MOT-US
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MOT-US
Grande banlieue de l’ouest parisien. Ville réinvestie par les cadres supérieurs et les professions libérales. Un symbole du rêve américain à la française.
Christine tenait à ce que nos enfants puissent s’ébattre en toute sécurité sur la pelouse d’un petit jardin clos, alors nous avons acheté une maison. Juste avant le début de la flambée des prix de la pierre et du lopin de terre. Entre voisins, on s’en félicite. C’est d’ailleurs là l’essentiel de nos conversations : nos maisons. La nôtre est modeste, mais possède un certain cachet. Nous n’avons fini de la payer, ni de la restaurer, mais dans une maison on n’a jamais fini, pas vrai ? Elle est très mal isolée, mais c’est le problème des vieilles baraques, n’est-ce pas ?
Nous sommes d’une normalité à mettre les écarts-types dans la moyenne. Nous vivons dans le cliché de la petite réussite d’une famille de français moyens tendant vers la tranche supérieure. Pour les quotas socioprofessionnels de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, notre foyer est un étalon et du bain béni pour les panels des sociétés de Marketing.
Aussitôt après son premier accouchement, Christine m’a persuadé que trois enfants était le bon nombre pour une fratrie et les faire coup sur coup nous débarrasserait de la corvée des gestations. Nous. Car chez nous, les enfants se font, s’accouchent et s’éduquent conjointement. Après la naissance du troisième, comme planifié : stérilet ! Avec ma femme, les côtés sont égaux et les angles droits. Avec Christine, j’ai trouvé une direction.
Samedi matin. Le printemps a mis plein de petits bougeons sur les branches de nos arbres fruitiers. Je rêvasse au milieu des semis. D’un coup, au-dessus de notre muret mitoyen, le plus communicant de mes voisins surgit et me fait sursauter :
- Bonjour Bertrand ! Tu sais que je t’admire...
Un de ces jours, à cet endroit je planterai des piques et herses qui s’activent au mouvement.
- Tous les ans tu passes un temps incroyable à t’occuper de ton potager pour becter trois malheureux légumes de ton jardin…
Hormis un coup de sécateur dans le bide, plus rien ne l’arrêtera.
- J’aimerais avoir une passion, ou rien qu’un passe-temps…
Derrière les rideaux Laura Ashley des fenêtres de notre salon, la silhouette de Christine repassant notre petit linge de maison ne m’est d’aucun secours. Par chance, il est onze heures quarante. D’une minute à l’autre, mes enfants vont rentrer de l’école et me délivrer de M. Moud-du-mot.
- …en deux mois, j’ai fait la culbute. Moi, quoi que je sème, je récolte des patates…
Il rit grossièrement. Il est son meilleur public.
- Rien que sur ma baraque… je pourrais la vendre trois fois le prix que je l’ai achetée…
- Pois chiche !
- Quoi ?
- Je vais semer des pois chiches !
- Moi les pois chiches, ça me fait…
Mon portail grince sur ses gonds.
- On en reparle…, ai-je juste le temps de le couper alors que déjà je vais au devant de mes enfants qui courent vers moi.
Jules a neuf ans, Marie huit et demi, et Lucy huit. Quand on fait des enfants à la queue leu leu, il y en a toujours deux qui ont le même âge, et les « demi » prennent toute leur importance.
Nous retrouvons leur mère, bien à l’abri dans sa bulle immobilière.
Trois enfants, six bisous, neuf syllabes :
- Ç’a été l’école ce matin ?
- Oui !
Mes enfants regagnent leurs chambres alors que j’entame l’épluchage des pommes de terre pour notre déjeuner et la conversation.
- Depuis quelques temps, j’ai très envie d’écrire. Des phrases me traversent l’esprit, mais j’ai l’impression d’avoir perdu la méthode pour les saisir.
- Tu dois être un peu rouillé, mais l’écriture c’est comme la bicyclette… tiens mais j’y pense pourquoi tu ne t’inscris à un atelier d’écriture ?
- …
- Ou sur un forum ? Je suis sûre que tu aurais beaucoup de succès sur un forum d’écriture.
Christine prépare la sauce pour la salade et je taille des tranches de lard dans les patates d’un air faussement détaché.
- Peut-être ! Paul m’en a déjà parlé.
- Paul ?
- Paul Devalier…
Jules déboule.
- Hypra-cool ! Des frites ! Alors les remp’, la patate ?
Nous mélangeons des gestes, mon fils et moi, façon gang US. Pour rester « Hypra-cool », je me suis mis au diapason des trucs de « djeunsses », même si je n’en capte pas la moitié et m’embrouille les crayons. Jules est fasciné par les racailles des cités. Je n’ai pas tenté de m’interposer. Au contraire, je m’en amuse avec lui. Christine reste hermétique à notre mode de communication urbain destroy.
Tandis qu’elle sort nos steaks du frigo, je sens enfler sa désapprobation.
- Okay fils ! Pour une fois tu ne veux pas qu’on devise comme des gens civilisés avant que nos papilles ne se pâment ?
- Qu’on devise ‘pa ? Tu veux qu’on change de la monnaie ?
C’est à son tour de se sentir largué dans ce vocabulaire codé par un gang de bourges.
- Tu ne sais pas ce que ça veux dire deviser ?
- Ç’a un rapport avec « viser »?
- Pas vraiment. C’est parler gentiment avec quelqu’un. Et une devise tu sais ce que c’est ?
- Ça oui, ‘pa, c’est une monnaie étrangère.
- Oui, mais il y a aussi un autre sens au mot « devise ». Tu le connais ?
Jules se creuse la tête pour me faire plaisir, mais à ses petits coups d’œil de côté, je comprends qu’il pioche dans vide.
- Tu sais ce que c’est un adage ?
- Non !
- Une maxime ?
- Non !
- Un proverbe ?
- Ah ça oui, c’est quelqu’un dont le métier est d’être professionnel dans la conjugaison des verbes.
De la loggia, Christine éclate de rire en jetant les frites dans l’huile bouillante alors que du point de vue de notre cuisine américaine la situation m’apparaît soudainement dans toute sa gravité. Quelque chose m’aurait-il échappé dans l’éducation littéraire de mon fils ? Durant toutes ces années avais-je été présent sans être vraiment là ? Ou avais-je été trop las pour être vraiment présent ? Dans une société régie par le fric à laquelle je participais activement, le seul sens du mot « devise » retenu par mon fils était monétaire.
- C’est pas ça, ‘pa ?
Quand l’argent est roi, la devise est monnaie.
- On en reparlera plus tard. Va chercher tes sœurs, on passe à table.
Je mets la poêle à chauffer à feu vif pour faire cuire les steaks de bœuf (la boucherie chevaline est interdite de séjour dans la religion de mes enfants).
- Tu crois que c’est normal qu’à son age il ne connaisse pas le sens de tous ces mots ?
- Il faudrait poser la question à ses copains !
Vingt-cinq pourcent de ma vie se sont écoulés depuis le premier test de grossesse positif de ma femme et je suis totalement assujetti au conformisme de la classe sociale à laquelle j’appartiens. Pour m’en affranchir durant le déjeuner, je descends une bouteille d’un petit bordeaux très correct. Cela fait longtemps que je n’ai pas sifflé une boutanche au déjeuner.
Il est l’heure d’emmener les enfants au centre équestre comme tous les samedis après-midi. Je m’ébroue et prétexte du bricolage pour esquiver la corvée de canassons. Lucy, notre petite dernière, est avide d’explication et en réclame une.
- Maman, pourquoi papa, il vient pas avec nous ?
- Je crois qu’il a un peu trop bu à midi.
- T’es soul papa ?
- Mais non ma puce !
- C’est rigolo d’être soul, papa ?
- C’est plus rigolo d’être soul que d’être sans le sou !
- T’es sou comme un euro, papa.
- Oui, ma puce, en quelque sorte. Je suis soul comme un bien heureux.
Lucy est comme moi, elle aime jouer avec les mots et me fait chaud au cœur.
Avant de monter dans notre véhicule familial, Christine se tape sur le front au sens figuré.
- Au fait, chéri, j’ai oublié de te dire, il y a une fuite qui vient du toit et qui dégouline le long de la cheminée.
- Christine, pas devant les enfants !
Ma femme reste interloquée, la bouche entrouverte, et je ne peux m’empêcher de la trouver adorable.
- Une fuite qui vient de moi et qui coule le long de ta cheminée…
Elle m’accorde un sourire indulgent et trouve la sortie.
- En tout cas, c’est une tuile ! Hein, mon chéri ! Alors, tu pourras t’en occuper ?
Mais oui que je vais m’en occuper, mais franchement, est-ce bien le moment ? N’ai-je pas donné depuis quelques semaines plusieurs signes avant-coureurs de lassitude ? Ne lui ai-je pas fait comprendre que j’avais besoin de répit dans cette vie trop parfaite ? Qu’à défaut de foyers infectieux, mes anti-corps pour s’occuper ont développé des allergies et qu’aujourd’hui j’éternue ?
Le rappel de ce souci domestique qui pouvait attendre les jours ouvrables pour être abordé eut sur moi l’effet d’une secousse psychique de niveau sept sur l’échelle d’Overall et Gorham.
Je vois disparaître notre monospace, ma femme et mes enfants, à l’angle de notre rue, avec un plaisir très bien assumé.
Je me fais couler un bain de cognac dans un verre Napoléon III et d’un pas alourdi par une digestion difficile, me rends dans mon abri de jardin pour faire le point.
Mon voisin me gonfle à chaque fois que je mets le nez dehors et prie pour qu’il ne m’ait pas vu traverser mon carré avec un verre à la main. Mes derniers semis n’ont pas germé. Mes tuiles ne sont pas étanches. Mon fils fréquente une école publique où la lecture est considérée par ses copains comme un aveu de faiblesse réservé aux filles, ou à la rigueur aux slameurs. Je me fais pour mes filles un début d’ulcère. Ma femme m’aime comme un élément de son environnement et m’intègre comme une variable stable dans sa vie. Je n’ai pas vomi dans mon lavabo ce matin, contrairement aux autres jours de la semaine. Vraisemblablement, je ne vomirai pas demain, mais vomirai de lundi à vendredi prochain. Il devient urgent que je prenne un médicament pour m’aider à supporter mon job.
Entre manches de pelle et de griffe, de fourche et de pioche, de chinois et de râteau et de tout un bric-à-brac d’outillage divers, sur un vieux canapé en osier recouvert d’une mousse moisie, je pense à ce qu’aurait pu être ma devise : « La raison du confort est la raison du plus fort ». Puis je trouve ce que je vais dire à mon fils à son retour du centre équestre : une devise, c’est quand quelqu’un se paie de mots !
Christine tenait à ce que nos enfants puissent s’ébattre en toute sécurité sur la pelouse d’un petit jardin clos, alors nous avons acheté une maison. Juste avant le début de la flambée des prix de la pierre et du lopin de terre. Entre voisins, on s’en félicite. C’est d’ailleurs là l’essentiel de nos conversations : nos maisons. La nôtre est modeste, mais possède un certain cachet. Nous n’avons fini de la payer, ni de la restaurer, mais dans une maison on n’a jamais fini, pas vrai ? Elle est très mal isolée, mais c’est le problème des vieilles baraques, n’est-ce pas ?
Nous sommes d’une normalité à mettre les écarts-types dans la moyenne. Nous vivons dans le cliché de la petite réussite d’une famille de français moyens tendant vers la tranche supérieure. Pour les quotas socioprofessionnels de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, notre foyer est un étalon et du bain béni pour les panels des sociétés de Marketing.
Aussitôt après son premier accouchement, Christine m’a persuadé que trois enfants était le bon nombre pour une fratrie et les faire coup sur coup nous débarrasserait de la corvée des gestations. Nous. Car chez nous, les enfants se font, s’accouchent et s’éduquent conjointement. Après la naissance du troisième, comme planifié : stérilet ! Avec ma femme, les côtés sont égaux et les angles droits. Avec Christine, j’ai trouvé une direction.
Samedi matin. Le printemps a mis plein de petits bougeons sur les branches de nos arbres fruitiers. Je rêvasse au milieu des semis. D’un coup, au-dessus de notre muret mitoyen, le plus communicant de mes voisins surgit et me fait sursauter :
- Bonjour Bertrand ! Tu sais que je t’admire...
Un de ces jours, à cet endroit je planterai des piques et herses qui s’activent au mouvement.
- Tous les ans tu passes un temps incroyable à t’occuper de ton potager pour becter trois malheureux légumes de ton jardin…
Hormis un coup de sécateur dans le bide, plus rien ne l’arrêtera.
- J’aimerais avoir une passion, ou rien qu’un passe-temps…
Derrière les rideaux Laura Ashley des fenêtres de notre salon, la silhouette de Christine repassant notre petit linge de maison ne m’est d’aucun secours. Par chance, il est onze heures quarante. D’une minute à l’autre, mes enfants vont rentrer de l’école et me délivrer de M. Moud-du-mot.
- …en deux mois, j’ai fait la culbute. Moi, quoi que je sème, je récolte des patates…
Il rit grossièrement. Il est son meilleur public.
- Rien que sur ma baraque… je pourrais la vendre trois fois le prix que je l’ai achetée…
- Pois chiche !
- Quoi ?
- Je vais semer des pois chiches !
- Moi les pois chiches, ça me fait…
Mon portail grince sur ses gonds.
- On en reparle…, ai-je juste le temps de le couper alors que déjà je vais au devant de mes enfants qui courent vers moi.
Jules a neuf ans, Marie huit et demi, et Lucy huit. Quand on fait des enfants à la queue leu leu, il y en a toujours deux qui ont le même âge, et les « demi » prennent toute leur importance.
Nous retrouvons leur mère, bien à l’abri dans sa bulle immobilière.
Trois enfants, six bisous, neuf syllabes :
- Ç’a été l’école ce matin ?
- Oui !
Mes enfants regagnent leurs chambres alors que j’entame l’épluchage des pommes de terre pour notre déjeuner et la conversation.
- Depuis quelques temps, j’ai très envie d’écrire. Des phrases me traversent l’esprit, mais j’ai l’impression d’avoir perdu la méthode pour les saisir.
- Tu dois être un peu rouillé, mais l’écriture c’est comme la bicyclette… tiens mais j’y pense pourquoi tu ne t’inscris à un atelier d’écriture ?
- …
- Ou sur un forum ? Je suis sûre que tu aurais beaucoup de succès sur un forum d’écriture.
Christine prépare la sauce pour la salade et je taille des tranches de lard dans les patates d’un air faussement détaché.
- Peut-être ! Paul m’en a déjà parlé.
- Paul ?
- Paul Devalier…
Jules déboule.
- Hypra-cool ! Des frites ! Alors les remp’, la patate ?
Nous mélangeons des gestes, mon fils et moi, façon gang US. Pour rester « Hypra-cool », je me suis mis au diapason des trucs de « djeunsses », même si je n’en capte pas la moitié et m’embrouille les crayons. Jules est fasciné par les racailles des cités. Je n’ai pas tenté de m’interposer. Au contraire, je m’en amuse avec lui. Christine reste hermétique à notre mode de communication urbain destroy.
Tandis qu’elle sort nos steaks du frigo, je sens enfler sa désapprobation.
- Okay fils ! Pour une fois tu ne veux pas qu’on devise comme des gens civilisés avant que nos papilles ne se pâment ?
- Qu’on devise ‘pa ? Tu veux qu’on change de la monnaie ?
C’est à son tour de se sentir largué dans ce vocabulaire codé par un gang de bourges.
- Tu ne sais pas ce que ça veux dire deviser ?
- Ç’a un rapport avec « viser »?
- Pas vraiment. C’est parler gentiment avec quelqu’un. Et une devise tu sais ce que c’est ?
- Ça oui, ‘pa, c’est une monnaie étrangère.
- Oui, mais il y a aussi un autre sens au mot « devise ». Tu le connais ?
Jules se creuse la tête pour me faire plaisir, mais à ses petits coups d’œil de côté, je comprends qu’il pioche dans vide.
- Tu sais ce que c’est un adage ?
- Non !
- Une maxime ?
- Non !
- Un proverbe ?
- Ah ça oui, c’est quelqu’un dont le métier est d’être professionnel dans la conjugaison des verbes.
De la loggia, Christine éclate de rire en jetant les frites dans l’huile bouillante alors que du point de vue de notre cuisine américaine la situation m’apparaît soudainement dans toute sa gravité. Quelque chose m’aurait-il échappé dans l’éducation littéraire de mon fils ? Durant toutes ces années avais-je été présent sans être vraiment là ? Ou avais-je été trop las pour être vraiment présent ? Dans une société régie par le fric à laquelle je participais activement, le seul sens du mot « devise » retenu par mon fils était monétaire.
- C’est pas ça, ‘pa ?
Quand l’argent est roi, la devise est monnaie.
- On en reparlera plus tard. Va chercher tes sœurs, on passe à table.
Je mets la poêle à chauffer à feu vif pour faire cuire les steaks de bœuf (la boucherie chevaline est interdite de séjour dans la religion de mes enfants).
- Tu crois que c’est normal qu’à son age il ne connaisse pas le sens de tous ces mots ?
- Il faudrait poser la question à ses copains !
Vingt-cinq pourcent de ma vie se sont écoulés depuis le premier test de grossesse positif de ma femme et je suis totalement assujetti au conformisme de la classe sociale à laquelle j’appartiens. Pour m’en affranchir durant le déjeuner, je descends une bouteille d’un petit bordeaux très correct. Cela fait longtemps que je n’ai pas sifflé une boutanche au déjeuner.
Il est l’heure d’emmener les enfants au centre équestre comme tous les samedis après-midi. Je m’ébroue et prétexte du bricolage pour esquiver la corvée de canassons. Lucy, notre petite dernière, est avide d’explication et en réclame une.
- Maman, pourquoi papa, il vient pas avec nous ?
- Je crois qu’il a un peu trop bu à midi.
- T’es soul papa ?
- Mais non ma puce !
- C’est rigolo d’être soul, papa ?
- C’est plus rigolo d’être soul que d’être sans le sou !
- T’es sou comme un euro, papa.
- Oui, ma puce, en quelque sorte. Je suis soul comme un bien heureux.
Lucy est comme moi, elle aime jouer avec les mots et me fait chaud au cœur.
Avant de monter dans notre véhicule familial, Christine se tape sur le front au sens figuré.
- Au fait, chéri, j’ai oublié de te dire, il y a une fuite qui vient du toit et qui dégouline le long de la cheminée.
- Christine, pas devant les enfants !
Ma femme reste interloquée, la bouche entrouverte, et je ne peux m’empêcher de la trouver adorable.
- Une fuite qui vient de moi et qui coule le long de ta cheminée…
Elle m’accorde un sourire indulgent et trouve la sortie.
- En tout cas, c’est une tuile ! Hein, mon chéri ! Alors, tu pourras t’en occuper ?
Mais oui que je vais m’en occuper, mais franchement, est-ce bien le moment ? N’ai-je pas donné depuis quelques semaines plusieurs signes avant-coureurs de lassitude ? Ne lui ai-je pas fait comprendre que j’avais besoin de répit dans cette vie trop parfaite ? Qu’à défaut de foyers infectieux, mes anti-corps pour s’occuper ont développé des allergies et qu’aujourd’hui j’éternue ?
Le rappel de ce souci domestique qui pouvait attendre les jours ouvrables pour être abordé eut sur moi l’effet d’une secousse psychique de niveau sept sur l’échelle d’Overall et Gorham.
Je vois disparaître notre monospace, ma femme et mes enfants, à l’angle de notre rue, avec un plaisir très bien assumé.
Je me fais couler un bain de cognac dans un verre Napoléon III et d’un pas alourdi par une digestion difficile, me rends dans mon abri de jardin pour faire le point.
Mon voisin me gonfle à chaque fois que je mets le nez dehors et prie pour qu’il ne m’ait pas vu traverser mon carré avec un verre à la main. Mes derniers semis n’ont pas germé. Mes tuiles ne sont pas étanches. Mon fils fréquente une école publique où la lecture est considérée par ses copains comme un aveu de faiblesse réservé aux filles, ou à la rigueur aux slameurs. Je me fais pour mes filles un début d’ulcère. Ma femme m’aime comme un élément de son environnement et m’intègre comme une variable stable dans sa vie. Je n’ai pas vomi dans mon lavabo ce matin, contrairement aux autres jours de la semaine. Vraisemblablement, je ne vomirai pas demain, mais vomirai de lundi à vendredi prochain. Il devient urgent que je prenne un médicament pour m’aider à supporter mon job.
Entre manches de pelle et de griffe, de fourche et de pioche, de chinois et de râteau et de tout un bric-à-brac d’outillage divers, sur un vieux canapé en osier recouvert d’une mousse moisie, je pense à ce qu’aurait pu être ma devise : « La raison du confort est la raison du plus fort ». Puis je trouve ce que je vais dire à mon fils à son retour du centre équestre : une devise, c’est quand quelqu’un se paie de mots !
claude- Nombre de messages : 142
Age : 64
Localisation : Drôme
Date d'inscription : 06/05/2008
Re: MOT-US
Ouf!!! Je suis sonné! Quel texte!ça coule, glisse, percute! des idées, des mots justes, des trouvailles("je me fais couler un bain de cognac..." entre autres).C'est du grand art; on "voit" comme au cinéma et on se délecte à la lecture.
Claude est un pro!
Claude est un pro!
muzzo- Nombre de messages : 618
Age : 90
Localisation : Va savoir...!
Date d'inscription : 13/07/2008
Re: MOT-US
.
Très juste. Très bien écrit. On en vient à rêver que la conscience de millions de cadres s'éclaire aussi lumineusement, qu'ils se mettent tous à boire, qu'ils crient tous en hordes dans les rues. Mais ton héros est, à n'en pas douter, une perle. Oserais-je dire que ça sent le vécu ?
.
Très juste. Très bien écrit. On en vient à rêver que la conscience de millions de cadres s'éclaire aussi lumineusement, qu'ils se mettent tous à boire, qu'ils crient tous en hordes dans les rues. Mais ton héros est, à n'en pas douter, une perle. Oserais-je dire que ça sent le vécu ?
.
Re: MOT-US
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte, Claude. Voilà, la journée " commence " enfin. ^^
Petite question : " bain béni " ; ce ne serait pas pain béni ?
J'ai, énormément, aimé les herses à détecteur de mouvement. Le dieu argent régit pas mal de choses. Ce n'est pas Desperate housewives mais le desperate househusband, que tu nous livres !
Puis, grâce à toi, j'ai rajeuni... ^^
Petite question : " bain béni " ; ce ne serait pas pain béni ?
J'ai, énormément, aimé les herses à détecteur de mouvement. Le dieu argent régit pas mal de choses. Ce n'est pas Desperate housewives mais le desperate househusband, que tu nous livres !
Puis, grâce à toi, j'ai rajeuni... ^^
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: MOT-US
Bon, ne me reste plus qu'à prier très fort pour que mes enfants ne lisent pas ce texte. Je suis sûre qu'ils iraient derechef couper la tête de leur voisin à coups de taille-haie!
"A trop remuer le couteau dans la plaie on finit par vous ramasser à la petite cuiller" C'est trop long comme proverbe ou ça ira?
Bravo Claude, un beau morceau de vie vécue!
"A trop remuer le couteau dans la plaie on finit par vous ramasser à la petite cuiller" C'est trop long comme proverbe ou ça ira?
Bravo Claude, un beau morceau de vie vécue!
Re: MOT-US
Il suffit parfois d'un mot ...
Que de férocité, de sagacité et -hélas- de réalisme dans ce texte qui dit si bien que le vernis ne demande qu'à craquer.
Que de férocité, de sagacité et -hélas- de réalisme dans ce texte qui dit si bien que le vernis ne demande qu'à craquer.
Invité- Invité
Re: MOT-US
Captivant, et le tour de force est d'autant plus appréciable qu'il traite du commun.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: MOT-US
C'est dur à vivre, dur à lire et à ressentir.
C'est un peu vu, mais plutôt pas mal traité, avec une grande place pour les choses vraies, celles qu'on pense sans se retenir, en les acceptant, moches et pas forcément assumables.
C'est un peu vu, mais plutôt pas mal traité, avec une grande place pour les choses vraies, celles qu'on pense sans se retenir, en les acceptant, moches et pas forcément assumables.
Re: MOT-US
Ah ! cela fait plaisir un texte de cette qualité !
Matière, manière, langue : tout me séduit.
L’écriture rend bien l’atmosphère de morosité insidieuse et lancinante; progressivement étouffante aussi car tu nous conduis par petites touches, semant de-ci de-là de simples réflexions aux allures anodines et cependant bien moins légères qu’il n’y paraît.
Nul doute que chacun s’y retrouve un peu, beaucoup.
J’ai particulièrement apprécié cette phrase:
« Derrière les rideaux Laura Ashley des fenêtres de notre salon, la silhouette de Christine repassant notre petit linge de maison ne m’est d’aucun secours. »
Matière, manière, langue : tout me séduit.
L’écriture rend bien l’atmosphère de morosité insidieuse et lancinante; progressivement étouffante aussi car tu nous conduis par petites touches, semant de-ci de-là de simples réflexions aux allures anodines et cependant bien moins légères qu’il n’y paraît.
Nul doute que chacun s’y retrouve un peu, beaucoup.
J’ai particulièrement apprécié cette phrase:
« Derrière les rideaux Laura Ashley des fenêtres de notre salon, la silhouette de Christine repassant notre petit linge de maison ne m’est d’aucun secours. »
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: MOT-US
n'empêche, pour 9 ans le Jules, il est pas mal en avance niveau réflexions ;-)
j'aime aussi ce bout de vie de bourge qui s'assume
mais qui va mal tourner
sûr, ça va mal tourner
et c'est dommage, je m'étais déjà attaché à ce petit monde ;-)
une belle écriture et une bonne observation sociétale bien rendue
j'aime aussi ce bout de vie de bourge qui s'assume
mais qui va mal tourner
sûr, ça va mal tourner
et c'est dommage, je m'étais déjà attaché à ce petit monde ;-)
une belle écriture et une bonne observation sociétale bien rendue
Re: MOT-US
J'ai beaucoup aimé cette ambiance désabusée, et la conclusion est excellente ! Bien écrit, du beau boulot.
Invité- Invité
Re: MOT-US
claude a écrit:Bonjour à tous les amoureux de la chose écrite.
J'ai un truc à dire au sujet du fonctionnement de cet excellent lieu de vie, merci à ses créateurs, on pourrait presque en faire un lieu de culte, ou un lieu culte.
en fait, c'est pour soumettre un dilemme :
je trouve ça courtois de remercier ceux qui se donnent la peine de lire et commenter un texte, mais j’ai bien compris depuis mon arrivée la problématique de la réponse donnée par l’auteur qui ramène son texte en début de liste.
N’y a-t-il pas moyen d’ouvrir un fil juste pour dire merci et répondre sommairement aux commentaires des lecteurs ?
Exemple de nom pour le fil :
remerciements et commentaires des auteurs
L’auteur qui répond, c’est Claude et il dit :
sur mot-us, merci pour vos commentaires, ça fait plaisir d’avoir été compris.
Lucy : bien sûr pain béni et non pas bain penny (ou avais-je la tête ?)
Apou : non rien de tout cela n’a été vécu par moi. C’est juste du ressenti. Je ne vais rien t’apprendre en te disant que l’inspiration est puisée dans l’air du temps, qu’elle est digérée par la pensée, transformée par un mode d’expression et restituée par une expiration du bout des doigts.
Yali : réussir à faire du quotidien un roman est le meilleur moyen de s’en affranchir.
Sinon, en fin de compte, le Madiran, ça se laisse boire.
parfois il ne faut pas hésiter à faire remonter un texte, surtout quand celui-ci est bon
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: MOT-US
Exactement la même chose.socque a écrit:J'ai beaucoup aimé cette ambiance désabusée, et la conclusion est excellente ! Bien écrit, du beau boulot.
Invité- Invité
Re: MOT-US
Mot-Us et bouche cousue-main !
Le trottoir d'en face est toujours désespérément en face ! Mais l'écrire comme ça le rapproche...
Le trottoir d'en face est toujours désespérément en face ! Mais l'écrire comme ça le rapproche...
Invité- Invité
Re: MOT-US
pas mal le Bertrand en question...
Alors toi quand tu donnes dans la caricature, ce n'est pas sans matière ni outils.
Une fois bien fumé, Nous sommes d’une normalité à mettre les écarts-types dans la moyenne,
tu laboures le terrain à grands coups de fourche bêche, Nous vivons dans le cliché de la petite réussite d’une famille de français moyens tendant vers la tranche supérieure.
Ta semence en milieu finement préparé trois enfants était le bon nombre pour une fratrie et les faire coup sur coup nous débarrasserait de la corvée des gestations donnera belles récoltes, malgré les intempéries non prévisibles.
L'écriture est souple, rebondissante à souhait comme mue par une énergie propre, sans tâches. A renouveler.
Alors toi quand tu donnes dans la caricature, ce n'est pas sans matière ni outils.
Une fois bien fumé, Nous sommes d’une normalité à mettre les écarts-types dans la moyenne,
tu laboures le terrain à grands coups de fourche bêche, Nous vivons dans le cliché de la petite réussite d’une famille de français moyens tendant vers la tranche supérieure.
Ta semence en milieu finement préparé trois enfants était le bon nombre pour une fratrie et les faire coup sur coup nous débarrasserait de la corvée des gestations donnera belles récoltes, malgré les intempéries non prévisibles.
L'écriture est souple, rebondissante à souhait comme mue par une énergie propre, sans tâches. A renouveler.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: MOT-US
Tu attaques en douceur, avec quelques clichés bien vus sur la banlieue ouest, sur la maison, le jardin, les enfants. On entendrait presque aboyer un chien dans le jardin :-)
Je me demande donc où tu veux m'emmener, espérant que cela ira au-delà d'une balade familiale trop convenue et je ne suis pas déçue.
Tu traduis avec beaucoup de justesse certaines errances du quotidien et la banalité d'un jour qui sera demain identique à hier. C'est féroce et cruel sans trop en faire, il y a de la subtilité et aussi quelques traces d'humour. Bien vu!
Je me demande donc où tu veux m'emmener, espérant que cela ira au-delà d'une balade familiale trop convenue et je ne suis pas déçue.
Tu traduis avec beaucoup de justesse certaines errances du quotidien et la banalité d'un jour qui sera demain identique à hier. C'est féroce et cruel sans trop en faire, il y a de la subtilité et aussi quelques traces d'humour. Bien vu!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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