Mort d'une grenouille

Elle a vécu, Kermit, ma gentille grenouille.
Un carton à chapeau renferme sa dépouille.
J’aimais son éloquence et ses amphigouris,
Ses grands yeux globuleux et ses airs ahuris.
Quel malheur ! Quelle perte ! En son bocal, fidèle,
Je la voyais monter à sa petite échelle
Et pointer doucement, doucement, hors de l’eau
Son nez pour m’indiquer qu’il ferait sec et beau.
Et quand, parmi la mousse, elle restait assise,
À ma sombre moitié j’annonçais sans méprise
Que nous aurions un temps humide et pluvieux…
Hier, dans le jardin, avec un soin pieux,
J’ai creusé le sol dur et l’ai portée en terre.
Pour son salut j’ai dit une ardente prière :

« Toi qui jamais ne te trompas
Météorologue infaillible,
Sois assuré que ton trépas
M’est bien pénible !
Ô fabuleux musicien
- Je veux sur ma foi te promettre -
Qu’onc je n’adopterai d’autre batracien
Ni ne ferai l’achat d’un banal baromètre !
Lorsque tu gonflais ton gosier
Tu semblais un robin dessiné par Daumier
Dont le triple menton sur l’hermine pendouille...
Repose en paix, Kermit, ma gentille grenouille ! »

Ayant dit, je frappai de mes deux poings mon sein,
Maudissant les arrêts du sévère destin,
J’arrachai mes cheveux par touffes innombrables
Et, comme mon dragon me réclamait à table,
De l’anoure à regret je quittai le cercueil,
Mon cœur pur et candide affligé par le deuil…

Par ma vive douleur s’estimant offensée
La mégère avait fait cuire une fricassée…
Ami lecteur ici tu devines la fin
Car je ne doute pas que ton esprit soit... (rime riche)

Pleurez doux alcyons, ô vous oiseaux sacrés...

J'aime la diversité des références qui émaillent ce thrène (qui ne traîne point) :Chénier, Collaro (Kermit), Daumier... et ce vers "De l’anoure à regret je quittai le cercueil,"

C'est excellent ! vraiment. Que ce soit au niveau du rythme, du fond, du ton, tout est très bien calibré. Drôle et décalé. Bref. Du tout bon, mon cher.

Excellent !
Au début je me suis dit que ça partait du vécu
(aussitôt j'ai retenu une larmichette, rapport à Modestine)
puis j'ai commencé à sourire
et fini par rire
donc soit c'est vrai et c'est super dédramatisé (le décès de Kermit)
soit c'et du pipeau et bravo pour la fable !
Legone-Lafontaine même combat !
;-)

en plus les rimes sont loin d'être pauvres
donc re-bravo

Humour et érudition, c'est ce que j'aime dans ton travail.
Contente de te retrouver ici en grande forme après les deux derniers poèmes que j'avais personnellement trouvés un peu faibles, en deça de ta capacité habituelle.
Bravo donc.

du grand art vraiment ! et quel humour ...

ce poème s'inscrit dans la lignée des grands fabulistes ...

Mychelc

Je remercie les sympathiques commentateurs : mentor, yoni, tizef, easter, mycelc. Vous avez raison : c'est encore meilleur que du La Fontaine. C'est mon ami Lucchini qui vient de me le dire.

---

Aucune raison de ne pas répondre sur son propre fils après 5 commentaires.
La Modération

Très bon ! Du peu de temps que je suis sur ce site, décidément un des meilleurs poètes que j'ai lu ici. Mon seul regret concerne la mise en page : l'alignement des vers devrait se faire - comme le veut la convention - selon le mètre de chaque vers. Ainsi, plus le vers est court, plus il doit être aligné à droite, l'alexandrin étant aligné parfaitement à gauche, puis le décasyllabe un peu plus à droite et ainsi de suite. Cela permet d'identifier le mètre de chaque vers du premier coup d'oeil et c'est nettement plus confortable pour la lecture.

C'est triste et jubilatoire
rudement bien foutu
condoléances et félicitations !

Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.
A. Chénier

Un équilibre parfait entre l'émotion et l'humour. On sent que le narrateur aurait bien préféré plier dans son carton à chapeau la dépouille de sa sombre moitié.
C'est fin, musical, attendrissant ... irrésistible.

j'ai beaucoup apprécié et la lecture a été agréable,
beaucoup de référence en effet et je rejoins en plusieurs points tous les autres commentaires
mais il est à terminer je crois ???

Merci aux nouveaux commentateurs. Scaevola a la blague facile à ce que je lis :o)
Bon, comme disait Gainsbourg : les anoures perdus ne se retrouvent plus. Snif...

N'a pas toujours été, ta belle ... souviens-toi de sa jeunesse !

N'a pas toujours été anoure

c'est bien enlevé , je pense .... j'aimerais te lire dans des formes plus libres et folles ...

Et quid de son échelle ?

Mais qu'est-ce que je fabrique, moi ? J'étais persuadée d'avoir commenté ce poème qui m'a beaucoup plu !

Une petite merveille que ce poème qui se lit sans problème et d'une traite et dont la versification est irréprochable. Les allusions à la "sombre moitié" m'ont fait sourire. Par contre je n'ai pas vu les références que d'autres ont fait remarquer, je manque sûrement d'érudition...

Very chouettos

Bien écrit oui. Je vais peut etre dire une betise, mais avec des facilités pareilles peut etre pourriez vous oser vous prendre un peu au sérieux ?

tant de talents pour livrer ta bredouille ...

Console toi : sur que tu sais parler aux femmes !

Je pleure à chaudes larmes.
J'eus la même grenouille, avec de belles cuisses !

"Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine...."
Et Kermitt aussi ! Ainsi passent les cuisses......