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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Jean Lê Lun 6 Mai 2013 - 21:25

C'était inévitable : l'odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin des amours contrariées. Sœur Mélodie venait d’écrabouiller deux punaises vertes en train de s’accoupler au pied d’un platane.
– Pouah ! ça pue, c’est infect, maugréa-t-elle.
– C’est malin ! Vous ne pouviez pas les laisser tranquille à leur affaire, grimaçais-je.
– Je ne supporte pas les punaises, même de sacristie.
– Alors écrasez plutôt des gendarmes.
– ?!
– Vous savez ces punaises rouges que l’on trouve aux pieds des tilleuls.
– Ah oui, les masques africains !
– C’est cela même, au moins elles ne dégagent pas cette odeur fétide.
_ Ça rappelle un peu la senteur des…, des amandes amères, s’étonna-t-elle.
– Vous êtes à croquer, ôtez donc cette burqa dont la grille me fait penser à un vieux garde-manger.
– Volontiers, j’étouffe là dessous, mais où ça ? Ici ?
– Non mais à l’au…, à l’auto quoi ! bégayais-je plein d’impatience.
Nous grimpâmes dans la Dyane où je fixais la capote. Sœur Mélodie transformait cette Dyane en DS de la chasse et de la lune.
– Je vous trouve bien sévère en burnous, susurra-t-elle avant de me mettre à l’aise.


Je n’étais pas revenu à Blida depuis le mariage de mon ami Momo. Mais la veille, il nous avait accueilli comme un frère, nous offrant le gîte et le couvert, fidèle à la tradition d’hospitalité algérienne.
On planquait depuis le midi dans un terrain vague de l’avenue Benyoucef, guettant de loin les aller-venues de l’entrée de la base militaire. Nos cibles étaient logées : un quarteron de généraux qui tôt ou tard sortiraient leurs moustaches.

La ville des roses avait beaucoup perdu de sa splendeur coloniale. Aux charmantes villas françaises s’accolaient des barres de béton à l’air soviétique qui affichaient une esthétique stalinienne. Trop kawai, les nouveaux immeubles chinois s’agglutinaient à la cité disparate. Les rosiers avaient disparu tout comme les hordes de chats et de chiens errants, vendu deux mille dinards pièce aux ouvriers chinois par des gamins désargentés*. Fuyant la guerre civile, les blédards de la Mitidja s’entassaient dans la cité militaire qui s’étendait jusqu’au piémont du Chréa. La montagne limitait l’expansion urbaine. L’antique station de ski qui culminait sur le sommet périclitait désertée par les touristes. Les versants, couvert de pin de l’atlas, abritaient encore des moudjahidins du G.I.A., téméraires, ceux-ci n’avaient pas hésité à lancer leurs roquettes sur les casernes de l’armée en contrebas*. Ce feu d’artifice nocturne emplissait encore les habitants d’une terreur silencieuse. Le mutisme sur les évènements était de mise. L’ennemi en campagne étaient partout et surtout en ville depuis l’amnistie. Un temps, ils avaient même investi le mausolée royal de Maurétanie ou reposait la fille de Cléopâtre*. De là, ils pointaient leur nez camus sur les ruines de Tipasa.

– Dites-moi, ce Momo comment l’avez-vous connu ? S’enquit sœur Mélodie.
– Je l’ai rencontré à Rome alors que je coordonnais la sécurité de la plate-forme de Sant Egidio. Il faisait partie de la DRS et encadrait la délégation du ministère des affaires religieuses algériennes. Notre amitié est née au cours d’un repas dans une trattoria du Trastevere. Le but était de renforcer la cohésion et l’amitié entre les gardes qui accompagnaient les délégations.
– Quelle belle idée, le partage du pain a dû être une véritable communion dans la fraternité, s’extasia sœur Mélodie.
– Laissez-moi vous brosser le tableau de la cène en question. Il y avait beaucoup plus de Judas que de bons apôtres autour de la table, deux barbus du G.I.A. : Azhar Nazih et Achour Mesbah, trois pelés du service d’ordre du F.I.S : Yasser Stela, Taher Souleimane et Hammidouche Faissal, un tondu du FLN : Adou Amer. Au bout de la table, Momo et son quintal de lutteur gréco-romain et à l’autre bout, Gervais le petit garde suisse.
– Je connais ce Gervais, il fut intronisé par le Saint Père, c’est un de ses favoris car il est affecté à l’anti-chambre, précisa sœur Mélodie.
– Les voies du Saint-Siège n’ont pas l’impénétrabilité divine, vous êtes bien informé. Reprenons, après les salamalecs d’usage j’ai servi le vin à l’assemblée.
– Je croyais que ces païens ne buvaient pas d’alcool, s’étonna sœur Mélodie.
– Au contraire ils étaient ravis, le chianti ça les changeait du zambretto.
– Le zambretto ? Quid ?
– Il s’agit d’ une invention algéroise liée à la prohibition en vigueur, un cocktail consommé sans modération.
– J’adore les cocktails, minauda-t-elle, c’est quoi la recette de ce zambretto ?
– Un quart d’alcool à brûler et trois-quart de coca*.
Elle resta coi et je pus poursuivre.
– Le vin ajoute souvent de la spiritualité aux débats et la conversation battait son plein. La discussion s’enflamma véritablement quand on aborda le thème de la religion. J’écoutais amusé Momo charrier Azhar Nazih, le boucher hallal à l’haleine de verre, qui prônait la charia, la bouche dégoulinante de sauce tomate et la barbe enjolivée de spaghettis. Au dessert, tout en versant le lambrusco je notais que mes commensaux avaient abandonné la controverse religieuse. Le ton avait monté et ils déclamaient des vœux plus prosaïques sur les génitrices de leurs interlocuteurs. C’est alors qu’une escadre de carabinieris fit irruption dans la trattoria, sans doute appelée par le patron, un demi-sel affolé par le vacarme de notre tablée. Le caporetto, une véritable armoire à glace, nous enjoignit à le suivre sans discuter. Il fut bien servi par une gelato al limon en pleine poire… J’ai toujours eu horreur des glaces. D’un bond, Momo sauta sur la table qui bascula à la renverse en frappant le petit Gervais sous le menton. Celui-ci décolla sous l’impact et échappa ainsi aux deux carabinieris qui l’encadraient. Il atterrit dans les bras de Momo qui l’agrippa par les pieds. Puis adoptant la position du lanceur de marteau communiste il fit de terribles moulinets qui laissèrent les importuns fort navrés. Pendant qu’il les occupait, j’en profitais pour raccompagner rapidement les autres convives jusqu’au seuil mais coupant court aux salutations d’usage ils s’évanouirent prestement dans le dédale des rues romaines.
Je tirais alors vivement le rideau d’acier du restau jusqu’à un mètre du sol. Le garde suisse vint d’abord s’écraser sur le trottoir suivi bientôt par Momo dans un agile roulé-boulé.
– Pauvre Gervais, il devait être dans un sale état, s’apitoya sœur Mélodie.
– Vous savez le petit suisse aime être battu.
– J’imagine que vous avez filé sans demander votre reste.
– Pour être franc, on s’est un peu attardé pour jouer. Les gendarmes à quatre-pattes essayèrent de passer sous le rideau de fer pour nous poursuivre. Ils furent subjugués par la précision de nos coups de pied. Vous auriez du voir ça, leurs têtes résonnaient contre la ferraille comme une volée de cloches pour la grand-messe. Mais le romain n’a plus l’endurance sportive ni le beau jeu de ses glorieux aïeux. Nous avons dû cadenasser nous même leur défense en abattant le rideau sur eux. Ils criaient et tapaient le sol de leurs bras dans l’affligeant cinéma dont ils sont coutumiers. Les autres jouèrent le hors-jeu dans leur périmètre et ne tentèrent plus aucune sortie.
– Ils ont mangé chaud dans cette trattoria !
– Et certainement avec une paille après nos coups de rangeos dans la tronche. Ensuite nous avons raccompagné Gervais jusqu’à la porte de son anti-chambre, trop heureux de souffrir le martyr il nous gratifia d’une bouteille d’Amaretto. Ce viatique nous occupa le reste de la nuit avec Momo. Le matin nous trouva copains comme cochons si je puis dire ainsi d'un musulman. Nous gardâmes quelques temps un fort goût d’amandes amères dans la bouche.

Un défilé de voitures descendit l’avenue dans un tintamarre de klaxons. Assis sur les portières aux vitres baissées, les hommes tapaient sur les carrosseries dans un ramdam assourdissant.
– Pourquoi tout ce boucan ?
– Ils fêtent un mariage.
– Vous étiez à celui de Momo, racontez-moi.
– J’en garde un mauvais souvenir mais il vaut mieux que ce soit moi qui vous en parle plutôt que Momo. Le matin avec tous les homme de la noce nous avons été au hammam prendre un bain. Après le passage au sauna on s’est fait étrillé la couenne par un colosse armé d’un gant de crin. Ma peau s’est desquamée en petites boulettes noires comme du charasse. Ensuite le masseur nous badigeonna d’huile d’amandes amères. Le soir, l’odeur nous imprégnait encore quand nous avons rejoint la salle de noce où les femmes passaient la journée à festoyer entre elles. Vous savez sœur Mélodie, ici on ne mélange pas le torchon du garçon à la serviette de la fille.
– Si la serviette est mouillée le torchon brûle.
– Quand nous sommes arrivés entourant le marié au son des tambourins de l’orchestre ce fut pour découvrir horrifié le massacre : un commando de maquisards infiltrés avaient égorgé toutes les femmes de la noce*.

( *anecdotes véridiques )



Jean Lê
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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Invité Mar 7 Mai 2013 - 9:29

Le moins qu'on puisse dire c'est que l'histoire sort des sentiers battus, sent l'amande amère et nous fait voyager.
Je n'ai pas trop pigé la parenthèse italienne, mais on mettra ça sur le compte de l'abus de boisson fermentée.
En tout cas, je ne suis pas ennuyé à la noce à Momo, même si certaines amours ont pu y être contrariées par les intégristes.

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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Invité Mar 7 Mai 2013 - 13:12


Un habile mélange de vérité et de fiction, raconté avec un léger humour (hum, les petits suisses qui aiment être battus...)
D'ailleurs, vu la note de fin nous indiquant la véracité de certains faits, (doit-on te croire ?) je trouve ce ton léger un peu déplacé, surtout à la lecture de la dernière phrase, qui est terrifiante.
Le titre m'intrigue (ou alors j'ai mal lu le texte) Mission à Tanger, alors qu'ensuite tu ne parles que de Blida et de l'Algérie ?!?
Bon, exo réussi puisque l'odeur des amandes amères fait son bonhomme de chemin du début à la fin.

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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Jean Lê Mar 7 Mai 2013 - 20:38

Tizeff et Embellie, voici les trois premiers épisodes de "Mission à Tanger" écrit au cours d'exos précédents.

Spoiler:
Jean Lê
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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Invité Mer 8 Mai 2013 - 5:25

Un récit très divertissant.

L'expression "un quarteron de généraux" m'a replongée immédiatement dans des souvenirs : un fameux discours de "qui vous savez", il y a... x années. Que le temps passe vite ! :-)

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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Sahkti Mer 29 Mai 2013 - 7:22

Coïncidence du calendrier, j'ai assisté hier à un exposé sur la guerre d'Algérie et hop, maintenant que je prends le temps de commenter les exercices, voilà que reviennent quelques références connues. Du coup, ton texte offre une saveur supplémentaire.
J'ai aimé cette alternance entre pointes d'humour et allusions ou narration de faits plus dramatiques, ça équilibre le rythme, même si au départ, j'ai un peu craint que ça ne rende le tout un brin chaotique. De ci de là, quelques longueurs, des détails pas forcément indispensables mais pas de quoi dénaturer la force du récit, qui se lit avec plaisir. Une drôle d'aventure dans laquelle tu nous embarques ici.
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Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4) Empty Re: Exo « Écrire suivant un incipit » : Mission à Tanger (4)

Message  Sahkti Mer 29 Mai 2013 - 7:23

(et j'oublie de préciser que j'aime beaucoup le lien entre l'incipit proposé et la suite, ça se marie très bien)
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