Des colorations du coeur aux volontés terrestres

[Calvin]

Nous sommes nombreux en grandissant à avoir étés contrariés par la vie. Quand nous étions enfants, nous étions calmes et ne disions rien, parce qu’en silence nous apprivoisions tout ; et nous avions beau savoir que ce que nous voyions était incomplet, nous avions beau pressentir ces zones d’ombres où le regard ne perce pas, cela nous était égal tant notre monde était plein. Alors nous avons grandi, dans ce demi-silence d’attente. Nous avons vu les objets s'alourdir d'un sens second. Et nous n’avons pas reconnu ce nouveau visage aux choses... La curiosité, qui est dans son rapport au monde une dialectique de joie, de poursuivre et mordre les objets sous nos canines enfantines, a peu à peu laissé place à un étrange dégout. Nous ne comprenions pas : nous nous disions qu’au fond rien a changé, qu’il n’y a toujours rien à comprendre, c’est simplement qu’en grandissant nous avons fait souffrir ce costume qui nous est devenu trop petit, qui a mué avec nous mais boutonné nos manches pour en faire poignets d’adultes. On nous a appris à mesurer nos gestes et nos peurs, nos enthousiasmes et nos joies. Nous nous sommes dis : c’est donc cela, vivre ? Oui, c’est cela, et parfois nous avons pleuré, parfois nous avons crié, parfois nous avons geint mais nous savions combien c'était inutile. Le monde était resté le même ; il ne se faisait amer que dans ce qu’il entretenait avec nous de rapport nouveau. Nous avons été contrariés par la vie. Et maintenant, quand nous allons quelque part, quand nous poussons la porte des salles de cours, quand nous promenons nos corps dans ces regrets modernes que la rue exhale, les passants se retournent ; on regarde nos visages restés immobiles à la ride entre deux âges. Oui : notre air dérange. La vie nous a dérangé, à présent, c’est nous qui la dérangeront.

[Invité]

Oui, je me suis toujours demandé où se perd cette joie d'apprendre, de connaitre, d'éprouver, quelle poussière se dépose imperceptiblement...

J'ai été touchée par la justesse de ce

Alors nous avons grandi, dans ce demi-silence d’attente

et par l'amertume

La curiosité, qui est dans son rapport au monde une dialectique de joie, de poursuivre et mordre les objets sous nos canines enfantines, a peu à peu laissé place à un étrange dégout

Un très beau texte, Louis!, qui ressemble à un début de roman (?)

Deux bricoles au passage :

qu’au fond rien n'a changé,



Nous nous sommes dit

[Invité]

On dirait qu'il y a du changement, une évolution, une volonté de maîtriser l'écriture, de canaliser la pensée, de guider le fil. Ce ton mi-figue mi-raisin te va bien, la mélancolie te sied, surtout lorsqu'elle est accompagnée d'un sursaut de révolte final presque comme une menace, une promesse faite à soi-même.
A propos de mélancolie, je le dis ici, j'ai beaucoup beaucoup aimé ton dernier texte court, la sensualité retenue, la douceur qui en émanent ; là aussi cela colle bien à ton toi écrivant.

[Yoni Wolf]

Eh ben voilà ! Il fait des efforts le louis ! Il met du sens dans l'es-sence. Et ça fonctionne !
C'est le meilleur texte que j'ai pu lire de toi. Le plus maîtrisé, oui.
Sauf là:

"et parfois nous avons pleuré, parfois nous avons crié, parfois nous avons geint mais nous savions combien c'était inutile."

... là tu t'es un peu trop lâché. Retiens un peu la bride, assied-toi et prend le temps de canaliser tout ça, car je suis sûr que tu dois écrire en marchant, tellement ça coule à flot dans ta caboche. Alors après ça reste fortement adolescent, mais c'est ça qu'est bon ! Il vient de te pousser quelques poils. Ça gratte?

[Calvin]

[Yoni Wolf]

Haha ! très bon, ça !

[Invité]

Très touchée par ce texte.

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