Exo "La parole est aux objets" : Poil à gratter

Cette fille est vraiment trop manche, et je m’y connais. Qu’elle m’énerve à gratter comme ça, à sec, ça ne lui suffisait pas de m’avoir cramée ? Et elle me laisse sécher sans rincer en plus, encore toute graisseuse.

Lui au moins m’essuyait doucement, je sentais bien qu’il avait de la considération pour moi. Il me préparait des bains moussants, me laissant tremper toute la nuit. Ensuite il passait doucement l’éponge sur mon corps et me rinçait avec précaution, j’adorais ça.

Et puis j’avais droit à la soigneuse spatule en bois qui glissait sur moi sans me blesser. Elle, elle me pique à la fourchette, me raye, éclate ma délicate couverture.
Et m’oublie sur le feu. Jusqu’à ce que la fumée me fasse tousser et que j’éternue quelques aliments sur la plaque.

Faut voir ses goûts en plus. Elle me jette le contenu de boîtes de conserves à la gueule, me casse les œufs dessus sans même m’avoir recouverte d’un peu de beurre à dorer, laisse sa viande en semelle se carboniser sur moi.

Ah qu’il est loin le temps des petites juliennes délicatement coupées, de l’huile d’olive venant satiner mon revêtement, des oignons frits qui me faisaient frétiller l’odorat et de la pâte à crêpe crépitant sur ma peau.
Quand va-t-il enfin virer cette fille de la cuisine et me revenir ?

L’autre jour je lui ai grillé les doigts. Comme d’habitude elle m’avait laissée en plan sur le feu, sans rien pour adoucir sa brûlure. Quand elle a balancé ses lardons sur moi, je les lui ai recrachés sur la main.
Elle a hurlé, j’ai souri.

Elle a appris la leçon depuis, elle n’oublie plus l’huile ou la noisette de beurre, mais cette pintade est incapable de savoir combien de temps les laisser. Ni quelle quantité mettre.

J’ai attendu qu’elle verse suffisamment d’huile, qu’elle revienne quand elle était bouillante, en plein frémissement, j’ai pris mon manche dans son pull ample pour tomber sur sa jambe et déverser ma rancœur de friture sur sa cheville. Ça sentait bon le cochon grillé.

Elle a eu une greffe de peau.
Elle n’est plus entrée dans la cuisine.
Il est revenu.
Il m’est revenu.

Un choix amusant et un récit grésillant. Les fautes de goût ne pardonnent pas.

Les états d'âme de cette poêle jalouse et vindicative sont finement analysés
Un texte au petit poil
Torride

Hou là là ! c'est chaud. Si Elea "me passait doucement l’éponge sur mon corps et me rinçait avec précaution", je pense que j’adorais ça :-))). Comme ce texte d'ailleurs. Ce n'est parce que c'est une poêle qu'il faut la prendre pour un(e) manche.

j'aime bien quand elea met de l'huile sur son feu :-)

Au poil, cette poêle, à se poiler !

"J’ai attendu qu’elle verse suffisamment d’huile, qu’elle revienne quand elle était bouillante, en plein frémissement...". Qui a dit que la vengeance est un plat qui se mange froid ?...

c'est réjouissant elea !

La fin est jouissive !

Je vais regarder ma poêle autrement...
T'es une cuisinière sans indulgence pour les débutantes...

Comme quoi y faut pas prendre les ustensiles de cuisine à rebrousse-poële. Sympathique fricassée de mots. Bravo Elea.