus dans son Alzheimer ! » pensai-je. Je tirai la chevillette et la bobinette de fonte chut sur mes orteils.
« Aïe ! » J'entrai en boitillant et découvris la pièce tachée de sang du sol au plafond. Le cadavre déchiqueté de mon aïeule gisait près du lit. Dans un coin, le loup était assis, prostré. Je m’approchai prudemment : il sanglotait. Je demandai alors dans un murmure :
— Pourquoi pleurez-vous, Monsieur le Loup ?
— Je suis en deuil.
— Moi aussi… Vous venez de dévorer ma grand-mère, m'offusquai-je.
— Non je ne l’ai pas mangée, je ne consomme plus de viande.
— En tout cas, vous l’avez égorgée !
— Oui.
— Pourquoi tuer une vieille dame ?
— Je l’aurais occise depuis longtemps déjà, mais je n’en avais pas le droit.
— Vous l’avez maintenant ? Et pourquoi donc ?
— Un prédateur avisé se porte garant des espèces dont il se nourrit. Il se doit de les chaperonner et ne s’attaque pas à une proie valide apte à engendrer.
— L'homme est un gibier pour votre race ?
— Très rarement, vous êtes bien trop malsains.
— Mais alors Mamie… Que vous avait-elle fait ?
— Tout, mademoiselle, tout ce qu’on peut infliger de pire à un loup.
Je pris une grande inspiration et, lui caressant la tête, je dis d’une voix admirative :
— Que vous avez de grandes oreilles !
— Et vous, débouchez les vôtres, vous ne m’écoutez guère. Elle a assassiné ma louve.
— Je ne vous crois pas, elle ne faisait de mal à personne.
— À cet âge, non, bien sûr, mais quand elle était bergère…
— Si vous vous repaissiez de ses moutons, elle a eu raison !
— Un de temps en temps. C’était notre dû, nous protégions son troupeau des chiens errants.
— Que vous avez de grands yeux ! m’émerveillai-je en écarquillant les miens.
— Je les fermerai bientôt, je suis très vieux et malade.
— Crevez donc, sale bête !
Il me jeta un regard acerbe et continua :
— Elle a massacré aussi tous mes enfants.
— Qui croquaient ses agneaux…
— Non, mes fils parce qu’ils engrossaient ses chiennes…
— Ou dégustaient ses agnelles ?
— Nenni, mes filles parce qu’elles égorgillaient leurs chiots.
— Justifié !
D’un geste ferme, je saisis sa patte et la jaugeai avec acuité :
— Que vous avez de grandes griffes !
— C’est pour mieux creuser les tombes de ma famille.
— Gardez-en pour la vôtre… Que vous n’avez plus de dents, vieux loup ! ironisai-je.
— La dernière est restée dans le cou de votre grand-mère. Mais que vous avez de grandes mains ! s’inquiéta-t-il.
— C’est pour mieux t’étrangler, vieille carne !
Ce ne fut pas bien long, il était à bout. Peut-être était-ce le dernier loup ?
Ton amie, Odile.
Précisions : Cette nouvelle a donc été envoyée à l'AT Alexandre vos écrits 2011. Hellian m'ayant gentiment suggéré de la publier sur le site, la voici.
Depuis l'envoi au concours elle a été modifiée, car je corrige très souvent les textes que j'écris, rien n'est parfait et je pense que l'écriture est une perpétuelle amélioration y compris de textes censés être satisfaisants. Notamment elle est livrée ici sous son troisième titre. J'ai eu l’autorisation des éditions L’Iroli, où elle a été primée en mai 2011 sous le titre «Odile et le loup.»
Historique de cette nouvelle : je l’ai écrite en 2009 dans le cadre d’un débat sur la préservation de la nature et la défense des espèces protégées, le loup notamment. Pourquoi d’autres espèces citées dans ce texte ? Car à cette époque des lérots squattaient ma maison… et que je me suis aperçue que ce petit prédateur utile et très efficace n’était pas protégé en France mais qu’il l’était au niveau européen. Je lui ai joint plus tard deux autres petits animaux tout aussi utiles et dans la même situation… Quant à la marmotte, c’était le pseudo de la personne à qui je répondais. D’où la forme d’un courrier de réponse. Suite aux remarques de bêta-lecteurs, j’ai sensiblement amélioré le côté abrupt de la vengeance du chaperon (souvent trop inattendue aux yeux de certains qui ne sentaient pas l’inversion du rôle de chacun… elle se rend compte petit à petit que le loup est à la fois trop faible et trop désespéré et qu’il est devenu une proie facile). J’espère n’avoir pas trahi, en modifiant mon texte d’origine, l’esprit absurde, tutoyant l’humour, de ce conte mis à ma sauce (mon inspiration ne vient pas que de la version de Perrault).
MémoireDuTemps- Nombre de messages : 79
Age : 53
Localisation : À l'est, là où les lérots vont boire
Date d'inscription : 14/08/2011
Délicieux...
Bonjour,
Juste un petit mot pour dire que j'ai adoré, c'est tout.
Juste un petit mot pour dire que j'ai adoré, c'est tout.
Marchevêque- Nombre de messages : 199
Age : 63
Date d'inscription : 08/09/2011
Re: Le dernier loup
Le conte revisité avec un brin de cruauté qui me plaît beaucoup. J'aime la tournure que prend le récit et la réalité qui s'impose, le petit chaperon rouge n'a jamais été naïf ou gentil.
Les dialogues sont concis, ils ne se perdent pas en explications (ou alors pas trop, donc c'est plutôt bien) et le lecteur a libre choix de se perdre dans les méandres de sa propre morale sur ce qui est bien ou pas bien.
Les dialogues sont concis, ils ne se perdent pas en explications (ou alors pas trop, donc c'est plutôt bien) et le lecteur a libre choix de se perdre dans les méandres de sa propre morale sur ce qui est bien ou pas bien.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le dernier loup
Ça alors !
Je viens ce matin même de terminer un petit machin qui fait tout à fait écho, ou presque même redite de ce texte ! une version détournée du conte, en plus glauque, selon mon habitude. Et comme absolument personne ne l'a lu, qu'il git sur mon ordi, c'est une amusante coïncidence ! avec une grand-mère cancéreuse et une jeune fille olé olé ! Bref, comme je viens de poster une poésie je suis proscrite pour la semaine, mais je le mettrai peut-être un jour par ici, on verra.
En tout cas, c'est très plaisant, j'aime le champ lexical (ouiche) et l'univers du conte mis au service d'une fantaisie moderne.
Je viens ce matin même de terminer un petit machin qui fait tout à fait écho, ou presque même redite de ce texte ! une version détournée du conte, en plus glauque, selon mon habitude. Et comme absolument personne ne l'a lu, qu'il git sur mon ordi, c'est une amusante coïncidence ! avec une grand-mère cancéreuse et une jeune fille olé olé ! Bref, comme je viens de poster une poésie je suis proscrite pour la semaine, mais je le mettrai peut-être un jour par ici, on verra.
En tout cas, c'est très plaisant, j'aime le champ lexical (ouiche) et l'univers du conte mis au service d'une fantaisie moderne.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Le dernier loup
en poésie seulement. Si c'est un texte en prose à poster, pas de soucis :-)Janis a écrit:comme je viens de poster une poésie je suis proscrite pour la semaine
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le dernier loup
Ah bon ? Merci, je ne fréquente que depuis peu !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Le dernier loup
Oui, c'est un par semaine et par catégorie, donc deux si on poste en prose et en poésie (les exercices et appels à textes ne sont pas limités, quant à eux).
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le dernier loup
Merci, je lirai très volontiers, je vais bientôt voir "Le Chaperon Rouge (Red Riding Hood)" que je n'ai pas encore vu (qui est pas terrible je crois). Disons que ce conte populaire (oui la version de Perrault est loin d'être la seule et la première) a bénéficié de pas mal de variantes notamment bien plus cruelles que la version de Perrault. En cinéma - c'est ma passion - on dénombre, outre les Tex Avery, deux films INDISPENSABLES, "La compagnie des loups" de Neil Jordan - c'est la source de l'inspiration de ma version - et "Jin Roh" qui se basse sur un texte allemand d'une cruauté sans pareille. Comme ma nouvelle est plus qu'évolutive, je pense que j'en écrirai un jour une version autrement cruelle (du genre le chaperon se déguste la mère - oui pas l'aïeule - avant de se faire le loup).Janis a écrit:Ça alors !
Je viens ce matin même de terminer un petit machin qui fait tout à fait écho, ou presque même redite de ce texte ! une version détournée du conte, en plus glauque, selon mon habitude. Et comme absolument personne ne l'a lu, qu'il git sur mon ordi, c'est une amusante coïncidence ! avec une grand-mère cancéreuse et une jeune fille olé olé ! Bref, comme je viens de poster une poésie je suis proscrite pour la semaine, mais je le mettrai peut-être un jour par ici, on verra.
En tout cas, c'est très plaisant, j'aime le champ lexical (ouiche) et l'univers du conte mis au service d'une fantaisie moderne.
Merci Sahkti et Marchevêque ☺
MémoireDuTemps- Nombre de messages : 79
Age : 53
Localisation : À l'est, là où les lérots vont boire
Date d'inscription : 14/08/2011
Re: Le dernier loup
j'attends un peu puisque ce texte est destiné à un petit concours fort sympathique,mais après je n'y manquerai pas.
Ce qui m'a amusée, c'est la collusion temporelle de nos textes !
Ce qui m'a amusée, c'est la collusion temporelle de nos textes !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Le dernier loup
Bien aimé ce loup qui court les bois avec un GPS et qui trouve de "grandes mains" au PCR sur le point de lui faire sa fête.
Ce n'est sans doute ni le premier ni le dernier : C'est un conte particulièrement inspirant et je me souviens d'un exercice (lettre d'insulte) qui m'avait glissé ceci sous les dents du clavier :
http://www.vosecrits.com/t6969-exo-lettre-d-insulte-tire-la-chevillette-et-la-bobinette-cherra
Ce n'est sans doute ni le premier ni le dernier : C'est un conte particulièrement inspirant et je me souviens d'un exercice (lettre d'insulte) qui m'avait glissé ceci sous les dents du clavier :
http://www.vosecrits.com/t6969-exo-lettre-d-insulte-tire-la-chevillette-et-la-bobinette-cherra
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|