Au club Passiflore
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Au club Passiflore
Au-dessous d’un regard éteint, un sourire béat illumine sa face. On ne saurait dire son âge.
Mercredi. Sa mère l’accompagne au club Passiflore et souvent elle lui donne la main ; sa démarche est lourde et pataude.
Là, en compagnie d’autres personnes au faciès ressemblant, elle va participer à des jeux, se distraire tout l’après-midi, acquérir un peu d’autonomie.
Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre un peu plus la main de sa mère, lève vers elle son visage figé et secoue la tête pour dire non.
Maman doit être ferme avec douceur. Elle pose sur sa fille un regard chargé d’amour, libère lentement sa main, la rassure avec des mots choisis… Pour elle aussi c’est difficile.
A dix-huit heures elle viendra la chercher. On lui dira que sa fille a bien participé, qu’elle a progressé dans son comportement (sous-entendu dans son évolution vers la « normalité »)
Mais dès qu’elle verra sa mère, elle se jettera contre elle avec fougue, l’enserrant de ses bras trop courts, voulant retrouver ce doux lien qui lui manque tant, dès qu’on les sépare…
La mère à cet instant embrassera sa fille, reprendra sa main, et retrouvera en elle cette horrible douleur, cette vrille grinçante qui lui troue le cœur et l’esprit et lui répète : « tu n’es pas éternelle ; que deviendra-t-elle quand tu ne seras plus là ? »
Mercredi. Sa mère l’accompagne au club Passiflore et souvent elle lui donne la main ; sa démarche est lourde et pataude.
Là, en compagnie d’autres personnes au faciès ressemblant, elle va participer à des jeux, se distraire tout l’après-midi, acquérir un peu d’autonomie.
Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre un peu plus la main de sa mère, lève vers elle son visage figé et secoue la tête pour dire non.
Maman doit être ferme avec douceur. Elle pose sur sa fille un regard chargé d’amour, libère lentement sa main, la rassure avec des mots choisis… Pour elle aussi c’est difficile.
A dix-huit heures elle viendra la chercher. On lui dira que sa fille a bien participé, qu’elle a progressé dans son comportement (sous-entendu dans son évolution vers la « normalité »)
Mais dès qu’elle verra sa mère, elle se jettera contre elle avec fougue, l’enserrant de ses bras trop courts, voulant retrouver ce doux lien qui lui manque tant, dès qu’on les sépare…
La mère à cet instant embrassera sa fille, reprendra sa main, et retrouvera en elle cette horrible douleur, cette vrille grinçante qui lui troue le cœur et l’esprit et lui répète : « tu n’es pas éternelle ; que deviendra-t-elle quand tu ne seras plus là ? »
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Quel percutant instantané !
Comme quoi on peut faire court et très signifiant, avec une écriture en creux, qui sait suggérer plutôt qu'affirmer, et sans que ne subsiste pour autant aucun doute quant à ce qui est pudiquement évoqué.
Comme quoi on peut faire court et très signifiant, avec une écriture en creux, qui sait suggérer plutôt qu'affirmer, et sans que ne subsiste pour autant aucun doute quant à ce qui est pudiquement évoqué.
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
tu joues encore une fois avec les émotions les plus viscérales. Sans trop en faire, avec justesse, avec ce qu'il faut de suffisamment violent pour nous remettre à notre place de simple mortel.
fort !
fort !
polgara- Nombre de messages : 1440
Age : 48
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012
Re: Au club Passiflore
ha oui !
belle vignette, et tellement vraie ! bravo
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Au club Passiflore
j'ai lu embellie, c'est super, mais je cale sur le commentaire... trop sensib' pour moi
Pussicat- Nombre de messages : 4841
Age : 56
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: Au club Passiflore
En peu de mots s’exprime l’angoisse d’une mère.
En quelques phrases, on comprend les raisons de cette angoisse ; en quelques phrases naît une empathie pour cette mère.
Son enfant, handicapée, manque d’autonomie, elle est incapable d’indépendance. Leur union est forte, et chaque séparation est un déchirement, « Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre un peu plus la main de sa mère, lève vers elle son visage figé et secoue la tête pour dire non. »
Une angoisse, « cette vrille grinçante qui lui troue le cœur et l’esprit », s’empare de la mère à cette pensée qui la hante chaque fois que son enfant manifeste son lien avec elle si fort, et son indépendance si faible, cette pensée de sa finitude : elle n’est pas éternelle.
Le sort de son enfant après sa disparition la tourmente, on la comprend, on vit avec elle sa douleur, l’émotion se communique au lecteur.
Mais encore ?
On partage les affres d’une telle mère, mais on aurait aimé connaître l’histoire de cette enfant. On aurait souhaité le récit des solutions que cette mère envisage pour résoudre son difficile problème, sa recherche pour surmonter son angoisse.
Texte émouvant, Embellie, mais qui me semble trop limité dans sa portée.
En quelques phrases, on comprend les raisons de cette angoisse ; en quelques phrases naît une empathie pour cette mère.
Son enfant, handicapée, manque d’autonomie, elle est incapable d’indépendance. Leur union est forte, et chaque séparation est un déchirement, « Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre un peu plus la main de sa mère, lève vers elle son visage figé et secoue la tête pour dire non. »
Une angoisse, « cette vrille grinçante qui lui troue le cœur et l’esprit », s’empare de la mère à cette pensée qui la hante chaque fois que son enfant manifeste son lien avec elle si fort, et son indépendance si faible, cette pensée de sa finitude : elle n’est pas éternelle.
Le sort de son enfant après sa disparition la tourmente, on la comprend, on vit avec elle sa douleur, l’émotion se communique au lecteur.
Mais encore ?
On partage les affres d’une telle mère, mais on aurait aimé connaître l’histoire de cette enfant. On aurait souhaité le récit des solutions que cette mère envisage pour résoudre son difficile problème, sa recherche pour surmonter son angoisse.
Texte émouvant, Embellie, mais qui me semble trop limité dans sa portée.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 68
Date d'inscription : 28/10/2009
re : Club Passiflore
Je suis toujours désarçonné par ce genre de texte. J'en comprends sûrement la nécessité pour son auteur. Mais je m'interroge sur l'écriture. Je la cherche. Ce degré direct avec la vie (mort,parents etc) m'indispose. Je ne me sens pas encore en position pour accueillir cette écriture. Pourtant, Embellie, tu l'oses. Donc, c'est moi qui dois faire le chemin. Je suis sensible à ce miroir que tu me tends, dans lequel je refuse de me voir.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Au club Passiflore
Louis : Je n'avais pas envie de raconter l'histoire de cette enfant, je n'y ai même pas pensé. Elle est là, présence alourdie par le handicap, et l'angoisse, que je partage avec les parents dans des cas comme celui-ci, submerge tout.
Je n'avais qu'un besoin, transmettre ce ressenti, le plus sobrement et le plus fidèlement possible.
Faut dire que j'ai connu de très près ce problème, pas personnellement mais dans ma famille...
Des solutions, il y en a peu. On connaît le combat des comédiens Michel Creton et Lino Ventura pour la prise en charge, dans des institutions spécialisées des handicapés devenus adultes et orphelins. Des coups d'épée dans l'eau.
Merci d'avoir commenté.
Raoulraoul : Je ne comprends pas bien ton commentaire. Je ne tends pas de miroir dans lequel tu refuserais de te voir. Mon texte n'est ni accusateur, ni moralisateur, c'est simplement la description de sentiments humains très forts.
Désolée de t'avoir désarçonné. Merci pour t'être exprimé à ce sujet.
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Absence de mots, entre ces deux êtres, mais un attachement si fusionnel, et l'inquiétude de la mère que tu as su bien rendre. C'est très émouvant.
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Très beau sujet. J'aime ce parti pris de simplicité, on devine des émotions plus profondes, une histoire souterraine... Je regrette un peu de ne pas y avoir plus accès.
Passiflore
Pour répondre à ton commentaire de mon commentaire sur ton texte, Embellie, je voudrais préciser que ce qui me dérange c'est le réaslime trop intime, pour moi, de ta description. Il y a pour moi un peu trop de sentimentalisme (les bons sentiments) et pas assez de distance. Cela pourrait être "Un journal", une note personnelle, confidentielle... Pourquoi justement ne pas utiliser une autre conjugaison : un temps passé par exemple ? Quant au "miroir" que j'évoque bien sûr, il s'agit d'une image, dans le sens où ton texte m'interroge beaucoup sur moi-même ; ma gêne, pourquoi je ne peux écrire ce genre de texte... Pour moi, c'est une lacune. Je voudrais en connaître les raisons. Voilà pourquoi "Club Passiflore" m'intrigue, ma passionne autant qu'il m'exaspére. Tout ceci considéré évidemment dans une visée de recherche littéraire, une reflexion comme ce site nous y incite, puisque VE est original et vivant par les échanges "pratiques" et "commentaires réflexifs" qu'il permet. Merci encore à toi Embellie, de m'avoir fait découvrir ce site, il y a maintenant plusieurs mois.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Au club Passifflore
Un texte d'une infinie délicatesse. Seules deux expressions (normalité et bras trop courts) rappellent directement le handicap. Ailleurs, il n'est que suggéré et pourtant il est toujours présent et terriblement pesant. Merci, Embellie
Albert-Robert- Nombre de messages : 492
Age : 81
Localisation : Drôme
Date d'inscription : 21/04/2012
Re: Au club Passiflore
Sobre et frappant. Beaucoup aimé.
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 50
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: Au club Passiflore
J'ai côtoyé professionnellement ce genre de problème pendant de nombreuses années et je dois dire que j'ai toujours rencontré cette anxiété chez les mères : les centres d'accueil sont misérablement trop peu nombreux, d'où cette question lancinante.
Et c'est doublement un problème, car du coup cette angoisse amène souvent une recrudescence d'anxiété chez les jeunes et entrave considérablement leur autonomisation... Problème quasi insoluble, même si des associations font un boulot énorme ...
Le texte est retenu et émouvant. Le seul bémol que j'introduirai serait cette vision un peu angélique de la mère : je crois qu'il serait déculpabilisant de montrer que parfois et en dépit de tout cet indéniable amour, il y a des moments de fatigue, d'agacement, de ras le bol, absolument légitimes.
Mais dans le court moment décrit par ton texte, il serait difficile d'introduire ces éléments, bien sûr...
Et c'est doublement un problème, car du coup cette angoisse amène souvent une recrudescence d'anxiété chez les jeunes et entrave considérablement leur autonomisation... Problème quasi insoluble, même si des associations font un boulot énorme ...
Le texte est retenu et émouvant. Le seul bémol que j'introduirai serait cette vision un peu angélique de la mère : je crois qu'il serait déculpabilisant de montrer que parfois et en dépit de tout cet indéniable amour, il y a des moments de fatigue, d'agacement, de ras le bol, absolument légitimes.
Mais dans le court moment décrit par ton texte, il serait difficile d'introduire ces éléments, bien sûr...
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Je ne sais si le nom a été choisi intentionnellement parce que la "Passiflore attira l'attention des Européens voyageant dans le Nouveau Monde, car ils crurent voir, dans les divers organes de ses belles fleurs, les instruments utilisés lors de la passion du Christ : le fouet, les clous et le marteau."
Émouvant.
Émouvant.
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Coline, si j'avais voulu traduire tout ce que tu me dis sur la mère, pour sûr j'aurais su, ayant eu une tante handicapée dont j'ai eu la garde plus tard, mais là il faudrait écrire tout un bouquin ou au moins une nouvelle. Tu as raison :fatigue, agacement, ras-le-bol et bien plus encore...Regard des autres, permanence absolue de la surveillance, du soutien, de l'aide à cet être, réduisant son entourage proche à une sorte d'esclavage. Le mot n'est pas trop fort, malgré l'amour qui est là, bien réel. Pas de répit. C'est très dur.
luluberlu, je connais à Toulouse une association s'occupant de personnes trisomiques ayant pour nom Passiflore, mais je ne sais pas ce qui a motivé le choix de ce nom.
Merci à tous pour vos réactions.
luluberlu, je connais à Toulouse une association s'occupant de personnes trisomiques ayant pour nom Passiflore, mais je ne sais pas ce qui a motivé le choix de ce nom.
Merci à tous pour vos réactions.
Invité- Invité
Re:Au club passiflore
Je suis à la six ou septième lecture de ce texte que j'ai déja commenté(ailleurs), mais l'émotion est toujours la même.Cette impression d'amour infini dans la détresse me noue la gorge. Tu avais écrit un texte (pas publié sur ce site) qui m'avait laissé aussi la gorge oppressée.
La brièveté de tes textes ont la puissance d'un coup poing à couper le souffle.
Je suis toujours aussi admiratif de ce style percutant dans l'émotion.
Merci chère Andrée.
La brièveté de tes textes ont la puissance d'un coup poing à couper le souffle.
Je suis toujours aussi admiratif de ce style percutant dans l'émotion.
Merci chère Andrée.
Jeangeo- Nombre de messages : 53
Age : 74
Localisation : Isère
Date d'inscription : 21/05/2012
Re: Au club Passiflore
Tout est là, tout est dit... cette éternité que l'on souhaiterait tout en la redoutant. L'interrogation finale est légitime car urgente, concrète. Pas de jugement pas de plaidoyer, une histoire simple en apparence et pourtant, tout y est, avec un grand ci, un appel que personne n'entend. Raconté une fois encore avec beaucoup de justesse, comme souvent (toujours) chez embellie. J'apprécie qu'il n'y ait justement pas d'effet, de vibrants cris ou un effet quelconque sur le pathos. Non, tout se déroule ici dans un calme apparent et ça c'est qui rend le sujet encore plus palpable.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Au club Passiflore
Un recueil en préparation avec des galeries de portraits ? Ce serait bien. Je ne sais pas s'il y aurait un éditeur prêt à tenter l'aventure, mais je suis sûre que les lecteurs suivraient.
Un seule petite chose a arrêté ma lecture :
Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre...
Je me suis demandé, quelques courtes secondes, qui était ce "elle". Je ne sais pas pourquoi, dès le début du texte, je me suis mis dans la tête que l'enfant était un garçon.
Un seule petite chose a arrêté ma lecture :
Quand l’éducatrice vient l’accueillir, elle serre...
Je me suis demandé, quelques courtes secondes, qui était ce "elle". Je ne sais pas pourquoi, dès le début du texte, je me suis mis dans la tête que l'enfant était un garçon.
Re: Au club Passiflore
La fleur passiflore , étoilée mauve et bleue blanche , une merveille ...
Invité- Invité
Re: Au club Passiflore
Lu, mais je passe sans comment taire...
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
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