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Mon enfer urbain

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Message  Frédéric M Mer 12 Oct 2011 - 11:00

A mesure que j’approche, mon pas se ralentit presque malgré moi. Les battements de mon cœur s’intensifient.
Dans quelques mètres, la réconfortante chaleur du soleil, la lumière du monde civilisé céderont la place aux ténèbres des enfers urbains.
Mentalement, je me prépare à affronter mon calvaire quotidien.

Dans un grognement mécanique, l’Escalator se met en marche dès que j’y ai posé le pied. Je me retourne et regarde les dernières lueurs de la ville disparaître, tandis que la langue métallique et râpeuse m’avale inexorablement.

Ingurgité, je demeure à proximité du gosier ; en contact avec le rai de clarté qui me relie à la surface. D’un coup d’œil circulaire, je jauge à la hâte les autres proies. Toutes semblent indifférentes et exemptes d’humanité. Des carcasses de chair dépourvues de sentiments, uniquement mues par leur instinct de conservation. Je peux me hasarder plus avant.

Je me dirige vers le bord du quai et me penche, scrutant les ténèbres, les oreilles en alerte. Après un moment, j’entends au loin le sifflement du serpent d’acier. Puis, surgissant du néant, les yeux de la vipère commencent à poindre au loin. Les robots sur le quai se mettent en branle silencieusement et se rapprochent de la voie comme un seul homme.
Le grincement s’intensifie. Le monstre métallique surgit du tunnel pour s’arrêter à mes pieds dans un vacarme aigu. Les portes s’ouvrent de concert. Des grappes humaines s’en échappent tandis que les autres zombies et moi-même nous hâtons de les remplacer.
Quand le quai s’est tari, les portes claquent et la bête se remet en marche.

J’ai gagné la première bataille. Mais l’issue de la guerre se joue quatre arrêts et dix-huit minutes plus loin.

La rame est presque vide.
Les têtes se relèvent brièvement à mon passage. Je ne semble représenter aucune menace ; elles retombent dans la foulée. Je connais ce rituel pour le pratiquer depuis peu.
Je fais encore quelques pas et m’assieds face à une jeune fille trop court vêtue. Des écouteurs vissés à ses oreilles émane une musique qu’elle n’est pas sensée partager. Elle relève la tête et m’offre un sourire furtif que je lui rends mécaniquement.
Je lui lance un bref regard bienveillant. Elle a l’air bien, cette gamine. innocente ; une pucelle de la vie.

Trois minutes plus tard, mon corps bascule tandis qu’un couinement annonce l’arrêt suivant. Il s’intensifie pour laisser place au silence en même temps que mon tronc revient à la verticale. Les portes s’ouvrent. Je me retourne et observe le quai à travers la vitre. Je croise le regard de quatre types marchant vers la première porte ouverte. Une seule idée me vient à l’esprit : « Pourvu qu’ils n’entrent pas dans ce compartiment ».

Un claquement, un grincement. C’est reparti.

La porte coulissante s’ouvre et j’ose à peine lever les yeux. Je sais que c’est eux. Leurs prunelles, aperçues furtivement, ne trompent pas : ce sont des prédateurs.

Ils s’approchent, groupés, forts de leur cohésion, dardant chacun d’entre nous avec l’espoir d’une réaction. Mais les autres pointent leurs mirettes sur le plancher. Leur cerveau archaïque crie au danger.
Irrités par l’immobilisme, ils s’en prennent à moi.
— Qu’est-ce que t’avais à nous regarder sur le quai ?
Je garde la tête basse et ne réponds pas. Je ne veux plus de ça. Profil bas.
Celui qui m’a invectivé vient à ma hauteur et réitère sa question plus durement en me bousculant. Sans relever le menton, je réponds d’un ton monocorde :
— Rien. Je ne vous regardais pas spécialement.
Sans le voir, je lui devine un sourire méprisant et victorieux. Il n’ira pas plus loin, je le sais. Il détourne la tête. Ça ne me plait pas. Lui et ses copains prennent place autour de la fille à la jupe courte. Elle a l’air agacé. Ses yeux me lancent un appel à l’aide que je feins de ne pas capter. Ça ne me regarde pas. Je ne la connais pas. Après tout, ce n’est peut-être qu’une petite salope. Pourquoi prendrais-je des risques pour elle ? Je considère les autres discrètement. Ils regardent toujours le sol, indifférents. Cela me conforte dans l’idée que je ne dois pas m’immiscer dans le sort de cette petite pétasse .
Des éclats de voix. Elle se défend. Les quatre sbires se montrent pressants. Dois-je intervenir ? Les autres, que font-ils ? Rien. Alors je ferai comme eux, la conscience tranquille.
Grincement, ralentissement. Tous se lèvent précipitamment et se pressent vers la porte coulissante. Clac. Je regarde le quai et vois les visages soulagés de ne plus être impliqués. Je suis certain que ce n’était même pas leur arrêt. Et moi, pauvre imbécile, je me retrouve seul. Seul face à une bande de sauvages et une jeune fille dont je suis le seul recours.

La rame accélère. L’un d’entre eux se retourne et me toise. Il a l’air satisfait : je ne semble présenter aucune entrave à leur plan. Il se lève toutefois et se dirige vers moi. Mon cœur s’accélère.
— Hé, toi !
Je lève doucement la tête.
Sans me quitter des yeux, il sort un objet de sa poche, le fait virevolter à deux centimètres de mon visage. Quand enfin il cesse de gesticuler, la pointe d’une lame de dix centimètres me pique la gorge.
— Ça t’intéresse ?
— Quoi ?
Il enfonce le couteau, juste assez pour que je ressente la douleur, mais pas plus.
— Tu vois pas qu’on est entre amis ? Tu vois pas que t’es de trop ?
Je ne pouvais rêver mieux. Ce type m’invite à foutre le camp ! Pourtant, à ma grande surprise, je ne saisis pas l’occasion. Je le défie du regard. La haine est réciproque. Ce n’est pas pour elle que je le fais, mais pour moi. Cette petite frappe m’a mis un couteau sur la gorge ! Il espérait quoi ?
— D’accord. Je me casse si vous la laissez partir avec moi.
Le type se retourne vers ses copains et ils éclatent de rire. Puis, me faisant de nouveau face, le regard plus dur :
— T’as pas bien compris, mec.
Plus vite qu’un éclair, la lame glisse sur ma gorge et je sens une chaleur visqueuse couler sur mon col.
— On te demande pas ton avis. Tu dégages !
Dans un réflexe, ma main se porte sur l’estafilade. C’est chaud, poisseux. Du sang. L’heure du bilan a sonné. Que pourrais-je faire de plus ? Je suis resté quand tous les autres ont fui, j’ai tenté de négocier. Je peux donc penser à mon salut sans redouter de ne pas pouvoir dormir cette nuit. Le train ralentit. C’est mon arrêt. Je lève les mains en signe de défaite et me dirige vers la porte. La fille hurle : « Non ! Ne me laissez pas ! S’il vous plait ! » Je ne me retourne pas. J’ai fait ce qu’il fallait. Les portes s’ouvrent et je me hâte de survivre.

Je fonce vers l’Escalator sans jeter un coup d’œil à la rame qui repart.
Qu’aurait fait cette petite pute il y a deux mois ? Serait-elle intervenue quand six barbares s’acharnaient sur moi ? Non, j’en suis sûr. Comme tous ceux présents, elle aurait regardé autre part pendant qu’il me fracassaient les côtes et que je crachais mes dents. Je n’avais rien à regretter. J’avais au moins tenté quelque chose alors que tous les autres s’étaient échappés à la première occasion.

Arrivé chez moi, j’inspecte la plaie dans le miroir. Juste une éraflure. Ça ne saigne déjà plus.
Machinalement, j’allume la télé et me verse une rasade de gin. Je me laisse tomber dans le fauteuil et ferme les yeux.
« Une adolescente violée dans le métro en plein après-midi. La jeune fille a été retrouvée inconsciente dans le wagon, les vêtements déchirés. Elle souffre d’une commotion cérébrale mais ses jours ne sont pas en danger », annonce la journaliste.
Je suis glacé d’effroi. Je hais ces petites merdes. Médiocrité incarnée. Même dans leur vice, ils n’ont pas les couilles d’aller jusqu’au bout. Ils auraient dû la tuer.
Quelle injustice ! De qui se souviendrait-elle ? De ses agresseurs et de moi. Moi qui ai tenté de la sauver. Elle va sans doute s’empresser de porter plainte pour non assistance à personne en danger. Pour elle, je ne vaux pas mieux que ceux qui l’ont battue et violée. Les pleutres qui se sont défilés sans même oser la regarder, eux ne seront jamais inquiétés.








Frédéric M

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Message  Lordstan Mer 12 Oct 2011 - 19:39

Waow.

Ce texte m'a touché. C'est tellement vrai, c'est quelque chose qui me révolte, qui révolte beaucoup de monde, mais on se sent aussi totalement impuissant ! Le tout est bien narré et plein d'émotions contradictoires. J'aime !
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Message  GERWAL Jeu 13 Oct 2011 - 6:36

Juste un fait divers... presque rien... une chronique de notre quotidien, à peine exagérée...
J'ai assez aimé l'inversion de valeurs entre la personnalisation de la rame de métro ("le sifflement du serpent d’acier..." "le monstre métallique surgit du tunnel...") et la déshumanisation des voyageurs ("des carcasses de chair dépourvues de sentiments..." "les robots sur le quai .../... se rapprochent de la voie comme un seul homme..."), qui laisse bien présager du déroulement de l'action...
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Message  Infinitive Jeu 13 Oct 2011 - 7:51

Bouh, sinistrement réel.
On se prend à se dire que soi même en pareil cas, et bien je ne sais pas...
Les mots sont justes même si quelques phrases me taquinent un peu.
Les déductions me paraissent un peu hatives : "Pour elle je ne vaux pas mieux..."j'aurais préféré un mot d'articulation : " pour elle, je ne vaux peut être pas mieux..." par exemple.
Le "Pourtant, à ma grande surprise, je ne saisis pas l'occasion." mériterait d'être étayé un peu. La phrase me gène.
J'aime ce jugement que le narrateur imprime aux autres, du mépris et de la colère.
Pour finalement sombrer à son tour dans l'inommable, la mort de l'enfant pour ne pas être accusé.
Un renvoi aux plus bas instincts de l'homme, pour sa survie.
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Message  Invité Jeu 13 Oct 2011 - 13:36

Bon, je vais me faire la voix de la discorde. Si je n'ai pas commenté ce texte plus tôt, c'est qu'il me dérange à plusieurs titres. D'abord, je n'ai pas aimé les descriptions du début façon Métropolis, impression purement subjective de déjà lu d'une part, de facilité d'autre part. En plus, d'entrée, et par le choix des expressions, du vocabulaire très marqué, le lecteur est forcé d'adopter le point du narrateur, et ça, ça me gêne.
Rien à dire sur la progression, elle est bonne, de même que l'auto-analyse de ses sentiments contradictoires par le narrateur, bien illustrés par le glissement dans l'expression.
Cela dit, je ne suis pas sûre, mais alors pas sûre du tout de souscrire au ton de la fin du texte (plus encore qu'au point de vue), il y a quelque chose de trop catégorique qui ne passe pas pour moi, qui correspond en fait à tout ce contre quoi je lutte au quotidien. Cela dit, je prends tout ça avec a pinch of salt , du recul, il ne s'agit, dieu merci que d'une fiction ! ;-)

Une question : pourquoi Escalator (qui comme chacun ne sait peut-être pas, est une attraction dans un parc quelque part aux USA, je crois). Le mot étant passé dans la langue courante, il n'a plus besoin de la majuscule (ou, le cas échéant, de l'italique).

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Message  Frédéric M Lun 17 Oct 2011 - 11:37

Bonjour à tous et merci pour vos commentaires.

La description du début est, je le reconnais avec quelques jours de recul, un peu trop longue et répétitive.
Je me rends compte également que j'aurais dû apporter plus de subtilité à la manière dont le narrateur perçoit la jeune fille. Mon but était de montrer que son appréciation d'elle est purement subjective, conditionnée uniquement par son égoïsme et un prétexte à se dédouaner de ses responsabilités.
Comme vous le dites, Easter : heureusement, il ne s'agit que de fiction dans le cas présent. Mais le lien entre fiction et réalité est parfois ténu et c'est cela qui angoisse.

Escalator est une marque d'escaliers mécaniques. C'est pour cela que j'ai utilisé une majuscule.

Frédéric M

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Message  Invité Lun 17 Oct 2011 - 14:36

Frédéric M a écrit:
Escalator est une marque d'escaliers mécaniques. C'est pour cela que j'ai utilisé une majuscule.
*Et donc, je réitère ma remarque : "Le mot étant passé dans la langue courante, il n'a plus besoin de la majuscule (ou, le cas échéant, de l'italique)."
:-)

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