Exo "La parole est aux objets" : Le valseur

J’en ai fait valser pourtant ! Des petites, des grandes, des plates, des rondes et c’était bien rare que leur fente me résiste ( excusez ce détail trivial).
Je suis plutôt petit, mais du genre solide, et pas manche, je vous prie de le croire ! Plus tout jeune, bien sûr, mais encore capable d’assurer, du moins c’est ce que je croyais jusqu’à la semaine dernière.
Je vis dans une maison assez tranquille : la petite dame qui prend soin des lieux ne me sollicite pas souvent, pas comme son garnement de fils pour qui j’ai failli m’esquinter la santé sans en obtenir seulement un merci ! Enfin, il est parti et depuis, je me la coule douce.
A tel point que je m’ennuie un peu : la valse me manque, c’est mon vice ! Je ne danse que cela, mais alors : à la perfection, je le dis sans forfanterie. A l’envers ou à l’endroit -( et mes cavalières en avaient la tête toute retournée lorsque je les lâchais. Il ne leur en fallait pas plus pour être attachées, et moi, je m’éloignais aussitôt ; j’en ai parfois eu des remords. Mais c’est ainsi, on finit toujours par céder à sa nature.

La semaine dernière, la petite dame a tout chamboulé dans la maison. J’avoue que j’étais assez content : la routine, l’inaction, ça finirait par vous rouiller !
Mais je ne me doutais pas de ce qui m'attendait : lorsqu‘elle nous a présentés, j’ai eu le coup de foudre ! Presque rousse, longue et fine, une jolie petite tête ronde… Une prémonition, je me suis dit « mon vieux, celle-là, ça va être ta croix ! »

En ronchonnant, la petite dame nous a laissés en tête à tête, un peu empotés, un peu coincés, mais j’étais confiant quand même, je comptais sur la grâce légère de mes voltes, et l’attente faisait durer le plaisir.
Quand elle est revenue, elle nous a rapprochés, j’étais tout frémissant d’excitation.
Et là, j’ai eu la honte de ma vie : impossible de faire tourner la belle. J’avais beau m’appliquer, essayer de me positionner au mieux, je dérapais, j’ai même failli blesser la petite dame.
Qui m’a écarté d’un air dégoûté en grommelant « ça sert plus à rien ces machins−là, maintenant, toutes les vis sont cruciformes ! »

Ce qui est bien, c'est que la curiosité est en éveil jusqu'à la dernière phrase.

aujourd'hui, c'est la Saint Valseur, bonne fête à tous les valseurs :o)

Dans toutes les acceptions du terme
j'ignorais celle-ci
Elle est très imagée, et je l'inscris dans mon vocabulaire
Merci Coline

donc,
si j'ai bien compris:

pour faire tourner les têtes, le manche ne suffit pas ?
ou encore
il est préférable de vérifier la compatibilité ou l'adéquation de l'outil avant de commencer les travaux
ou encore
sa tête plate le sauvera-t-il de la crucifixion ?
ou encore
il est toujours possible d'adapter l'inadaptable, mais c'est beaucoup plus compliqué
ou encore
si les castors ont la queue plate, est-ce la faute des canards ?
ou encore
une bonne prise vaut mieux en creux tu l'auras
ou encore
à bon outil bonnes chevilles, choisissons le bon vice


... merci colinette pour ce petit ouvrage qui m'ouvre la réflexion du matin ...

En lisant ton texte j'ai vu, en filigranne, un derviche tourneur.
Le style, léger, virevoltant, convient bien à la descrition des activités de cet objet, souvent bien utile.

Non seulement ils ont des qualités pratiques, ces petits objets, mais aussi des âmes de conteurs !

S'il a la tête plate, il n'a pas les pieds plats... et pas la langue dans son étui. C'est la valse à 1000 temps.

Voilà qui est bien tourné !

La chute est amenée de façon magistrale

Réjouissant du début à la fin, ça me réconcilie presque avec le mien qui m'avait méchamment tailladé un doigt !
Et j'adore la sensibilité et l'émotion que tu lui as insufflé.