Les souris ne meurent plus

[parcimonie]

Juste pour avoir vos avis... Merci par avance !

Les souris ne meurent plus.

Claude est mort. Lulu est en prison pour les jeunes. C’est de ma faute.
Maman est blanche. Ca veut dire qu’elle va bien. Quand elle n’a pas de couleurs, c’est que ça va bien.

*

Ca s’est passé il y a un mois. A la rentrée. Je dormais dans ma chambre. Claude était là. C’est l’ami de maman depuis que papa est parti. Il y a deux ans, papa s’est mis à préférer une autre dame avec les cheveux blonds. Elle sentait la menthe. Elle mâchait toujours quelque chose, du coup elle disait les mots dans des virages avec sa langue entortillée. Fallait remettre droit. A maman ça lui donnait la nausée. Dès qu’ils repartaient tous les deux, elle allait vomir aux toilettes.
J’aimais bien être dans les bras de papa, je volais. Maman pareil. Maintenant il ne revient plus jamais, et nous on reste sur terre. Il préfère ses enfants, ses nouveaux, Jude et Tom. Ils sont plus neufs, ils brillent plus. Maman dit qu’on a pas idée de donner des noms pareils à des enfants. Moi je trouve ça joli.

Depuis que papa ne vient plus, Claude a pris l’habitude d’être sur le canapé. Personne n’aime Claude. Mais quand il est là maman met de la couleur sur ses yeux.
Il vient et il s’en va. Mais ce soir-là il avait décidé de venir.
Mais il était tard. Je dormais dans ma chambre.
Maman a commencé à crier. C’est comme ça que je suis sortie de mes rêves. Mais je n’ai pas bougé. Je suis restée comme une planche dans mon lit. Maman m’avait dit de faire ça. Comme à la piscine pour pas couler.
Ca arrivait souvent. Les cris. Mais maman me disait que c’était du plaisir. Qu’il était tellement grand qu’il ne tenait pas dans son corps. Du coup elle criait. C’était toujours pareil. D’abord elle criait en bleu, et puis Claude criait plus fort et elle criait rouge, et ils criaient noir. Dans la nuit ça faisait peur. Mais cette nuit-là je n’ai pas allumé. Ils sont sortis de la chambre. Alors les meubles, la vaisselle et la maison se sont mis à crier eux-aussi. J’étais la seule qui ne disait rien. Mes os étaient glacés, je me suis bouché les oreilles. J’ai regardé les étoiles par le vasistas. Maman avait oublié de le fermer. Ca arrivait souvent quand Claude était là.

Et puis Claude est parti. Enfin, je n’ai entendu que la porte. Il l’a claquée si fort que la maison a eu peur et a tremblé. Claude lui faisait peur, toujours. Je me suis remise à écouter. J’ai rangé mes mains dans le lit. Et j’ai entendu maman. Elle pleurait. Ca arrivait souvent.

J’ai allumé. Je voulais voir quelles ratures il avait fait sur ses yeux cette fois-ci. Je me suis levée sans faire grincer mon lit. Je me suis arrêtée à la porte de ma chambre. Maman téléphonait à Annie. C’est sa copine, celle qu’elle appelle quand elle a fini d’être heureuse, quand elle commence à pleurer. Y’a qu’Annie qui sait le secret des nuits. Avec Lulu.
Annie fait toujours des longues phrases. Avec ça maman se sent mieux.
« Il a recommencé », maman appelle toujours pour raconter un nouveau début. Mais c’est toujours le même. En fait ça ne recommence pas, ça fait que continuer.
Annie allait lui répéter ça. Avec des phrases longues comme du papier crépon.
Quand maman finit ces conversations, quand elle va raccrocher, elle répète deux fois, « t’as raison faut que je le quitte ». Là elle commence le tic tic.

Cette fois-ci Annie n’a pas su et maman n’a rien dit. Je suis retournée dans mon lit. Maman ne voulait jamais de moi après Claude. Elle avait ses yeux en marmelade et elle disait « Retourne te coucher » avec sa voix grise.
Je me suis mise à compter les poils de mes bras pour dormir. Maman dit que ça marche mieux que les moutons.

Le matin je me suis réveillée et je suis allée déjeuner. Rien n’était prêt. J’entendais le tic tic dans la salle de bain. Ca faisait comme des pointillés dans l’air.
J’y suis allée.
Maman était assise sur le bord de la baignoire. Elle avait déjà un peu de couleurs. Du rouge sur les joues, du bleu et du jaune sur les bras et les jambes. Elle avait les yeux plus loin. Elle faisait tic tic avec sa bague le long du lavabo. Comme à chaque fois.
-Pourquoi tu comptes le temps avec ta bague ?
Elle n’a pas répondu.

Alors j’ai pris le téléphone de la cuisine en cachette et j’ai appelé Lulu. Elle habite plus loin depuis qu’elle a son permis. Elle préfère venir que rester.
Je lui ai raconté en parlant tout doucement. Elle a juste dit Le salaud. Elle disait souvent le salaud, il a recommencé.
Je lui ai dit, si ça se peut c’est ma faute. J’ai fait devenir rose sa chemise blanche. J’ai appuyé sur le bouton 3, maman m’avait dit le 2, mais j’ai oublié. Lulu m’a dit que c’était pas ça, qu’il s’en foutait de ses chemises. Je suis pas si sûre.

Lulu est venue. Elle est allée dans la salle de bain. Elle s’est assise sur les toilettes et elle a fait parler maman. Lulu fait des phrases toutes courtes comme des legos, pas comme Annie. Elle a demandé « Pourquoi ? », maman a juste répondu « C’est le seul qui veut de moi ». Lulu a dit mais non bien sûr que non, et elle a appelé l’hôpital qui est venu chercher maman.
C’était déjà arrivé avant, quelques fois. Maman revenait après avec des pommades et des bouts de bras ou de jambe mis en sarcophage par les docteurs.

Lulu est revenue de l’hôpital pour s’occuper de moi. Elle m’a dit qu’elle allait rester quelques jours, parce que le salaud avait bousillé maman.
Elle m’a fait à manger, on a joué un peu mais on pensait toujours à maman. On a donné à manger aux poissons et on est allées dans le garage pour chercher les souris mortes. C’est à cause du silo à grains à côté, qu’on a toujours des souris. Lulu a remis du grain bleu par terre dans un nouvel endroit, car les souris aiment bien que ça change, pour pas toujours mourir au même endroit. Elle en a mis près de la porte. J’ai demandé à Lulu : « Est-ce qu’ils font les mêmes pour les hommes ? »
Elle m’a juste regardée.


Depuis les souris ne meurent plus.

Maman dit qu’on va s’acheter un chat. Pour quand Lulu reviendra.

[Invité]

J'ai été bien prise par cette histoire. Le ton me paraît très juste (toujours difficile de prendre un narrateur enfant), il y a d'excellentes images :
"elle disait les mots dans des virages avec sa langue entortillée", "des phrases longues comme du papier crépon", "des phrases toutes courtes comme des legos" ; cette manière de qualifier les différents discours m'a bluffée !

Bonne histoire, même si ordinaire, racontée de manière émouvante, en frôlant le pathos parfois mais sans jamais s'appesantir, me semble-t-il. Pour moi c'est une réussite !

[mentor]

histoire qui se reboucle en relisant la première phrase...
c'est très dur mais aussi très beau
bravo pour la justesse du ton, les pensées de l'enfant sont bien rendues et ses comparaisons (comme des légos, comme des sarcophages) sonnent naturel
belle écriture, très soignée à tous niveaux
merci

[Evanescent]

Très beau. C'est vrai que c'est impressionnant de réussir à avoir un ton aussi juste avec un narrateur enfant.
C'est aussi lourd que léger. Très réussi.

[patineuse62]

C'est vraiment chouette, et en même temps, c'est vraiment triste, triste pour le petit enfant. C'est vraiment bien écrit.

[apoutsiak]

.

Extra. Au départ, on pourrait se dire que l'histoire est banale, femme seule, amant abusif, mais vue à travers les yeux de la gamine, tissée avec une fine trame, avec cette manière subtile de camper les personnages (quand elle n'a pas de couleurs... maman pareil... comme une planche... ils brillent plus, etc.), dont une mention spéciale pour les copines au téléphone. Trés réussi, vraiment, jusqu'à la chute.

.

[Invité]

Sur un sujet douloureux et difficile à traiter, tu nous offres un texte remarquable de sensiblité et de finesse, où la souffrance est là, bien là, étouffante, mais comme tenue à distance par ton écriture à fleur de mot et qui dit tout sans le nommer. Il ya là des phrases qui véhiculent tout une histoire en l'espace de quelques mots, par ex, au hasard :

Elle préfère venir que rester.

C'est un très très bon texte, très réussi, qui a su trouver le ton juste et toucher le lecteur droit au coeur. Bravo, vraiment.

[claude]

je ne peux pas faire autrement que commenter celui-là.
ne t'inquiète pas, je viens en ami.
pas facile de tenir la distance dans un langage de composition. quand ça marche, c'est de la poésie.
beaucoup de belles choses dans ton texte.
j'en note une :

J’entendais le tic tic dans la salle de bain. Ca faisait comme des pointillés dans l’air.

[Kilis]

Un texte très réussi pour un sujet vraiment difficile. Tu évites subtilement le pathos. Il y a beaucoup de belles trouvailles comme celle citée par Claude ci-dessus.
Ton écriture m'a fait penser à "Extrêmement fort et incroyablement près" de Jonathan Safran Foer.

[Arielle]

la souffrance est là, bien là, étouffante, mais comme tenue à distance par ton écriture à fleur de mot .

Je ne saurais pas dire mieux pour qualifier la justesse du ton que tu as su donner à cette histoire casse-gueule.

[Lucy]

Lu il a quelques minutes ou heures, je ne sais plus. Je ne sais quoi écrire qui ne soit en dessous. De ton histoire, magnifique. Du ton employé, d'une telle justesse. De cette chute mise en exergue.
Vraiment, j'ai aimé de bout en bout ton récit que je viendrai relire à l'envie.
Gros coup de coeur !

[Oeildenuit]

Idem, je sais pas quoi dire d'autre ^^

[Marco]

Comme souvent, j'ai lu 2 fois ce texte. J'ai bien fait car je n'avais pas remarqué la phrase "les souris n'aiment pas mourir toujours au même endroit". Je trouve que la cruauté froide des enfants est très bien rendue par le style court et lapidaire - même s'il m'a un peu lassé par moments.

J'ai adoré les images : des phrases courtes comme des légo, longues comme du papier crépon, des enfants plus brillants, plus neufs...

[parcimonie]

Merci pour tous vos commentaires.
Merci Marco... J'espérais qu'on en dise quelque mal, quelques pistes d'amélioration, je l'avais mis sur ce site où les commentaires me semblent emprunts de franchise, et j'étais déçue de ne lire que des critiques positives.
Comme d'habitude je ne l'aime pas mon texte, et comme d'habitude je ne comprends pas comment il peut plaire.
C'est peut-être un moindre mal.

[bertrand-môgendre]

Tu veux des avis ? Voici le mien.
Je n'aime pas...
... les personnes qui tuent les souris. Heureusement, tu te rattrapes en donnant du travail à un prochain chat. Ouf. Voilà pour le sujet principal du texte.
Sinon l'histoire de cette gamine qui parle, qui parle et qui parle et qui raconte des histoires à ne plus finir, sur sa mère, son père, son beau-père. Ça ne peut pas exister tout ça...
... Si ? Ah bon. Alors, c'est bien raconté mon enfant. Si bien que tiens, je vais la relire pour mieux écouter les enfants qui tiennent dans mes bras, le temps d'une rencontre. Parents, je vous le redis : vous n'êtes pas seuls au monde.

Un mot encore : bravo.

[Charles]

beaucoup aimé également. tu évites bien l'écueil "larmoyant" en restant dans un discours assez neutre, la petite observe, détaille mais n'exprime pas directement sa tristesse.

pas trop compris les deux phrases d'entète "claude est mort ..." ou alors cela voudrait dire que ce texte fait partie de quelque chose de plus long, qu'après ce texte, tu racontes le pourquoi de la prison de Lulu ... ?

si c'est une partie de quelque chose de plus long, essaie peut être de ménager quelques sourires, quelques moments de joie, quitte à raconter quelques bribes du passé avec son père, sa mère ... parce que sans ça, ça risque d'être un peu trop "lourd" à lire.

[parcimonie]

pas trop compris les deux phrases d'entête "claude est mort ..." ou alors cela voudrait dire que ce texte fait partie de quelque chose de plus long, qu'après ce texte, tu racontes le pourquoi de la prison de Lulu ... ?

Euh... Le fait que mon texte ne soit pas compréhensible figure pour moi la plus grande des critiques ! Merci Charles pour celle-là.
Non, le texte est bien ici dans sa globalité. Pour répondre à ton interrogation, Claude est mort car tué (par moyen de mort-aux-rats) par Lulu qui de ce fait est en prison...
Est-ce vraiment non compréhensible en l'état ? Si c'est le cas il faut que je m'attèle à revoir certains passages pour rendre le fil plus visible. Je serais intéressée d'avoir ton avis pour, le cas échéant, revoir.

[kazar]

Ton histoire touche à un sujet profond, un de ceux qui font mal à lire.

Je dois t'avouer que la forme m'a usé.
Oui, c'est pensé et vécu par un enfant mais je le trouve trop détaché. Enfin, si je devais incarner le narrateur, je le verrais terne, l'intonation dégringolante. C'est probablement voulu mais là, je décroche. Ca fait très diapositives enclenchées à la suite, sans réelle appropriation des images.

Il y a pas mal de belles idées (les pointillés dans l'air, les souris qui ne veulent pas toujours mourir au même endroit) qui donnent toute leur force à cette poésie enfantine. Très joli.

J'ai bien compris Lulu.

Bon, voilà. :-)

[Charles]

pas trop compris les deux phrases d'entête "claude est mort ..." ou alors cela voudrait dire que ce texte fait partie de quelque chose de plus long, qu'après ce texte, tu racontes le pourquoi de la prison de Lulu ... ?

Euh... Le fait que mon texte ne soit pas compréhensible figure pour moi la plus grande des critiques ! Merci Charles pour celle-là.
Non, le texte est bien ici dans sa globalité. Pour répondre à ton interrogation, Claude est mort car tué (par moyen de mort-aux-rats) par Lulu qui de ce fait est en prison...
Est-ce vraiment non compréhensible en l'état ? Si c'est le cas il faut que je m'attèle à revoir certains passages pour rendre le fil plus visible. Je serais intéressée d'avoir ton avis pour, le cas échéant, revoir.

Ah ben maintenant que tu me le dis, j'ai pigé ! j'avoue que j'avais pas fait le lien entre la phrase du début et la "suggestion" de la fin. Je n'avais pas pigé que Lulu avait utilisé la mort aux rats ....

probablement pas un problème de ton texte, probablement un manque d'attention de ma part ! désolé ;-)

[maniak']

Excellent, sobre, bien écrit,... prenant. J'aime beaucoup.

Tu devrais peut-être en remettre une petite couche pour Lulu et la prison. ce n'est pas forcément clair à la première lecture.

[Invité]

Ce n'est pourtant pas tellement difficile à comprendre... il faut juste garder en mémoire l'info du début et la raccorder à la fin, la gymnastique est faisable, pas eu de difficulté, pourtant je ne suis plus trop souple ...

[Nath]

Que c'est beau, et triste!

[Evanescent]

J'ai dû le lire deux fois pour raccorder les deux phrases du début à la fin du texte mais c'est très faisable.
J'aime bien cette manière de conclure au début.

[grieg]

ton écriture, ton texte sont discrètement talentueux.
c'est si rare.
c'est un plaisir.
que tu n'en sois pas satisfaites, c'est normal - et je m'en fous, parce que les meilleurs ne sont jamais satisfaits.

rien de constructif, donc.
Tu te débrouilles.
Mais, surtout, n'oublie pas de continuer à nous envoyer tes créations ratées.

[parcimonie]

C'est dingue comme souvent, je trouve bien davantage de talent d'écriture dans les commentaires que dans le texte qui les précède...
Merci à tous en tout cas.

[roro]

Est-ce vraiment non compréhensible en l'état ?

En fait il faut relire pour comprendre le texte. Mais quand on relit c'est clair comme l'eau de roche!

Beau texte, écrit de manière simple et agréable à lire. Va droit à l'essentiel...

[Sahkti]

Parcimonie, il faut arrêter de te diminuer (enfin tes textes) de la sorte parce que vraiment, il n'y a aucune raison!
Ce texte est un petit bijou du subtilité et de sobriété. Tant de noirceur à travers le regard d'une enfant qui raconte avec ses mots, naïfs et lucides à la fois, doux et cruels. Tu as restitué tant la justesse du ton que les émotions. J'ai beaucoup aimé.

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