Indo
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Indo
Indochines
Quand le vieux racontait l’Indochine, il fallait la fermer. Toujours le même rituel, il allumait une gauloise (celle en paquets bleu à l’effigie de Jacno, non plastifié). Il cherchait en grommelant son briquet, tirait une longue bouffée qui ressortait en volutes vers le ciel de ses souvenirs.
Cao Bang, la RC4, les calcaires de Dong hué, on était tous partis assis autour de la nappe en toile cirée. Il avait gardé de là-bas un goût immodéré pour l’anisette qui avait le pouvoir inattendu de le rendre bavard.
Ce besogneux flegmatique ; précis dans le geste, mais d’une lenteur exaspérante lorsqu’il réparait nos vélos , sans desserrer les dents et nous fixant le regard cinglant ; devenait une sorte de conteur désabusé, sans effets de voix, un peu comme le témoignage d’un coupable passant aux aveux qui soulage sa conscience.
Ses yeux bleus si métalliques d’habitude se délavaient un peu comme s’il allait pleurer à l’évocation de son Viêt-Nam : L’avenue Paul Doumer , le ballet des tractions parfumé à l’essence, les cahots du transindochinois en route pour Saïgon, le pont sur le fleuve jaune encombré de charrettes et de jeeps empressées…
Il y avait quelque chose d’insaisissable dans ce regard que je comprendrais plus tard. De cet insaisissable qui nous ronge souvent lorsque seul on retourne aux contrées insolites où il fait toujours beau, où germent des amours aux destins avortés.
De ce jour où je vis, aux vieilles ruses d’Hanoï, le pas des longues filles qui portaient l’ao-daï. En ce jour de mousson aux ineffables poisses au milieu des étals et de ces vieilles, portant chapeau conique en paille de riz, je compris à mon tour, qu’à cette heure, il flanchait…
Hanoi Intercontinental
Rivière de parfums elle s’épanche sereine, frôlant de vieux palais aux ocres décatis.
Préfectures désuètes en Asie déportées
Antipodes de routes menant vers Cao Bang, frontières indochinoises
Fièvre en pays de Chine
Ces filles magnifiques qui vont en ao daï avenue Paul Doumer
Le froissement des jambes
Indicibles taxis vont comme petits bodoïs aux discours d’oncle Ho
Foncent les tractions noires
Echoppes de guingois où de vieilles bancales aux rires édentés crochètent quelques dôngs, délivrant aux passants des morceaux de chien gras qu’on élève pour ça.
Gestes parcimonieux
Puanteurs d’essence et de soupe mêlées
S’égrènent lentement aux miroirs étamés
Alignés en parade sous les ventilateurs
S’y mirent des hommes graves, visages rubiconds
Quand le vieux racontait l’Indochine, il fallait la fermer. Toujours le même rituel, il allumait une gauloise (celle en paquets bleu à l’effigie de Jacno, non plastifié). Il cherchait en grommelant son briquet, tirait une longue bouffée qui ressortait en volutes vers le ciel de ses souvenirs.
Cao Bang, la RC4, les calcaires de Dong hué, on était tous partis assis autour de la nappe en toile cirée. Il avait gardé de là-bas un goût immodéré pour l’anisette qui avait le pouvoir inattendu de le rendre bavard.
Ce besogneux flegmatique ; précis dans le geste, mais d’une lenteur exaspérante lorsqu’il réparait nos vélos , sans desserrer les dents et nous fixant le regard cinglant ; devenait une sorte de conteur désabusé, sans effets de voix, un peu comme le témoignage d’un coupable passant aux aveux qui soulage sa conscience.
Ses yeux bleus si métalliques d’habitude se délavaient un peu comme s’il allait pleurer à l’évocation de son Viêt-Nam : L’avenue Paul Doumer , le ballet des tractions parfumé à l’essence, les cahots du transindochinois en route pour Saïgon, le pont sur le fleuve jaune encombré de charrettes et de jeeps empressées…
Il y avait quelque chose d’insaisissable dans ce regard que je comprendrais plus tard. De cet insaisissable qui nous ronge souvent lorsque seul on retourne aux contrées insolites où il fait toujours beau, où germent des amours aux destins avortés.
De ce jour où je vis, aux vieilles ruses d’Hanoï, le pas des longues filles qui portaient l’ao-daï. En ce jour de mousson aux ineffables poisses au milieu des étals et de ces vieilles, portant chapeau conique en paille de riz, je compris à mon tour, qu’à cette heure, il flanchait…
Hanoi Intercontinental
Rivière de parfums elle s’épanche sereine, frôlant de vieux palais aux ocres décatis.
Préfectures désuètes en Asie déportées
Antipodes de routes menant vers Cao Bang, frontières indochinoises
Fièvre en pays de Chine
Ces filles magnifiques qui vont en ao daï avenue Paul Doumer
Le froissement des jambes
Indicibles taxis vont comme petits bodoïs aux discours d’oncle Ho
Foncent les tractions noires
Echoppes de guingois où de vieilles bancales aux rires édentés crochètent quelques dôngs, délivrant aux passants des morceaux de chien gras qu’on élève pour ça.
Gestes parcimonieux
Puanteurs d’essence et de soupe mêlées
S’égrènent lentement aux miroirs étamés
Alignés en parade sous les ventilateurs
S’y mirent des hommes graves, visages rubiconds
Re: Indo
Notes : tractions parfumées ; qui soulagent ; vieilles rues
Remarques : Les chapeaux coniques sont en feuilles de latanier.
Le pont Doumer (pont Long Biên depuis l'occupation japonaise) enjambe le fleuve rouge. Seul le train et les deux roues peuvent le franchir.
La rivière des parfums coule à Hué, l'ancienne capitale impériale.
Le Vietnam est un pays, la Chine : un monde (proverbe vietnamien). Le Vietnam n'est pas la Chine et le terme Indochine est une invention du colonisateur.
J'aime bien l'ambiance rétro du texte. Le charme opère sur le voyageur comme il l'a fait sur les anciens d'Indo. Il faut dire que Hanoï est désormais bien différente de cette carte postale un peu désuète. Les vapeurs d'essence sont de plus en plus présentes avec un trafic croissant. Les filles sont de toutes beautés mais plus rarement en ao dai. Enfin la cuisine vietnamienne est exceptionnelle et n'a rien a envier à la notre. Chào ông.
Remarques : Les chapeaux coniques sont en feuilles de latanier.
Le pont Doumer (pont Long Biên depuis l'occupation japonaise) enjambe le fleuve rouge. Seul le train et les deux roues peuvent le franchir.
La rivière des parfums coule à Hué, l'ancienne capitale impériale.
Le Vietnam est un pays, la Chine : un monde (proverbe vietnamien). Le Vietnam n'est pas la Chine et le terme Indochine est une invention du colonisateur.
J'aime bien l'ambiance rétro du texte. Le charme opère sur le voyageur comme il l'a fait sur les anciens d'Indo. Il faut dire que Hanoï est désormais bien différente de cette carte postale un peu désuète. Les vapeurs d'essence sont de plus en plus présentes avec un trafic croissant. Les filles sont de toutes beautés mais plus rarement en ao dai. Enfin la cuisine vietnamienne est exceptionnelle et n'a rien a envier à la notre. Chào ông.
Jean Lê- Nombre de messages : 591
Age : 65
Localisation : Bretagne
Date d'inscription : 22/11/2010
Re: Indo
merci jean Lé, je sais tout est mélangé, j'ai du abuser de Lucien Bodard...
< Il serait souhaitable que vous groupiez vos réponses à commentaires plutôt que de réagir à chacun, ce qui évitera de faire remonter votre texte en haut de page trop souvent au détriment des textes des autres auteurs, merci.
La Modération >
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< Il serait souhaitable que vous groupiez vos réponses à commentaires plutôt que de réagir à chacun, ce qui évitera de faire remonter votre texte en haut de page trop souvent au détriment des textes des autres auteurs, merci.
La Modération >
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Re: Indo
Un poème qui se lit la voix rauque et chargée d'haleine métal ; un promontoire d'où nous pouvons voir ton univers si particulier. Tu fais partie de ceux que je lis toujours. Et tu me régales à chaque fois. Merci.
Re: Indo
J'ai beaucoup apprecie ce texte pour son fond et son ecriture (bien ecrit et de tres jolies formules), mais j'ai ete surprise ne ne pas y ressentir Hanoi. Sans doute parlez vous d'un autre Hanoi, plus l'image de la ville que ce qu'elle est en realite? N'empeche, ce texte ne me semble ni faux ni force, je ne doute pas de la veracite de son emotion. Merci!
ellastique- Nombre de messages : 45
Age : 36
Localisation : Variable
Date d'inscription : 08/09/2011
Re: Indo
Loïc, que tu nous balades dans la France profonde, ou dans des contrées exotiques, d'hier, d'aujourd'hui ou de quand les poules avaient des dents, je suis toujours partante pour t'accompagner, jamais déçue, et j'en rapporte invariablement de jolis petits cailloux de toutes les couleurs !
Invité- Invité
Re: Indo
le tableau est émouvant. Trois personnages: un ancien d'Indochine, un jeune garçon qui l'écoute sans comprendre et le même beaucoup plus âgé qui a enfin compris le besoin que le vieux avait de toujours évoquer son paradis perdu.
Prose - poésie- prose poétique; une complémentarité.
Te lire laisse toujours des effluves de plaisir.
Prose - poésie- prose poétique; une complémentarité.
Te lire laisse toujours des effluves de plaisir.
Soliflore- Nombre de messages : 380
Age : 71
Date d'inscription : 17/02/2009
Re: Indo
Oui tu peux nous balader n'importe où , c'est toujours aussi intense.
Maryse- Nombre de messages : 811
Age : 80
Localisation : Montélimar
Date d'inscription : 22/09/2010
Re: Indo
juste une réserve sur la description des yeux ("bleu métallique" "délavés") un peu convenu
mais tout le reste est si beau
la plume qui me fait le plus rever ici
mais tout le reste est si beau
la plume qui me fait le plus rever ici
mitsouko- Nombre de messages : 560
Age : 63
Localisation : Paris
Date d'inscription : 08/11/2008
Re: Indo
Bonjour
Il se dégage de votre texte une ambiance prégnante et glauque, une mousson de mots qui mouille jusqu'à l'âme.
Amicalement
Philippe
Il se dégage de votre texte une ambiance prégnante et glauque, une mousson de mots qui mouille jusqu'à l'âme.
Amicalement
Philippe
Philippe- Nombre de messages : 153
Age : 69
Date d'inscription : 17/09/2011
Re: Indo
"l’anisette qui avait le pouvoir inattendu de le rendre bavard."
Pas d'accord avec l'adjectif "inattendu" parce qu'il me semble que l'anisette a le pouvoir plutôt répandu de rendre bavards les plus taiseux.
Sinon, eh bien, oui et encore oui. Et même merci Loïc. Je l'ai bien connu ce vieux pas si vieux et rarement bavard, ces lignes me touchent de près.
Pas d'accord avec l'adjectif "inattendu" parce qu'il me semble que l'anisette a le pouvoir plutôt répandu de rendre bavards les plus taiseux.
Sinon, eh bien, oui et encore oui. Et même merci Loïc. Je l'ai bien connu ce vieux pas si vieux et rarement bavard, ces lignes me touchent de près.
Invité- Invité
Re: Indo
Merci pour ce très beau témoignage et le poème qui suit...qui nous emmène en voyage là-bas.
J'y ai retrouvé un peu de mon père aussi, ses gauloises et sa guerre d'Algérie.
Mais lui c'était le vin rouge qui le grisait et le rendait plus bavard.
Très touchée par votre écrit.
J'y ai retrouvé un peu de mon père aussi, ses gauloises et sa guerre d'Algérie.
Mais lui c'était le vin rouge qui le grisait et le rendait plus bavard.
Très touchée par votre écrit.
Béatrice44- Nombre de messages : 125
Age : 55
Date d'inscription : 04/10/2011
Re: Indo
Je suis sous le charme du texte, même si ce monde m'est parfaitement étranger (malgré Bodard !)
Invité- Invité
Re: Indo
étrangère aussi mais séduite par cette écriture si habitée
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
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