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Tissage

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Message  Infinitive Mer 19 Oct 2011 - 5:55

Un extrait...


21 janvier 10 h 07

Bordée de machines, elle me la joue science-fiction. Trait cahotant sur l’écran noir. Son cœur. Merci mon dieu. Le drap lui voile la poitrine, son ventre est toujours une douce colline. Inspirer, expirer, inspirer, c’est bien ma belle. Rien n’a changé. Je pose ma main sur la sienne. Tiède et douce, l’index est pris dans une coque qui rythme son activité cardiaque. Pourquoi ils ne disent pas son cœur ?
Je n’avais pas senti mes larmes. Une infirmière moche m’a donné une boîte de mouchoirs en papier, une boîte à la con, qui vous fait un sourire en dégueulant des carrés duveteux. J’en ai pris plusieurs. Il en reste toujours un qui sort à moitié de la boîte. C’est agaçant.
« Il faut la laisser, monsieur, le chirurgien veut vous voir. »
Ça ne fait pas deux minutes. J’en ai passé au moins une avec les mouchoirs. Ça ne compte pas. L’infirmière moche me prend doucement le bras. On ne devrait mettre que des gens magnifiques dans ces lieux ou la vie hésite. Je vais le dire au chirurgien, c’est important.

21 janvier 10 h 12

Ils sont trois, debout. Le chirurgien me montre un siège. Sur son bureau, un grand sous-main en cuir. Les stylos sont parfaitement alignés. Le PC est allumé. Il tortille un trombone nerveusement.
« Activité cardiaque maintenue artificiellement… »
Il y a un insecte sur le bureau, il longe le sous-main.
« Plus d’activité cérébrale… »
C’est quoi ce putain d’insecte ? Ça vole non ? C’est plus petit et moins gras qu’une mouche.
« Situation critique, choix à faire. »
Un insecte en janvier c’est nul. Une blatte ? Non trop petit.
« L’enfant… »
Un bébé blatte ? Ça fait comment les mères blattes ? Ça pond et ça se casse ? Ça pond, les œufs se démerdent et ça se casse. Les œufs deviennent des bébés blattes. Ils se démerdent.
« Décision immédiate, nous sommes désolés, monsieur. »
Finalement la mère blatte, c’est juste une couveuse.
« Souffrance fœtale… »
La mère blatte ça se trouve, elle pond et elle meurt. Les éphémères font bien ça.
« Césarienne… »
Ça ne meurt pas, en hiver, les blattes ?
« Vous avez bien compris Monsieur ? Chaque minute compte. Cela fait 1h20 que son cœur est maintenu artificiellement. La prochaine attaque sera fatale à l’enfant. »
Je souris bêtement. L’enfant, j’avais oublié l’enfant. En fait je m’aperçois que je n’y ai jamais pensé vraiment. Je veux dire comme à une personne. Comme à quelque chose de vivant. C’était juste les couleurs qu’il mettait sur les joues de Julie. Son ventre tout rond, rigolo à s’étirer comme un ballon de baudruche. Ses seins devenus mammaires, sexy en diable. Ses fesses plus dodues creusées des petites vallées d’une légère cellulite. Son appétit sexuel, la coquine. Ses larmes et ses colères tumultueuses, ses courses aux pots de peinture et aux fringues pour rase moquette.
L’enfant ? Quel enfant. Moi j’attendais de le voir pour le croire, de l’entendre pour l’écouter. De le porter pour le sentir en moi. L’enfant, avant, il est à elle. En elle. Elle voulait que je le ressente, que je l'écoute. Sourire… J'ai fait comme si. Mais il est juste en elle. Mon cerveau n’a pas réussi à projeter une image. Même pas essayé à vrai dire. Je ne me sens pas coupable. La maternité c’est mécanique, ça s’applique la minute de conception. Comme une peinture spéciale femme. Reconnaissance en paternité. C’est l’instant où l’homme donne son nom. À cet instant précis, il décide de reconnaître son enfant. Merde ! Il le reconnaît. Avant il hésite et tâtonne. Dans le meilleur des cas, il niaise en accompagnant la mère. Il s’approprie comme il peut les timides palpitations ventrales d’un utérus distendu. Pas trop en retrait. Histoire de n’être pas trop largué. Pas trop en retrait. Assister à l’accouchement. Encore une drôle d’idée. Comment faire ensuite pour trouver à nouveau merveilleux et doux cette béance, cet espace torturé pendant de longues heures ? Déchiré.
« Monsieur, votre femme a perdu les eaux il y a presque 30 minutes. Nous ne pouvons plus attendre. Nous allons les perdre tous les deux. »
J’ai attrapé son poignet avec la fulgurance d’un serpent qui mord.
Enlevez-lui, enlevez-lui le bébé !
« Nous avons une chance, Monsieur, de sauver l’enfant. Pour votre amie, je veux dire votre compagne, l'accident de l'ambulance... Enfin je veux dire, une demi-heure plus tôt, nous aurions peut-être pu la sauver... Mais là... »
C’est ma femme ! Je ne l’ai pas épousée, mais c’est ma femme !
Une demi-heure... Une seconde sur le trottoir de la maison, puis cette vieille folle...
« Votre femme n’est plus là. Nous ne pourrons pas la maintenir très longtemps. Vous comprenez ? Son activité cérébrale est nulle. Son cœur bat, elle respire artificiellement. Mais elle n’est plus là. »

C’est une mère blatte.
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Message  Janis Mer 19 Oct 2011 - 8:55

J'aime surtout le premier paragraphe, 10h07

Ensuite, je pense qu'il faut un peu élaguer

par exemple, casser l'alternance un peu trop régulière pour moi de motsdudicr/insecte - j'aime bien l'idée de ce parallèle un peu inattendu (berk ! une blatte dans une maternité) !
Puis, je trouve, pas tout expliquer trop les sentiments du gars, rester dans ce temps qui s'étire, peut-être juste avec des images sans commentaire, comme dans le passage "l'enfant... rase-moquette", que je trouve réussi justement parce qu'il dit sans appuyer.

Et puis j'aime bien la fin aussi

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Message  elea Mer 19 Oct 2011 - 10:02

Beaucoup aimé les pensées du futur père dans le bureau, ces pensées qui s'attachent à l'insecte pour ne pas enregistrer ce qu'on est en train de lui annoncer mais dont le sujet et sa gravité l'atteint quand même, sournoisement.
Belle accroche aussi, j'aime beaucoup le début.
Ensuite certains passages sont un peu trop explicatifs, je crois qu'allusifs eut été mieux, pour se placer dans la peau du personnage au lieu d'être spectatrice de ses pensées et émotions. Comme à la fin, elle est parfaite pour moi parce qu'elle évoque les causes sans les décrire longuement. On imagine, on travaille un peu en lisant, tout n'arrive pas tout cuit.

Il y a une suite ?


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Message  Infinitive Mer 19 Oct 2011 - 10:20

Bonjour,

Merci de vos commentaires, en fait il s'agit d'un extrait. Un morceau pioché au milieu d'un roman...
Ceci explique sans doute vos ressentis à l'un comme à l'autre.
J'ai choisi volontairement cet extrait-là qui pouvait être posté comme une nouvelle.

Modération : je me permets de répondre de suite afin que la lecture soit plus claire pour les autres forumeurs qui pouraient s'attarder ici... Avec mes excuses.

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Message  Invité Mer 19 Oct 2011 - 13:31

Comme les copines, j'aime bien toute la première partie, jusqu'à "L’enfant ? Quel enfant." Je trouve ce passage dense et bavard, ça m'a ennuyée, j'aurais préféré que la réflexion soit plus fragmentaire plutôt que trop démonstrative, articulée. Je retrouve de l'intérêt à la fin, lorsque le personnage reprend contact avec la réalité.

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